PAUL RABAUT
Apôtre du Désert
.
CHAPITRE IX
SON CARACTÈRE
« Dieu ne nous a
pas donné un « esprit de
timidité, mais d'amour, de force et
de prudence ».
« 2 Tim.
1,7 »
|
Le caractère d'un homme est, pour une
part, la résultante de toutes les
manifestations de sa vie, - de ses actes et de ses
paroles. Voilà pourquoi nous n'en pouvions
parler qu'après l'exposé complet de
ce qu'a fait Paul Rabaut. Sa vie, sa
prédication connues, on peut maintenant
affirmer qu'il est un caractère, un
caractère fortement trempé de foi, de
bravoure et de prudence.
Dire d'un homme qu'il est un
caractère, c'est dire qu'il dépasse
la commune mesure des âmes ordinaires, qu'il
tranche sur la masse, qu'il s'en distingue par le
trait saillant de la noblesse morale, de la
générosité ; car, le
secret du caractère, c'est
l'élévation de l'âme.
Justement, cette élévation
de l'âme, on la constate en Paul Rabaut, dans
tout le cours de sa carrière
tourmentée, et aussi, dans sa volumineuse
correspondance, où il
exprime librement, à nu, sans apprêt,
ses sentiments héroïques, aimants et
pieux.
Cette élévation est
accompagnée d'une force d'âme
invincible ; force calme qui domine les
situations les plus critiques, même les
infirmités, et qui justifie le mot de
Bossuet « qu'une âme forte est
maîtresse du corps qu'elle
anime ».
Un autre point à signaler dans ce
caractère si élevé et si fort,
c'est le parfait équilibre entre des
qualités dissemblables et, en apparence,
contradictoires : modération et
énergie, - prudence et bravoure, - froids
calculs et enthousiasme, - aménité et
ténacité, - humilité et
sentiment de sa valeur, amour d'une vie si
nécessaire aux siens et esprit de sacrifice,
poussé jusqu'à la mort. Tout cela,
chaque jour, sa conduite le proclame ; et il
est merveilleux que, dans une nature aussi
complexe, tant de qualités qui semblent
incompatibles se fondent dans une unité
morale qui ne dut sa permanence qu'à une
inspiration supérieure.
Un caractère semblable ne
procède pas impulsivement, et ne bouleverse
pas le présent, sans regarder aux
conséquences ; essentiellement
pacifique, s'inspirant des principes et non de
l'instinct, il ne se résout à la
guerre que quand la paix est impossible.
Écoutons-le lui-même :
« Nous avons essuyé de violentes
tempêtes ; j'ai été
exposé à de grands
périls ; ce n'est qu'en alliant le
zèle et la fermeté à la
prudence que nous sommes
parvenus à notre état actuel. Il fut
un temps où nous faisions nos
assemblées de nuit, parce qu'il y avait du
danger à les tenir de jour. Il fut un temps
où nous nous tenions clos et couverts, ne
nous manifestant qu'au besoin et évitant la
rencontre des délateurs et des fanatiques
(1)... Je fais
tout ce qui dépend de moi pour allier la
prudence du serpent à la simplicité
de la colombe (2)...
J'ai fait des discours
exprès sur la fidélité et
l'obéissance au Souverain, et en particulier
et en public... Le roi n'a point de sujets plus
fidèles (que les protestants) ni plus
affectionnés à son service, toujours
prêts à lui sacrifier leurs biens et
leurs vies. »
(3).
La violence répugne à son
caractère ; il dit
lui-même : « On ne me verra
jamais employer les moyens violents pour ma
conservation »
(4). Et tous ses
mémoires, comme ses sermons, portent la
double marque de la modération et de la
fermeté. Il estime la violence aussi
contraire à l'esprit chrétien
qu'à la prudence vulgaire. Les Camisards en
avaient jugé autrement ; leur
méthode et la sienne sont à
l'opposite. Lui ne cesse de recommander la
résignation morale
à la persécution, mais aussi une
indomptable énergie dans la
persévérance,
Se proposant un sublime idéal, il
va courageusement de l'avant, obéissant aux
plus purs mobiles, et poursuivant le bien en tout,
avec un absolu désintéressement.
