PAUL RABAUT
Apôtre du Désert
.
PIÈCES JUSTIFICATIVES
LA PRÉDICATION AU
DÉSERT
Paul Rabaut en chaire. - Une
visite chez lui. - Extrait de la relation d'un
voyage en Languedoc
par Rudolf SCHNIZ, pasteur suisse
« Le jour de Noël 1773, je me
dirigeai accompagné d'un négociant de
Nîmes, de la ville vers l'endroit où
la communauté a l'habitude de se rassembler
pour célébrer le service divin. Cet
endroit se trouve à une demi-heure environ
de la ville. Dès que nous eûmes
dépassé la porte, nous nous
joignîmes à la multitude qui se
pressait en foule vers cette place. Par un chemin
pierreux, raboteux, extrêmement
pénible, nous arrivâmes dans une
vallée, étroite, déserte. D'un
côté, un vignoble s'étend vers
les hauteurs, de l'autre, une montagne sauvage,
abrupte, couverte de rocs qui menacent ruine,
encadre la triste localité ! De ce
côté se tenait une foule immense. Les
hommes étaient pressés les uns contre
les autres et étagés sur les parois
de la montagne comme sur les gradins d'un
amphithéâtre. Libre à chacun de
se préparer un siège d'une
pierre ; au pied de la montagne se trouvait
une petite tribune ou chaire, qu'on érige
à chaque nouvelle
occasion et qu'on démonte
pour la remporter dès qu'elle a servi. Elle
est destinée au prédicateur qui
adresse la parole à la multitude qui se
tient sur les pentes de la montagne.
« L'espace entourant la chaire
s'appelle le parquet. On y a établi un
demi-cercle de pierres qui servent de sièges
aux anciens ou aux étrangers. On place
devant la chaire une table pour la Sainte
Cène ; on y mit un plat d'étain
avec du pain coupé et deux coupes
élevées d'argent, don d'une d'une
matrone, morte dans le Seigneur.
« Le chiffre du peuple
réuni se montait, car on s'en assure chaque
fois avec exactitude, à 13.000.
« Tous ceux qui arrivaient
dans la vallée étroite (on peut
l'appeler désert) s'agenouillaient avant de
pénétrer dans l'assemblée, sur
le chemin dur et pierreux, et faisaient une
prière. On entonnait tantôt tel
psaume, tantôt tel autre. Pendant ce temps,
les anciens circulaient avec un sachet parmi les
rangées de pierres qui simulaient des bancs
et exigeaient de chacun 3 sols, rétribution
fixe destinée à la caisse des pauvres
de la paroisse. Les uns s'asseyaient sur la terre
nue, les gens considérables avaient
apporté des coussins et des chaufferettes,
parce que la journée était froide. Au
dehors on voyait un grand nombre d'ânes et de
chevaux attachés aux arbres et aux
enclos ; il y avait aussi des litières
qui avaient servi au transport des
vieillards.
« Pendant le chant
arrivèrent les trois pasteurs qui desservent
la communauté. Ils étaient en costume
bourgeois ; l'un d'eux revêtit à
ciel ouvert la robe et monta en chaire pendant que
les deux autres prirent place parmi les anciens.
Les mains jointes et élevées vers le
ciel, le prédicateur fit, dans les
expressions du plus profond
recueillement, une prière de coeur ; il
lut ensuite une prière liturgique
tirée de la vieille liturgie
française et développa, sur un texte
qu'il lut, un sermon édifiant,
étudié, mais librement
prononcé. Le grand chapeau rond rabattu sur
sa figure pour l'abriter contre le soleil qui lui
donnait dans les yeux, l'action extrêmement
vive, libre et qui s'accordait parfaitement avec
les paroles et les pensées intimes de
l'orateur, lui conféraient une
dignité particulière.
« Après la
prédication et une courte prière, le
pasteur lut en chaire l'institution de la
Cène commémorative de Notre-Seigneur.
La communauté, en attendant, se
préparait à la communion. Le
prédicateur et les deux autres pasteurs
prirent place devant la table et lurent une
exhortation et une prière. Ensuite on
établit à quelque distance une autre
table, devant laquelle se placèrent un
pasteur et quelques anciens pour distribuer comme
devant la première le pain et le vin. Avant
de s'approcher de la table du Seigneur, chaque
membre de la commune se mit à genoux, ou se
couvrit la figure, ou alors s'inclina selon que
l'espace le permettait, fit une prière
silencieuse ou s'abandonna à de pieuses
méditations, et reçut ensuite les
symboles de la Passion du Seigneur.
