Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



PAUL RABAUT

Apôtre du Désert


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CHAPITRE I
MILIEU HISTORIQUE

« Nous vivons de nos morts, tandis qu'il faudrait vivre comme nos morts vécurent »

Il est des milieux qui façonnent et grandissent les hommes et, par contre, il est des hommes qui transforment leurs milieux et les marquent fortement de leur empreinte.
Ce fut le cas de Paul Rabaut ; le milieu l'éleva jusqu'au génie du sacrifice, mais, de son côté, il exerça sur son milieu une action profonde et lui inspira un esprit d'héroïsme chrétien.

Commençons par le placer dans le cadre où il est né et où il a vécu, dans les lieux qui furent les témoins de ses douleurs et de ses exploits.
Au début de son apostolat, la Révocation de l'Édit de Nantes, - préparée par 400 Édits persécuteurs, inspirée par Madame de Maintenon, dictée par le Clergé, et signée par Louis XIV - avait exercé ses premiers ravages ; en quinze jours, 1.500 pasteurs, 2.000 anciens, 3.00 gentilshommes sont contraints de quitter la France ; et bientôt, 400.000 des meilleurs citoyens vont chercher en d'autres pays, avec la sécurité de leur vie, la liberté de leur culte.

Quant à ceux qui sont dans l'impossibilité de s'expatrier, ils vivent dans une continuelle inquiétude, en présence d'un despotisme sans scrupules et d'un fanatisme sans frein. Les victimes de cruautés sans exemple se comptent par milliers. Jésuites et dragons, pieusement associés, font rage : temples rasés et 385 églises catholiques bâties avec leurs décombres, ministres pendus, assemblées fusillées, enfants volés, familles ruinées et dispersées... tel est le bilan de l'inhumaine dévastation. C'est l'anéantissement des communautés protestantes, la désorganisation sociale de tout un peuple. Il en résulte un affolement général, une violente exaltation des esprits, une fuite éperdue dans toutes les directions, sur les montagnes, dans les bois, sur les mers. Il se produit comme une sorte de folie religieuse, des convulsions, des apparitions, des visions, des auditions de psaumes chantés par les anges dans les nues. C'est l'ère du Prophétisme huguenot, des petits prophètes et des petites prophétesses (1) - phénomène psychologique, baptisé du nom de Monomanie religieuse par la Faculté de médecine de Montpellier.

Une autre conséquence est le départ d'un tel nombre d'officiers, de marins, d'ingénieurs, d'industriels, de professeurs, d'agriculteurs, d'artisans en tout genre, - que la France, comme saignée à blanc, s'en trouve appauvrie, affaiblie, que le désarroi devient général et que les peuples étrangers s'enrichissent de nos dépouilles, de nos inventions, de notre Culture.

Calamité nationale, blessure au coeur de la patrie qui, en perdant la portion la plus éclairée, la plus pondérée des citoyens, perd un contrepoids, dont l'absence se fit plus tard cruellement sentir ; peut-être ce contrepoids eût-il épargné à la France, la terreur de 93 ; et, peut-être aussi, de nos jours, les violences et les versatilités des partis politiques en auraient-elles été atténuées. Toujours est-il que ces coups, dont le contre-coup s'étend sur la durée des siècles, justifient cette parole que « le méchant fait une oeuvre qui le trompe ».

Dans le milieu si extraordinaire où l'on vit alors, dans ce milieu si surchauffé, on est dans un état de perpétuelle angoisse ; les esprits s'enflamment au moindre choc, et en viennent aux résolutions extrêmes. Sans cesse harcelés et impuissants à faire fade à tant de maux, ils cherchent le secours en dehors d'eux-mêmes ; ils se tournent vers Dieu qui « protège à main forte et à bras étendu » et redisent avec une confiance robuste : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Mus comme par un ressort et leur énergie décuplée ils deviennent capables de tous les sacrifices, heureux même de se donner tout entiers, d'être gratifiés du martyre, pour « recevoir la couronne de gloire. ».

Or, comme toute plante croît avec vigueur dans un sol approprié à sa nature, le jeune Paul Rabaut, ardent, généreux, et respirant de bonne heure cette atmosphère embrasée, se forme prématurément à la force d'âme et aux enthousiastes élans qui disposent aux grandes actions et à l'héroïsme de la foi.


