MOODY
PÊCHEUR
D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.
CHAPITRE VIII
AUPRÈS DES FOULES ET DES
ÉLITES (1882-1892)
Programme
et doctrine d'un homme d'action
Les bases de l'édifice sont
posées : l'oeuvre s'élève et
s'étend. Une pléiade d'amis
fidèles collaborent avec élan et,
désireux d'épargner des soucis
matériels à leur chef, l'aident
à se donner tout entier à ses
multiples tâches.
Durant une dizaine d'années, Moody
continuera ses campagnes
d'évangélisation aux Etats-Unis et en
Grande-Bretagne ; il contribuera au
développement rapide des institutions
créées à Northfield et aux
alentours ; il présidera et inspirera, avec
un inlassable entrain les conférences
d'été. On ne saurait comprendre ce
que furent son action et sa puissance de travail si
l'on ne considère l'unique
élément par quoi s'explique une telle
personnalité : l'humilité dans la
consécration. On ne voit de changements
notables ni dans sa méthode de
présentation du message, ni dans le contenu
de ce message qui est toujours l'Évangile,
la bonne nouvelle de l'amour de Dieu. Mais, sur
quelques points, l'expérience l'a conduit
à préciser son action.
Répondant par deux fois à
l'invitation de ses amis anglais, il leur consacra
d'abord deux années (de l'automne de 1882
à l'été de 1884) et c'est
à cette époque aussi qu'il se rendra
à Paris pour présider plusieurs
réunions au temple de l'Oratoire du Louvre,
où on le fit prêcher. Le Père
Hyacinthe (1)
était au premier rang de ses auditeurs, de
même qu'Edmond de Pressensé
(2) , qui lui
trouvait une ressemblance avec Gambetta. Le second
séjour en Grande-Bretagne (automne 1891
à fui 1892) sera interrompu par une
croisière en Palestine, où
l'accompagnèrent sa femme et ses amis
d'Écosse. Après l'Europe, le Canada.
Partout, Moody cherchera à approfondir la
vie chrétienne de ceux qui ont
été réveillés et les
pressera de mettre leurs dons au
serviced'autrui. «Le plan
de Dieu n'est pas seulement de rendre des hommes
bons, mais de les rendre bons à quelque
chose ! ... », disait-il volontiers. On
l'entendait insister davantage qu'au début
sur la nécessité de la repentance,
sans laquelle échouent tant de
conversions.
D'autre part, la voie qui s'était
ouverte à lui, au Collège de
Princeton, devait s'élargir encore.
Appelé à Édimbourg, à
Oxford, à Cambridge, il y remua
profondément le monde des étudiants.
Puis, rentré au pays, on le vit prendre une
part éminente aux conférences
universitaires de Northfield et au «Mouvement
des Volontaires du service
chrétien».
Enfin sa préoccupation - qui datait
de loin - d'une formation plus complète des
«ouvriers du Seigneur » en vue des
activités et oeuvres ecclésiastiques,
aboutira, en 1886, à la fondation de
L'Institut biblique de Chicago : c'est
là le complément et comme le
couronnement des écoles de Northfield et de
Mount-Hermon, car on y assurera le recrutement de
laïques et de pasteurs qui suivront le sillon
tracé par leur père spirituel. Moody
pouvait quasiment répéter ce que
Calvin disait de ses élèves :
«J'ai des enfants dans le monde
entier».
Quelques citations empruntées aux
écrits et discours de cette période
nous permettent de vérifier sa
fidélité à l'enseignement des
apôtres, son attachement à la Bible,
la place qu'il faisait à la croix du Christ
et à l'espérance de son retour -
autant de points sur lesquels il se séparait
nettement d'un christianisme anémié,
humanisé à l'extrême et
rabaissé au goût du jour. Il n'avait
que faire d'un sel ayant perdu sa saveur, d'un
levain inopérant, d'une religion comme il en
existait une à Corinthe, au temps de Paul,
et qui rendait vaine la croix de Christ.
Son respect pour la Bible était
absolu. On peut, tout en croyant à
l'inspiration de l'Écriture Sainte, ne point
partager sa formule littéraliste, mais on
doit s'incliner devant sa foi à la Parole de
Dieu, vivante et permanente, seule apte à
sauver les âmes.
«En ce qui concerne les
mystères », déclarait-il, Je me
félicite d'en trouver dans la Bible. Si Je
pouvais la lire comme je lis n'importe quel livre,
je l'aurais comprise il y a déjà
quarante ans. je suis heureux qu'elle
présente des sommités et des
abîmes que je ne puis mesurer. Qu'un homme
ait été capable de l'écrire et
nous aussi pourrions en écrire une : nous
aurions alors des milliers de
Bibles différentes. Si je pouvais la
comprendre toute entière, cela me serait une
preuve suffisante qu'elle ne vient pas de Dieu ...