« Malgré la grande
multitude, malgré la confusion apparente de
l'assemblée et la diversité des
exercices de piété, tout se passa
dans un ordre admirable et un silence surprenant.
Une rangée s'approche après l'autre,
les pasteurs présentent le pain et
accompagnent cet acte chaque fois d'une courte
exhortation ou d'un passage de l'Écriture.
Les anciens distribuent le vin, sans cependant
s'astreindre à une minutieuse
uniformité ; ils le distribuent
à leurs plus proches voisins, sans aucune
distinction. Après la communion, chacun
se retire à une certaine
distance de la foule, s'agenouille, remercie Dieu
et adore. Parfois se réunit un groupe de 6
à 10 demoiselles ou dames, ou autant
d'hommes. Ils cherchent un coin solitaire sous un
arbre, se prosternent devant le Seigneur et l'un
fait à demi-voix une prière au nom
des autres qui élèvent avec lui leur
coeur à Dieu. Parfois une personne sort de
la foule, se place sur une éminence, entonne
un cantique de louange, entraîne les
assistants jusqu'au moment où le culte se
termine par le chant d'un psaume en commun,
après quoi l'assemblée se
sépara. Alors les anciens ou d'autres hommes
honorables barrent l'entrée de la
vallée et demandent l'aumône. Tous
donnent et celui qui ne le fait pas se distingue
honteusement. C'est ainsi que la communauté
dispersa. Des femmes faibles se font porter par
leurs domestiques ou s'en retournent à dos
d'âne. On démonte immédiatement
la chaire, on ramasse tous les vases et on les
porte dans la maison réformée la plus
proche. Le long du chemin, on trouve des gens qui
vendent des livres d'édification, des
bibles, des manuels, des récits de
persécutions pour raffermir la constance. On
rencontre aussi une foule extraordinaire de
mendiants catholiques qui s'entendent à
exploiter la charité des protestants . . . .
. . . . . . .
« Le dimanche, jour
après Noël. je me rendis une seconde
fois à l'assemblée. Je pris place
à l'une des extrémités, au
haut de la montagne, en partie pour jouir de la vue
de l'assemblée, qui se composait de 11.000
âmes, en partie pour m'assurer si l'on
comprenait le prédicateur à une
pareille distance.
« M. Paul Rabaut, le premier
pasteur et le plus digne représentant de
toutes les communes du Languedoc, prêcha avec
une éloquence toute naturelle, et
traita son sujet avec une
habileté extraordinaire
(1). Bien que je
fusse à une très grande distance de
la chaire, pas le moindre mot cependant ne
m'échappa, tellement cette place et sa
position amphithéâtrale se
prêtent bien à la prédication.
Le recueillement qu'on voyait exprimé aussi
aujourd'hui sur la figure de la plupart des
auditeurs, la décence, l'attention que
chacun témoignait, et en
général la multitude qui, pour
s'instruire, se rendait malgré tant
d'inconvénients à cet endroit sauvage
et désert, tout cela m'édifiait de
nouveau et me confondait quand je songeais à
la tiédeur qui règne chez nous au
culte public. Le service se fit aussi cette fois-ci
de la façon déjà
décrite. On distribua la Cène et on
demanda l'aumône. »
Voilà pour les réunions
pendant l'hiver
(2). Schinz ayant
marqué le désir de voir où se
tenait le culte pendant l'été, on le
mène en un endroit « qui se trouve
à une bonne demi-lieue plus loin de la ville
et dont l'accès est beaucoup plus
difficile »
(3). Il passe
« à travers une montagne
rocailleuse dans un ravin ou vallon resserré
entre deux parois de rochers escarpés,
où l'on est à l'abri de la chaleur
d'été. On a creusé dans l'une
des parois une niche et quelques marches qui y
conduisent : c'est là que se trouve en
été la chaire. Les rochers sont
disposés de telle sorte qu'à peu de
frais on pourrait établir un toit de l'un
à l'autre, mais pour
éviter des réclamations, ces bonnes
gens s'en tiennent là. »
On vante à Schinz la prudence et
le zèle de Paul Rabaut et dans
l'après-midi on le conduit chez ce
pasteur.