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CHAPITRE II
FAMILLE ET JEUNESSE DE PAUL RABAUT

« Quoi qu'il arrive, je suis entièrement soumis aux ordres de la Providence. » Lett. à Court, I, 49.

Naturellement préparé à sa mission par le milieu historique et social si exceptionnel où il grandit, Paul Rabaut y est aussi et surtout préparé par le milieu plus intime de la famille où il puise une piété vivante et une forte impulsion au bien qui ne le quittent plus.

Sa famille, en effet, est une humble famille de vieux huguenots qui professe passionnément le culte des traditions ancestrales ; elle tient pour sacrés les principes chrétiens, et elle écoute la voix de la conscience, comme la voix de Dieu.
Elle habite le Pont-de-Camarès, dans l'Aveyron. Toutes les carrières libérales étant fermées aux Protestants, il ne leur restait plus pour toute ressource que l'agriculture, la banque ou l'industrie. Et comme il existait à Bédarieux de nombreuses fabriques de drap, pour le Levant (2), c'est à Bédarieux que, le 1er septembre 1714, émigre un Paul Rabaut, cardeur de laine, pour y vivre de son travail. Il y épouse Marie Jean, fille de Pierre Jean et de Marie Gaches de Bédarieux (3). De cette union naquit le 29 janvier 1718 un enfant mâle, qui reçut le nom de Paul, qui fut baptisé en l'église de Saint-Alexandre, et qui devint le célèbre pasteur du désert (4). Le clergé tenant les registres de l'état civil, c'est un prêtre qui l'ondoya, comme aussi un prêtre avait marié son père et sa mère.

Élevé par ses parents dans l'amour de Dieu et la connaissance des Saintes-Lettres qu'on lisait tous les soirs en famille, il en reçoit des impressions premières qui restèrent ineffaçables et qui, de bonne heure, se font jour au point qu'envoyé dans une modeste école ses petits camarades l'appellent en s'amusant : « le ministre de Charenton », le Temple de Charenton ayant conservé un grand renom. Sous son toit familial, le jeune Paul, chaque jour, sentait s'épanouir ses sentiments pour Dieu et pour sa patrie spirituelle (5).
En outre, il est souvent en contact avec des prédicants du désert ; « si les oiseaux du ciel « ont des nids et les renards des tanières », ces prédicants n'ayant pas de logement fixe, ne sachant pas le matin où ils coucheront le soir, errent de caverne en caverne, et, quand ils le peuvent, de maison en maison, - toujours en garde contre les espions et les dragons, car, s'il y a une prime pour ceux-ci, il y a la potence pour ceux-là.

De terribles peines, les galères ou la pendaison, frappent les gens compatissants qui, par pitié pour ces malheureux fugitifs, parias de la société, les hospitalisent. Et cependant, glorieux symptômes de ces temps héroïques, ils sont nombreux dans les campagnes et dans les villes, ceux qui s'exposent à de si durs châtiments, en offrant gîte et couvert à ces proscrits. Les parents de Paul Rabaut se font un devoir et un honneur de donner, à l'occasion, un abri à ces hors-la-loi. En cachette, le soir, les prédicants frappent discrètement à leur porte qui s'ouvre et se referme vite. Alors, en toute sécurité, ils jouissent en plein des douceurs du foyer ; et, pendant la veillée, ouvrant leur âme, ils s'épanchent en longs et touchants récits sur les assemblées, les incidents dramatiques, les surprises, les captures ou les évasions.

Et le jeune Paul Rabaut est là, l'oreille tendue, le coeur haletant et recueilli. Il frissonne à ces récits ; et, son imagination le transportant au milieu des scènes émouvantes de cette vie constamment disputée à la mort, il rêve du sublime courage des prédicants et du divin martyre qui les attend.

