Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



PAUL RABAUT

Apôtre du Désert


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CHAPITRE X
CONCLUSION

 

« Nous n'avons d'autre but que la gloire de Dieu et le service de cette Couronne ».
Serment d'Union.

Trois, choses résument et expliquent la glorieuse mission de Paul Rabaut : sa foi, son caractère, son esprit de sacrifice. Ce sont là les mobiles de son culte enthousiaste du devoir et de l'idéal, les générateurs d'une conscience délicate ; et une conscience délicate est la principale source de l'héroïsme. En tout homme pur, il y a un héros en puissance. C'est parce que Paul Rabaut se consacre au devoir et à l'idéal jusqu'à l'immolation, qu'il est un héros de la foi, un Apôtre, un Saint ; non qu'il soit à l'abri de toute faute, de toute erreur, errare humanum est ; mais, plus que tout autre, il suit la voie droite, avec une noblesse d'âme, un amour chrétien, et un désintéressement, sur lesquels les plus noires ingratitudes n'ont pas plus de prise que les plus terribles dangers. Il ne lui échappe qu'un cri : « ... Vous avez raison de dire qu'il y a de la peine pour faire le bien... Que les hommes sont petits, et qu'on a besoin d'être animé de motifs « supérieurs pour leur être utile, en quelque sorte malgré eux ! »

C'est auprès de son ami Court de Gébelin, agent officieux à Paris des Églises Réformées, qu'il s'épanche ainsi, en 1783. On lui en veut jalousement de servir d'intermédiaire entre les Églises et leur Correspondant, comme aussi d'être en rapport direct avec des personnages marquants ; son seul but est de travailler à l'oeuvre commune, à l'intérêt des particuliers ; et on l'accuse pour cela, de viser à l'omnipotence ! (1) Mais cette situation, il ne se l'est point créée lui-même, par calcul ; elle n'est que le résultat de la force des choses, de sa supériorité intellectuelle et morale, de son universel renom de modération, de conscience et de sagesse, qui lui a valu de présider les grandes assemblées et les Synodes nationaux. Son activité n'a pas de bornes et son influence est aussi étendue que méritée. Une auréole de vénération et de confiance l'entoure ; et, sans autre titre que son prestige, il a l'autorité d'un chef.

Sa grande figure domine la longue et lugubre période du Désert et se détache du tableau d'ensemble, rayonnante de foi et d'amour ; « prudent comme le serpent, simple comme la colombe », comme il dit lui-même, mais aussi, vaillant et résolu.

Appelons-en à un seul fait, qui mieux que tout, lui assigne une place parmi les plus illustres représentants du Protestantisme Français, car, s'il est des théologiens plus profonds, des orateurs plus éloquents, des écrivains plus classiques ou plus savants, nul ne le dépasse, peut-être même ne l'égale pour la hauteur du caractère, l'héroïsme de l'âme, l'esprit de sacrifice. C'est ce qui met le sceau à sa grandeur morale et qui forme la conclusion, le couronnement de son incomparable carrière.

Pour tant qu'on l'apprécie, l'appréciera-t-on jamais assez ? Si populaire qu'il soit, l'est-il autant qu'il le mérite ? Catholique, il eût été assurément canonisé ; car, sa seule vie est un miracle qui, en importance et en durée, compte entre tous. À travers mille obstacles et mille périls et pendant un demi-siècle, il s'est élevé au plus haut sommet. Lui, - d'une si humble origine, modeste fils d'un modeste marchand, jeté dans l'arène après d'incomplètes études, hérétique, maudit et proscrit, partout traqué, condamné à mort et sa tête mise à prix, - est cependant recherché par des personnages éminents, officiels, qui ne croient pas déroger en conférant avec lui, en recourant à ses conseils, en engageant avec lui des actions communes, en le chargeant de missions spéciales auprès des populations martyrisées, exaspérées, et dont on redoute la révolte, à un moment donné. C'est qu'il a le don de fasciner les foules et qu'il passe pour l'âme du Protestantisme. Son ascendant est tel que, malgré les ordres de le saisir, mort ou vif, les Intendants avertissent le Ministre que c'est un homme « pacifique et doux », et que sa capture et son supplice seraient le signal d'un soulèvement dans tout le Midi, peut-être d'une nouvelle guerre de Camisards. Ce fait est confirmé dans une lettre de Paul Rabaut à Antoine Court :

Le correspondant du Marquis de Paulmy, dit-il, « m'apprit que les puissances avaient de très bonnes idées de moi et qu'elles étaient dans la pensée qu'il était nécessaire que je fusse dans ce pays ; qu'ainsi loin de vouloir ma perte, elles s'intéressaient à ma conservation. Quoique de pareilles assurances soient flatteuses et propres à me tranquilliser, je ne m'endors pas là-dessus et prends toujours les « mêmes précautions ».
À quoi Antoine Court, aussi sage que lui, répond :
« Votre nom est fort connu et au dedans et au dehors, de même que votre façon de penser sur des matières qui demandent beaucoup de modération, de dextérité, et de prudence. Cela ne veut pas dire que vos précautions ne soient très à leur place ; non seulement je les approuve, mais de plus, je vous le recommande très instamment » (2).