Ce dont nous avons aujourd'hui besoin, c'est
d'hommes qui croient à la Bible de la
tête aux pieds, qui croient à toute la
Bible, à ce qu'ils comprennent et à
ce qu'ils ne comprennent pas ... »
Souvent il revenait sur la
nécessité de se nourrir de cette
Parole avec régularité : «Un
homme ne peut pas plus faire provision de
grâce pour l'avenir qu'il ne peut manger en
un jour de quoi être nourri pendant six mois
; pas plus qu'il ne peut emmagasiner en une fois
assez d'air dans ses poumons pour vivre durant la
semaine qui suivra. Il nous faut, jour après
jour, puiser dans les réserves
illimitées, à la source intarissable
de la grâce, au fur et à mesure de nos
besoins ».
Sur la nécessité de
l'expiation et la réalité du salut
scellé par le sang de Christ, sur le
caractère indispensable de la conversion et
de l'action du Saint-Esprit, il n'était pas
moins catégorique : «Il faut qu'un
homme naisse de nouveau pour demeurer dans la foi
en Christ par le Saint-Esprit avant de devenir un
enfant de Dieu. Je crois que si l'Esprit n'avait
pas été donné aux hommes,
l'histoire de la vie et de la mort de Jésus
serait tombée dans l'oubli. Nous ne pouvons
convaincre les hommes de leur péché
par aucun raisonnement logique, ni par
éloquence, ni par pouvoir humain. La
conviction du péché est l'oeuvre du
Saint-Esprit seul... Cependant ne croyons pas que,
pour l'avoir reçu une fois, nous le
conservions indéfiniment. Il faut
constamment revenir à la source»...
Seconde campagne britannique:
l'action sur les élites
En présence d'un message aussi
précis, il importe de connaître
l'impression que fit son auteur lors d'un nouveau
séjour en Grande-Bretagne.
«M. Moody est de nouveau parmi
nous, écrivait en 1882 l'une de ses
collaboratrices écossaises, et nous en
sommes fort heureux. Il a gardé la
même simplicité, il est resté
l'homme droit et aimant que nous avons connu... La
puissance qui accompagne son témoignage est
toujours aussi grande ; elle est plus grande
même. Son style n'a pas changé ; il
est peut-être plus tempéré. M.
Moody est le même, mais plus calme : le
même, mais on sent qu 'il
a beaucoup grandi du côté du ciel. Il
s'est débarrassé de certaines
originalités, de quelques
américanismes » qui nous amusaient. Je
puis dire qu'il a progressé s'il a perdu
certains traits que nous aurions aimé
garder, peu importe ! L 'essentiel est que ce qu
'il prêche soit toujours le vieil
Évangile... ».
Pour le suivre dans ses multiples
pérégrinations, il nous manque la
ressource d'un «Journal intime». Moody
n'en a point écrit. Tout d'abord parce qu'il
n'en avait pas le temps ; ensuite parce qu'il
n'aurait pas eu celui de se relire enfin parce
qu'il était trop modeste pour croire que la
chose pût être utile à d'autres.
On doit s'en tenir à ses lettres et aux
extraits de presse.
Si les foules continuaient à se
renouveler sur son passage, si les réunions
de «chercheurs» étaient toujours
aussi suivies, s'il s'efforçait, comme
auparavant, d'atteindre tous les milieux, l'une des
caractéristiques de cette seconde campagne
est bien l'action exercée par cet homme
dépourvu de culture sur les centres
académiques.
Moody eut, en effet, la joie de retrouver,
au premier rang de ses collaborateurs
dévoués, le professeur Henry
Drummond, qui tout un été, en
Écosse, au pays de Galles et en Angleterre,
lui donna son concours enthousiaste. C'est sans
doute à cet universitaire déjà
fort connu qu'on dut l'intérêt
témoigné par les cercles
intellectuels, si jaloux de leur liberté
d'examen et si peu disposés à
accueillir quelqu'un qui n'était point des
leurs. Au début il y eut bien, à
Oxford comme à Cambridge, quelques
séances assez houleuses. Mais Moody
n'était point homme à se laisser
facilement démontrer Preuve en soit
l'incident que voici : Un soir, la réunion
avait été marquée par
l'entrée bruyante et l'attitude incorrecte
d'un groupe d'étudiants. «Nous
étions le lendemain, Moody, sa femme et moi,
dans un petit salon privé, raconte un
assistant ; nous venions de terminer noire
déjeuner, lorsqu'on annonça le
même groupe. Ils entrèrent ;
c'étaient tous des gaillards à l'air
viril, bien bâtis, bien campés. Sans
préambule et sans nulle hésitation,
ils s'excusèrent loyalement du scandale de
la veille. Sans hésitation non Moody ouvrit
son coeur à ces jeunes qu'il voyait vifs,
insouciants, espiègles, mais prêts
à reconnaître franchement leurs torts.
