Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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PAUL RABAUT

Apôtre du Désert


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CHAPITRE VIII
SA PRÉDICATION

Le Ministère Chrétien comprenant la cure d'âme ou l'action, la catéchèse ou l'instruction de la jeunesse, - le culte ou la prédication - il est naturel d'assigner ici sa place à la prédication, qui est un des éléments essentiels du Ministère.

Dès 1685 et même quelques années auparavant, les pasteurs étant dispersés par la persécution sur tous les points du globe, il ne reste plus en France, pour évangéliser les Églises, que de rares Prédicants, animés d'une vivante foi, mais sans culture, entretenant surtout la piété des Églises par le spectacle de leur propre piété et par leurs exhortations familières. Hors d'état de composer des sermons, ils apprennent par coeur et récitent dans les Assemblées des sermons imprimés. La prédication en France est morte, pendant les dernières années du XVIIe siècle et les premières du XVIIIe. Elle ne ressuscite qu'avec Antoine Court : il commence à chercher et à dresser des pasteurs instruits. Grandement difficile est cette mission de début. Comment retirer, de sous les décombres de la révocation, de quoi rebâtir un édifice nouveau ?

Mes yeux, dit Antoine Court, se tournèrent de tous côtés pour découvrir des jeunes gens... j'en ai tiré de la charrue, de la boutique, des magasins, de derrière les bancs des procureurs ; il s'en trouvait qui ne savaient pas même lire. Telle est la première période du Désert ; elle est suivie de la période des Écoles ambulantes où se recrutent des jeunes gens formés par les pasteurs qui, au bout de quelques années, les dirigent sur le Séminaire de Lausanne, d'où ils reviennent capables d'expliquer l'Évangile et de présider les cultes publics.

On comprend que, dans cette vie d'alertes perpétuelles, on ne songe guère à publier des sermons. De 1685 à 1795, à peine si l'on en peut citer quelques-uns, un recueil de sermons de Brousson, intitulé : La manne mystique du Désert ; ça et là, un sermon imprimé ; on connaît de Paul Rabaut, trois sermons sous forme de Circulaires, 14 janvier 1757, - 11 décembre 1758, - 20 février 1761. On peut citer encore, 23 juillet 1775, un sermon, sur Rois 1, 39 et 40, à l'occasion du couronnement de Louis XVI ; un sermon du 23 avril 1750 imprimé au XIVe siècle en 1829 dans la Chaire Évangélique : c'est la Livrée de l'Eglise chrétienne ; puis, deux sermons (accompagnés de seize plans) sur la Grâce de Dieu et le Pardon des offenses, publiés par Ch.-L. Frossard; - un autre, sur La soif spirituelle, publié par Picheral-Dardier ; enfin vingt-huit fragments publiés par G. Granier, dans un volume intitulé Christ et France. M. Albert Monod, en 1917 (1), a édité et annoté trois sermons : Discours au Synode national tenu dans les Hautes Cévennes, du 4 au 10 mai 1756 ; - Sermon de persécution : « J'ai désolé et fait périr mon peuple », 17 octobre 1749 ; - Sermon de morale sur l'adultère, 13 octobre 1770. - plus, la Conclusion d'un sermon d'édification  La Nourriture de l'âme, 25 août 1771.

La Collection des Manuscrits de Paul Rabaut est conservée à la Bibliothèque du Protestantisme Français (2). Elle comprend: 195 sermons entiers, 19 inachevés, et un recueil incomplet de plans de sermons.