« Il me reçut d'abord
avec quelque réserve et des soupçons,
mais dès qu'il eut reconnu en moi un
collègue, il m'ouvrit tout son coeur. M.
Rabaut est un homme comblé de dons naturels
extraordinaires et sans études. D'origine et
d'éducation moyennes, il se voua, lors des
derniers troubles suscités contre les
protestants, par pur zèle religieux, au
ministère pastoral. Il exerce ces fonctions
depuis trente et quelques années avec une
énergie, un succès, une
édification et une prudence telles que
toutes les Églises du Languedoc s'en
remettent maintenant à ses lumières
dans les affaires importantes, le reconnaissent
pour ainsi dire comme évêque ou
directeur suprême des conseils. Au
commencement de son ministère, il
était l'objet principal de la haine des
catholiques, de telle sorte qu'on mit sa tête
à prix et qu'on l'entretint
secrètement tantôt dans telle commune,
tantôt dans telle autre. Mais peu à
peu il sut, par sa prudence, se mettre dans un tel
crédit auprès des catholiques que
maintenant ceux-ci le consultent dans leurs propres
affaires et le prennent pour arbitre dans des cas
importants. C'est pourquoi on l'appelle par
plaisanterie l'évêque Paul, pour le
distinguer du véritable évêque
de Nîmes qui le reconnaît d'ailleurs
comme pasteur et lui donne des marques non
équivoques de son amitié et de son
estimo.
« Son extérieur est
doux, prévenant et très
vénérable. Une grande prudence, une
conception rapide, un zèle pieux sont
empreints sur son visage et se manifestent dans
toutes ses actions. Je voulus lui montrer
un certificat, mais il avoua que
n'ayant jamais fait d'études
complètes, il ne savait pas un mot de latin
et ne comprenait que sa langue
maternelle. »
.
BAPTÊMES PROTESTANTS AU XVIIIe
SIÈCLE
« Après avoir reçu
beaucoup de personnes, il fut requis de faire un
baptême. Je lui demandai la permission de
l'accompagner et nous entrâmes, à
quelque distance de la ville, dans deux maisons de
paysans, où le baptême eut lieu de
cette manière - dans la pièce la plus
spacieuse de la maison, se trouvent réunis
le père de l'enfant, une marraine et deux
parrains. Le pasteur se place au milieu d'eux et
commence, après une exhortation brève
et qui varie chaque fois, à lire la
prière de la liturgie française, puis
l'institution du baptême. Un ancien verse
ensuite d'un verre ordinaire sur la main du pasteur
quelques gouttes d'eau dont celui-ci asperge la
tête de l'enfant, en prononçant la
formule ordinaire. Après cela les assistants
s'embrassent et se donnent le baiser de l'amour
chrétien. Le pasteur dresse l'acte de
baptême sur du papier timbré,
l'inscrit dans son registre composé, de
feuilles du même papier, les témoins
signent l'acte, et la cérémonie est
terminée. »
.
CONSULTATIONS AUPRÈS DU
PASTEUR
UN DÎNER AVEC LUI
« Le baptême à peine
achevé, une masse de gens venant de villages
éloignés s'étaient
groupés devant la porte, Ils
demandèrent à M. Rabaut des conseils
pour leurs diverses affaires et nul ne sortit
mécontent de chez lui. Je quittai le pasteur
après lui avoir promis de souper avec lui.
M'étant rendu le soir chez lui à cet
effet, il me conduisit chez un négociant qui
l'avait prié de lui
accorder ce plaisir. Les usages qui règnent
parmi ces gens étaient bien touchants et
nouveaux à mes yeux.
Quelqu'élégant que fut le ton dans
cette maison, tout cependant avait l'air
chrétien. Le souper ressemblait en tout
point aux agapes des premiers temps. Dès
qu'on arrivait, on s'embrassait sans distinction
d'âge ni de sexe, on faisait la prière
avant de se mettre à table, et on remercia
Dieu en se levant. »
.
AU CONSISTOIRE
« L'avant-dernier jour de l'an, M.