De leur côté, ils virent qu'ils
avaient affaire à l'une de ces âmes
sans fraude vers qui la jeunesse se
sent irrésistiblement
attirée. À la question des visiteurs
:
- Que pouvons-nous faire pour vous
exprimer nos regrets ?
- Venez ce soir à ma
réunion, répliqua Moody, y, et prenez
place au premier rang : votre présence sera
la preuve que vous voulez
«réparer».
Et ce soir-là, on vit arriver non
seulement les fautifs mais plusieurs de leurs
camarades qui comptaient au nombre des meilleurs
sportifs. Dès lors, l'opposition fut vaincue
et il fallut chercher un local plus vaste. On le
trouva à l'Hôtel de Ville.
Après la séance, Moody,
juché sur un banc, groupa autour de lui les
auditeurs qui voulaient encore l'écouler
:
- Ce sera pour vous une croix de
confesser Christ ce soir, mais ce qu'il y a de
mieux à faire pour voir le royaume de Dieu,
c'est de prendre sans retard celle croix et de la
porter. L'un de vous n'est-il pas prêt
à le faire et à dire : Je veux ?
...
Une voix alors fit entendre la parole
attendue. D'autres jeunes, s'armant de courage,
suivirent. Et ce fui un flot de: «Je veux !
».
- Merci! s'écria Moody. J'aime ces
«Je veux» ! Jeunes gens, vous ne savez
pas quelle joie j'éprouve à les
entendre ! Cela vaut toute une vie de travail. Je
me souviens de la première occasion que J'ai
eue de rendre témoignage à Christ.
Mes genoux s'entrechoquaient, je tremblais de la
tête aux pieds, mon cerveau me semblait se
vider... Je ne dis que quelques mois, puis je me
rassis, mais, pour mon âme, il en
résulta une bénédiction qui
dure encore. C'est un merveilleux secours pour un
homme que de s'affirmer crânement et de
laisser amis et ennemis apprendre qu'il s'est
rangé du côté du Christ. Il est
bien plus aisé de Le servir ensuite. Qu'un
certain nombre d'entre vous se déclarent
avec ensemble pour Dieu et vous changerez le Ion de
votre Université !»
À Cambridge, l'Union
chrétienne qui groupe les étudiants
de divers collèges, dut une reprise de sa
vitalité à la même mission. Les
fondateurs ont allumé leurs lampes à
la torche ardente et les ont transmises à
leurs successeurs. C'est à la même
intervention que remontent les origines du
Mouvement des Étudiants chrétiens
qui, dès lors, s'est étendu au monde
entier.
On peut citer d'autres exemples de
l'extraordinaire emprise exercée sur
ceux-là mêmes qui venaient
écouter Moody dans un
esprit critique. Un soir, à Londres,
Bradlaugh, célèbre protagoniste de la
libre-pensée, avait convoqué ses
partisans à l'une des séances
où se trouvaient spécialement
invités les sceptiques et les athées.
L'orateur prit pour texte deux vers du cantique de
Moïse : «Leur rocher n'est pas comme
notre rocher, nos ennemis en seront juges» (
Deutéronome XXXII. 31).
Si sérieux et pressant fut son
discours que l'auditoire entier était
suspendu à ses lèvres. C'était
un appel au coeur et à la volonté
plus qu'à la raison. Vers la fin,
l'évangéliste invita ceux qui
voulaient se retirer à le faire librement et
annonça l'after-meeting habituel :
«Je m'imaginais, a
raconté l'un des assistants, que la salle
allait se vider.» Tout au contraire, la foule
après s'être levée pour le
chant, se rassit avec ensemble. Moody pressa ceux
qui voulaient répondre à son appel de
l'annoncer ouvertement. Quelques-uns le firent.
Mais une voix s'éleva:
- Moi, je ne veux pas !
Visiblement ému, Moody reprit la
parole
- Il s'agit en effet pour chacun de ceux
qui sont ici ce soir d'un «Je veux » ou
d'un «Je ne veux pas » ! Il faut choisir.
Puis, se rappelant la parabole de l'enfant prodigue
: «C'est sur le plan de la
volonté», ajouta-t-il, que le combat se
déroule. Hommes, votre champion est
là au milieu de nous, c'est celui qui a
clamé : «Je ne veux pas ! ». Que
tous ceux donc qui lui donnent raison le suivent et
se lèvent en disant, eux aussi: «Je ne
veux pas ! ».