De l'école de la ville, il passe à ce que l'on appelait l'École volante du Désert, où il apprend les éléments de l'instruction religieuse. Ces écoles, tenues çà et là, dans les villages, en temps d'accalmie, réunissent les enfants de douze à quatorze ans. Un pasteur est affecté à chaque école particulière. Et c'est en général dans ces écoles, où l'enseignement est si intermittent, que se recrutent les jeunes gens intelligents et pieux auxquels on inspire le goût du ministère ; on les envoie ensuite dans les facultés de théologie ; mais, déjà dans ces écoles, ils reçoivent des leçons de foi et de dévouement, au contact de ces pasteurs voués au supplice et dont la parole et l'exemple leur sont une perpétuelle initiation.

Dès l'âge de quinze ans, et plusieurs fois, Paul Rabaut sert de guide à des pasteurs étrangers hébergés chez son père et qui, ne connaissant pas le pays, ont besoin d'être conduits en des sentiers peu fréquentés, à travers les bois et les gorges des montagnes, - premier apprentissage du désert ; attentif, pendant la marche en pleine campagne, aux « battues » de la maréchaussée et des dragons, et vivant ainsi dans un état de surexcitation chronique, il sent insensiblement naître en lui ce qu'on appela « l'esprit du désert », la vocation du martyre, le besoin de se donner tout entier à Dieu et à son royaume terrestre.

Nul doute que le milieu social, le milieu familial, le milieu du désert et la fréquentation des prédicants, toujours sous le glaive, n'aient puissamment contribué à tremper son noble coeur, déjà naturellement prédisposé pour tout ce qui est bon et généreux,

Il suit assidûment les Assemblées ; il y fait la lecture ; parfois même, bien doué pour la parole, il s'essaye, dans quelques réunions privées, à de familières allocutions, fort appréciées.
Finalement, à seize ans, bien ancré dans sa résolution, « il prit le désert », suivant l'expression du temps (6).

Dans l'école ambulante, tenue par un pasteur itinérant, il a pour instructeur le pasteur Jean Bétrine que, dès ce moment, il accompagne partout, exposé aux mêmes fatigues, aux mêmes privations, aux mêmes dangers. Du reste, il dit lui-même dans une de ses lettres : « Nous sommes errants dans les déserts et les montagnes, exposés à toutes les injures de l'air, n'ayant que la terre pour lit et le ciel pour couverture. » Après Bétrine, il. est attaché, avec Pradel et Gibert, au ministère de Corteiz et admis à la charge de prédicateur, « après examen sur la parole de Dieu « et la discipline des églises » ; il figure, pour la première fois, comme secrétaire, dans un synode provincial du Bas-Languedoc, le 26 mai 1739.

Dans cette vie de courses continuelles de jour et de nuit, de nuit surtout, que peuvent être les leçons du pasteur à ses élèves ? Quelques notions générales de français, de catéchisme, et encore très irrégulièrement, et c'est tout. Le plus important, c'est le stage spirituel auprès du pasteur, stage pratique, si utile, qui permet d'entrer dans le ministère après une certaine expérience et qui, de nos jours même, ne serait pas hors de propos ; sans cela, la prudence pastorale, et le doigté ne s'acquièrent qu'aux dépens du pasteur et souvent de l'église.

Ce stage, sous l'oeil d'un vétéran, est d'une durée très variable suivant les circonstances, de six mois à quatre ans. Du rang d'élève, on monte à celui de proposant, de prédicant. Reste un examen final, et, si l'on est jugé digne, on va à la faculté de théologie de Lausanne, deux, trois ans, ou même moins, suivant les cas, pour y compléter le maigre bagage théologique que l'on apporte au désert. Les études terminées, on est consacré, à l'étranger, sans bruit, pour éviter tout écho en France ; et, nuitamment, on vient reprendre la vie aventureuse du désert, - muni d'un certificat d'études, surnommé brevet de potence, - mot pittoresque imaginé par cette enthousiaste jeunesse (7).

À mesure que les églises se réveillent et que les candidats au ministère se multiplient, la discipline devient plus rigoureuse, les examens plus sérieux ; et les synodes, avant d'autoriser le départ pour Lausanne, chargent un pasteur qualifié d'examiner à fond les candidats de la province.
Voici un curieux spécimen de ce qui se passait, :
« Je fis dresser un lit de camp dans un torrent et au-dessous d'un rocher. L'air nous servait de « rideaux et des branches feuillées soutenues par des perches traversées nous servaient de ciel.