Ces sermons sont un document pour l'histoire des persécutions ; un document sur la foi et la théologie du Protestantisme Français, au XVIIIe siècle, un document aussi pour l'histoire littéraire.
Plusieurs des sermons de Paul Rabaut se sont vraisemblablement perdus, comme se sont perdus la plupart des autres sermons prêchés au Désert : quand les pasteurs étaient arrêtés et pendus, leurs manuscrits et leurs livres étaient jetés dans les flammes.
De ce fait, les manuscrits de Paul Rabaut ne prennent que plus d'importance.
Ils portent souvent sur une feuille mention de la date, du lieu, des circonstances de la prédication ; et quand ces détails ne sont point indiqués, c'est une étude à faire que d'en trouver l'année et le jour.
Parfois, au contraire, Paul Rabaut écrit vite au dos du sermon tout ce qui en rappelle l'occasion : événements, actes de baptêmes, de mariages, de surprises d'assemblées, lieux de rendez-vous pour les cultes ou fonctions pastorales, détails analogues à ceux qui figurent dans ses quatre Carnets.

Ces sermons contiennent aussi des allusions aux grands événements contemporains soit de l'histoire nationale, soit de l'Eglise du Désert ; par exemple l'arrestation d'un pasteur, le scandale d'un renégat, la tenue d'un Synode national, ou une recrudescence de persécution : affaire Grenier-Rochette, avènement de Louis XVI ; et chaque point spécial est accompagné de sa date précise.
Tous ces sermons manuscrits ou publiés de Paul Rabaut sont la révélation de sa vie ; et sa vie est la consécration absolue, enthousiaste, à une Sainte Cause. Son oeuvre oratoire, comme sa copieuse correspondance porte nécessairement l'empreinte de sa nature.

Quels sont donc les traits généraux de sa prédication ?
L'historien des Églises du Désert en trace ce tableau : « Beaucoup de simplicité et d'onction ; plus de douceur que de véhémence ; peu de discussions dogmatiques ; plus de charité que de profondeur ; une exposition dogmatique sans cesse soutenue de Conseils moraux, - tels sont les mérites distinctifs de ses discours. Il traitait rarement les matières de controverse avec l'Eglise Romaine... Pour la forme, ces discours sont méthodiques et brillent par la logique des divisions » (3).

Mais c'est surtout par la comparaison avec d'autres sermonnaires qu'on peut caractériser une prédication.
Bien avant l'exil et durant la période du Refuge, les pasteurs, absorbés par les grandes batailles des controverses, ayant toujours les adversaires sous les yeux, ne songeaient qu'à discuter historiquement, scientifiquement. De là, des sermons interminables, dont la première moitié était une sèche explication de textes et la seconde, une argumentation subtile, plus ou moins acerbe, suivie d'une brève conclusion plutôt conforme à l'habitude qu'appropriée au bien spirituel des auditeurs. On cherchait à convaincre plus qu'à toucher et le moule des Sermons ne change guère : exorde, trois divisions avec subdivisions multiples, péroraison avec apostrophes ou prosopopées. C'était, sauf exceptions, le genre des Le Faucheur, des Daillé, des Mestrezat, des Dumoulin.

Un peu plus tard pourtant, les maîtres de la chaire, Claude, du Bosc, Daniel de Superville, se dégagèrent de cette tradition, de cette exégèse surabondante et accompagnée de polémique virulente. Sans avoir le style du grand siècle, ils furent sensiblement en progrès sur leurs prédécesseurs.

Après la Révocation et dans l'exil, loin du beau monde et de ses raffinements littéraires, privés des auditoires qui, pour les grands orateurs catholiques, formaient un précieux stimulant, les prédicateurs protestants n'emploient qu'un langage sans élégance, souvent défectueux et un peu suranné : c'est le style réfugié dont parlait avec ironie Bayle reprochant à Jurieu « de méchantes phrases. » On est bien loin des développements harmonieux, des traits sublimes des Sermonnaires de la cour de Louis XIV. Même chez les pasteurs qui ont le plus de talent, Saurin par exemple, on trouve des inégalités choquantes : tantôt ils s'élèvent à peine au-dessus du sol et tantôt ils montent d'un coup d'aile jusqu'aux plus hautes cimes.