Rabaut m'emmena au consistoire. . . . . Les
séances ont lieu dans une maison
particulière, située en dehors de la
ville. Le premier pasteur est le président
de cette assemblée, et en sont membres les
deux autres pasteurs, les pasteurs des environs qui
pourraient séjourner dans la ville et seize
hommes choisis parmi différentes
professions, parmi les gentilshommes les plus
riches, parmi les négociants, les artisans
et les cultivateurs qui jouissent de la meilleure
réputation.
Le premier pasteur ouvrit la
séance par une prière. Il parla
d'abord des quelques désordres qui avaient
eu lieu au culte de la dernière
fête ; on résolut de prendre
dorénavant de meilleures mesures ; on
arrêta ensuite qu'il y aurait encore une
communion pour le jour de l'an ; après
quoi on fit le compte des aumônes de
l'année écoulée, et on remit
au trésorier un encaisse de 3.620 livres
pour commencer l'année nouvelle. Toute la
communauté est divisée en
différents quartiers dont chacun est
confié à un ancien chargé de
surveiller la vie de ses coreligionnaires et de
s'occuper des pauvres. L'un des anciens
déposa sa charge pour cause de vieillesse et
un autre fut élu à sa place. Le
président exposa ensuite
les empêchements opposés à
plusieurs mariages. Puis on introduisit une jeune
femme à laquelle on reprocha de s'être
mariée à l'insu du consistoire
« à la messe ». Les
parents de cette pécheresse
éplorée et repentante étaient
présents et on leur, adressa à eux
aussi les représentations et les
exhortations convenables. Tous les trois furent
obligés de dire amen aux voeux et à
la bénédiction qui les
terminèrent, de confesser à haute
voix leur repentir et de promettre de
réparer leur faute par une vie vertueuse et
chrétienne. La pécheresse dut faire
cette promesse à genoux. Après cela,
chacun des anciens énuméra les
indigents de son quartier et les recommanda aux
secours de la caisse des pauvres. On prit leurs
demandes en considération et on fit des
dispositions pour chaque cas
particulier. »
On délibéra ensuite sur
les moyens à employer pour empêcher
les mariages précoces, surtout parmi les
gens pauvres. Enfin le caissier donna à
chaque ancien la somme d'argent jugée
nécessaire pour subvenir aux besoins de ses
pauvres pendant le mois prochain. Chaque ancien a
à sa disposition plusieurs diaconnesses qui
ont l'obligation de s'occuper de plus près
des malades et des pauvres et qui distribuent
l'argent aux nécessiteux. L'ancien tient les
comptes. » . . . . « La
séance dura au moins quatre
heures. »
.
SERMON INÉDIT DU 26 NOVEMBRE
1745
Apoc. III, 11
Analyse et extraits
(4)
Mes frères bien aimés en notre
Seigneur Jésus-Christ.
Paul exhorte les Hébreux à
la persévérance, surtout ceux d'entre
eux qui étaient faibles en la foi :
exhortations toujours actuelles et
nécessaires, surtout lorsque la
vérité est persécutée.
Et comme on peut prévoir des afflictions,
nous venons vous aider à combattre le bon
combat, à vous montrer fermes, en vous
faisant entendre la voix de Jésus
« qui vient vous dire aujourd'hui par ma
bouche : je viens bientôt ; tenez
ferme ce que vous avez, de peur qu'on
n'enlève votre couronne. »
Trois points : 1° Quel est le
devoir prescrit par Jésus ; 2° les
motifs qu'il donne ; 3° quelques conseils
pour se mettre en état de
résister.
PREMIÈRE PARTIE
Paroles adressées à
l'ange, c'est-à-dire au pasteur de l'Eglise
de Philadelphie. Laisser de côté la
discussion épineuse de savoir si les 7
épîtres que Jean eut ordre d'adresser
aux 7 églises de l'Asie Mineure
étaient spécialement
réservées à ces églises
ou si le Sauveur a eu l'intention de les adresser
à l'église universelle qui devrait
vivre dans 7 périodes de temps. Quoi qu'il
en soit, ces conseils, ces ordres, concernent
certainement tous les chrétiens, et
spécialement ceux qui sont
persécutés.