Sans cette influence exceptionnelle comprendrait-on ses relations avec toutes les Églises, avec les Intendants, les Maréchaux, les hommes d'État ? N'est-ce pas le plus saisissant hommage de sa supériorité ? le résultat de ses services ? la conclusion de sa douloureuse et brillante carrière ?

Sans cela comprendrait-on, par exemple, qu'un personnage de sang royal, Louis de Bourbon, prince de Conti, lui ait expressément demandé un rendez-vous, à Paris ? Sympathique aux persécutés, ce Prince, désireux d'améliorer leur situation, l'appelle secrètement auprès de lui. Aussi troublé que surpris de cette invitation imprévue, Paul Rabaut surmonte ses hésitations, part pour Paris le 18 juillet 1755, y demeure vingt-sept jours, a deux entrevues avec le Prince, au château royal de l'Isle-Adam et lui expose le minimum des réclamations protestantes : libération de tous les captifs pour cause de religion, galériens, prisonnières de la Tour de Constance, enfants des deux sexes internés dans les couvents ; - puis, validation des mariages et des baptêmes faits au Désert ; exercice du culte, plus à proximité des villes ; - enfin, faculté de vendre des biens-fonds et de sortir du royaume, sans être inquiétés. C'est peu, mais c'est encore trop ; aussi, ces négociations ne peuvent aboutir, même continuées par correspondance, ainsi qu'il résulte d'une note du Journal de Paul Rabaut : « Le même jour (26 sept.), écrit à Mr De Bosc détail de l'affaire, nécessité de l'harmonie et du secret ; que je compte peu sur l'un et sur l'autre » (3; des bruits prématurés, en effet, sont indiscrètement répandus et font échouer le projet. (4) Cependant, il peut écrire alors : « Les fers sont au feu... le printemps ne passera point que l'on ne voie éclore quelque chose de très flatteur pour nous. »

Paul Rabaut est encore honoré de l'estime du duc de Fitz-James, commandant du Languedoc, qui, en 1761, le charge d'une mission dans les Cévennes. Et, l'année suivante, il a avec lui de fréquents entretiens pour la délivrance de trente-quatre galériens et des prisonnières de la Tour de Constance à Aigues-Mortes. Il lui a déjà remis des Mémoires à ce sujet; ces Mémoires, il les multiplie, les adresse à tous les gens en état d'intervenir, - gouverneurs, ministres, ambassadeurs étrangers ; après un premier placet, il en envoie un second, un troisième, sans se lasser. C'est de la main à la main qu'il fait passer ses notes et ses supplications au duc de Fitz-James, ce qui établit l'intimité de leurs relations. « Agréez, lui écrit-il le 1er janvier 1762, les voeux que je fais pour votre Grandeur et pour les personnes qui lui sont chères, à l'occasion de la nouvelle année ; ils sont également sincères et tendres. »

Ils concertent même un plan commun de tolérance, toujours sur les questions des mariages, des baptêmes, des cultes, et aussi, sur la faculté pour les Ministres et Proposants de se montrer de jour, en habit laïc, article que le duc biffe comme trop téméraire.

Mais, alors même que Paul Rabaut ne réussit pas en tout ce qu'il veut, on peut voir, par ses relations, le cas qu'on fait de lui en haut lieu. En 1765, il a une conférence avec Polignac, parent de Saint Florentin et en obtient la liberté des demoiselles Camplan de Castres, emprisonnées par lettres de cachet.

Il n'est pas moins considéré par le Prince et Maréchal de Beauvau, nommé en 1763 Gouverneur du Languedoc, - Prince juste, compatissant, qui lui fait un cordial accueil et le charge d'une mission spéciale dans le Haut-Vivarais.
Il l'accable de ses Mémoires, de ses prières, et trouve auprès de lui bienveillance et protection. Ce prince tolérant, imbu de l'esprit du siècle, ne peut considérer comme rebelles ceux qui, en même temps qu'ils prient pour eux, prient aussi pour le roi, et c'est pourquoi il laisse dormir les cruels Édits qu'il est chargé d'exécuter contre les huguenots ; et lorsque, sur les instances de Paul Rabaut, il visite la sinistre Tour de Constance, - bouleversé à la vue de tant d'horreurs, de ces captives qui se jettent toutes à ses pieds et n'ont que des sanglots pour paroles, - ne pouvant contenir son émotion « vous êtes libres » ! leur crie-t-il (5).

