Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



PAUL RABAUT

Apôtre du Désert


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CHAPITRE VII
SES ÉPREUVES, SA VICTOIRE, SA MORT

« Né à pâtir et mourir ». Devise de Paul Rabaut.

 

Nul homme fit-il plus que Paul Rabaut l'expérience que la « vie est un train de guerre perpétuel » et fut-il plus digne de la victoire, après tant d'angoisses et de douleurs ? Ce cri lui échappe dans une de ses lettres : Mon coeur est gros de gémissements et de soupirs. On a vu même quels ont été parfois ses momentanés accès de tristesse (7 juin 1747 - 10 juillet 1752) : « On me donne « tant de chagrin que la vie me devient odieuse. » Il lui semble, parfois, que tout est conjuré contre lui.

Au milieu de son immense champ de travail et avec une pauvre santé, il doit se défendre contre la nuée des espions, contre les animosités, les tracasseries, les soupçons outrageants, - répondre à la foule des solliciteurs, - expédier les affaires de l'Eglise, - exercer son ministère dans une vaste région.

Rappelons dans notre mémoire son existence au Désert, toujours sur le Qui vive, entre la Vie et la mort ; plus de foyer ; dispersion de sa famille qui devient l'objet d'une obsédante préoccupation ; perte de plusieurs enfants ; maladies fréquentes des autres, en Suisse ; brûlant souci que lui donnent les Églises de France, pareil à celui que donnaient à Saint Paul les Églises primitives : protection des fugitifs, des prisonniers, des galériens ; énorme correspondance à l'étranger et à l'intérieur, de 1740 à 1790 ; divisions religieuses, schismes qui désolent les troupeaux, conflits avec quelques-uns de ses collègues, jaloux de son autorité ou réfractaires à la discipline (1).
Pour cimenter l'union des Églises, chaque province a un pasteur officiel qui correspond avec Paul Rabaut désigné, à cause de son grand crédit, comme administrateur central ; il se prête à tout et s'occupe de tout (2). Il en résulte des ennuis pour lui et il s'en plaint tristement : « Mes collègues craignent fort que je n'acquière sur eux quelque degré d'autorité et, assurément, ce n'est pas à quoi je vise ; faire le bien, être aussi utile que je pourrai, voilà toute mon ambition. » Ces fâcheuses dispositions à son égard se manifestèrent surtout au Synode de 1783 (3). Les pasteurs du Désert avaient l'écorce rude et Paul Rabaut disait à leur sujet : « J'ai besoin d'un fond inépuisable de patience ; je vous prie de la demander pour moi au Seigneur. Harcelé de toutes parts, poussé presque à bout, je ne sais plus que devenir ni à quoi me déterminer... J'ai besoin de tout mon flegme pour souffrir leurs incartades et leurs injures » (4). Longtemps, il a dû lutter contre l'Illuminisme et le Prophétisme ; et puis, que de démarches de toute nature ! que de Mémoires qui, réunis, couvriraient un rayon de bibliothèque ! et tant d'autres tribulations qu'aggrave encore une pénurie de toute chose, n'ayant d'égale que l'insécurité du lendemain.

Voilà plus qu'il n'en faut pour se faire une idée de ses épreuves ; il suffit pour cela du tableau de sa vie au Désert, avec les mille traits qui en forment le tissu.

Aux souffrances du Désert, au labeur accablant aux ingratitudes quotidiennes se joignent, dans ses derniers jours, les tragiques événements de la Révolution, dont ils eurent, ses enfants et lui, cruellement à souffrir.

Sans sa force d'âme et sa robuste foi, tant de coups l'eussent brisé. Mais, héroïquement, il résiste ; et, avant de mourir, il peut contempler une belle moisson sortie de ses douloureuses semailles ; il peut assister à la réalisation de son idéal, rêvé avec tant d'ardeur.

La calomnie confondue, explosion d'une sainte colère et qui tranche sur sa modération habituelle, met en fureur ses ennemis qui se livrent à d'actives recherches pour s'emparer de lui et l'obligent ainsi à se cacher momentanément ; d'autant que, pour exaspérer l'opinion, un pamphlétaire publie, sous le nom de Paul Rabaut. un factum, ironique, insultant, à l'adresse de l'Évêque d'Alais. Aussitôt, dans une Déclaration, énergique mais digne, Paul Rabaut proteste, le 24 mai 1764, contre cette infamie : Il est faux, dit-il... Il est faux, que... et, le prouvant chaque fois, il termine ainsi : « Uniquement occupé d'instruire et d'édifier mon troupeau, je tâche de le porter, autant par mon exemple que par mes discours, à l'observation de ce précepte du meilleur des Maîtres : aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous maltraitent et vous persécutent. Quand on est animé de pareilles sentiments, on n'écrit point des lettres ironiques ou insultantes » (5).

Alors, les Parlements, refuges du Jansénisme, luttent passionnément contre les Jésuites. Le père Lavalette, supérieur de la Compagnie de Jésus, avait fait une banqueroute retentissante ; les Statuts de l'Ordre avaient été discutés à la barre du Parlement de Paris ; celui-ci déclara « dangereux et pernicieux en tout genre » les enseignements des Jésuites sur le probabilisme, le vol, le régicide, etc. Quelques mois après, (février 1763), le Parlement de Toulouse prononça un Jugement analogue qu'il expédia aux Évêques de son ressort, pour mettre en éveil leur sollicitude pastorale. À cette occasion, l'Évêque d'Alais adresse à ses ressortissants un Mandement où il expose, « les maximes révoltantes de l'effrayante et licencieuse morale des Jésuites, leurs erreurs monstrueuses, leur doctrine de Satan », qui motivèrent leur condamnation par le pape Clément XIV, le 21 juillet 1773 (6).