Silence profond de l'assemblée.
Tous retenaient leur souffle.
- «Alors, reprit Moody, que Dieu
soit béni ! personne d'autre n'a dit :
«Je ne veux pas !» Mais, qui de vous dira
maintenant : « Je veux » ? À
l'instant même, il sembla que l'Esprit de
Dieu se fût emparé de celte foule
d'ennemis de Jésus-Christ. On vit cinq cents
hommes au moins se lever et s'écrier :
«Je veux, je veux ».
La bataille était gagnée.
Vers la fin de cette période se place
un autre épisode plein de saveur. il
s'applique à celui que l'on a pu nommer le
«Livingstone du Labrador», le Dr.
Grenfell, ce savant qui, plus tard consacra sa
science, ses talents et sa vie à
sauver de la maladie et de la
misère le peuple esquimau qu'on exploitait
alors aussi indignement qu'au temps des marchands
d'esclaves la race noire. jusqu'alors Grenfell
n'avait jamais considéré les gens
pieux comme des hommes complets : grâce
à Moody, il eut la preuve du contraire.
Certain jour qu'il était allé
écouter «l'Américain», un
excellent pasteur ouvrit la séance par une
interminable prière dont l'effet le plus
immédiat fut de pousser Grenfell à
battre discrètement en retraite. À
cet instant, Moody se leva et déclara d'une
voix forte : «Pendant que notre
frère achève sa prière, nous
allons chanter un cantique ... »
Frappé par ce trait de fermeté et de
bon sens, Grenfell demeura cloué sur place.
Il se rassit, écouta le message de l'orateur
et, ce soir-là, voua sa vie à Dieu
!
La mission devait se terminer par un service
de Sainte Cène auquel prirent part plusieurs
milliers de personnes appartenant à toutes
les dénominations ecclésiastiques.
Puis Moody, qui avait grand besoin de repos, le
chercha, à la campagne, dans une maison
amie. Henry Drummond s'y trouvait aussi. Un
dimanche après-midi, comme on insistait
assez indiscrètement pour que le «
cousin d'Amérique ».
présidât le culte, il s'y refusa
nettement :
- Non ! déclara-t-il, vous m'avez
entendu pendant huit mois, cela suffit, je suis
à bout. Mais voici Drummond ; il nous fera
une lecture biblique.
Et c'est alors que celui-ci, cédant
aux instantes sollicitations de ses hôtes,
lut le chapitre XIII de la 1ère
épître aux Corinthiens - l'hymne
à la charité - et donna très
simplement, sans avoir une seule note sous les
yeux, le commentaire qui, sous ce titre : La
plus grande chose du monde, a été
traduit en de nombreuses langues. Moody disait un
Jour de ce texte admirable : «On devrait le
relire au moins une fois par mois dans toutes les
Églises, jusqu'à ce que la
chrétienté l'ait appris par coeur !
».
Conférences universitaires
de Northfield
Le réveil qui avait passé sur
les universités anglaises devait,
préparé en quelque mesure par Moody
lui-même, s'étendre à leurs
soeurs américaines. Studd, l'un des
étudiants de Cambridge
faisant partie d'une équipe fameuse, dite
des Sept, dont plusieurs se destinaient à la
Mission en Chine, Studd, qui devint plus tard
lord-maire de Londres, dirigeait alors une campagne
d'évangélisation aux Etats-Unis.
Partout sa parole éveillait un vif
intérêt
(3).
Moody, qui connaissait sa valeur
spirituelle, obtint qu'il fût
libéré de ses obligations d'ordre
général et s'intéressât
spécialement aux élèves des
collèges. C'est ainsi qu'en compagnie de
Luther Wishard, de Frank Ober, de Richard C. Morse,
tous chefs unionistes de marque, l'équipe
britannique visita les établissements de
Mount-Hermon. «Nous étions quatre
dans la voiture», raconte Morse dans ses
souvenirs. «Moody, qui conduisait
lui-même, nous parla des origines de ses
écoles, de leur but. Au retour, traversant
la forêt située derrière
Mount-Hermon, il nous montra un baraquement
disponible.
- Pourquoi, demanda-t-il,
n'amèneriez-vous pas là
l'été prochain un certain nombre de
secrétaires unionistes qui consacreraient
leurs vacances à étudier ensemble la
Bible, comme vous venez de le faire ici ?
- Soit, intervint Wishard, mais ne
pourrions-nous pas avoir une conférence pour
les élèves des collèges
?»