Si Paul Rabaut ne porte pas ses sollicitations à Ferney et ne traite point de visu avec Voltaire - toujours est-il qu'à l'occasion des galériens, de Rochette, de Calas, de Sirven, il fait appel souvent à sa philanthropie comme à la merveilleuse puissance de sa plume. Ce n'est pas qu'il n'ait contre lui quelques griefs sérieux, au sujet notamment de son Siècle de Louis XIV et de quelques jugements faux et dangereux sur les Réformés (6).

Mais, passant outre, il profite d'une haute influence pour en faire bénéficier ses coreligionnaires. Il lui dit entr'autres dans une lettre un peu parfumée d'encens : « ... Quand on voit combien il est rare de trouver chez les hommes ces aimables sentiments, on ne peut qu'estimer, chérir, que respecter même ceux qui en sont animés. Je sais que vous êtes un de ces hommes rares qui honorent la nature humaine, par leur empressement à faire du bien... il suffit que ceux qui souffrent soient des hommes chez lesquels reluisent encore quelques traits de l'image de Dieu, vous partagez leurs peines et vous n'épargnez rien pour les faire cesser. Que la société serait heureuse, monsieur, si tous les membres qui la composent vous ressemblaient ! »
Il dut en coûter, sans doute, à Paul Rabaut de forcer ainsi le ton de l'éloge. Mais sa passion pour les captifs l'emporte sur tout et donne la clef de ses effusions, auprès du patriarche de Ferney qui, lui-même, grand moqueur du siècle, écoute respectueusement l'apôtre du Désert.

Le jour a lui où la cause de la tolérance est virtuellement gagnée, en dépit des assassinats juridiques de Rochette, des frères de Grenier, et de Calas, - ou, plutôt à cause de ces crimes officiels qui achevèrent de déchaîner l'indignation universelle.

Depuis nombre d'années, le comte de Périgord, Intendant du Languedoc, recourt, lui aussi, avec confiance à Paul Rabaut, par le canal de son délégué. Il le questionne sur des points délicats, sur des plaintes portées contre des pasteurs et des Églises, sur des injonctions et des interdictions de l'autorité civile. Il en reçoit de précieux services pour son administration ; et Paul Rabaut lui-même fait profiter les Églises et les pasteurs de sa faveur officielle : « J'ai, dit-il, rempli ces commissions, pensant bonnement qu'il valait mieux être averti que si l'on frappait sans crier gare. » (2 fév. 1783).

Pourtant ses bons rapports avec les représentants de l'État sont vus de mauvais oeil par quelques envieux ; il n'en reste pas moins que ses hautes relations contribuaient efficacement au bien général du Protestantisme. Il rendait des services aux Gouvernants et, à son tour il en recevait.

En 1775 par exemple, au plus fort de la guerre des farines, les populations étaient soulevées, menaçantes. Les paysans exaspérés accourent des campagnes, se livrent à une violente émeute, pillent, saccagent tout dans la ville de Dijon, réclamant la tête du Gouverneur La Tour du Pin (7). Le Ministre Turgot lance une circulaire et fait demander à Paul Rabaut d'user de sa popularité pour ramener le calme parmi les révoltés. (8)

Ce sont ces sollicitations de grands personnages et ses interventions répétées dans la vie générale qui excitent des jalousies et des querelles de quelques-uns de ses collègues, - notamment de Jean-François Armand, Chapelain de Hollande à Paris, qui ourdit contre lui une odieuse cabale.

Citons, enfin, un dernier homme illustre avec lequel Paul Rabaut a des relations, particulièrement cordiales, - le général marquis de Lafayette. De retour d'Amérique où il a spontanément porté son épée à la guerre de l'Indépendance, auréolé de gloire, Lafayette se rend à Nîmes, et là il va droit à Paul Rabaut comme au représentant attitré des Églises ; il embrasse, en le voyant, le vieillard héroïque. Il lui prodigue les marques de son admiration, ses encouragements. Entr'eux aussitôt, quels longs et ardents entretiens sur tout le passé, sur la situation présente et sur le prochain avènement de la tolérance, après le rêve d'un siècle et l'opiniâtre résistance d'un siècle à la tyrannie !