Pendant la période du Désert, ce n'est plus le lieu ni le moment de disputer en chaire sur la théologie ou de soigner la composition et la forme des discours. Autres besoins et autres moeurs. Les prédicateurs n'ont alors d'autre souci que l'aliment des âmes et leurs sermons ressemblent généralement à tous ceux qu'on entend partout en temps de paix. La psychologie, l'esprit pratique y tiennent plus de place que la logique et le raisonnement. On n'a maintenant ni loisirs, ni livres pour étudier et méditer, ni certitude du lendemain, ni demeure fixe. Telle est la situation des pasteurs du désert et notamment de Paul Rabaut. Ils sont en plein combat, ils vivent dans les champs et dans les alarmes. Plus d'exégèse, plus même de controverses, eût-on le temps de les préparer, car les esprits sont assez irrités pour qu'on ne les envenime pas davantage, et les pouvoirs publics nourrissent assez de préventions pour qu'on ne les exaspère point par de continuelles attaques dogmatiques. L'essentiel est d'allumer et d'entretenir le feu sacré dans les âmes et c'est un assez digne objet de l'attention et du zèle des prédicateurs.

Paul Rabaut a devant lui tant de sujets pratiques. actuels, émouvants ! Sans s'astreindre à la servile imitation de ses prédécesseurs, il est lui-même ; il s'inspire de sa foi et des besoins de ses auditeurs, des intérêts à défendre, des énergies à stimuler, des coeurs à consoler, des esprits à éclairer, des espérances à entretenir. Il est simple et ne recherche aucun ornement littéraire ; il tiendrait pour péché une telle préoccupation (4).
Saint Cyprien disait que l'éloquence Chrétienne consiste à donner de « la lumière à l'entendement et de la chaleur à la volonté », c'est-à-dire à convaincre l'esprit et à entraîner le coeur. Telle nous semble être la prédication de Paul Rabaut : d'un sûr bon sens, logique, calme et persuasif, visant toujours un but pratique, utile, le bien des âmes, le triomphe du règne de Dieu.

Sans avoir des moyens physiques, prestance, force, bel organe, précieux avantages pour l'homme qui parle en public, il dispose pourtant d'une voix nette, bien timbrée, parfois vibrante ; et, secondé par l'ascendant moral dont il jouit, il lui arrive, sans être orateur-né, de produire des effets que rarement produisent nos orateurs sacrés. Il émeut et subjugue son auditoire, lui arrachant des larmes et des sanglots, rappelant le mot bien connu : Pectus est quod disertos facit. Tout pénétré de la lettre et de l'esprit des Écritures, il ne poursuit qu'un but : pousser à l'idéal et à l'action. Par son élévation morale, il inspire une confiance absolue ; il charme par sa douceur, il conquiert irrésistiblement.

Ignorant les fausses beautés de l'éloquence, il se fait un scrupule, en présence des terribles réalités de l'heure présente de perdre du temps à polir son style. Simplement, il laisse rayonner son coeur et il ne lui en faut pas davantage pour convertir des auditeurs, même prévenus, ou en certaines rencontres, hostiles.

Parfois, en haut lieu, vers la fin de sa carrière, on recourt à lui pour calmer une tempête populaire, déjouer des tentatives de représailles, empêcher un conflit ! Car, on savait quel conducteur d'hommes il était, autant par sa parole que par son autorité.

Ce qui domine en lui, c'est l'onction et le pathétique ; mais, à l'occasion, il n'en est pas moins capable d'énergie, de véhémence, quand il tonne contre les grands pécheurs, ou les défaillants, ou les renégats. « Que de, fois n'avons-nous pas tenu le même langage (que l'Eglise Judaïque et n'avons-nous pas dit que Dieu nous abandonne) ?