Cela étant, on comprend que Paul Rabaut, mis en cause par un faussaire dans ces débats si violents qui soulevaient partout la plus vive irritation, se soit fait un devoir de proclamer sans retard son innocence. D'ailleurs, les assassinats juridiques du moment l'absorbaient assez. Ce furent les derniers efforts du fanatisme déshonoré ; ils déterminèrent même dans l'opinion publique une vive réaction qui conduisit, d'un train rapide, d'abord à la tolérance, puis à la liberté.

Les vents sont propices intellectuels, jurisconsultes, intendants, chefs d'armée ont fini par être écoeurés de pourchasser tout un peuple inoffensif parce que, disait plaisamment Voltaire, « il leur « plaît de chanter des psaumes en mauvais Français. » Et il faut qu'il se soit opéré un bien grand changement dans l'esprit public pour que, dès 1769, le Parlement de Toulouse valide un mariage du Désert, sur un simple certificat de Paul Rabaut. C'est la première fois qu'un titre, signé d'un Ministre, fait autorité en justice ; cause d'espérance et de joie (7).

Quelques grands personnages, familiers de la Cour, n'ont pas dissimulé leur désir de mettre fin à l'ancien état de choses ; entr'autres, le marquis de Paulmy. Encouragé par les sentiments qu'il lui connaît, par son accueil à ses divers Mémoires et Placets, notamment par sa bienveillance dans leur rencontre de Codognan (septembre 1752), Paul Rabaut s'enhardit à lui adresser la lettre suivante qui, comme hauteur de vue et comme symptôme de l'esprit du temps, doit être, ici, transcrite tout entière :

« Au marquis de Paulmy (8),

18 août 1775

« Je suis sensible au delà de toute expression et aux soins généreux et efficaces que V. Gr a bien voulu se donner pour améliorer le sort de plusieurs millions de sujets, et à la bonté qu'elle a eue de me faire donner communication de ces intéressantes nouvelles. Quoique nous n'obtenions pas dans le moment tout l'essentiel, nous recevrons avec la plus grande reconnaissance ce que le gouvernement daignera nous accorder. Quelque faible et imparfaite que soit la convalescence, on la trouve délicieuse après une longue et fâcheuse maladie. Nous savons que la politique n'a pas une marche toujours uniforme et que si quelquefois elle brave les obstacles, plus souvent elle est obligée, pour parvenir sûrement à ses fins, de mettre de la lenteur dans ses opérations. Convaincus de la haute sagesse et de la droiture des intentions de sa Majesté et de ses Ministres, nous en attendons les effets avec la plus humble soumission.

« Nous croirions, Monseigneur, nous manquer à nous-mêmes, manquer à la patrie, manquer au gouvernement, si nous lui laissions ignorer que les protestants ne sauraient vivre sans culte et que, s'ils en étaient privés, ce ne pourrait être qu'au très grand préjudice de l'État. C'est pour le démontrer qu'on a écrit le petit Mémoire que je prends la liberté d'adresser à votre Grandeur, la suppliant de le recevoir avec bonté et d'en faire l'usage que lui dictera sa prudence.

« Paul Rabaut. »

 

Il est à remarquer qu'il ne réclame encore qu'un des rudiments de la liberté : non des Temples, non des maisons d'oraisons, mais uniquement le culte public. Il s'en explique dans une lettre qu'il signe Denis, adressée à Chiron le 28 août :

« ... Vous avez sans doute ouï dire qu'il y a quelque chose sur le tapis en notre faveur. Nous sommes bien sûrs d'obtenir un Édit qui validera nos mariages ; mais nous en ignorons le détail et l'on ne paraissait, pas déterminé à nous accorder le culte public. C'est pourquoi on a fait un Mémoire, relatif à ce dernier objet, où l'on prouve :

1° Que les protestants se sont constamment exposés à toute la rigueur des lois pour conserver leur culte et que vouloir les en empêcher, c'est entreprendre l'impossible ;

2° Que, quand on pourrait les en sevrer, la bonne politique s'y opposerait, parce que ce serait les mettre dans le cas de tomber dans l'ignorance, dans le fanatisme, dans le dérèglement des moeurs » etc, Denis.

Chaque jour, les affaires prennent une meilleure tournure. On avance lentement, mais irrésistiblement. M. de Malesherbes (« très bon citoyen, duquel « nous avons à espérer »), et son digne ami, M. Turgot, répugnent à la violence et aux lettres de cachet. De concert avec de Breteuil et Lafayette, ils s'emploient avec zèle à hâter la promulgation de l'Édit de Tolérance.

Malesherbes publie deux importants Mémoires sur Les mariages des Protestants « réparant de son mieux, dit-il noblement, le mal que leur avait fait son aïeul Baville, l'Intendant de Languedoc ». Le comte de Saint-Florentin lui-même cède au courant ; et les portes des cachots s'ouvrent continuellement pour les martyrs. Dès le 28 décembre 1768, la sombre Tour de Constance est vide de ses prisonnières ; Marie Durand, le 14 avril précédent, avait obtenu sa grâce ; et les derniers galériens de Marseille pour « crime d'assemblée », reçoivent leur libération, le 30 septembre 1775.

Les suppliques se multiplient et tous les délinquants, avec facilité, obtiennent gain de cause.

Magnifique progrès enfin déclenché par l'héroïsme de toute la vie de Paul Rabaut et par la multitude de ses Écrits de toute sorte qui remplissent la Bibliothèque de Genève et celle du Protestantisme Français à Paris.
Les voeux, exposés dans ses nombreux Mémoires, sont tardivement, mais définitivement exaucés ; et les cultes, depuis si longtemps célébrés au Désert, se rapprochent peu à peu des villes, ne nécessitant plus de fatigants et de périlleux voyages à travers les landes et les bois.