Peyrot, un pasteur du désert, qui le
connaît à fond, en trace le portrait
suivant : « Une douceur affectueuse
paraît avoir été le moyen de
cette nature simple et forte, prudente et
audacieuse, tenace, intrépide,
perpétuellement militante, et d'une aptitude
à la domination de la République des
Églises sous la Croix ».
Boissy d'Anglas parle de « son
grand sens naturel. »
Il est le pasteur décrit par
Antoine Court : « Le Ministre
fidèle, rongé du zèle de la
maison de Dieu ; son coeur est
affectionné aux pierres de Sion,
embrasé de la céleste flamme de
l'amour divin. Comme un bon berger, il court les
vallons et les montagnes, les déserts et les
bois, pour ramener au bercail la brebis
égarée ; et. quand il la trouve,
si elle ne peut marcher, il la prend sur ses
épaules »
(5).
Enfin, un des maîtres de la
critique moderne le définit ainsi :
« Cette personnalité, si
attachante et si remarquable,
engagée dans des circonstances si
extraordinaires, se livre et se
révèle en ses lettres avec une
candeur, une continuité, une intimité
et une abondance, telles que ceux qui les lisent
croient vraiment l'avoir personnellement connu.
.....................
« Ce fut un héros, mais sans
éclat romanesque, ce fut un saint, mais sans
auréole. Sa grandeur, toute morale et toute
intime, ne séduit pas l'imagination, mais
ravit le coeur et incline la conscience. Tout
l'héroïsme est ici en dedans. C'est un
genre de mérite que les hommes discernent
mal et qui ne doit attendre sa pleine
récompense que de Dieu seul. »
(6)
On ne juge d'un homme que par ses
oeuvres ; l'arbre se reconnaît au fruit.
On ne peut se prononcer à bon escient sur sa
valeur propre, sur la nature de son âme, sur
son caractère, qu'après l'avoir vu
aux prises avec les événements, dans
les situations graves et délicates, dans les
épreuves ou dans les conflits de devoirs,
dans les périls ou dans les luttes ; et
si la beauté morale s'en dégage comme
le paysage de la brume, c'est qu'on a devant soi un
caractère dans toute la
force du mot ; un héros qui, tout
intime soit-il, ne s'affirme pas moins par une rare
vie supérieure et des actes probants. C'est
le cas de Paul Rabaut. De ces qualités
morales, découlent comme conséquences
naturelles une activité inépuisable,
une bonté qui surmonte les plus criantes
injustices, - un talent d'administrateur qui, en
chaque affaire, lui fait trouver la solution juste
-, et un esprit compréhensif curieux de
toute chose et touchant à tout, aux
systèmes et à la science, autant
qu'à la pratique et à la
piété.
On se demande avec surprise comment,
sans cesse harcelé par la
persécution, nuit et jour aux aguets comme
« le lièvre dans le
sillon », dont parle, Michelet, assailli
de milliers de préoccupations,
écrivant en hâte ou dans une grange,
ou sur la table à manger d'une ferme, ou sur
ses genoux, blotti dans une grotte, - il a pu
accomplir tant de tâches à la
fois : - en rapport avec les grands qui
apprécient sa sagesse et qui recourent
à son influence -, avec les petits dont il
est l'ami naturel et le protecteur - multipliant
ses envois de Placets et de Mémoires
présidant les Synodes où sa parole
habituellement fait autorité.
Entouré pendant un
demi-siècle d'une vénération
universelle, il est l'âme du protestantisme
du Désert. Sans lui, y aurait-il eu un
Désert ? Sans lui, y aurait-il eu des
protestants en France ? Et pourtant, quelle
humilité ! d'autant
plus grande qu'il est plus méritant ;
« nous ne sommes plus, je le sais bien,
dit-il, « au siècle des
Réformateurs ; c'étaient
d'autres « gens que nous. »
Sans doute, mais à chacun son rôle. Si
les temps firent de Luther et de Calvin des
Réformateurs, la persécution fit de
lui un apôtre à la saint Paul, un
héros de la foi qui vécut, cinquante
ans en face du martyre. Mais, dans sa modestie, il
ne s'en doute pas, - non plus que des services
rendus à l'Évangile et aux
Églises, ou du prestige de sa personne.