Découvrirai-je, ici, notre turpitude ? Parlerai-je de ces crimes qui eurent la vogue du temps de nos pères et qui ne règnent pas moins aujourd'hui ? Étalerai-je ce luxe, cette mondanité, cette avarice sordide, ces impuretés fréquentes, ces débauches scandaleuses, ces injustices commises à la vue du Soleil, cette froideur, cette indifférence pour la religion qu'on remarque dans un grand nombre de gens ? Ces apostasies, ces dénonciations auxquelles plusieurs se laissent entraîner ? Mais ne sont-ce pas des choses publiques, que personne n'ignore et que par conséquent il ne devrait pas être besoin de rappeler ?
Et vous direz, après cela, que nous n'avons pas abandonné Dieu ! et vous serez surpris, après cela, que ce juste, Juge ait caché sa face arrière de vous ! Ah ! soyons surpris, au contraire, qu'il ne nous ait pas entièrement abandonnés. Ce sont tes gratuités, ô Éternel, que nous n'avons pas été consumés. Que dis-je ? consumés... N'avons-nous pas vu diverses marques de l'amour et de la protection de Dieu ? Que signifient donc ces assemblées religieuses qui se forment depuis longtemps parmi vous ? Ces pasteurs que le Seigneur vous envoie, cette parole qui vous est annoncée, ces sacrements qui vous sont administrés ? tout cela ne tend-il pas à la conservation de la religion et, par conséquent, à l'avancement de votre salut et de celui de vos enfants ?

Que signifie cette diminution de rigueur dans les peines infligées à ceux qui ont assisté à nos exercices de piété ? N'est-ce pas un effet de la bonté de Dieu qui a inspiré à ceux qui nous gouvernent des sentiments de modération à notre égard, afin de nous encourager par là à redoubler notre zèle et à profiter des secours qui nous sont offerts pour nous avancer dans la piété ?

Loin donc de nous plaindre que le Seigneur nous ait abandonnés, nous devons reconnaître au contraire qu'il nous a épargnés et qu'il nous a même donné des marques distinguées de son amour (5».

Voici encore, dans le même genre, un fragment attestant la vigueur dont il sait faire preuve :

« Du temps de saint Paul, il y avait des faibles, des lâches qui avaient besoin d'être encouragés et soutenus ; plût à Dieu n'y en eût-il point aujourd'hui! Mais hélas ! le nombre en est plus grand que du temps de saint Paul !
Y a-t-il, aujourd'hui bien de Réformés de qui l'on puisse dire ce que saint Paul disait des Hébreux : qu'ils avaient reçu avec joie le ravissement de leurs biens ?
Dieu sait avec combien de peine ceux même qui passent pour les plus zélés se résolvent à faire les plus légers sacrifices ; il ne faut que bien peu de chose pour leur abattre le courage. Quelques amendes pécuniaires, quelques mois de captivité, en voilà plus qu'il n'en faut pour empêcher un grand nombre de nos réformés de professer publiquement la religion et de se trouver dans nos exercices de piété.

Combien n'a-t-on pas vu, surtout par le passé, lorsque le temps a été tant soit peu fâcheux, combien, dis-je, n'a-t-on pas vu des lâches, des apostats, à qui les plus criminelles démarches n'ont rien coûté et qui, pour se conserver quelque bien, ou pour former un établissement dans le monde, ont signé une abjuration, renié le Sauveur qui les avait rachetés, méprisé les lumières et les avertissements de leur conscience ! Dieu veuille que notre état d'épreuve finisse bientôt ! Mais il y a tout lieu de craindre que, si nos calamités devenaient plus grandes, il y aurait un grand nombre de gens qui feraient naufrage quant à la foi et un plus grand nombre encore qui nous donneraient lieu de dire ce que saint Paul disait aux Hébreux : Ne délaissons point nos assemblées comme quelques-uns ont coutume de le faire. Dans l'incertitude de ce qui pourra arriver, armons-nous de force et de courage ; ayons les yeux sur Jésus, le chef et le consommateur de notre foi ; fortifions-nous de sa force, faisons sur son exemple quelques réflexions propres à nous inspirer une noble fermeté. » (6).