Les Consistoires peuvent même se réunir en secret dans les villes, heureusement pour Paul Rabaut, âgé, usé, hors d'état de fournir l'épuisant travail de ses jeunes années. Ce qui ne l'empêche pourtant pas de se rendre à Marseille en juin 1768, et, dit-il à C. de Gébelin, « de s'y occuper de sa profession, non sans succès » ; il y séjourne trois semaines, visite les fidèles dispersés, reconstitue leur Église et réussît à leur donner un pasteur, dont elle était privée depuis longtemps.

Mais, de retour à Nîmes, il se sent fatigué plus que de coutume ; les idées de retraite commencent à naître dans son esprit ; il leur donnera suite, plus tard ; et, en attendant, il bénit Dieu d'avoir pu, après tant d'efforts, conduire sa lourde tâche jusqu'à l'aurore du succès.

Ce bonheur fut suivi d'un autre : celui de voir son fils aîné, Saint-Étienne, doué d'un talent de premier ordre, devenir son collègue dans l'église de Nîmes. Saint-Etienne, en effet, ses études théologiques finies à la Faculté de Lausanne, en était revenu trois ans après les lugubres affaires de Rochette, Grenier, Calas, Sirven, - en 1764. Il seconde aussitôt son père dans ses fonctions pastorales ; et, dès l'année 1765, le Consistoire de Nîmes, tant sont grandes pour lui sa confiance et son admiration, le nomme pasteur de cette grande église (9).

Soutenu par son fils, qui prend sur lui le gros de la charge, Rabaut reste en pleine activité. En 1763, il préside le Synode national (10), suivi d'une interruption de 109 ans, après laquelle fut tenu celui de 1872, en juin à Paris, dans le Temple du Saint-Esprit. Dans ce Synode de 1763, Paul Rabaut est chargé de représenter au Roi, par une Requête, les souffrances des protestants, résultant surtout de l'enlèvement des enfants, depuis 1750 ; Requête qui l'oblige à un travail considérable de recherches sur le nombre d'enlèvements et l'âge des enfants enlevés, la profession de leur père, la date de l'enlèvement, le lieu du couvent qui leur sert de prison. La cause est en bonne voie, mais non gagnée ; aussi lorsqu'en 1766, on parle de rebâtir des temples en Vivarais, il s'y oppose avec sagesse : « Mon avis est que, tandis qu'on nous « donne l'essentiel, nous ne devons pas nous cabrer pour l'accessoire qui pourrait, d'ailleurs, nous faire perdre l'un et l'autre. »

En 1769, il intervient pour obtenir la libération de quatre personnes de Mer, incarcérées depuis trois mois, pour « crime d'assemblée » et qui ne sont relaxées que parce qu'il est prouvé : a) qu'il n'y a eu dans l'assemblée que... de simples lectures ; b) qu'on n'y avait rien dit contre le service du roi ; c) et qu'on s'engageait à ne pas récidiver (11).

Toujours dans l'année 1769, il s'occupe énergiquement de la réhabilitation de Sirven ; les malheurs des autres sont les siens, et il se dépense pour eux, plus qu'il ne l'aurait fait pour lui-même. En rapport avec l'abbé Audra, professeur d'histoire au collège royal de Toulouse, qui était l'ami et le protégé de Voltaire, - il obtient de lui de mener cette affaire à bonne fin ; et il peut écrire à Chiron, le 6 décembre... « Je vous apprends que M. Sirven a été mis hors de cour par le juge de Mazamet. Il a appelé à Toulouse, où l'on ne doute point qu'il ne triomphe. C'est mon bon ami, M. l'abbé Audra, qui me l'a écrit et qui agit chaleureusement pour cet infortuné. » (12)

Mais tant de soins, de tout côté, l'accablent ; par moments, il est surmené : « Je n'ai pu faire ma lettre qu'à trois différentes reprises, dit-il. Ma maison est un chaos. » Les dernières captives de la Tour de Constance l'absorbent également; et, dans les grandes circonstances, c'est à lui qu'on en appelle. C'est ainsi qu'il est chargé de consacrer le jour de l'Ascension 1770, près de Nages, trois récipiendaires ; il y avait de 25 à 30.000 personnes. À cette même époque, il adresse une supplique au prince de Beauvau pour obtenir la grâce d'un déserteur ; et, le lendemain, il sollicite l'autorisation de vendre des biens-fonds et la main sur les biens des émigrés ; puis encore, il demande, - le culte étant tacitement toléré, un cimetière pour chaque communauté : tous ces divers faits, mentionnés, non pour leur intérêt ou leur importance, mais pour faire ressortir sa persistante activité, malgré son âge et le concours de son fils. C'est que Paul Rabaut est un de ces hommes qui, esclaves du devoir, vont au bout de leur tâche, tant qu'ils peuvent aller, qui ne se reposent que dans la tombe, et à propos desquels revient en mémoire ce mot d'un grand chrétien, très actif : « J'aurai toute l'éternité pour me reposer. »

Chaque jour qui s'écoule élargit, adoucit les coeurs et fait faire de nouveaux pas à la tolérance. Les réformés sont pleins d'espoir, sans être encore délivrés de toute crainte. On travaille beaucoup pour eux, à Paris. À la Cour même, au Parlement, dans l'armée, et jusque dans le Clergé, ils comptent non des amis, mais des esprits élevés qui jugent que 200 ans de martyre, c'est assez pour un peuple innocent ; que la force, d'ailleurs, ne tue point l'idée, et qu'il est temps, pour chacun, de respirer à son gré l'air de la liberté. En conséquence, leurs protecteurs, par leurs Mémoires, leurs projets, leurs livres, préparent l'opinion, l'aube nouvelle qui blanchissait à l'horizon, et ne se lassent pas de leur conseiller en deux mots : « Patience et silence ».
La suprême aspiration de cette époque est uniquement d'obtenir l'état civil, la validité des mariages et des baptêmes ; on croit toucher presque au terme tant désiré. Mais cet édit dépend en dernier ressort de Louis XVI, obstiné à continuer l'oeuvre de Louis XIV, en tout, - sans lui jamais porter atteinte, en rien. Le problème était donc de le convaincre qu'un Édit accordant l'état civil des protestants et anéantissant, par conséquent, l'oeuvre des prédécesseurs, n'en est que la continuation. Le roi a d'abord, quelque peine à comprendre et les gens de la Cour ne l'y aident pas.

