Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



PAUL RABAUT

Apôtre du Désert


.

CHAPITRE IX
SON CARACTÈRE

 

« Dieu ne nous a pas donné un « esprit de timidité, mais d'amour, de force et de prudence ». « 2 Tim. 1,7 »

Le caractère d'un homme est, pour une part, la résultante de toutes les manifestations de sa vie, - de ses actes et de ses paroles. Voilà pourquoi nous n'en pouvions parler qu'après l'exposé complet de ce qu'a fait Paul Rabaut. Sa vie, sa prédication connues, on peut maintenant affirmer qu'il est un caractère, un caractère fortement trempé de foi, de bravoure et de prudence.

Dire d'un homme qu'il est un caractère, c'est dire qu'il dépasse la commune mesure des âmes ordinaires, qu'il tranche sur la masse, qu'il s'en distingue par le trait saillant de la noblesse morale, de la générosité ; car, le secret du caractère, c'est l'élévation de l'âme.

Justement, cette élévation de l'âme, on la constate en Paul Rabaut, dans tout le cours de sa carrière tourmentée, et aussi, dans sa volumineuse correspondance, où il exprime librement, à nu, sans apprêt, ses sentiments héroïques, aimants et pieux.
Cette élévation est accompagnée d'une force d'âme invincible ; force calme qui domine les situations les plus critiques, même les infirmités, et qui justifie le mot de Bossuet « qu'une âme forte est maîtresse du corps qu'elle anime ».

Un autre point à signaler dans ce caractère si élevé et si fort, c'est le parfait équilibre entre des qualités dissemblables et, en apparence, contradictoires : modération et énergie, - prudence et bravoure, - froids calculs et enthousiasme, - aménité et ténacité, - humilité et sentiment de sa valeur, amour d'une vie si nécessaire aux siens et esprit de sacrifice, poussé jusqu'à la mort. Tout cela, chaque jour, sa conduite le proclame ; et il est merveilleux que, dans une nature aussi complexe, tant de qualités qui semblent incompatibles se fondent dans une unité morale qui ne dut sa permanence qu'à une inspiration supérieure.

Un caractère semblable ne procède pas impulsivement, et ne bouleverse pas le présent, sans regarder aux conséquences ; essentiellement pacifique, s'inspirant des principes et non de l'instinct, il ne se résout à la guerre que quand la paix est impossible. Écoutons-le lui-même : « Nous avons essuyé de violentes tempêtes ; j'ai été exposé à de grands périls ; ce n'est qu'en alliant le zèle et la fermeté à la prudence que nous sommes parvenus à notre état actuel. Il fut un temps où nous faisions nos assemblées de nuit, parce qu'il y avait du danger à les tenir de jour. Il fut un temps où nous nous tenions clos et couverts, ne nous manifestant qu'au besoin et évitant la rencontre des délateurs et des fanatiques (1)... Je fais tout ce qui dépend de moi pour allier la prudence du serpent à la simplicité de la colombe (2)... J'ai fait des discours exprès sur la fidélité et l'obéissance au Souverain, et en particulier et en public... Le roi n'a point de sujets plus fidèles (que les protestants) ni plus affectionnés à son service, toujours prêts à lui sacrifier leurs biens et leurs vies. » (3).

La violence répugne à son caractère ; il dit lui-même : « On ne me verra jamais employer les moyens violents pour ma conservation » (4). Et tous ses mémoires, comme ses sermons, portent la double marque de la modération et de la fermeté. Il estime la violence aussi contraire à l'esprit chrétien qu'à la prudence vulgaire. Les Camisards en avaient jugé autrement ; leur méthode et la sienne sont à l'opposite. Lui ne cesse de recommander la résignation morale à la persécution, mais aussi une indomptable énergie dans la persévérance,

