Nous
les jeunes
V.
LA SANTÉ
« IL
S'ÉLÈVE UN CRI VERS LA
SANTÉ, À TRAVERS CE MONDE
CONTAMINÉ ! »
LHOTZKY.
|
Une fois de plus, il faut que nous venions
en aide à notre volonté. L'esprit est
prompt, mais la chair est faible ; il ne faut
pas que cette faiblesse
dégénère en une maladie
héréditaire, se perpétuant et
se transmettant d'une génération
à l'autre. Comme l'esprit, la volonté
a besoin d'éducation, pour pouvoir exercer
une maîtrise incontestée sur le corps,
et pareillement, le corps doit être dans
l'état voulu, pour obéir à
l'esprit. Le meilleur cavalier ne saura que faire
d'un cheval sauvage.
Il y a eu des gens, et il en existe
encore aujourd'hui, qui considèrent le corps
comme une chose vile et souillée. C'est
pourquoi ils le mortifient par l'ascétisme.
Mais ils ont fait l'expérience que le corps,
ainsi maltraité, n'obéit pas mieux
à l'esprit. Les plus grands
« Saints » ont eu à
endurer les plus fortes tentations sexuelles.
L'ascétisme, comme principe, pèche
contre la nature qui se venge.
Actuellement, le danger me paraît
être tout autre. On fait beaucoup trop
attention au corps. On le nourrit avec ce qu'il y a
de meilleur, on le protège contre toutes les
influences de l'air vif on le soumet au
médecin, on lui fait subir des cures pour
des maux très légers, on essaye,
aujourd'hui ce remède, demain
celui-là ; on consulte des docteurs les
uns après les autres. En
vérité, il y a des hommes dont toute
l'occupation et la maladie ne consistent que dans
le souci qu'ils prennent de leur corps. On pourrait
leur donner ce conseil : Ne vous
inquiétez plus de votre corps ! mais
ils ne le suivraient pas, car il est trop simple.
Ce bien précieux de la santé, que
l'on conserverait si facilement par des moyens
naturels, est sacrifié, combien
souvent ! à l'idole Mammon. Que
d'hommes meurent, non de leur maladie, mais de
leurs cures !
Nous devons adopter, à
l'égard de notre corps, une attitude simple
et naturelle. Il est aussi nécessaire
à notre existence que notre esprit. Nous ne
pouvons pas vivre sur cette terre sans
posséder un corps ; c'est pourquoi,
tout comme chacun de ses membres, il a une valeur
qui lui est propre.
Nous n'allons pas essayer de faire, ici,
une analyse scientifique par
laquelle nous fixerions les limites des domaines
respectifs du corps et de l'esprit ; nous nous
efforcerons plutôt de définir ce que
doit être le corps au point de vue
« moral ». Le
développement de la personnalité
humaine, qui nous est apparu comme l'idéal
suprême auquel nous devons tendre, ne nous
permet pas d'admettre que le corps ne soit pas sous
la domination de l'esprit. Ils auront beau se
pénétrer et s'influencer
mutuellement, c'est l'esprit qui doit être
le maître !
Mais le corps ne remplirait pas
complètement la fonction qui lui a
été attribuée par la nature,
s'il n'était que l'organe soumis de
l'esprit ; il est plus que cela, il est
l'expression, la manifestation de l'esprit. Il
caractérise l'esprit qu'il sert par sa
tenue, par la forme qu'il prend, par chacun de ses
mouvements, par l'expression des yeux. Il rend
tangible la vie personnelle invisible ; il est
la façade de la demeure de notre
être ; il est encore plus que cela, il
prend part à nos actions les plus
intimes ; il peut être un lourd fardeau
pour les ailes de notre esprit, ou au contraire, il
peut fortifier ces ailes et faciliter leur vol.
Nous ne mépriserons et ne négligerons
pas ce compagnon indispensable de notre vie
personnelle. Nous lui donnerons ce qui lui
appartient, ni plus ni moins.
Nous lui apprendrons qu'il doit nous servir, et
quand il essayera d'outrepasser ses droits, nous le
remettrons à sa place.
Une âme saine doit régner
dans un corps sain.
La synthèse de toutes les forces
corporelles est la force sexuelle. Son droit
à l'existence, sa noblesse, son importance
n'ont plus besoin d'être
justifiés ; nous dirons seulement qu'il
est naturel que cette force se manifeste chez
l'homme fait. Le mariage lui fournit l'occasion de
s'exercer d'une manière conforme au but qui
lui a été assigné. Quelque
fondées que puissent être les
critiques que l'on fait sur le mariage et la
façon dont il se conclut actuellement, il
n'en demeure pas moins sûr et certain qu'il
n'est pas une institution arbitrairement
établie par la volonté humaine, que
l'on pourrait arbitrairement modifier ou supprimer.
Considéré au point de vue de
l'évolution naturelle, le mariage nous
apparaît comme un héritage que nous
posséderions en commun avec les animaux
supérieurs, lorsqu'ils vivent en
liberté.
Chez ces derniers également,
l'union des deux sexes n'a pas comme but unique la
procréation, mais aussi les soins à
donner à la progéniture,
jusqu'à son complet développement.
Celui, donc, qui parle de la liberté sans
entraves de l'instinct sexuel comme d'un droit
naturel n'est plus sur le terrain scientifique.
« Le commerce sexuel, en dehors du
mariage, n'est pas du tout prévu dans la
nature, il n'est qu'une malheureuse aberration de
la civilisation, une erreur. Plus l'instinct sexuel
sera intensif, plus bienfaisante sera sa
satisfaction ; plus ses limites seront
précises et étroites, plus la
relation sexuelle sera sainte et
élevée, car elle conduit à
l'amour, au mariage. Chez l'homme, l'amour seul,
l'amour réciproque, et non l'instinct
sexuel, donne le droit à la jouissance
sexuelle. L'instinct monogame est donné par
la nature ; si l'humanité l'abandonne,
et continue à l'abandonner, elle ira
à sa perdition. » (Professeur
Heim.)
Sans doute, une activité normale
de l'instinct sexuel dans le mariage, est saine et
profitable. Mais je présume que beaucoup
d'entre nous, jeunes hommes, se font une
idée très fausse de ce qui concerne
les rapports conjugaux. Ils croient peut-être
que le mariage donne le droit d'assouvir l'instinct
sexuel, sans aucun frein, au
gré des caprices ou des
besoins du moment. Il n'en est rien, et il est
heureux qu'il n'en soit pas ainsi.