Un Comité provincial est formé pour mieux défendre les intérêts des Églises ; Paul Rabaut, Pradel, Guizot, en font partie ; Court de Gébelin est à Paris, le Correspondant ; il fait tout ce qu'il peut, dit Rabaut à Chiron, mais il est très entravé. « Je ne sais si quelqu'un l'a été jamais à ce point-là »,

Des bruits circulent partout, chimériques encore, annonçant la tolérance. Rabaut, Court de Gébelin, Elie de Beaumont, La Chalotais, Ripert de Montclar multiplient leurs Mémoires et leurs démarches (13). La détente augmente tous les jours ; les Assemblées se tiennent près des villes. les foules y accourent par milliers ; nul ne s'en inquiète et, parfois même, on y voit des catholiques, curieux de savoir en quoi consistent ces assemblées qui ont fait tant de bruit. Chose plus significative, - une Communauté a la hardiesse de relever les murailles de son Temple il est vrai qu'on l'obligea à les démolir de nouveau c'était un peu prématuré ; car, jusqu'en 1782, l'État fut intraitable à cet égard.

Mais on substitue aux Assemblées en plein air ce qu'on appelle des Maisons d'oraison, - transition entre le Culte au Désert et le Culte au Temple.

Paul Rabaut tressaille de joie, à la vue des incessants progrès vers la victoire finale. Plus le but est élevé, difficile, et plus on est heureux de constater que, l'un après l'autre, les obstacles sont surmontés. Il n'ignore pas, dans sa sagesse, que, d'un seul coup on ne peut vaincre ; mais il attend avec cette intuition, cette certitude morale qui ne trompe pas, « voyant l'invisible », comptant sur « les voies de Dieu qui ne sont pas nos voies », espérant d'année en année le relèvement d'un peuple qui ne veut pas mourir, - la résurrection d'un évangile qu'on peut dénaturer, mais non détruire, - et d'une liberté qui couve sous la cendre, dont l'explosion éclairera et vivifiera le monde entier. Tout cela, il le croit de toute son âme ; il croit à la restauration prochaine des Églises, de l'Évangile, de la liberté. Or, croire ainsi, c'est déjà vaincre par anticipation.

Certes, les avant-coureurs de la victoire se multiplient ; mais on est dans une période de transition toute enchevêtrée de négociations, où se heurtent le pour et le contre, - où le passé est aux prises avec l'avenir, et où les lois, - non abrogées, mais généralement tombées en désuétude, - font encore ça et là, sentir leur aiguillon, suivant le caprice des gouvernants; ainsi, le 7 juin 1774. six lettres de cachet sont encore envoyées à Mauvezin contre des protestants ; - à Ferrières, Haut-Languedoc, un procès-verbal est dressé contre une Assemblée religieuse ; - et, à Nîmes, les fidèles, ayant porté chaises et bancs dans une Assemblée, le comte de Saint Florentin, offusqué de cette licence, ordonne de les enlever, ce qui est fait aussitôt. Paul Rabaut en écrit au subdélégué de Nîmes...

« nos protestants seront mal à l'aise, assis par terre, pendant quatre heures que dure l'exercice ; heureux encore de n'être pas obligés, comme autrefois, de prendre la fuite et de ne pas risquer la galère... les mesures sont déjà prises pour faire enlever tout cela. Je ne manquerai point aussi de recommander qu'on se retire, prudemment et sans trop d'éclat. Mais, quoi qu'on fasse et quelque précaution qu'on prenne, il est impossible que. huit ou neuf milles personnes ne fassent sensation. En un mot, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour que tout aille, selon les intentions de Mgr. le prince de Beauvau, - non seulement à cette occasion, mais en toute autre. Sujet soumis, zélé patriote, la volonté du roi et le bien public seront toujours, comme elles l'ont été, les règles de ma conduite. » (14)

Comme compensation à ces tracasseries mesquines, il est heureux de bénir, le 31 octobre 1768, le mariage de son cher fils, Saint-Etienne et, plus tard, de voir Turgot aux affaires publiques. Turgot est, en effet, pour la liberté de pensée et de conscience ; il a déjà publié Le Conciliateur, plaidoyer pour la tolérance (15). « Nous avons bien besoin, écrit Rabaut le 10 août 1774, que M. Turgot vienne à notre secours ; car, certains ecclésiastiques, dignes chefs de la plus cruelle Église qu'il y eut jamais, remuent ciel et terre pour faire remettre en vigueur les lois pénales. J'espère que Dieu confondra leurs desseins et qu'à l'ombre de sa protection, nous jouirons de quelque repos. » (16)

Animé du même esprit que Turgot, le Ministre de la guerre dit, dans ses instructions au comte de Clermont-Tonnerre, commandant du Dauphiné, de traiter les Protestants avec douceur : le roi ne veut punir ni délits ni délinquants (17).

À cette même date, malgré ses fatigues, Paul Rabaut ne met aucune trêve à son travail ; car une kyrielle d'affaires se succèdent sans interruption et ne lui laissent aucun relâche ; pas un instant dans son long ministère, il ne cesse d'être l'âme du Protestantisme et la ressource des petits ; et, par son influence si étendue, il contribue puissamment à transformer les moeurs qui deviennent plus fortes que les Édits.