C'est là que nous campâmes près de huit jours ; c'étaient là nos salles, nos parterres et nos cabinets. Pour ne pas laisser écouler le temps inutilement et pour exercer nos proposants, je leur donnai un texte de l'Écriture Sainte pour y faire des réflexions ; ce fut les onze premiers versets du chapitre V de saint Luc. Il ne leur était permis, ni de se communiquer leurs lumières les uns les autres, ni de se servir d'autres secours que de la Bible. Aux heures de récréation, je leur proposais tantôt un point de doctrine à expliquer, tantôt un passage de l'Écriture, tantôt un précepte de morale, tantôt je leur donnais des passages à concilier. Et voici la méthode dont je me servais : dès avoir posé la question, je demandais au plus jeune son sentiment et, par rang, de l'un à l'autre jusqu'au premier. Après que chacun avait dit ce qu'il en pensait, je m'adressais de nouveau au plus jeune pour lui demander s'il n'avait point d'objections à faire au sentiment des autres, et ainsi de l'un à l'autre. Après qu'ils s'étaient combattus, je leur donnais le sens que je concevais sur la matière proposée. Quand leurs propositions furent prêtes, on traversa une perche sur deux pieds fourchus qui, dans cette occasion, leur servit de chaire pour les prêcher. Quand l'un l'avait rendue, je leur demandais à tous les remarques qu'ils « y avaient faites, en observant la méthode qui « leur avait été exposée » (8).

Une fois admis proposant, prédicant, après examen sérieux en pleine réunion synodale, on reçoit « le viatique », cent livres environ, et l'on est tenu de faire passer ses premiers sermons sous le contrôle d'un pasteur.

C'est le 30 avril 1738, que Paul Rabaut, son ami Pradel, dit Vézenobre, et Gibert, sont chargés de la fonction de prédicants et affectés, chacun, à une province ou à une ville. La grande église de Nîmes avec ses environs échoit à .Paul Rabaut. Ce lourd fardeau révèle le cas qu'on fait de lui, malgré ses vingt ans, son apparence malingre, et -sa faible santé; il faut dire que Corteiz y est pasteur, depuis le départ de Court pour Lausanne, et que Paul Rabaut n'est donc que son auxiliaire.

Il ne tarde point à connaître les émotions du désert. Sa première alerte survient à Congénies. Il était hospitalisé par une famille amie, quand, tout-à-coup, apparaît la garnison de Calvisson ; ~ Qu'allons-nous devenir?», s'écrie-t-il; des jeunes gens accourent qui lui disent : « Rassurez-vous, venez », et ils l'emmènent dans une garrigue pierreuse, la Combe-de-Biau, dans une retraite sûre (9).

Première nuit au désert, qui devait être suivie de combien d'autres pareilles !
L'étroite intimité qui unit, toute la vie, Paul Rabaut et Antoine Court, commence à cette époque après une lettre de Paul Rabaut à Antoine Court, fixé à Lausanne depuis la fondation du séminaire (10). Court prépare une Histoire des Églises Réformées et il a besoin de nombreux documents, demandés de tout côté. Charmé d'entrer en relation avec le bienfaiteur du protestantisme français, Paul Rabaut lui propose quelques papiers, lui en promet d'autres, et lui écrit en ces termes : « Monsieur et honoré père (11), tous les protestants de ce pays sont vos panégyristes. Le récit de vos travaux, de vos vertus, de vos talents, me remplit d'admiration, d'amour et de respect, tout ensemble... Quoique je ne puisse pas être pour vous d'une grande utilité, je vous offre mes très humbles services. Il m'est tombé entre les mains un certain nombre de papiers parmi lesquels il pourrait s'en trouver quelqu'un qui vous fit besoin pour votre ouvrage. Je vous enverrai avec plaisir ceux que vous me marquerez devoir vous être utiles... »

Et, plus tard, en effet, il lui expédia divers mémoires et des manuscrits.
En le remerciant Antoine Court lui dit combien il se réjouit :
« de se voir succéder à Nîmes par des personnes qui donnent d'aussi flatteuses espérances... Puissiez-vous, par vos rares qualités réunies, justifier, non seulement ces flatteuses espérances, mais aller au-delà même de ce que d'aussi heureuses promesses annoncent au corps nombreux qui vous chérit. »