Grâce à tant d'efforts réunis et persévérants des partisans de la tolérance, l'Édit de 1787 est signé.

Malgré ses lacunes et en attendant plus et mieux, il assure enfin aux protestants l'état civil et le droit d'exister dans le royaume sans y être troublés sous prétexte de religion (9).
C'est la victoire ! la victoire après une bataille de cent deux ans contre les cruautés de la Révocation !

Paul Rabaut a pris une immense part dans cette gigantesque lutte si disproportionnée, entre la conscience chrétienne seule et la coalition de toutes les puissances terrestres. La force morale l'emporte sur toutes les forces matérielles conjurées ; c'est la supériorité définitive du droit éternel sur la force brutale ; la vérité est invincible et, tôt ou tard, elle prévaut.

Pourrait-on citer un peuple qui ait plus et plus longtemps souffert d'une persécution que le peuple Protestant de France ? qui ait subi des tourments plus variés et plus barbares ? 400. 000 victimes de l'exil ; - 300.000, victimes des prisons, du gibet, ou des galères, - tel est le bilan de ce peuple martyr, dont l'histoire tragique, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, pendant le XVIIe et le XVIIIe, remplit l'âme d'horreur à la fois et d'admiration.

Sa douleur n'a eu d'égale que sa vaillance. Et l'on peut dire que toute sa puissance de foi, toutes ses énergies morales, toutes ses vertus héroïques, se sont concentrées sur Paul Rabaut qui a été, dans sa personne, l'incarnation de ce peuple martyr.

Paul Rabaut ne perd pas au recul du temps. À considérer sa carrière en son ensemble, on discerne plus nettement la grandeur simple de son rôle historique. Pendant un demi-siècle, il a exercé une action continue sur l'esprit public. Auprès des gouvernants, sa modération accroissait son crédit. En attendant l'établissement d'un état légal, but de ses efforts, il a concouru, malgré les obstacles, les peines et les dangers, à faire naître et durer un état de fait qui a été une tolérance peu à peu étendue et acceptée jusqu'à obtenir consécration officielle par l'édit de 1787. En même temps son ardeur à lutter contre la persécution, son courage en face de la monarchie absolue, son opiniâtreté à revendiquer pour les Huguenots la reconnaissance de droits naturels et sacrés, faisaient de lui un champion et un propagateur des principes de raison, de justice et de liberté qui allaient être proclamés solennellement dans la déclaration de 1789. Ce pasteur si zélé pour sa religion a donc collaboré avec les philosophes, mais dans un tout autre esprit, à une oeuvre commune de progrès politique, moral et social. Il a été, sinon un des plus illustres, du moins un des plus actifs, des plus utiles, des plus sages et des plus purs entre les hommes qui, a des titres divers, ont préparé la Révolution.

Héros chrétien sans peur et sans reproche, Paul Rabaut a montré surtout ce que petit une foi profonde alliée à une inflexible volonté, au service du droit et de l'idéal.
On a vu combien fut grande la part qu'il prit à la conquête de deux biens inestimables : le salut de l'Eglise protestante et la liberté de conscience,
Nul donc ne mérite plus que lui d'être béni, admiré et imité.

CAMILLE RABAUD.
14 juillet 1915 (10).


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(1) « Faire le bien, être aussi utile que je le pourrai, voilà toute mon ambition. » Lettres à divers, II, 309.

(2) Lettres à Ant. Court, II, 272, 6 août 1753.

(3) Carnet B ou II.

(4) Le désaccord avec le Comité protestant de Paris en fut aussi la cause.

(5) En 1770, les galériens huguenots furent délivrés. En 1773, Broca, pasteur qui avait été arrêté pour avoir tenu près de Meaux une assemblée protestante, fut relâché.
En 1776, le protestant Necker fut nommé Directeur des finances. V. Lavisse, Hist. de France, t. 9.

(6) V. Siècle, de Louis XIV, ch. XXXI sur le calvinisme. V. pour la lettre suivante : Bibl. Prot. français. Papiers Rabaut, 307, p. 24.

(7) Henri Martin, Hist. de France, XIX, 185.

(8) La circulaire fut envoyée d'ailleurs aux autres pasteurs comme aux évêques et aux curés.

(9) Lettres à divers II, 373. Lettre du pasteur Gachon, 12 octobre 1788.

(10) La guerre et ses conséquences économiques n'ont pas permis d'éditer ce volume avant la fin de l'année 1920. (Note de l'Éditeur).

 

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