Mais il souffre toujours des tiraillements des Églises sous le feu de l'ennemi. Il s'en explique avec Chiron, le 1er mai 1777 : « Notre Synode s'est tenu. Je n'y ai point assisté : c'est un chaos et un sujet de fatigue qui commence à m'incommoder, parce que je ne suis plus jeune. » Et Chiron de lui répondre : « Je suis affligé du peu d'harmonie qu'il y a entre nos frères et de l'inquiétude que cela vous cause. »

Cependant, l'heure vient où ses forces trahissent sa volonté. En 1785, moins par l'âge (il a 67 ans) que par ses fatigues et ses infirmités, - il est contraint, bien malgré lui, à demander « sa vétérance », sa retraite, au Consistoire de Nîmes. Celui-ci, déférant à son voeu, prend une délibération qui est un beau titre d'honneur et que nous transcrivons, malgré sa longueur :

« Considérant que pendant le cours d'un si long Ministère, M. Paul Rabaut n'a cessé de montrer réunis en lui les lumières, les talents, les vertus et le zèle d'un fidèle ministre de Jésus-Christ, tel qu'il nous est dépeint par l'apôtre Saint Paul : « irrépréhensible, sobre, prudent, grave, propre à enseigner, ni violent, ni porté au gain déshonnête, mais modéré, éloigné des querelles. exempt d'avarice, ayant un bon témoignage de ceux hors de l'Eglise » ;

« Que, dans les temps orageux par lesquels l'Eglise de Nîmes a passé, il a affermi les fidèles dans la foi par sa doctrine, - contenu dans la patience et dans la soumission ceux que les malheurs des temps auraient pu aigrir, - et inculqué à tous les devoirs que l'Évangile prescrit envers le Souverain et le Gouvernement établi ;

« Qu'il a, dans les fâcheuses circonstances, montré une fermeté et une constance inébranlables et vraiment chrétiennes, exposant généreusement sa vie aux périls les plus imminents pour le salut de son troupeau, en sorte qu'on peut le regarder à juste titre comme l'Apôtre et le restaurateur de l'église réformée de Nîmes ;...

« Qu'à ces vertus vraiment pastorales il a joint les qualités du patriote et du citoyen, rapprochant les esprits divisés, conciliant les intérêts divers, procurant la paix entre tous et devenant l'arbitre de tous les différends, même parmi nos frères catholiques Romains ;

« Que la connaissance de son caractère, modéré, sage et prudent, parvenu aux dépositaires de l'autorité du roi de cette province, lui a mérité leur estime et leur confiance et n'a pas peu contribué à la tolérance dont nous jouissons aujourd'hui ; (18)

« Par toutes ces considérations, l'Assemblée voulant témoigner sa juste reconnaissance, sa vénération et son amour à M. Paul Rabaut et le mettre en état de soigner sa santé que ses travaux ont déjà altérée, a unanimement délibéré de lui accorder une pleine et entière liberté, relativement à l'exercice des fonctions de son ministère, le laissant désormais le maître de s'en abstenir, lui conservant néanmoins pendant sa vie, le titre, les droits et les honoraires de pasteur de l'Eglise de Nîmes, tels qu'il en a joui jusqu'aujourd'hui. »

Il survit neuf ans à cette décision si flatteuse. Il continue à s'occuper activement, dans la mesure du possible, de son Ministère et des intérêts généraux du Protestantisme. Il lui est donné, dans cet intervalle, d'assister à de grands événements : d'abord. à la victoire finale, à la victoire tant rêvée, qui lui a coûté si cher, mais dont il ne regrette pas le prix ; puis, aux scènes tragiques de la Révolution qui, en décrétant la liberté, n'en fait pas moins, en 93, un terrible abus, dont pâtissent Paul Rabaut et ses enfants : dernières épreuves physiques et morales réservées à notre glorieux héros.

Bien avant la Révolution déjà, les sévérités gouvernementales ne se font plus sentir. On vit dans l'attente du monde nouveau qui se prépare et l'on en goûte les prémices. Les pasteurs ne sont plus inquiétés, vont et viennent librement.
Profitant de ce temps de faveur Paul Rabaut avait acheté, près de la Fontaine, à Nîmes, un emplacement. Il y avait fait bâtir la maison qui fut l'abri de ses derniers jours, et son tombeau après sa mort. (19)

Un grand effort est fait en 1786. Saint-Etienne venait de succéder à Court de Gébelin, comme agent officieux des Églises réformées. L'illustre général marquis de Lafayette, arrivé d'Amérique, après avoir chevaleresquement contribué à la fondation de la République, a été chargé par Malesherbes d'une mission délicate en faveur des protestants Français ; il en fait confidence à Saint-Etienne, pendant un voyage d'enquête en Languedoc et voilà aussitôt partie liée entre eux. En décembre 1785, Saint-Etienne s'installe à Paris, où il sera beaucoup mieux placé pour soutenir la cause de ses coreligionnaires et pour mieux préparer l'Édit de tolérance, si lent à venir. Tous deux, pendant deux ans, travaillent à la préparation de cet Édit de 1787, auquel Malesherbes et quelques ardents amis des principes modernes ont déjà mis la main.