On appréciera aussi ce bref morceau d'une mâle énergie :
« Qui éprouva jamais mieux que vous, mes chers Frères, la vérité de ce que dit ici, David, que le juste a des maux en grand nombre : Poudre, cendre de nos sanctuaires, masures de nos temples, rivages de l'Europe couverts de fugitifs, prisons, galères, couvents, roues, potences, soldatesque effrénée, pères et mères enlevés à leurs enfants, enfants arrachés d'entre les bras de leurs pères et de leurs mères, martyrs, apostats, objets dignes à jamais de nos larmes, - rendez témoignage à la vérité que nous établissons et dites-nous combien sont terribles les jugements que Dieu exerce sur sa maison. » (Serin. inédit du 22 mars -1748).

Ces citations suffisent pour donner une idée du genre de prédication de Paul Rabaut ; toujours judicieux et populaire, habituellement très captivant et parfois d'une étonnante véhémence.

Du reste, la preuve en est dans son action profonde et bénie sur ses auditeurs qui, de près et de loin, applaudissaient de coeur aux effets de ses discours. L'un d'eux écrit : « Tout prospère entre ses mains et les foires (les assemblées du culte) deviennent de plus en plus florissantes. »
« Il faut convenir qu'il débite de très bonnes « marchandises » (des paroles remplies d'attrait).

Un poète Nîmois lui consacra une Ode débutant ainsi :

« Quel est ce nouveau Chrysostôme ?
Non, ce n'est pas la voix d'un homme,
........................................................
 
Un second Paul se fait entendre ;
Tout cède aux charmes de sa voix. »

Abbadie en disait autant de Saurin :
Est-ce un homme ou un Ange ?

Sans verser dans l'hyperbole, il est juste de reconnaître qu'en l'entendant prêcher - au milieu des horreurs de la guerre - le calme, la résignation, la confiance, ses auditeurs éclatent en sanglots. Voici un passage qui ne manque pas de souffle, dans un discours au Désert, le 23 avril 1750:

Pour l'aimer (Jésus-Christ) comme il le demande, il faut le suivre jusqu'au calvaire ; il faut aller avec lui, et en prison et à la mort ; il faut l'aimer plus que vos biens, que votre liberté, que votre vie même. Et pourquoi ne sacrifierions-nous pas nos biens, puisqu'il s'est fait pauvre pour nous enrichir ? Pourquoi ne sacrifierions-nous pas notre liberté, puisqu'il a souffert le supplice des esclaves ? Pourquoi ne donnerions-nous pas notre vie pour lui, puisqu'il a donné la sienne pour nous ? Pourquoi ne l'aimerions-nous pas de toutes les puissances de nos âmes, puisqu'il nous a aimés le premier et d'un amour que le nôtre n'égalera jamais ? »

Éloquence du coeur, du coeur croyant, éloquence qui se moque de l'éloquence et qui émeut d'autant plus qu'elle cherche moins à émouvoir. Et quel décor pour cette éloquence de pure source, que ce ciel du Midi, ces coteaux voisins où se cache peut-être quelqu'espion, ces bois où tout-à-coup on peut entendre le sifflement des balles, ou voir briller l'éclair du sabre des dragons !

Chacun des sermons manuscrits de Paul Rabaut porte sa date. On y entend l'écho des bruits, des angoisses du jour. C'est dire qu'un des traits saillants est l'actualité (7).

En peut-il être autrement, alors qu'on respire une atmosphère embrasée, et qu'on vit sous la double pression de la terreur et de l'espérance ? On n'est hanté que d'une idée, une idée fixe ; la persécution ! le coeur en est comme saturé ; et, comme « de l'abondance du coeur la bouche parle », on sent la vivante éloquence qui en devait jaillir. J'ai l'intuition des mouvements profonds, produits sur les foules prédisposées par la parole, à la fois ardente et sage, de Paul Rabaut ; je me le représente nourri des sombres prédictions de l'apocalypse, de Daniel, de Jérémie. et s'appropriant leurs mystérieuses menaces je me le représente tonnant, à la manière des anciens prophètes, contre les péchés de son peuple ou les cruautés de ses ennemis et cela, sans calcul, spontanément, naturellement. Et toutes les âmes vibrent à l'unisson ; l'âme du prédicateur, en communion avec elles, s'élève à des inspirations sublimes ; et, la voix tremblante d'émotion, il évoque les souffrances du passé, les anxiétés du présent, les craintes de l'avenir ; les esprits s'exaltent ; il les console alors et les soutient en leur parlant du Dieu présent, du Dieu puissant, du Dieu aimant, de ses promesses, des visions apocalyptiques ; tels sont, à cette époque, les sujets habituels des sermons Chrétiens.