Peu de personnes seront, il est vrai,
aussi sévères que le comte
Tolstoï, qui veut que l'acte sexuel ne soit
accompli qu'avec l'intention, parfaitement
consciente, de procréer un enfant.
Strictement suivi, ce conseil aboutirait au
même pédantisme que si nous
décidions de ne manger que lorsque nous
avons vraiment faim, sans nous laisser jamais
tenter par la saveur d'un aliment ou d'une boisson.
D'ailleurs, la nature a opposé bien des
obstacles à des rapports sexuels
déréglés dans le mariage. Le
temps de la menstruation, pendant lequel la femme
exige des ménagements, les premiers mois de
la grossesse qui, surtout avant la première
naissance, l'éprouvent beaucoup, les
derniers mois de la grossesse, ainsi que bien des
semaines après la naissance, sont autant
d'époques qui rendent nécessaire,
à cause de l'état de la femme,
l'interruption des rapports sexuels. Je sais
très bien que dans beaucoup de mariages on
n'en tient pas compte, mais c'est presque toujours
au détriment de la femme. Si l'union
sexuelle est la plus forte expression de l'amour
entre les époux, un renoncement
désintéressé de la part du
mari est une preuve d'affection
tout aussi forte, lorsque la nature le lui impose
comme un devoir. C'est pourquoi, ne nous
berçons pas de l'illusion que, le mariage
accorde une jouissance sexuelle sans
entraves ; nous aurions, tôt ou tard, de
grandes déceptions. Plus d'un homme
marié est, grâce à
l'état physique de sa femme, condamné
à une continence prolongée. Je dis
« condamné, » car il est
dur d'être marié et de ne pouvoir
jouir des rapports conjugaux ; cependant, il y
a bien des maris qui supportent cette privation
sans tromper leur femme. Le mariage, tel qu'il doit
être, ne sera jamais, en aucun cas, le champ
clos où notre sensualité pourra se
donner carrière.
Les rapports sexuels dans le mariage,
voilà les seuls qui soient normaux, voulus
par la nature ; les statistiques le prouvent
en nous donnant, pour les célibataires, des
chiffres de mortalité supérieurs
à ceux des hommes mariés. Connaissant
nos contemporains comme nous les connaissons, nous
n'oserons prétendre que cette
mortalité est due à la continence
gardée par les célibataires. Tout
aussi absurde serait-il de conclure de l'âge
plus avancé qu'atteignent les hommes
mariés que la possibilité d'une
satisfaction sexuelle sans entraves les rend plus
forts et mieux portants. Toutes les
probabilités concordent
pour démontrer que les rapports sexuels dans
le mariage, bienfaisants pour le corps et pour
l'âme, tant qu'ils restent
réglés, normaux, naturels et
séparés par des intervalles plus ou
moins longs, conservent la force de l'homme jusque
dans un âge avancé.
Parlons maintenant des conséquences
nuisibles pour la santé qu'entraîne le
commerce sexuel en dehors du mariage. Nous ne
chercherons pas à effrayer par le danger des
maladies contagieuses. Celui qui n'aurait pas
d'autre raison pour rester pur que la crainte de la
syphilis, ne serait qu'un lâche. Nous avons,
j'espère, de meilleurs motifs en
réserve !
J'ai déjà dit qu'un jeune
homme adonné à la prostitution n'est
pas probablement, mais sûrement exposé
à contracter une maladie
vénérienne. Il y a des
exceptions ; mais qu'elles soient rares, les
jeunes hommes le savent. Cependant, c'est à
peine si l'on sait que ces maladies, malgré
une prétendue
« guérison » obtenue par
des traitements pénibles,
peuvent encore, après bien des
années, détruire le bonheur d'une
union, et on peut bien le dire, infecter femme et
enfants. Ce qui distingue ces maladies, c'est qu'on
est porté à les croire guéries
alors qu'elles ne font que sommeiller. Celui qui
connaît leur persistance, ne
s'étonnera plus de voir tant de femmes en
bonne santé, tomber, après leur
mariage, dans un état maladif
prolongé et constatera la
vérité de cette antique parole, que
l'iniquité des pères retombe sur
leurs enfants.
Je renonce à m'étendre
plus longuement sur ce sujet, mais de ce que nous
venons de dire, il résulte pour l'homme,
avant son mariage, une effrayante
responsabilité. De l'empire qu'il aura su
exercer sur lui-même pendant une seule heure,
dépend - combien souvent ! - le
bonheur de toute une vie, que dis-je, d'une famille
entière ! En tout cas - il est
malheureusement nécessaire de donner ici ce
conseil - tout homme contaminé doit aller
consulter un médecin consciencieux et suivre
très exactement ses prescriptions, car sa
santé, sa vie et son bonheur sont en
jeu !
Du reste, l'existence des maladies
vénériennes, avec leurs terribles
conséquences, n'est-elle pas une
protestation de la nature contre
les rapports sexuels en dehors du mariage ?
Elle se défend contre la violence qu'on lui
fait, elle combat pour son droit. Et ce droit,
n'est-il vraiment pas plus noble de le lui
reconnaître spontanément, puisqu'il
est indiscutable ? ou
préférerons-nous nous laisser vaincre
et anéantir par elle, grâce à
notre légèreté et à
notre mauvais vouloir ?
Il existe, il est vrai, toutes
espèces de moyens pour se préserver
de la contamination des maladies
vénériennes. Je les connais par les
livres des savants, qui donnent la méthode
d'emploi de chacun d'eux. Je dois dire que j'ai
été saisi d'un profond
dégoût en lisant la nomenclature de
ces pommades, injections, etc. Je me
représente un corps d'homme, le mien par
exemple, passant par toutes ces manipulations qui
doivent être pratiquées avant et
après les relations sexuelles, lorsqu'elles
ont lieu en dehors du mariage, et j'ai honte que
notre corps, aux muscles souples, à la
démarche élastique, à la
ressemblance divine, puisse être ainsi avili
par les essais révoltants de toutes sortes
de charlatans qui ne peuvent pas même
garantir l'efficacité de leurs
remèdes. Car, il n'y a que la réclame
qui parle de l'action sûre de ces
préservatifs ; la science ne les
connaît pas. Elle ne
connaît qu'un seul moyen préventif,
c'est la continence.