Se proposant un sublime idéal, il va courageusement de l'avant, obéissant aux plus purs mobiles, et poursuivant le bien en tout, avec un absolu désintéressement. Peyrot, un pasteur du désert, qui le connaît à fond, en trace le portrait suivant : « Une douceur affectueuse paraît avoir été le moyen de cette nature simple et forte, prudente et audacieuse, tenace, intrépide, perpétuellement militante, et d'une aptitude à la domination de la République des Églises sous la Croix ».
Boissy d'Anglas parle de « son grand sens naturel. »
Il est le pasteur décrit par Antoine Court : « Le Ministre fidèle, rongé du zèle de la maison de Dieu ; son coeur est affectionné aux pierres de Sion, embrasé de la céleste flamme de l'amour divin. Comme un bon berger, il court les vallons et les montagnes, les déserts et les bois, pour ramener au bercail la brebis égarée ; et. quand il la trouve, si elle ne peut marcher, il la prend sur ses épaules » (5).
Enfin, un des maîtres de la critique moderne le définit ainsi : « Cette personnalité, si attachante et si remarquable, engagée dans des circonstances si extraordinaires, se livre et se révèle en ses lettres avec une candeur, une continuité, une intimité et une abondance, telles que ceux qui les lisent croient vraiment l'avoir personnellement connu.

.....................

« Ce fut un héros, mais sans éclat romanesque, ce fut un saint, mais sans auréole. Sa grandeur, toute morale et toute intime, ne séduit pas l'imagination, mais ravit le coeur et incline la conscience. Tout l'héroïsme est ici en dedans. C'est un genre de mérite que les hommes discernent mal et qui ne doit attendre sa pleine récompense que de Dieu seul. » (6)

On ne juge d'un homme que par ses oeuvres ; l'arbre se reconnaît au fruit. On ne peut se prononcer à bon escient sur sa valeur propre, sur la nature de son âme, sur son caractère, qu'après l'avoir vu aux prises avec les événements, dans les situations graves et délicates, dans les épreuves ou dans les conflits de devoirs, dans les périls ou dans les luttes ; et si la beauté morale s'en dégage comme le paysage de la brume, c'est qu'on a devant soi un caractère dans toute la force du mot ; un héros qui, tout intime soit-il, ne s'affirme pas moins par une rare vie supérieure et des actes probants. C'est le cas de Paul Rabaut. De ces qualités morales, découlent comme conséquences naturelles une activité inépuisable, une bonté qui surmonte les plus criantes injustices, - un talent d'administrateur qui, en chaque affaire, lui fait trouver la solution juste -, et un esprit compréhensif curieux de toute chose et touchant à tout, aux systèmes et à la science, autant qu'à la pratique et à la piété.

On se demande avec surprise comment, sans cesse harcelé par la persécution, nuit et jour aux aguets comme « le lièvre dans le sillon », dont parle, Michelet, assailli de milliers de préoccupations, écrivant en hâte ou dans une grange, ou sur la table à manger d'une ferme, ou sur ses genoux, blotti dans une grotte, - il a pu accomplir tant de tâches à la fois : - en rapport avec les grands qui apprécient sa sagesse et qui recourent à son influence -, avec les petits dont il est l'ami naturel et le protecteur - multipliant ses envois de Placets et de Mémoires présidant les Synodes où sa parole habituellement fait autorité.

Entouré pendant un demi-siècle d'une vénération universelle, il est l'âme du protestantisme du Désert. Sans lui, y aurait-il eu un Désert ? Sans lui, y aurait-il eu des protestants en France ? Et pourtant, quelle humilité ! d'autant plus grande qu'il est plus méritant ; « nous ne sommes plus, je le sais bien, dit-il, « au siècle des Réformateurs ; c'étaient d'autres « gens que nous. » Sans doute, mais à chacun son rôle. Si les temps firent de Luther et de Calvin des Réformateurs, la persécution fit de lui un apôtre à la saint Paul, un héros de la foi qui vécut, cinquante ans en face du martyre. Mais, dans sa modestie, il ne s'en doute pas, - non plus que des services rendus à l'Évangile et aux Églises, ou du prestige de sa personne. « Quand je fixe mon attention, continue-t-il, sur le divin feu dont brûlaient pour le salut des âmes, je ne dirai pas Jésus-Christ et les apôtres, mais nos Réformateurs et leurs successeurs immédiats, il me semble qu'en comparaison d'eux, nous ne sommes que glace. Leurs immenses travaux m'étonnent et, en même temps, me couvrent de confusion. Que j'aimerais à leur ressembler en tout ce qu'ils eurent de louable ! » (7)