Pénétrés de cette actualité qui communique à sa prédication le mouvement et la vie, les sermons de Paul Rabaut sont édifiants plutôt que théologiques : point d'idées abstraites, point de vaines théories, point de raisonnements plus ou moins accessibles, d'un intérêt plus ou moins lointain. Il ne s'en prend, ni à la trinité, ni à la prédestination, ni même aux subtils systèmes de la rédemption ; d'emblée, il est attiré par les poignantes réalités du jour : exil, potence, galères, rapts d'enfants, ruine des familles, rasement des maisons. En faut-il plus pour remuer tout l'être humain et le conquérir ? Il dogmatise peu : péché, repentance, conversion personne du Christ, communion de Dieu, - « Rocher des siècles, dit-il en 1754, grand en Conseil, magnifique en moyens, faisant tourner en bien ce que les ennemis pensent en mal », - constituent la substance de sa prédication qui se distingue à la fois par son caractère pratique et par son orthodoxie mitigée.

C'était l'esprit du temps ; prépondérance de la morale, tendance à la largeur, à la tolérance. L'esprit philosophique du XVIIIe siècle s'infiltrait partout, même au milieu des pasteurs du Désert qui subissaient son influence ; elle devint plus sensible mesure qu'on s'approchait de la Révolution.

On dirait, par moments, qu'elle s'est exercée sur Paul Rabaut. On le croirait à ses observations de moraliste, à sa dévotion humaine et traitable. Ses collègues, en général, respirent l'esprit nouveau, mais peut-être pas au même degré. On s'explique ainsi, en particulier, chez Paul Rabaut sa sympathie marquée pour les Moraves et sa bienveillance pour les idées d'autrui.

C'est encore ce qui le rendait avide de la science du jour et ce qui même lui inspira le chimérique projet conçu par Leibnitz avant, lui, de concilier l'inconciliable, le despotisme catholique et la liberté protestante.

C'est encore ce qui, dans les derniers temps, suggère à Paul Rabaut, l'idée de simplifier la religion, d'en retrancher l'accessoire pour ne garder que l'essentiel, de la débroussailler en un mot des subtilités théologiques, des dogmes humains décrétés par les Conciles et les Synodes ; « De la sorte, dit-il, la religion serait plus goûtée des philosophes « et plus à la portée du peuple, qui n'est pas en « état de comprendre une foule d'articles ».

C'est sa parole, de même que son autorité, qui valut à Paul Rabaut de présider un grand nombre de Synodes ou de grandes Assemblées, dans des occasions solennelles ; et, chaque fois qu'il les préside les foules accourent de loin : « Lors même que vous ne pourriez nous donner qu'un jour, lui écrit en juillet 1759, le pasteur Pomaret de Ganges, tout irait vous écouter, jusqu'à nos paralytiques. » Antérieurement, il dit de lui-même : Le vent de la persécution commençant à souffler, je pensai qu'il fallait exhorter nos auditeurs à la fermeté ; nous allions commencer une nouvelle année ; pour réunir ces deux circonstances, je choisis pour texte Héb. XIII, 14. Je prêchai mon discours le 3 janvier. Pénétré moi-même de ce que je disais, je touchai vivement mes auditeurs. Jamais je ne vis dans une Assemblée religieuse, ni tant de consternation, ni une si grande abondance de larmes. Mon discours fit quelque bruit dans la ville. Quelques personnes distinguées qui n'avaient pas été à l'Assemblée me firent prier de le prêcher une seconde fois ; je le fis et j'eus un très nombreux auditoire. » Loin de lui tout sentiment d'amour-propre ; c'est dans l'intimité qu'il s'en ouvre à son ami Court et pour montrer à quel point la persécution excite le zèle, au lieu de l'étouffer (8 fév. 1845).