Lorsque j'étais à
l'Université, j'assistai, une fois, à
une réunion d'étudiants dans laquelle
on vint à parler des maladies
vénériennes ; il fut dit que ces
maladies étaient déshonorantes.
Alors, un vieil étudiant se leva, et, d'un
ton nasillard, son visage jauni exprimant la
fatigue, prétendit que c'était
conserver l'opinion d'une ancienne école,
que de regarder comme déshonorantes les
maladies vénériennes. Aussitôt
un étudiant à la mine florissante
s'avança et dit tranquillement, mais
fermement, qu'il insistait sur ce point, que la
remarque de l'orateur précédent ne
reflétait qu'une opinion personnelle, et
qu'il fallait bien se garder de l'attribuer
à l'assemblée, chargée en ce
moment de représenter l'Université
tout entière. « Pour moi,
ajouta-t-il, une maladie vénérienne
est déshonorante ! »
Et en effet, il suffisait de voir ces deux hommes,
l'un à côté de l'autre, pour se
rendre compte que tous deux avaient dit la
vérité, en ce qui les concernait. Un
corps, mille fois traîné dans la fange
de la prostitution, se sent à peine
déshonoré par une blennorragie ou par
la syphilis. Ces maladies ne sont honteuses que
pour ceux dont le corps est pur.
Il faut donc absolument éviter
tout commerce sexuel en dehors du mariage !
C'est l'idéal qui nous est proposé,
un but qui n'a rien d'inaccessible, mais est, au
contraire, à la portée de tous.
Que la continence soit préjudiciable
à la santé, ce n'est plus qu'une
superstition absolument démodée,
contredite presque unanimement par la science
médicale. Les légers
inconvénients corporels qui peuvent
résulter de la continence, ne valent pas
même la peine d'être nommés en
regard des conséquences presque
inévitables de la prostitution ! Je
cite textuellement quelques-unes des
autorités les plus connues, et j'accumule
intentionnellement les citations de professeurs et
de médecins, afin de prouver qu'unanimement
les représentants sérieux de la
science contestent tout danger à la
continence. Ce ne sont point des moralistes rigides
qui parlent ici, mais des hommes riches
d'expériences pratiques, et qui font de la
santé l'objet principal de leurs
préoccupations.
Le Professeur Oesterlen écrit
dans son Manuel d'Hygiène :
« Pour ceux qui sont enclins à
ménager à leur conscience des
échappatoires tranquillisantes,
l'affirmation suivante aura son importance,
à savoir que la chasteté, la
domination de l'instinct bestial, n'a encore jamais
causé de grands maux ; en tout cas, dix
fois moins qu'un commerce sexuel en dehors du
mariage, prématuré et
désordonné, n'en peut amener, et cela
pour autant que cette chasteté provient
de la libre volonté, et non pas d'une
pression extérieure, d'une discipline
forcée, d'ordonnances, etc. Ceci s'applique
surtout au jeune homme qui, l'expérience le
prouve, succombe beaucoup plus facilement à
la tentation que la jeune fille. Comme pour toutes
les faiblesses, ce qu'il faut surtout
éviter, c'est le premier pas, car il est
plus facile de surmonter les premiers désirs
que ceux qui naissent lorsqu'on a
déjà goûté du fruit
défendu. Et l'on y réussit d'autant
mieux lorsqu'on réfléchit qu'il y a
point de gloire à faire ce que tout animal,
tout butor, peut faire au moins aussi bien ;
la grandeur de l'homme consiste ici à
réfréner ses instincts et à
vivre d'après les principes d'une
sévère moralité.
Mais si l'on n'a pas su résister
à la tentation, qu'on ne
désespère pas ; le
désespoir est une autre
sorte de faiblesse qui envahit justement les
meilleures natures. Il faut se rappeler l'exemple
de ceux qui sont plus forts que nous sous ce
rapport, l'appeler à notre aide, et penser
qu'il n'est jamais trop tard pour le retour au
bien, pour la guérison, dès qu'on le
veut sérieusement, et que là
aussi, le premier pas est le plus difficile. Que
l'on ait confiance, et cela ira, cela doit
aller. »
Dans sa Neuropathia sexualis
virorum, le professeur Eulenburg doute que
quelqu'un menant une vie raisonnable soit devenu,
par la continence, malade de neurasthénie
spéciale ou sexuelle. « Je tiens,
dit-il, ces affirmations verbeuses et toujours
renouvelées, pour des paroles absolument
vides de sens, qui ne servent qu'à
répéter ce que tout le monde dit, ou
pis encore, à augmenter la soumission
consciente à cette idole, universellement
vénérée, et bien trop
aisée à implorer : le
préjugé.