Il en est de lui comme de ces savants qui disent ignorer d'autant plus de choses qu'ils en savent davantage ; « ce qu'ils savent, c'est qu'ils ne savent rien ». Paul Rabaut de même ; il s'occupe de tant de choses et en voit tant devant lui, qu'il lui semble que tout est à faire et qu'il n'est rien auprès des géants du XVIe siècle.
Telles sont les qualités, les oeuvres d'un caractère, d'un caractère chrétien, d'autant plus remarquable qu'il s'ignore davantage. Ne confondons pas, ici, le caractère et le tempérament, - le tempérament qui est une fougue instinctive, inconsciente, versatile, et le caractère qui procède d'une volonté consciente, réfléchie, normale. Et quand le caractère plonge ses racines, comme celui de Paul Rabaut, dans la foi, la conscience, et l'esprit de sacrifice, on peut attendre de lui un maximum d'intensité,

On connaît déjà son activité générale ; mais connaît-on tout ce que, dans le tourbillon de sa vie, il a pu faire de travaux personnels, intellectuels, de systèmes, de projets, de Mémoires ? Voyons, ce qu'en dehors de sa pratique quotidienne, il médite anxieusement pour le bien général : Politique religieuse, Capitation, Journal Protestant, Millénium, Publications contemporaines, Régime Épiscopal.

Sa Politique religieuse est simple : « honorer le roi et obéir aux puissances établies », se soumettre, subir sans révolte la persécution. Deux partis existent, comme ils avaient existé auparavant, au temps de Rohan, le belliqueux, et de Madiane, le pacifique : le parti des modérés et le parti des militants. Lui est le chef des modérés ; sans ces se dans les Cultes, dans les Assemblées ecclésiastiques, dans les Mémoires, il recommande la paix, le support, l'espérance, les devoirs envers le souverain de la nation, quelqu'indigne qu'il soit à tous égards de tenir le sceptre (8). Dans toutes les occasions, il s'élève contre les assemblées armées, il proteste énergiquement du loyalisme des Réformés. Un seul exemple, entre un grand nombre : en 1775, il adresse au ministre Turgot une délibération affirmant le dévouement des protestants à la personne sacrée du roi et leur zèle pour la prospérité de son règne : ni séductions, ni exemple, dit-il, ne les ont détournés de leur devoir, auquel la religion qu'ils professent donne la plus grande force. Ils osent prier le Roi de leur accorder les grâces particulières que, depuis un siècle, ils attendent avec une patience respectueuse. De l'État, ils ne reçoivent que des maux, et ils ne lui font que du bien : « rendre le bien pour « le mal, telle est la politique de Paul Rabaut ».

La Capitation touche de près à la Politique. On y est conduit par le désir de se concilier, non les faveurs, mais la justice du roi. Les États-Généraux du Clergé lui faisant habituellement un Don gratuit d'un ou plusieurs millions, en exigeant en retour l'application des Édits persécuteurs, - on avait pensé, d'abord en 1755 dans les Cévennes, puis en 1767, qu'un Don gratuit Protestant serait bien vu du roi et pourrait avancer les affaires de la tolérance. Paul Rabaut incline vers cette idée qui serait réalisée par le moyen d'une Capitation sur mariages, baptêmes et décès (9).
Mais quand ce projet de capitation se transforme en un projet de Banque Protestante, chargée de payer le Don gratuit, il se prononce nettement contre lui ; et, donnant une fois de plus la mesure de sa clairvoyance et de sa modération, il estime que le don gratuit doit être précédé d'une sérieuse garantie de tolérance sur quelques points - ; qu'à côté du don Catholique, il paraîtra dérisoire - ; que les Églises ruinées et pouvant avec peine suffire aux besoins du ministère donneront peu de chose ; - qu'elles ne parviennent pas à alléger les souffrances des prisonniers, des forçats ; - qu'une guerre pourrait encore les appauvrir, que, d'ailleurs, toutes les Églises seraient responsables des engagements des directeurs de la Banque. « Cependant, ajoutait-il, si la majorité des Provinces se prononce pour cet Établissement, je m'y rallierai, non pas seulement par mon suffrage, mais aussi par ma bourse, 19 avril 1764 ». Grand bruit dans les Églises ; comité de ci, comité de là ; Paris, Nîmes, Bordeaux, Lausanne, sont hostiles à la Banque, et les Cévennes favorables. Finalement, après de tumultueux débats, on se range à l'opinion de Paul Rabaut : ni banque, ni don gratuit.