Immédiatement un plan fut
ébauché. Les visiteurs
proposèrent à Moody de convier
lui-même les étudiants. En juillet de
1886, eut lieu à Mount-Hermon la
première de ces Summer conferences
(4) qui devaient
prendre un tel développement. L'année
suivante, on se transporta à Northfield. Des
années durant, Moody les prépara et
les présida avec l'aide de John-R. Mott,
alors au début de sa carrière. Un de
leurs collaborateurs a pu déclarer
«qu'ils dressaient leurs programmes comme si
seule comptait la prière et qu'ils priaient
comme si l'organisation était tout».
Comment s'étonner du fait que le plus jeune
des deux dirigeants ait gardé à son
aîné une reconnaissance profonde?
|
|
Luther-D. Wishard, premier
secrétaire de la branche
étudiante des U.C.J.G.
|
John-R.
Mott, au début de sa
carrière de secrétaire des
U.C.J.G.
|
Très ferme dans ses convictions mais
toujours large et compréhensif, Moody fit
venir à Northfield des hommes de tendances
assez diverses. On a été
jusqu'à lui en faire reproche, notamment
lorsqu'il s'adressa à Henry Drummond ou
à George Adam Smith,
l'hébraïsant et commentateur bien connu
de l'Ancien Testament. Même lorsque prit fin
cette collaboration confiante, l'organisateur leur
resta loyalement attaché. «Il n'est pas
nécessaire que toute divergence d'opinion
entraîne une rupture», a dit Calvin. Tel
était bien l'avis de Moody. Son amour
chrétien jetait des ponts là
où tant d'autres se plaisaient à
creuser des tranchées. Il faisait sien le
mot d'ordre de Luther : «Dans les choses
nécessaires, unité ; dans les choses
non nécessaires, liberté ; en toutes
choses, charité».
On sait le rôle que la
Fédération chrétienne
universelle des Étudiants - et
spécialement le Mouvement des Volontaires -
ont joué dans l'histoire des Missions au
cours des années qui ont
précédé la première
guerre mondiale. Qui pourrait dire le nombre des
vocations de cet ordre nées ou affermies au
cours des conférences d'été ?
Et comment ignorer que des foules
d'élèves des instituts de Northfield
et de Mount-Hermon se sont également
consacrés à
l'évangélisation du monde païen.
En dépit de quoi, certains ont pu faire
grief à Moody d'une insuffisance de
zèle pour les Missions !
On peut en trouver la raison dans un
désaccord de principe sur l'engagement que
l'on demandait alors aux Volontaires. À ses
yeux rien n'était plus dangereux pour un
effort ayant l'ampleur des Missions que d'exiger de
chacun un enrôlement quasiment uniforme.
«Puisque le Royaume de Dieu embrasse toutes
les nations», disait-il, «Peu
importe le cadre dans lequel se déroule la
vie d'un homme : l'essentiel pour lui c'est
d'être où Dieu le veut. Quant au lieu
et à la forme du service, le Père les
révélera à l'heure qu'Il
voudra... ».
En plus des étudiants
américains qui fréquentèrent
les conférences d'été,
Northfield reçut la visite de
représentants éminents
d'universités d'Europe. De leur nombre fut
Nathan Söderblom, qui devait devenir
archevêque de l'Église
luthérienne de Suède, l'animateur de
la Conférence des Églises pour le
Christianisme pratique et qui donna, en 1925, une
puissante impulsion au grand mouvement de
l'oecuménisme. Le témoignage qu'il
rendit à l'initiateur est digne d'être
connu :
«Moody, déclarait-il,
est ici la personnalité centrale.
D'où vient à cet homme modeste et
sans instruction (quoique parvenu grâce
à son travail opiniâtre à un
développement
remarquable) l'influence qu'il
exerce ? Comment s'expliquer le fait que des
professeurs, d'entre les plus cultivés, se
pressent autour de ce «paysan», comme il
lui plaît de se nommer lui-même ?
Comment se fait-il qu'il 'jouisse de l'estime
universelle des meilleurs représentants de
toutes les Églises, depuis les
«High-Churchmen»
(5) jusqu'aux
Luthériens, Indépendants et
Baptistes? Tout simplement parce qu'il s'est
toujours abstenu de prosélytisme.
Après l'indifférence, il n'est rien
qu'il déteste autant que cela. De lui est ce
mot frappant : Dieu a créé une
unité bénie ; elle est brisée
dès qu'il y a prosélytisme.
Dès que nous commençons à
élever notre petit parti ou notre
Église au-dessus des autres, l'Esprit de
Dieu semble s'enfuir.»
Mais la source la plus profonde de cette
influence est son amour ingénu. L'amour de
Dieu et des âmes, un amour dont le
caractère désintéressé
ne peut être nié. Moody est un enfant,
un véritable enfant de Dieu, voilà ce
qui le caractérise avant tout. Je le revois
écoutant le chant de Sankey, opinant
dé, la tête quand il entend un mot
d'un sens profond, surtout s'il louche à son
thème favori : la rédemption par
Christ. Cet homme est merveilleux. il constitue
pour moi un chapitre nouveau de ma vie»
(6).