On peut alors, à la veille de l'Édit, en 1786 et 1787, se faire une juste idée de la situation des Protestants, par l'examen de la correspondance des Ministres avec les Intendants, les gouverneurs et des magistrats. On voit, dans les minutes originales des innombrables dépêches de la Chancellerie, quelle est la politique du gouvernement vis-à-vis des Réformés. En dépit des excitations, des exigences, et des accusations du clergé contre les protestants, les pouvoirs publics ferment systématiquement les yeux et les oreilles à ce qu'ils voient et à ce qu'ils entendent, - pourvu que les protestants n'abusent pas de la latitude qu'on leur laisse, pourvu qu'ils n'aient par, l'air de prendre pour des droits ce qui n'est que simple complaisance. Rien ne gêne plus ni assemblées, ni fonctions pastorales s'ils évitent le bruit ou l'attention., (20)

Enfin, l'heure sonne des dernières convulsions du fanatisme. Non sans longues tergiversations, le Conseil du Roi se réunit et décide que « la chose se fera à Fontainebleau. » Après maintes difficultés le Roi, la main forcée (21), passe pardessus ses répugnances et signe à Versailles, le 17 novembre 1787 (102 ans après la Révocation de l'Édit de Nantes), ce nouvel Édit qui réintègre les protestants dans une faible partie de leurs droits naturels. Et Paul Rabaut de s'écrier en l'apprenant : « Béni soit Dieu qui a brisé les chaînes de l'esclavage ! »

C'est alors, qu'après 48 ans de mariage, il a la douleur de perdre son héroïque compagne ; elle avait eu en mourant la consolation d'apprendre que l'Édit de tolérance allait être signé.

Louis XVI s'imagine en avoir fini par cet octroi aux dissidents de l'Édit réparateur, Édit de tolérance et nom de liberté, - grand progrès vers le but, mais non le but ; simple restitution de l'état civil aux protestants pour la régularisation de leurs mariages, de leurs baptêmes, de leurs décès, et tolérance des Assemblées de culte ; important bienfait au regard du passé, mais insuffisant au regard de l'avenir.

Heureusement, l'avenir n'est pas loin ; la tempête révolutionnaire éclate en 89 ; et c'est au fils même de l'Apôtre du Désert, de celui qui, pendant 50 ans, avait défriché, semé, arrosé de ses sueurs et de ses larmes, le champ de la liberté, - c'est au fils de ce héros martyr, qu'appartient là gloire de moissonner cette liberté sainte.
Nommé le premier par la Sénéchaussée de Nîmes à la Constituante, il y prononce, une harangue enflammée qui soulève un applaudissement universel et fait triompher le principe de la liberté (22).

En voici quelques fragments : « Je remplis une mission sacrée, j'obéis à mes commettants. C'est une sénéchaussée de 360.000 habitants, dont plus de 120.000 sont protestants qui a chargé ses députés de solliciter auprès de vous le supplément de l'Édit de novembre 1787... Vos principes sont que la liberté est un bien commun et que tous les citoyens y ont un droit égal. La liberté doit donc appartenir à tous les Français, également et de la même manière. Tous y ont droit, ou nul ne l'a ; celui qui la distribue inégalement ne la connaît pas ; celui qui attaque en quoi que ce soit la liberté des autres, attaque la sienne propre et mérite de la perdre à son tour, indigne d'un présent dont il ne connaît pas tout le prix, » « Vos principes sont que la liberté de la pensée et des opinions est un droit inaliénable et imprescriptible. Cette liberté est la plus sacrée de toutes... la contraindre est une injustice, l'attaquer est un sacrilège... »

« Ce n'est pas même la tolérance que je réclame, c'est la liberté. La tolérance ! le support ! le pardon ! la clémence ! idées souverainement injustes envers les dissidents, tant qu'il sera vrai que la différence de religion, que la différence d'opinion n'est pas un crime. La tolérance ! je demande qu'il soit proscrit à son tour, et il le sera, ce mot injuste qui ne nous présente que comme des citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels on pardonne I... »

« Je demande pour tous les non catholiques, ce que vous demandez pour vous : l'égalité des droits, la liberté ; la liberté de leur religion, la liberté de leur culte, la liberté de le célébrer dans des maisons consacrées à cet objet ; la certitude de n'être pas plus troublés dans leur religion que vous ne l'êtes dans la vôtre ; et l'assurance parfaite d'être protégés comme vous, autant que vous, et de la même manière que vous, par la commune loi... ».

Ce discours détermine un enthousiasme délirant et un vote unanime. Une seuleréserve suit sa motion ; mais, le 24 décembre 1789, elle disparaît devant ce décret explicite : « Les non catholiques sont capables de tous les emplois civils et militaires, sans exception. »
Et une application frappante en est faite, le 15 mars 1970, par l'Assemblée Nationale qui élit pour son président, Rabaut Saint-Etienne. Comme il succédait à l'abbé de Montesquiou, son élection provoqua un beau vacarme dans le camp monarchique (23).

On peut se représenter la profonde émotion que dût ressentir son vieux père, le héros du Désert, maudit, proscrit, condamné au gibet et qui a l'immense joie de saluer l'avènement de la liberté, objet de tous ses rêves, - qui voit ses deux fils aînés membres de l'Assemblée Nationale, - qui peut savourer le triomphe du droit, de la justice, et qui reçoit de son Saint-Etienne une lettre se terminant par ce mot lapidaire : « le Président de « l'Assemblée Nationale est à vos pieds. »

S'il est vrai que, selon le mot du grand tragique, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » - quelle gloire que le triomphe après tant de périls !
Mais, hélas ! les périls pour Paul Rabaut n'ont point encore pris fin ; seulement la source en est différente.
Aurait-il pu jamais croire qu'après tous ses combats du Désert pour la tolérance et la liberté, il serait un jour victime de cette liberté si patiemment attendue, si laborieusement conquise ? C'est pourtant ce qui lui arrive.
Et, comme il n'y a rien de pire que la corruption de ce qu'il y a de meilleur, la liberté dégénérant en licence aboutit à d'abominables excès. L'année 1793 et les suivantes en fournissent une terrible démonstration.