Lutter contre ce préjugé
est pénible ; ce serait cependant, pour
les médecins, une tâche plus digne
d'eux, que leur coopération à la
réglementation et à la protection de
la prostitution par l'État. Les deux choses
se tiennent, car le préjugé en faveur
dans le public que la continence est nuisible aux
jeunes gens, renforcé par l'approbation
tacite ou déclarée
de certains médecins, encourage la jeunesse
masculine à rechercher le commerce sexuel
illégitime et la pousse dans les bras de la
prostitution. On ne pourra jamais s'opposer trop
énergiquement à cet état de
choses. - Le fait que chez les jeunes hommes
gardant la continence il se produit de soi-disant
pollutions physiologiques, à intervalles
plus ou moins rapprochés, est à la
base de ce préjugé populaire, ou tout
au moins lui sert de prétexte. Mais tout
médecin sait que ces émissions qui se
produisent pendant le sommeil, dans un rêve
érotique, ne peuvent, si elles ne
dépassent pas certaines limites, être
considérées comme une maladie ;
elles ne sont notamment pas à comparer avec
la spermatorrhée ou d'autres états
analogues, car elles n'ont aucune
répercussion nuisible sur l'organisme
entier. « Au lieu de rendre notre
jeunesse masculine attentive aux dangers
supposés de la continence, il vaudrait
beaucoup mieux lui conseiller une vie
hygiénique, l'endurcissement, le travail,
l'exercice corporel, la lutte contre les mauvaises
habitudes et les penchants nuisibles, avant tout
contre l'habitude de fumer et de boire d'une
façon
exagérée. »
Dans son livre paru récemment et
intitulé : La
question sexuelle, le
professeur Forel, de Zurich, spécialiste
bien connu pour les maladies nerveuses, dit :
« Dans des conditions normales, et pour
un jeune homme normal, de capacités
moyennes, qui travaille aussi bien
intellectuellement que corporellement, qui se garde
de toute excitation artificielle, surtout des
narcotiques, tels que l'alcool, paralysant la
volonté et la réflexion, il n'est pas
impossible de mener une vie continente. Elle sera,
dans la règle, facilitée, mais
seulement à la maturité
complète, souvent après la
vingtième année, par des
émissions nocturnes accompagnées de
rêves correspondants ; la santé
n'en souffre pas du tout. Toutefois, cet
état ne peut pas être regardé
comme un état normal, s'il n'y a aucune
espérance de le voir cesser dans un avenir
plus ou moins rapproché. » La fin
naturelle de cet état n'est pas autre chose
que le mariage. Le témoignage d'un homme
aussi expérimenté que Forel a du
poids, et cela donne à
réfléchir lorsqu'il dit :
« Je n'ai jamais
rencontré de psychose (maladie mentale)
provenant de la chasteté, tandis que j'en
ai vu d'innombrables provenant de la syphilis et
d'excès de toute nature. Nous devons, en
tout cas nous en tenir à ceci, que pour le
jeune homme, jusqu'à son mariage, la
chasteté n'est pas seulement éthique
et esthétique, mais qu'en
regard de la prostitution, elle est l'état
le plus hygiénique et le plus
salutaire. »
Voici ce que dit le professeur Dr Wyss, de
Zurich sur les pollutions que beaucoup redoutent,
les croyant nuisibles, et cherchent à
éviter en se livrant à la
prostitution : « En ce qui concerne
les pollutions, on entend sous ce nom des
émissions de sperme involontaires, se
produisant pendant le sommeil ou dans un
état de somnolence, et qui réveillent
généralement celui qui les
éprouve. Ces émissions, communes
â presque tous les hommes, n'ont, cela va
sans dire, aucune conséquence
fâcheuse. Elles sont, en
général, accompagnées de
sensations désagréables ; si
elles se répètent trop souvent, ou si
celui qui les éprouve est de
tempérament faible ou excitable, elles
peuvent être suivies de lassitude,
d'abattement, de douleurs dans les reins, de
dégoût pour le travail, de lourdeur de
tête ; mais tout cela disparaît au
bout de quelques heures. Quoique beaucoup de
jeunes gens s'en effrayent, on ne peut constater
d'autres conséquences
fâcheuses. Qu'est-ce
qui produit ces émissions ? Une
excitation intense qui atteint
l'extrémité des nerfs du canal de
l'urètre ; cette excitation est
produite par des rêves, des excitations
locales qui atteignent ce canal, du
côté de la vessie ou du
côté du rectum ; suivant les
circonstances, l'excitation peut aussi provenir de
la moelle épinière, mais ce cas est
assurément rare.
Il est possible d'éviter les
émissions en évitant les rêves
lascifs, car on doit se souvenir que les
rêves sont toujours une image, souvent
très altérée, il est vrai, de
ce qui a occupé nos pensées pendant
la journée. Il faut donc absolument
éviter les conversations obscènes,
les chansons grivoises, les lectures excitantes,
les pensées sur des sujets inconvenants ou
immoraux. L'alcool, une nourriture trop riche en
viande prise le soir, le thé fort et le
café noir, certaines espèces de
fromages comme le fromage vert, une alimentation
trop épicée, irritent la membrane du
gros intestin et facilitent les pollutions. La
position du corps pendant le sommeil a aussi son
importance ; le coucher sur le dos augmente
les émissions, le coucher sur le
côté, les diminue. À la limite
d'un état normal, nous trouvons les jeunes
gens anémiques, d'une faible constitution,
chez lesquels les émissions se
produisent fréquemment.
Ceux-ci s'en effrayent souvent d'une manière
extraordinaire ; l'un croit qu'il en perdra
son intelligence, l'autre craint d'y laisser sa vie
qui lui est, cependant, si chère. En
réalité, nous considérons des
émissions fréquentes comme
anormales, mais nous n'avons pas une opinion
aussi pessimiste de l'avenir du jeune homme.
À côté de l'application exacte
des mesures préventives déjà
mentionnées, nous recommanderons à
ces jeunes gens de prendre, à
côté de leur activité
cérébrale souvent trop exclusive, de
meilleurs soins de leurs corps, de leurs muscles et
de leurs nerfs. »
Le même médecin écrit ce qui
suit, au sujet de la masturbation :
« La masturbation ou onanisme, est un mal
que l'on considère comme une
conséquence nécessaire de
l'abstinence sexuelle. Ce vice provenant des
anciennes traditions des siècles
passés, transmises par les médecins,
est souvent considéré comme la cause
des pires états : l'abrutissement, la
démence, l'ataxie locomotrice progressive,
etc. La médecine moderne ne
reconnaît plus ces
symptômes de maladie comme des
conséquences de la masturbation. Quoique
l'on soit forcé de reconnaître que la
masturbation peut avoir joué un rôle
dans l'ataxie locomotrice, ainsi que dans les
maladies mentales, nous avons cependant la
conviction absolue que l'origine de ces maladies
doit se chercher dans le cerveau et la moelle
épinière, et que l'excitation des
organes sexuels en est une conséquence.
Que le masturbateur se fasse du mal par
son abominable habitude, cela ne fait aucun
doute ; les pertes fréquentes de sperme
affaiblissent son organisme tout entier, et
l'excitation nerveuse produit une
irritabilité maladive et une
excitabilité des nerfs des organes
génitaux, ainsi qu'une sensibilité
anormale de tout le système nerveux que l'on
nomme la nervosité. Il en résulte,
pour celui qui est atteint de ce vice, un
état désagréable, repoussant
même, qui devient d'autant plus intense que
le patient est moins énergique et moins
maître de lui-même. Plus il combattra,
avec la ferme volonté de dominer ses
sensations maladives, de les réprimer, de
les bannir de ses pensées par le travail
corporel, par l'effort (sans dépasser ses
forces !) et par la discipline de son esprit,
plus sûrement il pourra vaincre ces
difficultés et retrouver la santé.