L'institut biblique de
Chicago
Nonobstant le succès des
conférences de Northfield, Moody ne se
détourna point de l'autre projet
déjà mentionné qu'il avait
depuis longtemps à coeur : la formation
d'ouvriers pour le travail de
l'évangélisation. Il faut remonter
aux années de ses débuts à
Chicago pour trouver le germe de la nouvelle
institution.
«L'Illinois Street
Church», à Chicago. Le premier temple
érigé par Moody
L'École du dimanche avait donné
naissance à l'Église de North-Market
; des appels incessants étaient
adressés à Moody et à ses amis
Whittle et Jacobs, appels auxquels ils ne pouvaient
pas toujours répondre. Le sentiment de
toutes les forces restées en friche chez les
laïques et l'urgente nécessité
de les former pour le service de Dieu ne pouvaient
que confirmer Moody dans son idée de
créer une école
spéciale pour hommes et
femmes disposés à consacrer leur
temps à l'évangélisation ou
aux oeuvres chrétiennes : on les initierait
à la connaissance et à la
compréhension de l'Écriture Sainte,
à l'enseignement et à la
prédication. Un projet était
déjà sur pied lorsqu'il partit pour
sa première campagne d'Angleterre. il fallut
en remettre la réalisation à
quelqu'un d'autre, et Dieu lui fit trouver une
personnalité qualifiée, Miss Deyer,
Jusqu'alors à la tête de
l'École normale de l'Illinois.
Obéissant à une inspiration de Dieu,
elle avait abandonné ce poste pour assumer,
à Chicago, la direction d'un refuge de
filles perdues. Au lendemain du grand incendie, on
fit appel à elle pour une
société de secours aux femmes. C'est
alors que, grâce aux Unions
chrétiennes, elle entra en relations avec
Moody et, pendant deux ans, dirigea la grande
classe biblique de son église, tout en
s'intéressant aux associations de jeunes
filles et de mères. Moody lui confia son
École biblique.
L'oeuvre nouvelle prit une extension rapide.
Plusieurs maisons furent louées dans le
voisinage de l'église de l'Avenue, qui avait
remplacé celle de North-Market. Les jeunes
filles qui se réunissaient autour de Miss
Deyer consacraient leur temps libre à des
visites en ville en échange de l'instruction
biblique qui leur était donnée.
Frappé de ces faits, Moody souhaite pouvoir
fonder une oeuvre analogue à l'instruction
des Jeunes hommes. Il établit le programme
des cours, réunit un état-major
d'instructeurs capables, mais il en était
réduit à improviser, à
tâtonner, car il n'existait alors aucune
instruction similaire dont il pût s'inspirer
: de plus, un triage sévère, point
toujours facile, s'imposait entre les candidats
dont les compétences n'étaient pas
toujours à la hauteur de la bonne
volonté. Et surtout, Moody eut de la peine
à faire comprendre et partager ses
idées. On l'accusait de vouloir faire
concurrence aux facultés de théologie
officielles, aux séminaires
déjà créés et de lancer
dans le monde des ouvriers inexperts et
insuffisamment préparés. Or, rien
n'était plus éloigné de ses
vues. L'initiateur s'ingéniait à
utiliser les forces réelles mais
inemployées qui pouvaient, pensait-il,
combler le fossé souvent très large
entre les pasteurs et la foule. Il entendait servir
les églises en formant ces
évangélistes, lecteurs de la Bible,
colporteurs, diacres, chantres et autres
collaborateurs qui leur apporteraient un secours
précieux.
La
«Chicago Avenue Church» et une partie de
l'Institut Biblique Moody.
Un des
bâtiments de l'Institut Biblique
Moody.
En 1876, l'insistance de Miss Deyer avait abouti
à l'acquisition des premiers immeubles. En
1885, il y avait urgence à opérer une
concentration des diverses branches de l'Institut.
Mais Moody avait donné une consigne absolue
: pas d'établissement nouveau avant d'avoir
réuni deux cent cinquante mille dollars. Six
mois plus tard, la somme était
entièrement souscrite : on pouvait donc
songer à se mettre au travail. Dans un
discours sur l'évangélisation de la
Cité, il exposa les détails de son
plan et lança la
«Société
d'évangélisation de
Chicago».