« Quand je fixe mon attention,
continue-t-il, sur le divin feu dont
brûlaient pour le salut des âmes, je ne
dirai pas Jésus-Christ et les apôtres,
mais nos Réformateurs et leurs successeurs
immédiats, il me semble qu'en comparaison
d'eux, nous ne sommes que glace. Leurs immenses
travaux m'étonnent et, en même temps,
me couvrent de confusion. Que j'aimerais à
leur ressembler en tout ce qu'ils eurent de
louable ! »
(7)
Il en est de lui comme de ces savants
qui disent ignorer d'autant plus de choses qu'ils
en savent davantage ; « ce qu'ils
savent, c'est qu'ils ne savent rien ».
Paul Rabaut de même ; il s'occupe de
tant de choses et en voit tant devant lui, qu'il
lui semble que tout est à faire et qu'il
n'est rien auprès des géants du XVIe
siècle.
Telles sont les qualités, les
oeuvres d'un caractère, d'un
caractère chrétien, d'autant plus
remarquable qu'il s'ignore davantage. Ne confondons
pas, ici, le caractère et le
tempérament, - le tempérament qui est
une fougue instinctive, inconsciente, versatile, et
le caractère qui procède d'une
volonté consciente, réfléchie,
normale. Et quand le caractère plonge ses
racines, comme celui de Paul Rabaut, dans la foi,
la conscience, et l'esprit de sacrifice, on peut
attendre de lui un maximum d'intensité,
On connaît déjà son
activité générale ; mais
connaît-on tout ce que, dans le tourbillon de
sa vie, il a pu faire de travaux personnels,
intellectuels, de systèmes, de projets, de
Mémoires ? Voyons, ce qu'en dehors de
sa pratique quotidienne, il médite
anxieusement pour le bien
général : Politique
religieuse, Capitation, Journal Protestant,
Millénium, Publications contemporaines,
Régime Épiscopal.
Sa Politique religieuse est
simple : « honorer le roi et
obéir aux puissances
établies », se soumettre, subir
sans révolte la persécution. Deux
partis existent, comme ils avaient existé
auparavant, au temps de Rohan, le belliqueux, et de
Madiane, le pacifique : le parti des
modérés et le parti des militants.
Lui est le chef des modérés ;
sans ces se dans les Cultes,
dans les Assemblées ecclésiastiques,
dans les Mémoires, il recommande la paix, le
support, l'espérance, les devoirs envers le
souverain de la nation, quelqu'indigne qu'il soit
à tous égards de tenir le sceptre
(8). Dans toutes
les occasions, il s'élève contre les
assemblées armées, il proteste
énergiquement du loyalisme des
Réformés. Un seul exemple, entre un
grand nombre : en 1775, il adresse au ministre
Turgot une délibération affirmant le
dévouement des protestants à la
personne sacrée du roi et leur zèle
pour la prospérité de son
règne : ni séductions, ni
exemple, dit-il, ne les ont détournés
de leur devoir, auquel la religion qu'ils
professent donne la plus grande force. Ils osent
prier le Roi de leur accorder les grâces
particulières que, depuis un siècle,
ils attendent avec une patience respectueuse. De
l'État, ils ne reçoivent que des
maux, et ils ne lui font que du bien :
« rendre le bien pour « le mal,
telle est la politique de Paul
Rabaut ».
La Capitation touche de près
à la Politique. On y est conduit par le
désir de se concilier, non les faveurs, mais
la justice du roi. Les
États-Généraux du
Clergé lui faisant habituellement un Don
gratuit d'un ou plusieurs millions, en exigeant en
retour l'application des
Édits persécuteurs, - on avait
pensé, d'abord en 1755 dans les
Cévennes, puis en 1767, qu'un Don gratuit
Protestant serait bien vu du roi et pourrait
avancer les affaires de la tolérance. Paul
Rabaut incline vers cette idée qui serait
réalisée par le moyen d'une
Capitation sur mariages, baptêmes et
décès (9).