Le bruit du succès de ses prédications arrive de divers côtés aux oreilles d'Antoine Court qui lui marque son désir de lire ses sermons manuscrits mais Paul Rabaut se récuse avec modestie en lui faisant observer que ses discours, rédigés en hâte, ne méritent pas cet honneur (3 mai 1745).

Presque tous sont taillés sur le même modèle ; et, pour la Faculté de Lausanne, ce modèle est Massillon qui lui paraît le type du prédicateur chrétien, Une heure était la durée moyenne du sermon et lorsqu'il était suivi de la Sainte Cène et de quantité de mariages et de baptêmes, les cultes ne tenaient pas moins de plusieurs heures ; notre vie actuelle, si occupée, si fébrile, aurait de la peine à s'y faire ; mais alors ces longs exercices religieux répondaient à de vrais besoins. Claude, Drelincourt, Saurin n'occupent pas moins de 25 à 30 pages pour leurs sermons imprimés, ce qui comporte un temps qui nous paraît maintenant déraisonnable.

À cette époque déjà, on commençait à en signaler les inconvénients. « Je suis d'avis, dit le professeur Pictet, que les sermons sont trop longs, qu'on devrait en peu de mots donner le sens du texte et se borner à en tirer, d'une façon simple et instructive, les vérités qu'il renferme. »

Les plans de P. Rabaut sont généralement bien ordonnés, conformes à l'homilétique du moment ; et son exposition respire la piété, le calme et le bon sens, ainsi que ses lettres et sa vie. Toutefois, assez souvent, de sa manière paisible et limpide surgissent des effusions d'une belle éloquence, de même que, dans le calme écoulement d'un fleuve surgit le fracas d'une cataracte ; telle, la fameuse apostrophe de Saurin à Louis XIV, un premier jour de l'an : « Et toi aussi, grand roi, auteur de tant de maux, tu auras part à mes voeux... »

Sans doute, Paul Rabaut n'a pas la flamme du verbe, l'envolée de la pensée ou de la poésie, le trait qui donne le frisson ; en revanche, ses exhortations sont si vivantes et si populaires, ses appels à la fidélité et à l'espérance si virils et si touchants, qu'on ne peut pas ne pas être captivé et entraîné.

Saurin a sur lui l'avantage d'une nature impétueuse, de longs loisirs et d'un cabinet abondamment pourvu de livres ; mais peut-être ses sermons sentent-ils un peu l'apprêt littéraire et ne semblent-ils pas jaillir, comme ceux de Rabaut, au même degré du moins, de la source vive, de la spontanéité. Paul Rabaut vit au jour le jour, son temps est tout déchiqueté ; impossible pour lui d'approfondir un sujet spéculatif et de limer ses discours ; il lui manque, en outre, l'ampleur de Saurin et son tempérament passionné. Et pourtant, on rencontre assez souvent chez lui des élans oratoires qui, par la seule force de la conviction, remuent profondément et provoquent l'abondance de ces larmes, dont ses lettres portent le témoignage.
En sorte que s'il ne peut être classé parmi les orateurs de haut vol, toujours est-il qu'il a une supériorité marquée sur tous les pasteurs du Désert, peu cultivés et peu préparés à la parole en public. Si tous sont très bibliques, si leurs sermons fourmillent de textes et si, contre l'autorité catholique, ils invoquent la Bible à tout propos comme la grande autorité ; - on distingue en Paul Rabaut une critique plus intelligente, une forme littéraire plus correcte, et des connaissances plus étendues, sur l'histoire des Juifs, l'histoire primitive de l'Eglise, et l'histoire de la Réformation.