Certes, il fallut pas mal de temps pour
vaincre les dernières difficultés et
surmonter les oppositions. Témoin des luttes
extérieures et intérieures que Moody
eut à soutenir jusqu'au moment où, en
1889, il résolut d'aller de l'avant,
coûte que coûte, le pasteur Goss, son
successeur à l'Église de l'Avenue,
les évoque avec pénétration
:
«J'ai eu la bonne fortune de suivre
les opérations de son esprit pendant toute
la période où se prépara cette
grande entreprise : c'est ce que j'ai vu de plus
impressionnant en fait de travail mental et
spirituel. La ferveur de Moody, son
intensité de sentiment, la prodigieuse
énergie de sa volonté, sa foi
faisaient penser à quelque force de la
nature. Un jour, à Northfield, comme nous
remontions le long d'une calme et magnifique
vallée, il se mit à me parler de ses
plans : ses yeux brillaient, sa face rayonnait.
Soudain, il arrêta son cheval, enleva son
chapeau et me dit d'une voix qui me fit passer un
frisson dans tout le corps : « Je suis
terriblement préoccupé par cette
affaire. Prions Dieu qu'Il nous aide à nous
y consacrer ». Si jamais prière monta
jusqu'au ciel, c'est bien celle-là. J'en
étais tout ému. Lorsque nous
revînmes à Chicago, je continuai
d'étudier son processus mental, comme un
régleur examine les mouvements d'une montre
: Moody arriva sur le théâtre des
opérations ainsi qu'un général
sur le champ de bataille : avec la rapidité
de l'éclair il saisit les positions
stratégiques et subordonna tout à
l'exécution de son plan.»
Une lettre à son fils laisse
entrevoir combien rude lut cette période de
luttes : «Combien je voudrais être
auprès de vous ! C'est si bon de se dire que
bientôt je reverrai mon cher vieux Northfield
et tous mes bien-aimés. Aujourd'hui
même j'ai reçu deux mille livres de
Mme Mac Kinnon. Cela m'a fait du bien. Quelle
magnifique chose que d'avoir de pareils
amis ! J'arrive au bout, tout va
au mieux ; mais cela n'a pas été une
petite affaire ! Je suis si reconnaissant que tout
soit maintenant derrière moi, car je ne
voudrais certes pas revivre trois années
comme celles qui viennent de
s'écouler»...
Pour difficile qu'ait été
l'entreprise, Moody ne devait regretter ni peines
ni soucis. Une fois de plus, il voyait la
bénédiction de Dieu reposer sur son
travail. N'était-ce pas le Très-Haut
qui l'avait inspiré? C'était donc Lui
qui fournirait aussi les moyens de l'accomplir. Les
terrains avoisinant l'église de l'Avenue
furent achetés, avec trois maisons pour les
élèves de sexe féminin, tandis
qu'une maison pour hommes était construite
de toutes pièces : le 26 septembre 1889,
l'Institut biblique de Chicago ouvrait ses portes,
ayant pour premier directeur le
Révérend Torrey
(7). Grâce
au don généreux d'un ami
écossais, l'entreprise fut bientôt
complètement à flot et Moody pouvait
écrire avec joie et reconnaissance :
«Je sais maintenant que si j'étais
appelé à partir, l'oeuvre me
survivrait. Je regarderai toujours celle
année 1890 comme celle où J'ai
atteint le sommet de la colline ... »
Troisième séjour en
Grande-Bretagne - Pèlerinage en
Palestine
En automne de 1891, Moody devait visiter la
Grande-Bretagne pour la troisième fois. Une
demande portant la signature de deux mille cinq
cents personnes représentant les principales
Églises de cinquante bourgs et cités
d'Écosse lui avait été remise
à la Conférence de Northfield : on ne
pouvait décliner pareil appel ! Mais en
acceptant de consacrer plusieurs mois à une
nouvelle campagne de réveil, il assumait une
lourde charge. L'effort était de taille !
Rien qu'en Écosse quatre-vingt-dix
localités où il aurait à
parler quotidiennement trois ou
quatre fois, et cela en moins de cent jours ! Et
pareil régime l'attendait en Irlande aussi
bien qu'en Angleterre, tout le long du printemps.
La campagne se termina à Londres même
par une mission prêchée au Tabernacle
métropolitain où Spurgeon avait si
longtemps proclamé l'Évangile.
C'est à ce moment, qu'avec l'aide
d'amis généreux, Moody put
réaliser son cher désir d'un
pèlerinage en Palestine. on voudrait
posséder sur cet épisode des
détails abondants ; on voudrait surtout
connaître les impressions que ce grand
chrétien ressentit en évoquant, aux
lieux mêmes où elles se sont
déroulées, tarit de scènes de
l'Évangile ou de l'Ancien Testament qu'il
avait si souvent décrites. Pour lui, homme
de la Bible, quelle émotion que de voir le
pays de la Bible ! Fouler les chemins parcourus
Jadis par les patriarches et les prophètes,
retrouver la trace des pas de Jésus de
Nazareth, contempler les montagnes vers lesquelles
les croyants levaient les yeux, s'asseoir sur la
margelle du puits de Jacob, prier à son tour
sur la colline où pria le Sauveur... Quel
privilège !