Il conçoit encore un autre projet qui, réalisé, eût rendu de grands services aux Églises, mais qui rencontre des difficultés insurmontables, la fondation d'un Journal qui porterait les nouvelles d'un bout à l'autre de la France, serait le lien des protestants et grouperait en faisceau les Églises isolées et faibles. Mais les circonstances si difficiles qu'on traverse permettent-elles cette création ? Que d'obstacles pour la composition, l'impression, le service des abonnés ! À ne parler que de ceux-ci. Paul Rabaut a la conviction qu'ils feraient défaut, que l'oeuvre ne serait pas soutenue. Souvent, il se plaint avec amertume du peu de générosité de ses coreligionnaires : « Je suis sensible au-delà de toute expression aux égards qu'on a daigné avoir pour ma prière, en faveur de Marie Durand. Je rougis, pour nos Églises, qu'elles restent si fort en arrière et que la vôtre (Amsterdam), en leur donnant l'exemple, leur fasse une leçon, dont je suis bien sûr qu'elles ne profiteront pas. La plupart portent la lésine et l'ingratitude jusqu'à laisser en souffrance les veuves de leurs pasteurs. Il en est une entre autres, dans le Vivarais, dont le mari fut martyr, à qui les Églises de ce pays-là accordent trois misérables louis ; et c'est presque son unique ressource » (10).

Malgré les encouragements qui lui viennent surtout de Suisse et de Hollande, Rabaut ne peut donner suite à ce dessein qui lui tient à coeur et qui, sans nul doute, eût fait beaucoup de bien. Le Journal devait porter ce titre : Le Nouvelliste Protestant, être bimensuel, - consacrer la première partie aux nouvelles ; la seconde, à la polémique. Paul Rabaut ne subit pas cet échec sans ennui : « Je vous assure, dit-il à Court de Gébelin, que je suis découragé de proposer quoi que ce soit, tant je vois de froideur et de négligence à me seconder ».

Comment, au milieu d'une vie si remplie, si agitée, put-il s'abstraire pour des lectures théologiques, pour se tenir au courant des publications relatives à certains sujets, et mettre même la main à quelques travaux intellectuels ? Il est hanté, notamment, de la foi au Millénium et des prophéties, des calculs qui l'annonçaient « à coup sûr » (11). En général, ceux qui traversent des temps fâcheux, regardent à l'avenir et aspirent aux miracles de la délivrance. Pour Paul Rabaut et les persécutés, ils se nourrissent d'une espérance indéfectible ; ils n'ont qu'une idée fixe : une intervention divine ; ils lisent et relisent les prophéties. Sans doute, Paul Rabaut a de bonnes raisons de se défier des égarements de l'illuminisme, danger pour l'Eglise, auquel il s'était fortement opposé ; mais il n'en croit pas moins, suivant la lettre des textes, au retour de Jésus, sur les nuées du Ciel, et à son règne de mille ans sur la terre ; il se procure et lit passionnément tout ce qui se publie là-dessus : « encore un peu de temps, dit-il, et celui qui « doit venir viendra ; je me délecte à la pensée « de réédifier avec vous les murs de Jérusalem ». Tout en se ressentant quelque peu du Théisme du siècle, des Encyclopédistes, de Voltaire, et de J.-J. Rousseau, qu'il avait lus, il n'en reste pas moins attaché à son Millénium et s'évertue à découvrir l'année de l'apparition future du Christ.