Mais quand ce projet de capitation se
transforme en un projet de Banque Protestante,
chargée de payer le Don gratuit, il se
prononce nettement contre lui ; et, donnant
une fois de plus la mesure de sa clairvoyance et de
sa modération, il estime que le don gratuit
doit être précédé d'une
sérieuse garantie de tolérance sur
quelques points - ; qu'à
côté du don Catholique, il
paraîtra dérisoire - ; que les
Églises ruinées et pouvant avec peine
suffire aux besoins du ministère donneront
peu de chose ; - qu'elles ne parviennent pas
à alléger les souffrances des
prisonniers, des forçats ; - qu'une
guerre pourrait encore les appauvrir, que,
d'ailleurs, toutes les Églises seraient
responsables des engagements des directeurs de la
Banque. « Cependant, ajoutait-il, si la
majorité des Provinces se prononce pour cet
Établissement, je m'y rallierai, non pas
seulement par mon suffrage, mais aussi par ma
bourse, 19 avril
1764 ». Grand bruit dans les
Églises ; comité de ci,
comité de là ; Paris,
Nîmes, Bordeaux, Lausanne, sont hostiles
à la Banque, et les Cévennes
favorables. Finalement, après de tumultueux
débats, on se range à l'opinion de
Paul Rabaut : ni banque, ni don
gratuit.
Il conçoit encore un autre projet
qui, réalisé, eût rendu de
grands services aux Églises, mais qui
rencontre des difficultés insurmontables, la
fondation d'un Journal qui porterait les nouvelles
d'un bout à l'autre de la France, serait le
lien des protestants et grouperait en faisceau les
Églises isolées et faibles. Mais les
circonstances si difficiles qu'on traverse
permettent-elles cette création ? Que
d'obstacles pour la composition, l'impression, le
service des abonnés ! À ne
parler que de ceux-ci. Paul Rabaut a la conviction
qu'ils feraient défaut, que l'oeuvre ne
serait pas soutenue. Souvent, il se plaint avec
amertume du peu de générosité
de ses coreligionnaires : « Je suis
sensible au-delà de toute expression aux
égards qu'on a daigné avoir pour ma
prière, en faveur de Marie Durand. Je
rougis, pour nos Églises, qu'elles restent
si fort en arrière et que la vôtre
(Amsterdam), en leur donnant l'exemple, leur fasse
une leçon, dont je suis bien sûr
qu'elles ne profiteront pas. La plupart portent la
lésine et l'ingratitude jusqu'à
laisser en souffrance les veuves de leurs pasteurs.
Il en est une entre autres, dans
le Vivarais, dont le mari fut martyr, à qui
les Églises de ce pays-là accordent
trois misérables louis ; et c'est
presque son unique ressource »
(10).
Malgré les encouragements qui lui
viennent surtout de Suisse et de Hollande, Rabaut
ne peut donner suite à ce dessein qui lui
tient à coeur et qui, sans nul doute,
eût fait beaucoup de bien. Le Journal devait
porter ce titre : Le Nouvelliste Protestant,
être bimensuel, - consacrer la
première partie aux nouvelles ; la
seconde, à la polémique. Paul Rabaut
ne subit pas cet échec sans ennui :
« Je vous assure, dit-il à Court
de Gébelin, que je suis
découragé de proposer quoi que ce
soit, tant je vois de froideur et de
négligence à me
seconder ».