C'est de ce jour que date cette copieuse correspondance, effusion de deux belles âmes-soeurs, à laquelle la mort seule mit fin, pieusement recueillie en deux épais volumes, et qui, tout en étant l'histoire de deux héros de la foi, est aussi l'histoire du protestantisme, prise sur le vif, dans sa période la plus tourmentée ; car rien ne se passe dans les églises sous la croix, qui ne trouve un écho dans les lettres de ces deux hommes admirables.

Paul Rabaut se donne bientôt une compagne qui peut lui servir à la fois d'aide et de conseil. Il choisit une jeune fille digne de lui, héroïque entré toutes, Madeleine Gaidan, qui, jamais, aux heures les plus critiques, ne consent à quitter son mari pour chercher dans l'exil, avec ses enfants, la paix et le salut. Toujours, au contraire, même dans les plus grands périls, elle l'exhorte vivement à ne pas déserter les églises de France, à lutter quand même, sur la brèche, jusqu'au bout.

Marié au Désert le 30 mars 1740, par le ministère de Claris, il eut huit enfants, dont trois seulement survécurent. La vie errante qu'on menait et ses poignantes émotions expliquent suffisamment cette grande mortalité. Les trois survivants furent : Rabaut-Saint-Étienne, Rabaut-Pomier, Rabaut-Dupuis (12).

À peine marié, il lui faut se résoudre à une pénible séparation, pour terminer ses études à la Faculté de Lausanne. Le voyage lui-même, sans aucun moyen de transport, n'est pas sans péril ni surtout sans fatigue, à travers des sentiers perdus et avec des guides exploiteurs, quand ils ne sont pas espions et traîtres. Mais il y a nécessité, devoir ; et justement, il se trouve alors au Séminaire une place libre : il ne lui est pas permis de retard. En annonçant sa résolution à Antoine Court, il lui exprime sa joie de faire bientôt sa connaissance :
« Je me félicite par avance de l'heureux moment qui me procurera la joie de vous voir et de vous dire de vive voix une partie des choses que je sens pour vous, aussi bien que vous offrir tout ce qui sera en mon pouvoir et qui pourra vous être utile. »

Arrivé en août 1740, il rencontre un parfait accueil chez Antoine Court, qui lui facilite toute chose. En rapport intime, ces deux hommes se pénètrent ; et ce commerce mutuel, loin de leur réserver quelque déception, comme il arrive souvent, ne fait que resserrer leurs liens, en accroissant chaque jour davantage leur mutuelle estime. Malgré leur différence d'âge, il s'établit entr'eux des habitudes de cordialité profonde qui leur permettent d'échanger leurs pensées, leurs desseins, et de travailler, en parfaite communion, au salut des églises réformées de France.
Mais Paul Rabaut ne borne pas ses relations à Antoine Court ; il a l'occasion de connaître des personnes notables, en particulier les membres du Comité du Séminaire, qu'il n'oublia jamais et qui, dans la suite, lui rendirent d'éminents services.

Son séjour à Lausanne est de très courte durée, six mois à peine ; on eut égard, pour le dispenser des études ordinaires, soit à ses remarquables facultés, soit aux pressants besoins des églises ; on voit ainsi qu'il ne doit son développement ultérieur qu'à lui-même, à ses dons naturels et à ses efforts.

Il se fait consacrer à Lausanne, dans l'intimité, pour s'épargner des difficultés avec les autorités de France, très susceptibles sur la question des réfugiés. Reparti le 8 février 1741, il rentre aussitôt à Nîmes où, peu après, il reçoit d'Antoine Court la lettre suivante : « Puissiez-vous, par les heureux « succès de votre ministère, réparer la perte de temps que les circonstances et ce rappel si déplacé ont causé à des progrès qui me paraissaient si importants et auxquels j'eusse voulu si fort contribuer. »

Pendant ces six mois passés à Lausanne, Paul Rabaut vit dans la société habituelle d'Antoine Court et de quelques-uns des fondateurs du séminaire, entr'autres Polier de Bottens, Turretin, l'astronome de Chezeaux, et le major Montrond. Une fois de retour dans le Midi, il ne cesse de correspondre avec eux et de leur adresser même, avec ses reconnaissants souvenirs, des fruits du Midi forts goûtés des gens du Nord, surtout dans ces temps de rares communications.