D'après mes expériences,
ce mal, lorsqu'il tombe sous l'observation
médicale, date déjà de la
première enfance ; il fut
enseigné au pauvre petit par un
« brave ami » qui était
plus âgé que lui, et « en
savait plus long » ; rarement par un
adulte. Il arrive assez fréquemment que tous
les élèves d'un institut ont le
malheur d'être
« dressés » à
cette funeste habitude et de ne plus pouvoir s'en
passer. Plus tard, à l'âge où
ils devraient être des hommes, ils en sont
encore à combattre ce mal ou ce vice, - ce
peut être l'un et l'autre - et demeurent des
garçons faibles, c'est-à-dire qu'ils
n'arrivent jamais à remporter la victoire.
Mon opinion est que l'homme ne doit plus
tolérer ce vice. Avec toute son
énergie et de toutes ses forces, il
s'habituera, se forcera à surmonter ce
désir maladif. Et si la supposition que
c'est une nécessité absolue pour lui
de se débarrasser de son sperme
l'obsède, c'est son devoir, je pourrais dire
c'est le devoir sacré de tout homme, de
combattre avec opiniâtreté contre
lui-même, contre ses parents, contre sa
famille, de ne pas céder, et d'accepter
toujours le combat avec une volonté
ferme : C'est ainsi qu'il pourra vaincre. Cela
est nécessaire, cela est bon, et tout
à fait possible. »
Le professeur Gruber, de Munich,
écrit, sur le même sujet, ce qui
suit : « J'en dirai davantage sur la
satisfaction contre-nature de l'instinct
sexuel : je veux parler de l'onanisme, car ce
mal est répandu d'une façon
incroyable, et il règne en
général, sur lui, les opinions les
plus absurdes qui contribuent encore à
aggraver ses funestes effets. Tandis que les uns
estiment que l'onanisme est un moyen très
convenable de se procurer du soulagement quand le
sperme s'est accumulé en trop grande
abondance et que les relations conjugales sont
impossibles, moyen qu'ils estiment n'être pas
plus blâmable que l'usage du mouchoir de
poche ou du clysopompe, d'autres voient dans
l'onanisme le mal le plus redoutable, dont les
conséquences sont des plus nuisibles, pour
la santé. Ces deux opinions sont fausses.
Dans l'acte conjugal normal,
l'éjaculation est amenée par l'action
mécanique du vagin sur le membre viril. Nous
ne comprenons pas pourquoi cela serait plus
nuisible, pourquoi l'ébranlement nerveux
serait plus fort lorsque l'action mécanique
est autre que dans l'acte conjugal naturel.... Ce
n'est pas absolument dans ce qu'a de nuisible
l'acte commis par le masturbateur que réside
le danger de l'onanisme, c'est, avant tout, dans ce
que deux personnes sont
nécessaires pour l'acte conjugal, tandis
qu'une seule peut pratiquer l'onanisme, de sorte
que les occasions de se masturber sont infiniment
plus nombreuses que celles d'exercer l'acte sexuel,
et que, par conséquent, la tentation
à l'incontinence est beaucoup plus grande.
Les maux que les médecins
constatent si fréquemment chez les onanistes
sont les mêmes que ceux qui proviennent
d'excès dans les rapports conjugaux ;
mauvaise humeur, insomnie, pression et douleur dans
la région des reins, troubles de
l'alimentation, affaiblissement de la
mémoire et des autres facultés
mentales, faiblesse de la volonté,
érections incomplètes,
éjaculations prématurées, et
par conséquent, difficulté d'exercer
normalement l'acte sexuel. Si ces troubles se
constatent plus fréquemment et d'une
façon plus prononcée chez les
onanistes que chez ceux qui pratiquent l'acte
sexuel, cela provient justement de ce que
l'onanisme est pratiqué par des jeunes gens
qui n'ont pas encore atteint leur maturité
sexuelle, ou qui ne l'ont atteinte qu'à
moitié, et pour lesquels toute manifestation
de l'instinct sexuel est très
malsaine...
Le penchant à l'onanisme
disparaît chez l'homme sain dès qu'il
apprend à connaître les relations
sexuelles normales. C'est
pourquoi on donne fréquemment aux jeunes
gens qui se masturbent le conseil d'aller chez les
prostituées. Je tiens ceci pour une folie
condamnable, car - pour ne rien dire de plus - la
masturbation est, pour celui qui a atteint sa
maturité sexuelle, un mal bien moindre que
les maladies vénériennes qu'il
pourrait contracter tôt ou tard, mais presque
à coup sûr, dans ses rapports avec les
prostituées. Encourager celui qui n'est pas
encore pubère à pratiquer l'acte
sexuel, c'est le corrompre tout à fait. J'ai
dû ramener à sa juste importance le
caractère nuisible de l'onanisme, parce que
la crainte continuelle et le désespoir de
l'onaniste augmentent encore
considérablement le mal. Mais le jeune
homme ne doit pas y trouver une excuse pour
combattre moins énergiquement ce penchant,
car, c'est justement lorsqu'il a, une fois,
succombé à la tentation qu'il lui est
presque impossible de garder la mesure. Et si ses
testicules trop pleins lui procurent du malaise,
qu'il pense que de cette plénitude de ses
glandes génitales, dépendent le
sentiment de la joie de la vie et de la force de la
jeunesse, son courage et son besoin
d'activité ; qu'il sache qu'il se
dépouille d'une partie de son plus grand
bonheur terrestre s'il émousse ses
sensations par l'emploi d'un
misérable
succédané, avant d'avoir, pour la
première fois, serré dans ses bras
une femme bien-aimée.
« Il ne faut pas croire que le
sperme puisse faire du mal en restant dans le
corps. La semence n'est pas une matière
nuisible provenant des résidus de
l'assimilation de la nourriture, comme l'urine et
les fèces. On a fait des expériences
à ce sujet, en injectant sous la peau du
sperme humain, ou l'extrait aqueux de testicules
d'animaux. Ces injections agissent favorablement.