Comment, au milieu d'une vie si remplie,
si agitée, put-il s'abstraire pour des
lectures théologiques, pour se tenir au
courant des publications relatives à
certains sujets, et mettre même la main
à quelques travaux intellectuels ? Il
est hanté, notamment, de la foi au
Millénium et des prophéties, des
calculs qui l'annonçaient
« à coup sûr »
(11). En
général, ceux qui traversent des
temps fâcheux, regardent
à l'avenir et aspirent aux miracles de la
délivrance. Pour Paul Rabaut et les
persécutés, ils se nourrissent d'une
espérance indéfectible ; ils
n'ont qu'une idée fixe : une
intervention divine ; ils lisent et relisent
les prophéties. Sans doute, Paul Rabaut a de
bonnes raisons de se défier des
égarements de l'illuminisme, danger pour
l'Eglise, auquel il s'était fortement
opposé ; mais il n'en croit pas moins,
suivant la lettre des textes, au retour de
Jésus, sur les nuées du Ciel, et
à son règne de mille ans sur la
terre ; il se procure et lit
passionnément tout ce qui se publie
là-dessus : « encore un peu
de temps, dit-il, et celui qui « doit
venir viendra ; je me délecte à
la pensée « de
réédifier avec vous les murs de
Jérusalem ». Tout en se ressentant
quelque peu du Théisme du siècle, des
Encyclopédistes, de Voltaire, et de J.-J.
Rousseau, qu'il avait lus, il n'en reste pas moins
attaché à son Millénium et
s'évertue à découvrir
l'année de l'apparition future du
Christ.
Un grand astronome de Lausanne, membre
du Comité des Réfugiés
Français, M. de Chezeaux avait publié
un livre, rempli de savants calculs, pour fixer la
date solennelle. Paul Rabaut le réclame
à Antoine Court. Il le prie également
de faire recopier à ses frais l'ouvrage de
M. de Cottens, intitulé : Le
Prince-Germe. Il est écrit dans les
Prophètes : Dieu suscitera à
David, un germe, un rejeton,
une descendance qui mettra fin à tous les
maux et régnera pour le bonheur
d'Israël ; ce germe, c'est le Messie.
« Je connais, dit Paul Rabaut, le
système (du Prince-Germe) ; il
est fort de mon goût ; il fait mes
délices et je serais bien aise de
l'approfondir ».
Antoine Court lui annonce que le livre
va s'imprimer et qu'il le lui enverra
aussitôt qu'il aura paru, en même temps
que le volume de M. de Chezeaux. On se demande
toujours comment il trouve assez de loisirs pour
toutes ces lectures. Il écrit en août
1756 : « Il y a trois ans que Court
a acheté pour mon compte quantité de
livres qu'il n'y a pas eu moyen encore de faire
venir. »
Alors quelques savants de Lausanne
forment école sur la question des
prophéties : les deux Loys de Chezeaux,
de Givrins, de Cottens, de Bionens ; ce
dernier avait fait paraître, en 1729, un
ouvrage sur Daniel et l'apocalypse où il
annonçait, pour 1745, la fin du catholicisme
et le triomphe des protestants.
Dans les malheurs du moment, on
s'évertue à chercher dans la Bible la
date de la fin des persécutions. Le volume
de Jurieu : L'accomplissement des
Prophéties, où il
annonçait qu'infailliblement, d'après
ses calculs, la délivrance arriverait en
avril 1689, avait déjà, au XVIIe
siècle, beaucoup ému l'opinion. Mais
Paul Rabaut fait partir les
vingt-deux mois de l'Apocalypse
(XI, 2) de la révocation de
l'Édit de Nantes, octobre 1685. Et faisant
allusion à la captivité d'Israël
qui dura 70 ans, - il croit que les Huguenots,
autre Israël de Dieu, seront, après une
période analogue, rétablis dans leurs
droits et dans la paix ; or, on touche au
terme prophétique, 70 ans !
Paul Rabaut est tellement
passionné par ce sujet et sa foi est si
vivante, qu'en vue de certaines prophéties
qui d'après lui, vont s'accomplir, - il
offre un refuge à Chiron de Genève,
car M. de Givrins du canton de Vaud, a
prédit naguère de grandes
catastrophes, en commentant
Apoc. XI et
Math. XXIV,
(12).
Ces écarts de pensée, dans
les esprits même les mieux
équilibrés, se comprennent :
l'excès des souffrances produit
l'excès des illusions. L'illusion de la
prochaine délivrance fut, du moins, chez les
Réformés le secret d'une force
invincible et constante, jusqu'à la
fin.