De retour à Nîmes, après avoir pris un coche à Genève « pour gagner du temps », il a la joie d'embrasser son premier-né, le lendemain de son arrivée et d'être nommé pasteur titulaire de Nîmes. Il s'empresse de communiquer ces nouvelles à Antoine Court : « La divine Providence m'a heureusement conduit jusqu'ici. Il n'est pas besoin de vous dire quelle a été la joie de ma chère épouse et de ma chère belle mère. Cela peut mieux se sentir que s'exprimer. Une chose particulière, c'est que j'arrivai hier soir, vers les six heures et qu'aujourd'hui à dix heures du matin, mon épouse a accouché d'une fille ».

Le voilà désormais en charge d'église, en charge de famille et tout débordant de joie et de courage, armé pour le saint combat, engagé à fond dans la poursuite de son idéal : la conservation des églises réformées et, par elles, de la liberté de l'âme.

Il y consacre tout ce qu'il a d'intelligence et de force. Brûlant de zèle, il entre dans la carrière pastorale et ses dons divers, en même temps que sa fiévreuse activité, ne tardent pas à le pousser au premier rang. Son existence n'est qu'un long drame, dont la partie la plus émouvante peut-être - et peut-être aussi la moins connue - s'écoule de 1741 à 1755. Grâce à son Journal intime, à quelques manuscrits d'Antoine Court et à la récente collection des 200 lettres publiées par Picheral-Dardier, il nous a été possible de la reconstituer, dans ses traits essentiels ; ces lettres n'embrassent que dix-sept années du Désert ; mais elles en sont comme l'image fidèle.

Peu après ses débuts, on touche au point culminant et le plus tragique de sa vie, - à l'oeuvre capitale de son apostolat.


Table des matières

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(1) Voir Ch. Bost, Les Prédicants protestants des Cévennes. Champion, 1912, et Kissel, Les inspirés des Cévennes, Montauban, 1882.

(2) On y fabriquait aussi des draps communs, appelés Droguet, pour l'Allemagne.

(3) Registres de l'État civil de Bédarieux.

(4) Collection Coquerel, Documents sur Paul Rabaut.

(5) Les trois fils de Paul Rabaut étant morts sans enfants, on se demande si les Rabaud actuels proviennent d'une branche collatérale. Mais toutes nos recherches dans les Archives des Communes et des notariats de Viane, Bédarieux, Camarès, n'ont pu le discerner avec certitude. Nous avons seulement constaté qu'il existait des Rabaut à Bédarieux, ce qui avait été peut-être une raison déterminante du déplacement.

Quant à l'orthographe du t changé en d, c'est un changement très fréquent dans l'évolution de l'orthographe française ; le t final de Châteaubriant a été aussi changé en d. Dans un document de 1754 (Archives de l'Hérault C, 440) Rabaud est écrit deux fois avec un d.

(6) Rabaut-Dupuis dit dans son Annuaire que ce fut Antoine Court qui, en 1636, décida P. Rabaut et son ami Pradel à servir les Églises sous la Croix.

(7) Voir l'intéressante thèse de M. Edouard Guiraud : Le Séminaire de Lausanne et le pastorat en France, - 1715-1787, d'après les manuscrits d'Ant. Court, Genève, 1913.

(8) Papiers Ant. Court, no 7, t. Il, 301.

(9) A. Borrel, Biographie de P. Rabaut pasteur au Désert et de ses trois fils, Nîmes. 1854, p. 9.

(10) Lettres de P. Rabaut à Ani. Court, par Picheral-Dardier, 1, 5.

(11) Dans les lettres suivantes, il l'appelle « Mon tout cher ami».

(12) Voir la plaquette de M. Arm. Lods : Essai sur la vie de Rabaut Saint Étienne et, par le même : Le Pasteur Rabaut-Pomier.
 

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