De l'examen des paroles du texte et de
celles qui le précèdent, il ressort
que le devoir recommandé par Jésus
consiste en ces trois choses : 1° ne pas
trahir la vérité ; 2° la
professer publiquement ; 3°
persévérer dans cette
vérité jusqu'au dernier
soupir.
On trahit la vérité,
lorsqu'on fait, on dit ou qu'on laisse supposer,
qu'on n'est pas chrétien ou qu'on a honte de
l'être. Ainsi agit « le timide
Saint-Pierre. » Ainsi certains
chrétiens de la primitive église
brûlent un grain d'encens. Ainsi des
réformés - de nom - par paroles ou
par écrit font abjuration. Actes indignes
d'un disciple de Jésus-Christ qui discernera
ceux qui le désavouent, car il veut notre
dévoûment complet, prouvé, s'il
le faut, par des sacrifices.
« S'il en était
autrement, on pourrait associer les
ténèbres et la lumière,
Jésus-Christ avec Bélial, le temple
de Dieu et celui des idoles, ce que saint Paul nous
apprend être incompatible - on pourrait
clocher des deux côtés, être
adorateur du vrai Dieu et fléchir le genou
devant Baal, comme faisaient autrefois les
Israélites, ainsi qu'Elie le leur reprocha
avec tant de force ; on pourrait adorer la
bête et son image, prendre sa marque au front
ou à la main sans craindre de boire dans la
coupe de la colère de Dieu ; quoique
saint Jean nous apprenne que ceux qui auront tenu
cette conduite seront tourmentés aux suites
des scribes et devant l'agneau.
Le chrétien ne doit rien craindre
que de déplaire à son Sauveur... Rien
n'est plus contraire à la fermeté
chrétienne que de plier sous la
volonté des persécuteurs et de faire
les criminelles démarches qu'ils
exigent ; alors, obéir aux hommes,
c'est se révolter contre Dieu, et leur
résister, c'est se montrer
fidèle. »
Il faut de plus faire profession
publique de la vérité.
Sans doute, une certaine prudence est
nécessaire. La professer devant certains, si
prévenus contre elle, serait jeter des
perles devant les pourceaux. Mais, sous
prétexte de prudence, ne désavouons
pas notre Maître. Soyez prêts, dit
Pierre, à répondre à qui vous
demandera compte de votre espérance.
(1
Pierre, III, 15). Professons la
vérité, toutes les fois que l'exige
sa défense, ou l'avancement du règne
de Dieu, ou le salut des frères. C'est un
devoir strictement commandé par Jésus
qui, pour mieux engager à l'accomplir,
ajoute cette magnifique promesse : celui qui
me confessera devant les hommes, je le confesserai
devant mon Père qui est dans les cieux.
Voilà ce que comprirent une foule de martyrs
dont l'histoire nous a conservé
l'exemple.
Enfin il importe dans la profession de
la vérité, de
persévérer jusqu'à la
fin ; car la fin de la vie surtout
décide du bonheur ou du malheur
éternel des hommes. Or nous ne pouvons
prévoir notre fin. Donc il est
nécessaire de persévérer
jusqu'au martyre, s'il le faut. Soyez
fidèles jusqu'à la mort et je vous
donnerai la couronne de vie.
DEUXIÈME PARTIE
Sur quels motifs Jésus-Christ
appuie-t-il ce devoir ? Nul ne l'a mieux
rempli que lui-même, puisqu'il scella de son
sang la vérité qu'il
annonçait. Donc nul ne mérite mieux
d'être obéi.
Premier motif.
- Sa prochaine venue. Différentes
venues de Jésus-Christ mentionnées
dans l'Évangile. Mais il y en a
une plus ordinaire et plus fréquente.
Jésus-Christ vient lorsque le fil de notre
vie est rompu et que nous quittons ce monde :
c'est lui qui a les clefs de la vie et de la mort,
de l'enfer et du paradis toute
puissance lui a été donnée
dans le ciel et sur la terre ; notre vie donc
dépend de lui : s'il peut en couper la
trame quand il lui semble bon, nous en ignorons le
temps. Mais ce que nous savons avec certitude,
c'est qu'il n'est pas éloigné. . . .
. . . . . . .