Il est notamment prouvé qu'elles augmentent
l'activité musculaire. On sait que
l'exercice corporel augmente la puissance de
production de nos muscles. Ceci se produit à
un degré plus élevé lorsqu'on
a injecté du sperme ; les muscles et
les nerfs moteurs se fatiguent alors beaucoup moins
et se remettent beaucoup plus vite. Ces
expériences concordent avec la notion
très ancienne affirmant qu'on ne parvient
aux plus grands exploits corporels que par une
continence absolue à l'égard de toute
espèce de satisfaction de l'instinct sexuel.
C'est pourquoi les athlètes grecs et romains
s'abstenaient de l'acte sexuel, comme le font
actuellement les fervents du sport lorsqu'ils se
préparent pour un de leurs championnats. Les
savants et les artistes nous apprennent
qu'il en est de même pour
les travaux intellectuels. Pendant le temps de
l'abstinence, le sperme se résorbe et ses
éléments se transforment en sang. Il
agit donc - comme nous le voyons - non pas d'une
manière nuisible mais
favorablement. »
Celui qui conseille aux jeunes gens, pour les
guérir de l'onanisme, le commerce sexuel
illégitime, commet une mauvaise action. Les
rapports illégitimes ne guérissent,
ni ne préviennent rien.
Celui à qui le témoignage
d'une science intègre ne suffit pas,
lorsqu'elle affirme que la continence avant le
mariage n'étant pas nuisible, est par
conséquent praticable, devrait regarder
autour de lui, pour voir s'il ne trouverait pas,
parmi ses camarades un jeune homme pur, un
frère d'armes. Il n'est pas
nécessaire que ce soit un
« pédant » (Philister)
innocent et ennuyeux. J'affirme qu'il y a beaucoup
plus de jeunes gens purs qu'on ne le suppose. Ils
vivent une vie de héros ; le combat
qu'ils soutiennent n'amoindrit pas leurs forces,
mais les augmente. Que ces forts nous aident
à changer de route ! Mais ne soyons
pas craintifs, comme si nous
devions languir dans une honnêteté
à vues étroites et
bornées ! Nous voulons être et
rester jeunes, jouir de notre jeunesse, et ne rien
laisser de côté de ce qui peut
être goûté purement et
joyeusement.
Et encore : Que celui qui souffre
une fois de tentations sexuelles ne s'imagine pas
qu'il a un tempérament particulier. Cela
pourrait devenir une excuse trop commode. Des
natures comme celles de Néron et d'Auguste,
par leur triste célébrité,
prouvent d'autant mieux leur rareté.
Si nous prenons notre corps pour compagnon et
associé dans le combat en faveur de la
pureté, il faut aussi que nous lui donnions
sa part d'un traitement qui corresponde aux
exigences de ce combat.
Ce traitement ne consistera pas en
choses extraordinaires, mais il commencera par
quelque chose de très simple et qui le
touche de très près, par la
nourriture. L'homme est ce qu'est sa nourriture.
Cessons donc de
considérer le manger
surtout au point de vue de la jouissance ;
évitons, autant que possible, les aliments
lourds qui, à la longue, délabrent
l'estomac de telle façon qu'il devient
incapable de digérer sans difficulté
les aliments plus légers. Le cri :
« Retournons à la
nature, » doit surtout être
lancé dans le domaine de la cuisine. En
général, on peut dire ceci :
plus la préparation d'un mets est
raffinée et compliquée, moins il
remplit son but alimentaire, et plus il rend la
tâche difficile, non seulement aux organes de
la digestion, mais aussi au système nerveux.
Il faudra particulièrement éviter les
aliments fortement épicés des
restaurants, ils excitent les nerfs ; or des
nerfs excités n'obéissent pas
à la volonté avec l'empressement
qu'on doit attendre d'eux. Les repas pris le soir,
et même la nuit, dans lesquels l'estomac est
rempli jusqu'à satiété,
exercent une influence directement nuisible sur la
vie sexuelle, excitent l'instinct, et le
transforment en un tourment insupportable. Vivre
simplement, en commençant par la nourriture,
n'est donc pas seulement une exigence sociale, dont
l'inobservance amène finalement un
état de choses semblable à celui qui
existait dans Rome décadente et dans Paris
sous la Régence, mais aussi une exigence
de l'hygiène. Le corps
qui a besoin de raffinements gastronomiques, est
toujours l'indice d'un esprit qui ne sait plus
goûter une vie simple et conforme aux
indications de la nature.
Il n'est pas du tout nécessaire
que de la gourmandise nous passions à
l'ascétisme. L'ascétisme ne peut pas
être le but de notre vie ; il n'a sa
raison d'être que lorsqu'il s'agit de mater
un corps qui se révolte ; dans ce
cas-là seulement, il est recommandable.
Mais, en général, une vie naturelle,
dans laquelle on prend ses aliments avec plaisir,
se tiendra à égale distance d'une
existence de bon vivant et de l'ascétisme
qui se contente de sauterelles et de miel
sauvage.
L'ennemi le plus dangereux pour notre
corps et pour notre pureté, c'est l'alcool.
Darwin, qu'on ne peut soupçonner de
piétisme dit : « Par les
longues expériences de mon père et de
mon grand-père, qui s'étendent sur
une durée de plus de cent années,
j'ai acquis la conviction que rien n'a produit
autant de souffrances, de maladies et de
misères, que l'usage des boissons
alcooliques. »
Je ne veux pas me lamenter sur les
désastres que l'alcool a produit dans toutes
les nations ; je veux seulement
faire remarquer que l'homme du
peuple dépense, annuellement, dix fois plus
d'argent pour l'alcool qu'il n'en dépense
pour ses autres besoins. Je mentionnerai, en
passant, que l'alcool influe d'une manière
désastreuse sur le sang et l'estomac, les
nerfs et les muscles, les poumons et le cerveau,
bref, sur toutes les fonctions du corps. Des
hommes, comme Helmholtz et Johannes Müller,
ont expérimenté sur leur propre corps
que l'alcool absorbé, même à
petites doses, entravait dans leur cerveau la
production de ces idées qui ont grandement
contribué à enrichir la science.