Auparavant, et comme pour adoucir les amertumes qui vont suivre, il goûte une douce satisfaction, celle de participer, le 29 mai 1792, à la dédicace du premier Temple qui est érigé, en pleine ville de Nîmes, depuis la Révocation, et d'y prononcer la prière de consécration. Il fait chanter le cantique de Siméon : « Laisse maintenant, Seigneur, ton serviteur aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut. » Il versa d'abondantes larmes de joie et de reconnaissance. Il a alors 74 ans d'âge, 54 ans de ministère et quel ministère ! (24)

Mais à cette grande joie succède bientôt une grande douleur : il est navré de voir la liberté compromise dans les excès de la révolution, de voir les persécutions religieuses de la Terreur remplacer celles des rois de France ; navré des atroces luttes de la Convention, des orgies de sang qui en sont la conséquence ; et il en est à se demander presque si toute une vie comme la sienne, dépensée pour la liberté, ne l'aura pas été en pure perte ; il est navré de voir ses deux fils, pasteurs, dans cet affreux tourbillon, menacés du couperet de la guillotine, Saint-Etienne et Pomier. Hostiles au despotisme de Robespierre et des sections, poursuivis comme ennemis de la liberté et de la patrie, ils se réfugient chez une famille catholique amie. Découverts pendant une perquisition faite pour saisir les preuves d'un complot (25), ils sont arrêtés le 5 décembre 1793. Pomier est écroué à Villeneuve-de-Berg et délivré à la réaction du 9 thermidor, après la mort de Robespierre. Quant à Saint-Etienne, il subit un interrogatoire sommaire qui met dans son jour la forte trempe de cette belle lignée. Voici d'après Salverte (26) ce qu'en dit le conventionnel Le Borgne : Il fut condamné, le 14 frimaire an II, le jour même où je fus interrogé. J'avais les mains liées et c'était un signe de condamnation ; on me mit dans le dépôt où étaient les condamnés. Rabaut y fut amené ; il s'écriait : « Le voilà donc ce tribunal de sang, ces juges impies qui vont déshonorer la République ! »

Les gendarmes lui dirent : « Tais-toi, fais comme ce jeune homme qui est condamné et se soumet. » Je crus devoir réclamer, Rabaut ne me laissa pas achever. - « Eh ! mon ami, on ne se donnera bientôt plus la peine d'entendre les accusés, nous sommes entre les mains des assassins. » Je fus conduit jusqu'au guichet, la dernière demeure des victimes. On allait me couper les cheveux ; Rabaut se joignit à moi pour dire que je n'étais pas encore condamné. Un guichetier vint aussi à mon secours, en affirmant le fait qui était vrai ; Rabaut m'embrassa. Je vois encore ses yeux étinceler d'horreur pour ce crime d'un nouveau genre et il oubliait celui que l'on commettait à son égard. »

Saint-Etienne est décapité dans les vingt-quatre heures, sur la Place de la Révolution, aujourd'hui Place de la Concorde (27). Après qu'il avait été mis hors la loi, sa femme, folle de désespoir s'était jetée dans un puits. Quant aux amis, mari et femme, qui lui ont offert un généreux asile, ils montent à leur tour sur l'échafaud comme traîtres à la patrie.

Le vieux Paul Rabaut, fort de la force de Dieu, résiste à de tels coups. Mais, arrêté à son tour, ainsi que tous les ecclésiastiques de toutes les églises, il est mis en demeure, comme eux, d'abdiquer ses fonctions et son titre, de « rentrer dans le civil. »

Or le refus entraîne la prison, l'exil, ou la mort. Beaucoup se sauvent en apostasiant ; ce fut le cas de deux jeunes collègues de Paul Rabaut. Mais celui-ci se redresse et, dominant les menaces, refuse énergiquement aux sommations des persécuteurs, « de rentrer dans la classe commune des citoyens, « en sacrifiant son titre de pasteur. » Trop fier de ce titre, il ne le répudiera, pas. L'ayant gardé sous la croix, bien qu'il l'exposât chaque jour à la potence, ce n'est pas à la dernière heure qu'il en fera lâchement l'abandon et il le revendique hautement devant l'échafaud de la Révolution.

Arrêté et condamné à la prison pour ce motif et aussi, comme père de citoyens « mis hors la loi », il est conduit ou plutôt porté à cause de ses infirmités dans la citadelle de Nîmes, au milieu des outrages d'une populace en démence. Il y est retenu du 25 juillet au 12 septembre 1794 ; et, l'âme navrée de tant d'épreuves, le corps brisé de privations et de douleurs, il s'éteignit dans sa propre maison, - treize jours après sa mise en liberté, âgé de 76 ans huit mois.

Il mourut, certain, malgré tout, que la liberté refleurirait après la bourrasque révolutionnaire et plein d'espérance en la patrie céleste, où, enfin, il trouverait le repos, la perfection, le bonheur, que la terre ne donne pas.

Il fut inhumé par ses amis dans un bien étroit espace, dans la cave de sa maison. Du reste, c'était pour les Huguenots, l'usage du temps. Les cimetières leur étant refusés, ils se trouvaient réduits à enterrer leurs morts nuitamment, soit dans les maisons, soit dans les champs. Et, comme aucun signe n'existait sur sa tombe et que la tradition était la seule garantie que ce fût la sienne, on voulut s'en assurer (28) le 12 décembre 1882, on fit des fouilles qui ramenèrent à jour des ossements, parmi lesquels le tibia incurvé, conforme au signalement officiel sur sa jambe, « courbée en dedans » ; la preuve était faite, quatre-vingt-neuf ans après l'inhumation.

Sa maison, achetée par un protestant, était devenue, en 1826, L'Asile des Orphelines du Gard. Une pierre funéraire fut déposée sur ses dépouilles, et sur la pierre, on grava cette inscription

PAUL RABAUT
l'Apôtre du Désert né à Bédarieux le 29 janvier 1718,
Décédé à Nîmes le 25 septembre 1794.
« Il se repose de ses travaux et ses oeuvres le « suivent. Apoc. XIV, 13. »

Dans une pièce du rez-de-chaussée qui était la chambre à coucher de Paul Rabaut et qui est actuellement la salle d'école des orphelines, on a placé sur le mur un marbre noir, avec cette inscription

ICI EST DÉCÉDÉ
PAUL RABAUT
Pasteur du Désert
au service de l'église de Nîmes sous la Croix,
pendant cinquante-six ans

Au-dessus de la pierre tombale a été accroché son grand portrait à l'huile que l'on dit très ressemblant.
Telle fut l'humble fin de cet humble et glorieux héros de la foi.