Si l'on devait rester longtemps sur la
terre, les souffrances auxquelles nous expose la
profession de la vérité pourraient
nous faire de la peine, mais hélas !
notre vie est si courte ! C'est une fleur qui
se fane, une ombre qui disparaît, un songe
qui s'évanouit. Les patriarches, dont la vie
était si longue en comparaison de la
nôtre, trouvaient que leurs jours
étaient courts, à plus forte raison
pouvons-nous le dire des nôtres.
Le monde est comme un
théâtre ; nous y faisons quelques
tours, après quoi nous disparaissons pour
toujours. Que sont quarante, soixante,
quatre-vingts ans (5).
À peine s'en
aperçoit-on qu'ils sont
écoulés ; encore y en a-t-il
bien peu qui parviennent à cet
âge-là. 0 Dieu ! tu as
réduit nos jours à la mesure de
quatre doigts et les années de notre vie
sont devant toi comme un rien. Mais la vie
étant si courte, peut-il faire de la peine
au chrétien de souffrir quelque chose pour
son Sauveur ? Quand pendant tout le cours
d'une telle vie il faudrait souffrir pour un
maître si bon et si libéral, ne
devrait-on pas le faire gaîment et sans
murmures.
Courage donc, fidèles, ne vous
laissez point abattre par les
persécutions ; elles ne seront pas de
longue durée. Vous dites souvent à
l'Époux de l'Eglise : Seigneur
Jésus, viens, viens terminer mes
souffrances ; viens
délivrer tes élus, viens essuyer
leurs larmes et les faire régner
glorieusement, et le voici qui vous répond
dans mon texte : Je viens bientôt,
bientôt je mettrai fin à vos combats,
d'une manière ou d'autre ou vous aurez part
à la glorieuse délivrance, que
j'accorderai à mon Église sur la
terre, ou vous triompherez avec les bienheureux
dans le ciel, pourvu que vous me soyez
inviolablement attachés et que vous marchiez
sans broncher jusqu'au bout de la carrière.
Encore un peu de temps, et celui qui doit venir
viendra, il ne tardera point ; je viens
bientôt, tenez ferme ce que vous avez, de
peur qu'on n'enlève votre
couronne ».
Second motif.
- L'excellence de la récompense
promise aux fidèles. - Les écrivains
sacrés la représentent sous des
images rappelant ce qu'il y a de plus glorieux,
presque toujours une couronne. Mais cela n'exprime
qu'imparfaitement la félicité dont le
Seigneur récompense ses enfants.
« On se fait des idées
chimériques du bonheur des Rois, on se les
représente nageant dans la joie, toujours
satisfaits et contents ; mais qu'il faut
rabattre beaucoup de ce portrait ! Que de
soins qu'il faut prendre pour gouverner un grand
peuple ! Que de chagrins ne cause pas un
voisin ambitieux et remuant ! Que
d'inquiétudes, que de soucis, que
d'alarmes ! 0 couronne, disait
Séleccus, qui saurait ce que tu pèses
ne te relèverait jamais ! Le bonheur
promis aux fidèles est bien différent
de celui-là !
Être affranchi de tous les maux,
tant du corps que de l'esprit, voir Dieu face
à face, le contempler tel qu'il est, le
connaître autant qu'il peut être connu,
l'aimer avec toute l'ardeur dont on est capable,
participer à sa félicité,
être abreuvé au fleuve de ses
délices, posséder ce parfait bonheur
sans craindre de le perdre ni de la voir
diminuer, être
assuré au contraire qu'il augmentera
toujours et qu'on le possédera autant que
vivra et que régnera le Dieu bienheureux,
voilà, mes frères, une faible
ébauche des biens qui sont promis au
fidèle sous l'image d'une couronne.
Quand on a de si glorieuses
espérances, y a-t-il quelque chose qui doive
rebuter ? Des biens si précieux ne
méritent-ils pas qu'on souffre tant pour les
posséder ? Que ne fait pas un courtisan
pour s'attirer les bonnes grâces de son
prince ? À quoi ne s'expose-t-on pas
pour s'élever à quelque
dignité ? Que n'entreprend pas un avare
pour augmenter ses richesses ? Rien ne lui
coûte ; il trouve des douceurs dans les
plus grandes peines pourvu qu'il puisse parvenir
à son but.