Son style simple et coulant, rarement déparé par les artifices de la vieille rhétorique, exprime nettement sa pensée. Et si l'on se transporte en ces jours de perpétuel bouillonnement, où Intendants, Dragons et Magistrats, se conduisent avec tant de férocité, - on peut se représenter combien son élocution facile et sa parole apostolique devaient être pour lui un instrument de consolation et de gouvernement.
Aussi, peut-on affirmer sans exagération, qu'il fut « le meilleur orateur et l'esprit le plus riche de cette longue période du Désert ».

Ne se trouvera-t-il pas un ami de Paul Rabaut, de nos Églises, de la littérature du XVIIIe siècle, pour extraire un volume de choix de ses sermons Manuscrits, de ces sermons prononcés sous la voûte du ciel, en plein pays des dragonnades, en face du bagne et de la potence ? Personne ne voudra-t-il les arracher à l'oubli, ou à la destruction ? répandre l'esprit qui les a inspirés et qui les anime ? et rendre, par ce petit monument littéraire, un juste hommage à ce héros de la foi qui, prêchant la liberté de conscience et de pensée, plus encore par son exemple que par sa parole, fut dans notre patrie, un des précurseurs de la liberté ? car, toutes les libertés se tiennent, sont soeurs ; et, en revendiquer, en pratiquer une, c'est ouvrir la porte à toutes les autres (8).

Comme jadis « le sang des martyrs fut la semence de l'Eglise » - ainsi la parole des héros de la foi, ressuscitée, après 230 ans de sommeil, pourrait être un levain salutaire, un ferment de vie.

En tout cas, quoi qu'il advienne de ses sermons, il restera toujours sa vie, si haute, si pleine, si glorieuse, « vraie morale en action », prédication par les faits plus éloquente et plus efficace que celle de la chaire.
C'est bien de lui qu'on peut dire que « quoique mort, il parle encore ». Et quel bienfait si cette héroïque vie était illustrée, rendue encore plus sensible, par la parole écrite qui jaillit cinquante ans de la chaire mobile du Désert !


Table des matières

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(1) Thèse complémentaire de Doctorat ès-lettres, présentée à la Sorbonne.
Mon manuscrit sur Paul Rabaut était presque entièrement achevé, lorsqu'en août 1914, la guerre déchaînée par l'Allemagne, en bouleversant tant de projets, bouleversa le mien. Trois ans après j'ai pu profiter de quelques-uns des résultats acquis par la scrupuleuse érudition de M. Albert Monod. C'est avec une impeccable méthode qu'il a étudié la matérialité des manuscrits de Paul Rabaut, plutôt que le fond substantiel des sermons eux-mêmes.
 

(2) Paris, 54, rue des Saints-Pères.

(3) Ch. Coquerel, Églises du désert, II, p. 503.

(4) Albert Monod a bien démontré, p. 43 et 44, que la plupart des sermons de Paul Rabaut sont, non pas des brouillons, mais des copies définitives ; cependant, parfois, il n'avait le temps de rédiger qu'un brouillon avant de prêcher, voir lettres à Court, I, 181. - il lui arrivait de reprendre des sermons anciens pour des auditoires nouveaux, voir I, 248. - Il est probable aussi qu'au besoin il improvisait ou répétait le même discours en des lieux différents. « Il m'a fallu prêcher 9 fois en 11 jours. » Lettre à divers, I, 231.

(5) Péroraison d'un sermon sur L'abandon de Dieu, Esaïe XLIX, 14, 15. - 11 novembre 1746 (inédit).

(6) Serm. inédit du 2 déc. 1746, Hébr. XII, 2, 3.

(7) « Je me trouve bien de faire ainsi des sermons de circonstances, » Lettres à Court Il, 59 (4 fév. 1750).

(8) Un certain nombre de ces sermons portent sur la couverture des annotations de Rabaut Dupui qui fil un choix de ceux qu'il crut. les meilleurs, en vue, sans doute, d'une publication éventuelle.

 

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