Chacun sait qu'une seule ivresse diminue pour
plusieurs jours la capacité de travail, et
que chez celui qui absorbe
régulièrement une trop grande
quantité d'alcool, la santé des reins
et du coeur, des artères et des veines, du
foie et de la rate, du larynx et des poumons, en un
mot, de tous les organes du corps, est gravement
compromise. Le système nerveux central et
tous les ganglions nerveux doivent à
l'alcool une excitation qu'on ne remarque pas tout
d'abord, mais qui, finalement, enlève toute
maîtrise de soi-même. Dans la
statistique des maladies et des morts, l'alcool
joue un rôle considérable. Les maisons
d'aliénés et les prisons peuvent en
témoigner. La vie de
famille et le bien-être lui sont
sacrifiés, et plus d'un malheureux enfant,
qui nous regarde de ses yeux malades et se
traîne sur ses membres difformes, nous prouve
que son père était un buveur.
Tout cela est connu, mais il faut que
cela le soit encore davantage, afin qu'aucun peuple
ne puisse plus continuer à faire ce qu'il
sait lui être nuisible. Mais nous ne pouvons
pas attendre que la connaissance des dangers de
l'alcool ait pénétré dans les
couches populaires, celles qui lui fournissent le
plus de victimes. Nous, les jeunes hommes
cultivés, nous avons la tâche de
montrer pratiquement la connaissance que nous avons
acquise.
Nous qui savons que l'alcool paralyse la
volonté, trouble la lucidité de la
pensée, corrompt le sens moral ainsi que le
goût du beau ; nous qui savons que
l'alcool entraîne à sa suite
l'impudicité et que plus d'un a perdu
d'abord sa sobriété, puis son
innocence ; nous qui voyons de quel danger il
menace les individus et les peuples, ne
prendrons-nous pas la ferme résolution
d'arracher au moins nous-mêmes à sa
domination ?
Je ne suis pas abstinent, et ne le serai
probablement jamais, car je donne raison au vieux
proverbe : « Le vin réjouit
le coeur de l'homme. » J'ai
été étudiant, et je
connais quelque peu la
poésie d'un verre de vin pris avec des amis.
Mon intention n'est pas de nous condamner tous
à ne boire que de l'eau de Seltz. Mais je
voudrais allumer comme un feu qui se propagerait
d'homme à homme, parmi tous nos camarades,
leur inspirant la volonté de rester toujours
maîtres de l'alcool ! Lorsque la
volonté est si faible que toute concession
aux boissons alcooliques occasionne une chute, il
n'y a point d'autre alternative que l'abstinence
totale, qui seule pourra aider et sauver. Ce peut
être une gloire pour nos jeunes gars de 16
à 17 ans de chercher à qui boira le
plus, mais nous, jeunes hommes d'âge plus
mûr, nous voulons, au contraire, mettre notre
honneur à conserver notre
sobriété, afin que nous puissions,
à toute heure, porter la
responsabilité de nos paroles et de nos
actes, en quoi nous n'estimons pas faire quelque
chose d'extraordinaire, mais tout simplement notre
devoir.
Lorsque nous usons d'alcool, nous
contractons un emprunt, emprunt qu'il faudra rendre
avec les intérêts composés. En
toute circonstance, l'usage de l'alcool et un
emprunt ne sont pas moins condamnables l'un que
l'autre. L'activité de notre corps, de notre
coeur surtout, de tous nos organes, est
augmentée dans une forte
proportion par l'absorption de
l'alcool. À mon avis, nous devrions
être sur un tel pied d'intimité avec
notre corps, que nous puissions discerner (non pas
seulement à la lourdeur de la tête)
jusqu'à quel point nous pouvons lui imposer
ce supplément de travail. Comme aucune des
dettes que nous contractons envers l'alcool ne nous
est remise, il est du devoir de la conservation
personnelle de ne pas estimer trop haut la
solvabilité de notre corps. La
récompense ne peut manquer. Un estomac en
bonne santé, qui n'altère pas notre
humeur, des nerfs solides, que nous pouvons tenir
en bride pour diriger notre corps d'après
notre volonté, une tête claire et un
coeur fort et joyeux, voilà la
récompense d'une jeunesse sobre. Je connais
beaucoup de jeunes hommes qui ne se sont pas
laissé subjuguer par Bacchus, et par
conséquent pas par Vénus non
plus ; jamais je n'ai été aussi
joyeux qu'à leurs côtés.
Jusqu'à ma mort, je les remercierai de
m'avoir aidé à conserver force,
pureté et jeunesse.
Et ce qu'on peut dire de l'alcool peut
être dit mutatis mutandis du tabac ;
l'alcool et le tabac vont, du reste, presque
toujours de compagnie. Il n'est pas absolument
nécessaire d'en arriver à un
empoisonnement par la nicotine pour
reconnaître le principe
délétère du tabac.
Celui des effets de la nicotine qui nous
intéresse le plus, c'est qu'elle excite la
sensualité. Et sachant cela, car des
médecins expérimentés me l'ont
assuré, il faudrait que je fusse un
insensé pour ne pas profiter de cet
avertissement.
Puisque la force sexuelle est le point
culminant de toutes les forces corporelles, et
qu'elle est répandue dans tous les
vaisseaux, nerfs et organes de notre corps,
l'introduction de matières
étrangères doit influer sur elle, et
calmer ou troubler l'instinct sexuel. Tout ce qui
est contre nature, ou dépasse la mesure est
impur. C'est pourquoi, pour répondre
à l'appel : « Retournons
à la nature », commençons
par le manger et le boire. C'est un fait bien connu
qu'en général, les hommes mangent
beaucoup trop, et qu'on meurt plus
fréquemment pour avoir trop chargé
son estomac que pour avoir eu faim.
Une nourriture naturelle procure un bon
sommeil, tandis qu'un estomac surchargé le
trouble et le chasse. Le repos complet des nerfs,
que le sommeil nous assure, est
littéralement un bain de Jouvence.