Et le chrétien qui attend une
couronne immarcescible de gloire, le
chrétien qui sait qu'il combat sous les yeux
du véritable distributeur des
récompenses, le chrétien qui a dans
le ciel des trésors que les vers et la
rouille ne gâtent point et où les
voleurs ne percent ni ne dérobent, ne
soutiendra-t-il pas quelques légers combats
de souffrances, ne défendra-t-il pas la
cause de son légitime prince, ne
s'exposera-t-il pas aux périls les plus
éminents plutôt que de tourner le dos
et de faire naufrage quant à la foi ?
Les sacrifices que l'on peut faire, les
souffrances auxquelles on peut s'exposer, les
combats que l'on a à soutenir pour la cause
de Dieu, tout cela, dis-je, peut-il entrer en
parallèle avec ce poids éternel de
gloire souverainement excellente qui attend le
fidèle au delà du
trépas ? Et qu'on ne s'abuse
point : personne n'est couronné, s'il
n'a vaillamment combattu. Si nous souffrons avec
Jésus-Christ, dit saint Paul, nous
régnerons aussi avec lui, mais si nous le
renonçons, il nous renoncera aussi. Nous
sommes, dit ailleurs le même apôtre,
nous sommes les héritiers de
Dieu et les cohéritiers
de Jésus-Christ, pourvu, ajoute-t-il, que
nous souffrions avec lui pour être
glorifiés avec lui. »
Troisième et dernier
motif.
- Le danger de perdre cette couronne.
Elle n'est qu'aux victorieux. Que de combats, que
d'efforts pour vaincre ! Mille ennemis nous
assiègent. Le démon tourne sans cesse
autour de nous : il inspire l'orgueil, le
doute, la sérénité, le
désespoir.
« Jetez les yeux sur le monde,
vous n'y verrez partout que pièges et que
tentations, vous y entendrez débiter les
maximes les plus relâchées et les plus
opposées à celles de
l'Évangile. Au lieu que l'Evangile vous
enseigne qu'il ne faut jamais avoir honte de se
dire disciple du fils de Dieu, l'on vous dira dans
le monde qu'il faut cacher ce que l'on pense et se
contenter comme Nicodème d'être
disciple secret de Jésus-Christ ; au
lieu que l'Evangile vous apprend qu'il vaut mieux
perdre la vie que de faire un seul acte contraire
à sa conscience, le monde vous dira que la
vie est trop précieuse pour l'exposer
à un tel prix et qu'il vaut mieux offenser
Dieu que de s'exposer à la mort ; au
lieu que l'Evangile vous apprend que le Seigneur
vomira les tièdes hors de sa bouche et qu'un
feu éternel est préparé aux
timides, on vous dira dans le monde que Dieu est
trop bon pour damner tant de gens et que sans doute
il leur fera miséricorde ; au lieu que
l'Evangile vous apprend qu'on ne saurait servir
Dieu et le monde, l'on vous dira au contraire que
ces deux choses ne sont point incompatibles.
Et quand aurais-je fini, si je voulais
rapporter toutes les maximes que débitent
les gens du siècle et qui sont
opposées aux maximes de la religion ?
Dans le monde vous ne verrez que des exemples
contagieux, et qui ne sait le funeste
penchant que l'on a à
imiter les autres, et surtout ceux qui
pèchent ; car telle est la
dépravation de notre nature que nous avons
plus d'inclination au mal qu'au bien. Combien
d'autres moyens ne met-on pas en oeuvre pour
séduire les fidèles ;
tantôt on emploie les promesses, on n'a pas
honte d'imiter le démon et de dire comme
lui : nous vous donnerons les royaumes de la
terre et leur gloire, nous vous procurerons de
grands avantages temporels, si vous voulez vous
prosterner devant nos dieux et faire ce que nous
exigeons de vous ; tantôt on emploie les
menaces, les prisons, les galères, les
exils. C'est là ce que l'on vous fait
envisager pour vous porter à faire naufrage
quant à la foi. Quelquefois on ne se borne
pas aux menaces et on en vient aux plus violentes
persécutions ; on vous arrache d'entre
les bras d'une famille, on vous confine dans un
cachot, on vous envoie ramer sur une galère,
ou encore l'on vous fait perdre la vie par le
martyre.