Malheureusement, Moody écrivait peu,
et nous n'avons que de brefs extraits des
récits de ses compagnons de route : sa femme
et son Fils cadet. On peut néanmoins
imaginer ce que furent ces heures de communion avec
la grande nuée de témoins :
«Le jour de Pâques, 17 avril,
nous attendîmes le lever du soleil sur le
Mont des Oliviers - il apparut vers six heures,
au-delà des sombres collines de Moab. Moody
était calme. «Emma - dit-il à sa
femme - réalises-tu que nous sommes sur les
lieux où le Seigneur Jésus a
été crucifié ? Asseyons-nous
ici et lisons le récit de la
Résurrection». Lorsque nous le soleil
faisait resplendir les pavots écarlates
entre les pierres blanches. Moody murmura, tout
saisi : «Ne croirait-on pas voir des
traînées de sang sur ce chemin ? ...
».
LE TEMPLE BAPTISTE DU TABERNACLE A
LONDRES
C'est dans cette église, dont Charles H.
Spurgeon fut le pasteur, que Moody tint une mission
au cours de son dernier séjour en
Angleterre.
Appelé à prêcher ce
jour-là hors des murailles de la ville et
sur la pente dénudée qui la domine,
il déclara n'avoir jamais été
aussi ému. C'était l'heure
d'ôter les sandales de ses pieds; car la
terre qu'on foulait était une terre sainte.
il continua, retraçant l'épreuve de
la foi d'Abraham, saisi lui-même à la
pensée de ce que le patriarche,
obéissant et fidèle, avait dû
souffrir en gravissant la colline de Morija. Puis
il en vint à parler de l'amour du
Père qui n'a point épargné
son Fils unique, et termina par
un appel pressant à se donner au Sauveur qui
avait ici même indiciblement souffert.
La nuit suivante, il sortit seul et se
promena dans les rues de Jérusalem
éclairées par la pleine lune.
Quelqu'un, semblait-il, marchait à ses
côtés, parlant seul à son
coeur. Le voyageur songeait aux multitudes qui
étaient accourues pour écouter
l'apôtre Pierre annonçant le pardon,
la résurrection du Christ et la vie
éternelle. Il marcha longtemps, et, comme
les disciples d'Emmaüs, son coeur
brûlait au-dedans de lui. Il pensait à
ces autres multitudes qui, dans quelques mois
afflueraient à Chicago pour une Exposition
universelle commémorant le tricentenaire de
la découverte de l'Amérique : ne
fallait-il pas prévoir une campagne
exceptionnelle pour faire retentir devant elles les
appels de Dieu ?
Les dernières semaines de son
séjour à Londres furent
extraordinairement remplies. Cependant la fatigue
de ce long effort commençait à se
manifester. L'absence de Spurgeon, son grand ami,
mort depuis peu de mois, projetait une ombre sur
son chemin et parlait de dépouillement
croissant. Subitement, le prédicateur
infatigable se sentit vieillir. Ses forces
allaient-elles le trahir. Devant
l'inquiétude de ses amis il accepta, non
sans peine, de consulter un spécialiste
éminent. Les heures de l'homme de l'art
étaient comptées aussi l'entretien
fut-il bref :
- Combien de fois par jour parlez-vous
habituellement, Mr. Moody ?
- En général trois fois, le
dimanche quatre ou cinq.
- Combien de jours par semaine ?
- Six Jours, mais au cours du dernier hiver,
le septième aussi.
- Vous êtes un insensé,
Monsieur, un insensé ! Vous vous
tuerez..
- C'est juste, docteur. D'habitude je me
reposais le samedi, mais cette année a
été exceptionnelle. À mon
tour, me permettez-vous de vous demander combien
d'heures par jour vous travaillez
vous-même
- Environ seize à dix-sept.
- Combien de jours par semaine ?
- Tous les jours, Monsieur, tous les
jours.
- En ce cas, docteur, je crois que vous
êtes encore plus insensé que moi.
Et tous deux de rire !
Le célèbre médecin
continua son travail quelques mois seulement, puis
ce fut la fin. Moody, lui, put l'accomplir sept
années encore. Cependant, il avait compris
la nécessité de freiner et
renonça à son projet d'une campagne
de réveil à Chicago. Ah ! que
n'avait-il vingt ans de moins ! ...
Charles
H. Spurgeon, le grand prédicateur
baptiste.
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