L'insomnie est une souffrance et un tourment. Il
est honteux et coupable d'abréger
volontairement la dose de sommeil nécessaire
au corps. Et si nous le faisons pour passer la
moitié de la nuit en
festins et en beuveries, nous n'avons pas le droit
de nous plaindre si, le jour suivant, les
tribulations sexuelles deviennent trop fortes pour
nous. C'est la vengeance naturelle des nerfs
surexcités. Un jeune homme en bonne
santé a besoin de sept à huit heures
de sommeil. Mais il ne faut pas, non plus, que le
sommeil amollisse. Les lits mous et chauds, les
édredons lourds et épais entre
lesquels on avait coutume de dormir autrefois ont,
Dieu merci, passé de mode. Avons-nous besoin
de plus de chaleur la nuit que le jour ? La
couverture n'a pas d'autre but que de remplacer
cette chaleur du corps que nous entretenons pendant
la journée par l'exercice et les
vêtements. Tout ce qui est de plus, est de
trop, met les nerfs dans un état
fiévreux, et, comme conséquence,
excite d'une façon anormale les organes
sexuels. Habituons-nous donc à organiser nos
lits simplement, afin qu'ils correspondent aux
besoins de notre corps et qu'ils puissent servir
à nous procurer un sommeil
réparateur. Le major de cavalerie Schill,
bien connu depuis les guerres de
l'indépendance allemande, raconte que pour
dompter son corps, il a souvent dormi sur des
planches dures. Que celui qui en a besoin le
fasse ! Probatum est !
Une autre condition importante pour
avoir un bon sommeil, est d'absorber de l'air pur
qui, en quelque sorte, purifie l'intérieur
du corps. On ne se figure pas quelles
conséquences morales peut entraîner la
négligence des soins à donner au
corps ; cette question, loin d'être
indifférente ou secondaire, est de la
dernière importance. Nous devrions nous
habituer à dormir la fenêtre ouverte,
même en hiver, si possible. Un homme en bonne
santé s'accoutume vite au bruit de la
rue ; cela ne l'empêche pas de dormir,
et il n'a plus alors un réveil
pénible et long avant de pouvoir s'arracher
à l'odeur repoussante d'une chambre
hermétiquement close. Ce que l'eau est pour
la peau, le bon air l'est pour les poumons. Tous
deux fortifient le corps, les nerfs, et en font des
organes dociles à notre
volonté.
Il ne faut pas davantage nous amollir
par nos vêtements. Qu'y a-t-il de plus
lamentable qu'un jeune homme consultant toujours
anxieusement le temps pour réfléchir
longuement ensuite sur l'habit qu'il doit mettre,
les vêtements de dessous qu'il doit choisir,
ou examiner s'il ne vaudrait pas mieux qu'il
s'enveloppât le cou d'un foulard ? C'est
déjà dommage d'employer sa puissance
de réflexion à de telles
bagatelles ; mais très souvent
aussi ce souci nerveux, cette
sensibilité à l'égard du
bien-être corporel, sont un mauvais signe de
la santé morale du jeune homme. La perte de
force qu'entraîne une vie
déréglée, attaque les nerfs,
la peau, les vaisseaux sanguins et rend l'homme
sensible à chaque courant d'air, à
chaque contagion. Un homme pur peut être
simple dans sa manière de se vêtir, et
cette simplicité, qui se change en
endurcissement, le récompense en
protégeant sa pureté.
« Si tu veux posséder
un esprit indépendant, rends ton corps
indépendant à l'égard des
soi-disant besoins de la vie ; si tu
désires avoir une âme forte et
puissante, rends ton corps fort et
puissant. » (Arndt.)
Enfin, il faut ajouter aux soins
corporels, les exercices corporels. Pour entretenir
et affermir notre pureté, nous ne choisirons
pas le sport, si goûté de nos
jours ; il a évidemment un bon
côté en faisant vivre les hommes
à l'air libre, mais lorsqu'il est excessif,
il présente l'inconvénient de
n'exercer que les forces corporelles. Nous ne
choisirons pas non plus l'athlétisme qui
change la proportion harmonique de nos formes en un
amas de muscles et des montagnes d'os, ni tout ce
qui est exagéré, ce qui surpasse nos
forces, et qu'on préconise tant de nos
jours. Nous laisserons ces
exagérations à ceux qui, pour de
l'argent, aiment à se donner en
spectacle ; il nous suffit que notre corps
obéisse à notre volonté.
Nous ne voulons être ni des
athlètes, ni des danseurs de corde, mais
nous borner à faire de la gymnastique pour
que nos membres restent souples, et que
l'embonpoint qu'amènent les années,
ne nous atteigne pas prématurément.
Nous apprendrons à nager pour nous faire un
coeur et des poumons résistants. Nous ferons
de l'équitation, lorsque nous en aurons
l'occasion, pour acquérir du courage
physique et nous habituer à une prompte
décision ; et nous ferons des
excursions pédestres afin d'avoir la joie
d'admirer la beauté de la nature et de nous
laisser pénétrer de sa grandeur.
Si seulement on n'avait pas
abandonné ces courses d'étudiants
qu'on connaissait autrefois, qui coûtaient si
peu, et laissaient cependant tant de
délicieuses impressions ! N'y a-t-il
que ce qui coûte beaucoup d'argent qui soit
beau ? Et si les conditions dans lesquelles je
me trouve ne me permettent rien de tout cela, je
puis m'accorder le bien-être du bain à
domicile, en épargnant l'argent
nécessaire à l'acquisition d'un
« tub »
(1) en
caoutchouc, et ne pas laisser passer un seul jour
sans que j'accorde à ma peau les
délices d'un bain ou d'un lavage froid.
Une âme forte dans un corps sain ; je
ne peux rien nous souhaiter de meilleur sur cette
terre ! Je me souviens d'avoir voyagé
une fois, sur mer, dans un bateau à voiles.
Les vagues frappaient contre le bateau et se
précipitaient par dessus bord. Nous
étions obligés de nous frayer un
chemin, prudemment et calmement, au travers du
balancement tumultueux des vagues.
Jamais encore, je n'avais ressenti,
d'une façon aussi saisissante, les
délices de la force juvénile que
lorsque assis, tout mouillé, au gouvernail,
j'attendais sous la voile les vagues qu'il fallait
surmonter. Plus d'une fois, j'exprimai tout haut ma
joie par un cri d'allégresse, et, chose
certaine, la joie et la chaleur intérieures
que j'éprouvais, me
préservèrent du rhume dont les autres
souffrirent les jours suivants. Une âme forte
dans un corps sain ! Recherchons-la, et
expérimentons la parole de Zola :
« L'homme pur est le plus
fort ».
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