Notez bien que cette vive
préoccupation ne détourne Paul Rabaut
d'aucune de ses oeuvres, ni d'aucun sujet
scientifique. Son ami Court de Gébelin
compose à cette époque, son grand
ouvrage sur Le Monde primitif. Il
l'encourage de toutes ses
forces : « Plus vous avez la
bonté de me faire part de vos
découvertes, plus je m'affermis dans
l'idée que vous causerez une
révolution dans la science. Quoique j'ignore
les langues orientales, je comprends que
quantité de livres de l'Ancien Testament
fourmillent de fautes de traducteurs, entr'autres
le livre de Job, les Psaumes, les Proverbes, Je ne
doute point que, dans l'esprit de bien des gens,
les traductions n'aient fait du tort aux originaux,
parce que l'on a jugé ceux-ci sur
celles-là qui ont été faites
fort négligemment. Des traducteurs comme
vous donneraient meilleure opinion de la parole de
Dieu »
(13).
Il lui conseille de diviser son ouvrage
en deux parties : la première,
consacrée aux principes ; la seconde,
aux conséquences. Puis, s'il ne peut suffire
aux frais d'impression, il lui propose d'imprimer
par souscription « quelque morceau
fini » qui lui « donnerait
quelque aisance pour aller plus avant »
et mettrait le public en goût pour le
reste.
Lui-même, à part ses
innombrables Mémoires, ses 200 sermons, et
sa correspondance, n'a laissé que le
« Précision du
catéchisme d'Osterwald » qui a
été souvent réimprimé
et qui a rendu de sérieux services pour
l'instruction de la jeunesse.
PORTRAIT
DE PAUL RABAUT
D'après la gravure
conservée à la bibliothèque de
l'histoire du protestantisme
français.
La catéchèse
fut toujours pour lui un objet
d'obsession ; car, regardant l'enfance comme
la pépinière de l'avenir et son
instruction comme une affaire de premier ordre, il
lui consacre tout le temps, tous les soins que lui
permet sa vie tourmentée.
Il nous reste, enfin, à signaler,
comme dernière preuve de son
caractère si compréhensif et si
pondéré, son double amour de l'ordre
et de la liberté qui lui fait
préférer, dans le gouvernement
ecclésiastique, le Régisme
Épiscopal au régime
Presbytérien-Synodal. Ayant beaucoup
souffert de l'état chaotique des
Églises et de leurs divisions, de l'esprit
agressif et tracassier de quelques pasteurs jaloux
de sa prépondérance grandissante,
natures peu malléables, abruptes comme les
rocs de leurs montagnes, - Paul Rabaut qui, de 1744
à 1748, s'est accommodé du
système Presbytérien-Synodal, change
d'avis et s'en explique sans détour dans sa
lettre du 26 août 1768 :
« j'aurais fait bien d'autres choses si
j'avais été maître. Mais je
trouve des entraves aux desseins les plus utiles.
Je ne vous cacherai point que notre
gouvernement Presbytérien me
déplaît fort. Le plus petit ancien se
croit un homme d'importance et le moindre pasteur
se targue comme le plus distingué. C'est une
anarchie qui a souvent de funestes suites. S'il y a
lieu à une réformation, comme j'en ai
l'espérance, l'on conservera sans doute
l'Épiscopat qui a de
beaucoup moindres inconvénients. Pour y
aider, je consentirais volontiers à
être toute ma vie curé d'un
village ». Il trouve dans le
régime Épiscopal plus de garanties
pour la discipline, l'ordre, la paix et l'union.
Tandis que, d'après lui, le Régime
Synodal est dépourvu d'autorité pour
prévenir les divisions,
l'Évêque, ayant un droit naturel,
impose le silence et se fait obéir. Oui,
mais la discussion, la division, - c'est la vie de
la démocratie chrétienne ; et ne
vaut-elle pas mieux, somme toute, que
l'écrasement de la personnalité
humaine sous la tyrannie épiscopale,
c'est-à-dire la mort ?
Au demeurant, les préoccupations
et les conceptions diverses de Paul Rabaut, en sus
de l'accablante charge de son ministère, -
prouvent que son esprit ne manque ni
d'activité ni d'étendue et son souci
des choses élevées témoigne de
la beauté d'un caractère noble et
fort.
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