Et ce qui donne de la force à
toutes ces tentations, c'est qu'on est
soi-même faible et qu'on n'à pas de
plus dangereux ennemi que sa propre chair. On hait
les souffrances : comment s'y exposer ?
On aime d'être à son aise et on ne
peut se résoudre à renoncer à
ses commodités ; on est attaché
à une famille, à des parents,
à des amis, et il est dur de s'en
séparer. Oh ! que notre Sauveur a bien
raison de nous dire : tenez ferme ce que vous
avez, de peur qu'on n'enlève votre
couronne. »
TROISIÈME PARTIE
Conseils pour rester fermes dans la
profession de la vérité.
Premier conseil :
affermissez votre foi. « Il est un
grand nombre de personnes qui peuvent dire avec
plus de raison que les disciples
de Jésus-Christ : Seigneur,
augmente-nous la foi. La plupart des protestants le
sont, non après un travail personnel, mais
parce qu'ils sont nés dans une famille
protestante. Ils n'ont donc qu'une foi humaine,
mais une telle foi peut-elle être à
l'épreuve des tentations un peu violentes et
faut-il être surpris que des gens si mal
instruits se laissent séduire ; pour
donner donc à la foi la solidité et
la consistance nécessaires, je voudrais
qu'on étudiât les preuves qui
établissent la vérité de la
religion chrétienne en général
et de la religion réformée en
particulier ; on ne manque pas de secours pour
cela ; tout le monde, pour ainsi dire, a entre
les mains des livres sur ces matières, et
s'il y a des gens qui ne soient pas instruits,
c'est qu'ils ne veulent pas l'être.
On pourrait employer à cela un temps que
l'on emploie à des amusements frivoles.
Autrefois, on étudiait beaucoup la
controverse, aujourd'hui elle est extrêmement
négligée. Pourquoi cela ? Ne
sommes-nous pas environnés de gens qui nous
contestent nos dogmes ? ne pouvons-nous pas
être appelés à rendre raison de
notre foi, et n'est-il pas important que nous
soyons en état de le faire ? Notre
salut ne demande-t-il pas que nous sachions quels
sont les points capitaux qui nous séparent
de l'Eglise romaine et pouvons-nous ignorer
d'ailleurs que la foi n'est véritable et
salutaire qu'autant qu'elle est
éclairée ? »
Second conseil : avoir une
conscience pure. Le coeur impur supporte mal les
souffrances, qui alors sont funestes, loin
d'être salutaires. Le secours de Dieu est
nécessaire, pour que nos souffrances bien
supportées lui soient agréables. Mais
son secours n'est acquis qu'à celui qui est
pur.
Troisième conseil :
acquérir « dans un degré
éminent »,
l'amour pour Dieu. « L'amour rend tout
aisé », thème
fréquemment développé dans les
sermons de Paul Rabaut.
Quatrième conseil :
lire les histoires des martyrs qui nous montrent le
courage dans des faiblesses semblables aux
nôtres, la fidélité des
promesses de Dieu, la force qui sort de son
secours, et des modèles entraînants.
Il faut réfléchir sur ces souffrances
et surtout sur celles de Jésus-Christ et les
motifs qui l'ont porté à les
subir.
Cinquième conseil :
s'habituer à la peine, au travail, aux
privations. La mollesse nous rend incapables de
supporter la moindre souffrance, tandis qu'une vie
volontairement austère et rude nous rend
propres à tout supporter.
Sixième conseil :
« fréquenter les exercices de
piété », communier souvent.
L'expérience prouve que l'abandon du culte
produit la tiédeur et l'indifférence.
N'étant pas de purs esprits nous avons
besoin de « quelque chose de sensible et
d'extérieur qui fasse impression sur nos
sens » : la prédication, les
chants, les prières entretiennent la
piété ; surtout la communion
dispose à suivre Jésus-Christ
« et à aller avec lui en prison et
à la mort ».
Septième conseil :
prier souvent et avec ardeur. Nos forces ne sont
rien sans la grâce de Dieu : Elle n'est
jamais refusée à qui la demande,
« dans le dessein de suivre les
mouvements qu'elle lui
inspirera. »
Conclusion : que rien ne vous
détourne de la profession de la
vérité.
|