Les divines semences de vérité et de liberté qu'il jeta dans les sillons de l'avenir furent arrosées de ses larmes et sans cesse saccagées par la plus implacable persécution qui fut jamais. N'importe ; son intuition ne le trompait pas. Peu à peu, la moisson lève, subit des arrêts, des destructions ; mais il reste toujours le germe qui reprend, grandit, mûrit et, finalement, les arrière-neveux moissonnent et jouissent : la faiblesse l'a emporté sur la force et la liberté sur la tyrannie.

Au monde ancien, la révolution de 89 a substitué un monde nouveau ; et quelques années après, au couronnement de Napoléon 1er la liberté des cultes la plus complète, conquise par le peuple français, est reconnue en ces termes adressés par l'Empereur à la délégation des Protestants : « L'empire de la loi finit où commence l'empire indéfini de la conscience. La loi, ni le Prince, ne peuvent rien contre cette liberté ; et si quelqu'un de ma race oubliait le serment que j'ai prêté... je vous autorise à lui donner le nom de Néron. »

Ainsi, la plus belle des victoires couronne la plus sanglante des Persécutions.
Tel est l'aboutissement de deux cents ans d'une oppression sans égale dans l'histoire, où le fanatisme clérical et la tyrannie royale font litière de toutes les lois de la justice et de l'humanité.

« L'homme s'agite et Dieu le mène. » Dieu règne ! et ses voies ne sont pas nos voies.

TOMBEAU DE PAUL RABAUT
dans les caves de l'orphelinat protestant de Nîmes.

Table des matières

Page suivaSA PRÉDICATION


(1) Lettres à Court, I, 62, 214, 222, 259, 318, 344.

(2) Lettres à divers, II, 309.

(3) Lettres à divers, II, 309, 326.

(4) Lettres à Court, II, 264, 265.

(5) Lettres de P. Rabaut à divers, I, 392,

(6) Lettres de P. Rabaut à divers, I, 393.

(7) Lett. à divers, II, p. 104, 112.

(8) Paul Rabaut, Lettres à divers, Il, p. 200.

(9) Le second fils de Paul Rabaut, Rabaut-Pomier, fut nommé pasteur à Montpellier, puis, à Paris ; - et son troisième, Rabaut-Dupuis, demeura à Nîmes et s'adonna au commerce. Remarquons qu'il fallait à Paul Rabaut et à ses enfants une foi bien profonde et un amour bien ardent des Églises Réformées, pour se consacrer, malgré tout, à un ministère si douloureux et si périlleux.

(10) V. Lett. à divers, I, 325, 328 ; II, 41.

(11) Lettres de P. Rabaut à divers, II, p. 109.

(12) Lettres de P. Rabaut à divers, II, p. 111.

(13) Histoire du Protestantisme dans l'Albigeois et le Lauragais, II, 383, par Camille Rabaud.

(14) Lettres de P. Rabaut à divers, II, 83, 86.

(15) Appelé au ministère de la marine par Louis XVI, un mois après il fut nommé contrôleur général des finances.

(16) Lettres de Paul Rabaut à divers, II, P. 161.

(17) Lettres à divers, Il, 172.

(18) Tolérance de fait, non de droit encore.

(19) Lettres à divers, I, 443. La rue reçut le nom de Monsieur Paul ; elle s'appelle aujourd'hui rue Rabaut-Saint-Etienne.

(20) Bulletin historique et littéraire du Protestantisme français, Tome XXXVI, p. 539, 540, 541, 542, 543.

(21) A son avènement, chaque roi de France signe l'engagement « d'exterminer l'hérésie ».

(22) « Il arriva à Versailles, précédé d'une grande réputation de savoir et d'éloquence. Ses admirateurs le plaçaient même au-dessus de Mirabeau et, jouant sur les mots, disaient que le député de Provence n'était qu'un Mi-Rabaut. »
(Armand Lods, Essai sur la vie de Rabaut Saint-Etienne, p. 10).

(23) Représentant de l'Aube à la Convention, il présida cette assemblée en Janvier 1793, après Vergniaud.

(24) Après la Révolution beaucoup de Communautés obtinrent des Municipalités l'usage de quelques Églises ou Chapelles et les protestants de Nîmes reçurent la chapelle des ci-devant Dominicains, au frontispice de laquelle se lisaient ces mots : « Paix et liberté. »

(25) V. le procès-verbal d'arrestation dans Bulletin, 1895, p. 544 et l'article d'A. Lods dans la Révolution française, 1903, p. 354.

(26) Il cite dans son Tableau littéraire du XVIIIe siècle un écrit de Le Borgne : L'ombre de la Gironde à la Convention.

(27) V. Le pasteur Rabaut-Pomier, membre de la Convention Nationale, 1744-1820, par Armand Lods, docteur en droit.
Essai sur la vie de Rabaut-Saint Étienne, membre de l'Assemblée Constituante et de la Convention Nationale, 1743-1793, par Armand Lods, docteur en droit.
Lettres de Paul Rabaut à divers, par Picheral-Dardier, II, 389.
Lettres de P. Rabaut à Court, par Picheral-Dardier, I, 1021.

(28) Un petit-neveu se souvenait d'avoir aidé à descendre le corps au bas de l'escalier tournant à gauche, près de la fenêtre, ; ce fut son petit-fils qui fit là, avec succès, les sondages en 1882. 

 

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