Un grand astronome de Lausanne, membre du Comité des Réfugiés Français, M. de Chezeaux avait publié un livre, rempli de savants calculs, pour fixer la date solennelle. Paul Rabaut le réclame à Antoine Court. Il le prie également de faire recopier à ses frais l'ouvrage de M. de Cottens, intitulé : Le Prince-Germe. Il est écrit dans les Prophètes : Dieu suscitera à David, un germe, un rejeton, une descendance qui mettra fin à tous les maux et régnera pour le bonheur d'Israël ; ce germe, c'est le Messie. « Je connais, dit Paul Rabaut, le système (du Prince-Germe) ; il est fort de mon goût ; il fait mes délices et je serais bien aise de l'approfondir ».

Antoine Court lui annonce que le livre va s'imprimer et qu'il le lui enverra aussitôt qu'il aura paru, en même temps que le volume de M. de Chezeaux. On se demande toujours comment il trouve assez de loisirs pour toutes ces lectures. Il écrit en août 1756 : « Il y a trois ans que Court a acheté pour mon compte quantité de livres qu'il n'y a pas eu moyen encore de faire venir. »

Alors quelques savants de Lausanne forment école sur la question des prophéties : les deux Loys de Chezeaux, de Givrins, de Cottens, de Bionens ; ce dernier avait fait paraître, en 1729, un ouvrage sur Daniel et l'apocalypse où il annonçait, pour 1745, la fin du catholicisme et le triomphe des protestants.

Dans les malheurs du moment, on s'évertue à chercher dans la Bible la date de la fin des persécutions. Le volume de Jurieu : L'accomplissement des Prophéties, où il annonçait qu'infailliblement, d'après ses calculs, la délivrance arriverait en avril 1689, avait déjà, au XVIIe siècle, beaucoup ému l'opinion. Mais Paul Rabaut fait partir les vingt-deux mois de l'Apocalypse (XI, 2) de la révocation de l'Édit de Nantes, octobre 1685. Et faisant allusion à la captivité d'Israël qui dura 70 ans, - il croit que les Huguenots, autre Israël de Dieu, seront, après une période analogue, rétablis dans leurs droits et dans la paix ; or, on touche au terme prophétique, 70 ans !

Paul Rabaut est tellement passionné par ce sujet et sa foi est si vivante, qu'en vue de certaines prophéties qui d'après lui, vont s'accomplir, - il offre un refuge à Chiron de Genève, car M. de Givrins du canton de Vaud, a prédit naguère de grandes catastrophes, en commentant Apoc. XI et Math. XXIV, (12).
Ces écarts de pensée, dans les esprits même les mieux équilibrés, se comprennent : l'excès des souffrances produit l'excès des illusions. L'illusion de la prochaine délivrance fut, du moins, chez les Réformés le secret d'une force invincible et constante, jusqu'à la fin.

Notez bien que cette vive préoccupation ne détourne Paul Rabaut d'aucune de ses oeuvres, ni d'aucun sujet scientifique. Son ami Court de Gébelin compose à cette époque, son grand ouvrage sur Le Monde primitif. Il l'encourage de toutes ses forces : « Plus vous avez la bonté de me faire part de vos découvertes, plus je m'affermis dans l'idée que vous causerez une révolution dans la science. Quoique j'ignore les langues orientales, je comprends que quantité de livres de l'Ancien Testament fourmillent de fautes de traducteurs, entr'autres le livre de Job, les Psaumes, les Proverbes, Je ne doute point que, dans l'esprit de bien des gens, les traductions n'aient fait du tort aux originaux, parce que l'on a jugé ceux-ci sur celles-là qui ont été faites fort négligemment. Des traducteurs comme vous donneraient meilleure opinion de la parole de Dieu » (13).

Il lui conseille de diviser son ouvrage en deux parties : la première, consacrée aux principes ; la seconde, aux conséquences. Puis, s'il ne peut suffire aux frais d'impression, il lui propose d'imprimer par souscription « quelque morceau fini » qui lui « donnerait quelque aisance pour aller plus avant » et mettrait le public en goût pour le reste.
Lui-même, à part ses innombrables Mémoires, ses 200 sermons, et sa correspondance, n'a laissé que le « Précision du catéchisme d'Osterwald » qui a été souvent réimprimé et qui a rendu de sérieux services pour l'instruction de la jeunesse.

PORTRAIT DE PAUL RABAUT
D'après la gravure conservée à la bibliothèque de l'histoire du protestantisme français.

La catéchèse fut toujours pour lui un objet d'obsession ; car, regardant l'enfance comme la pépinière de l'avenir et son instruction comme une affaire de premier ordre, il lui consacre tout le temps, tous les soins que lui permet sa vie tourmentée.

Il nous reste, enfin, à signaler, comme dernière preuve de son caractère si compréhensif et si pondéré, son double amour de l'ordre et de la liberté qui lui fait préférer, dans le gouvernement ecclésiastique, le Régisme Épiscopal au régime Presbytérien-Synodal. Ayant beaucoup souffert de l'état chaotique des Églises et de leurs divisions, de l'esprit agressif et tracassier de quelques pasteurs jaloux de sa prépondérance grandissante, natures peu malléables, abruptes comme les rocs de leurs montagnes, - Paul Rabaut qui, de 1744 à 1748, s'est accommodé du système Presbytérien-Synodal, change d'avis et s'en explique sans détour dans sa lettre du 26 août 1768 : « j'aurais fait bien d'autres choses si j'avais été maître. Mais je trouve des entraves aux desseins les plus utiles.
Je ne vous cacherai point que notre gouvernement Presbytérien me déplaît fort. Le plus petit ancien se croit un homme d'importance et le moindre pasteur se targue comme le plus distingué. C'est une anarchie qui a souvent de funestes suites. S'il y a lieu à une réformation, comme j'en ai l'espérance, l'on conservera sans doute l'Épiscopat qui a de beaucoup moindres inconvénients. Pour y aider, je consentirais volontiers à être toute ma vie curé d'un village ». Il trouve dans le régime Épiscopal plus de garanties pour la discipline, l'ordre, la paix et l'union. Tandis que, d'après lui, le Régime Synodal est dépourvu d'autorité pour prévenir les divisions, l'Évêque, ayant un droit naturel, impose le silence et se fait obéir. Oui, mais la discussion, la division, - c'est la vie de la démocratie chrétienne ; et ne vaut-elle pas mieux, somme toute, que l'écrasement de la personnalité humaine sous la tyrannie épiscopale, c'est-à-dire la mort ?

Au demeurant, les préoccupations et les conceptions diverses de Paul Rabaut, en sus de l'accablante charge de son ministère, - prouvent que son esprit ne manque ni d'activité ni d'étendue et son souci des choses élevées témoigne de la beauté d'un caractère noble et fort.


Table des matières

Page précédente:
Page suivante:


(1) Lettres à divers, II, 273.

(2) Lettres à divers, I, 38.

(3) Lettres à divers, I, 7 et 56.

(4) Ch, Coquerel, II, 77.

(5) Bulletin du Prot. Franç., XXXIII, 311.

(6) Second article d'Auguste Sabatier, dans le Journal de Genève, 11 et 18 Janvier 1885.

(7) Lettres à divers, I, 113.

(8) Ch. Coquerel, Hist. des Égl. du Désert, II, 77.

(9) Lettres de P. Rabaut à divers, I, 254, 262, 357.

(10) Lettres de P. Rabaut à divers, II, 1, 142.

(11) Daniel XI, XII. - Esaïe, XXIX. - Jérémie, XXIII, XXXIII. - Zacharie, III, VI. - Apocalypse.

(12) Lettres à divers, I, 232.

(13) Lettres à divers, II, p. 108, 87, 102.
 

- haut de page -