MOODY
PÊCHEUR
D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.
CHAPITRE VII
ÉDUCATEUR ET BÂTISSEUR
Peu après son installation à
Northfield, Moody put acquérir une assez
vaste propriété que, grâce
à des circonstances favorables, il agrandit
par la suite. En peu d'années, son village
natal allait devenir un centre, rayonnant au loin,
une sorte de «ville sur la montagne ...
».
Se rappelant les expériences
fâcheuses qu'il avait faites lui-même
pendant son enfance, il désirait ardemment
venir en aide à la jeunesse rurale. Aussi,
toujours intéressé par les questions
d'aide pédagogique, devait-il mettre sur
pied, en deux ans au plus, des
établissements scolaires qui, à peine
créés, allaient prendre un essor
exceptionnel. Ses décisions furent rapides
(«Je suis un impulsif», disait-il
volontiers), mais elles étaient le fruit de
sérieuses méditations.
L'école de jeunes
filles
Un jour qu'ils visitaient une pauvre famille
du pays, (le père était paralytique,
mère et filles demandaient au tressage de la
paille leur maigre subsistance), Moody et son
frère Samuel furent émus par cette
situation, Que serait, se dirent les visiteurs,
l'avenir de ces adolescentes à
l'intelligence éveillée qui n'avaient
à leur portée d'autre
possibilité de développement qu'une
simple classe primaire? Moody vit alors s'imposer
à sa conscience tout un problème
d'éducation populaire.
L'automne suivant, se trouvant à
Boston l'hôte d'un universitaire
'distingué, M. Henry Durant, il constata que
ce problème avait été fort
heureusement résolu par cet homme de coeur
qui, frappé dans ses affections les plus
chères, avait généreusement
transformé sa propriété en un
établissement d'instruction
supérieure pour jeunes filles des classes
peu aisées, assurant à celles-ci les
avantages que les jeunes hommes pouvaient trouver
à l'Université d'Harvard.
Le prix de pension s'élevait à
deux cent cinquante dollars par an, chaque
élève devant prendre sa part du
service de maison. C'était l'école
Wellesley qui devait devenir célèbre
dans tout le Nouveau-Monde.
L'existence de ce collège
féminin apportait à Moody une
solution précise dont il ne pouvait que
s'inspirer à Northfield.
La première chose à faire
était de trouver un emplacement. Alors qu'il
discutait de ce projet avec tel de ses amis, un
propriétaire voisin vint à passer.
Sur l'heure, Moody l'entraîne chez lui, et
c'est, incontinent, un premier achat que d'autres
vont suivre. Le voilà bientôt en
possession de plus de quarante hectares de terrain
d'un seul tenant dominant la vallée du
Connecticut.
C'est là que, dès le printemps
de 1879, il se mettra à construire. Moody
veut d'abord une grande salle de réunions
pour cent élèves au moins et, en
attendant que les dortoirs soient prêts, il
transforme les communs de sa propre demeure, si
bien qu'en novembre déjà
l'école pourra s'ouvrir. On comptait sur
huit élèves ; il s'en
présentera vingt-cinq et comme la grande
salle n'est pas prête, les leçons
seront données dans la salle à manger
du fondateur.
À côté des heures de
classe et de jeux et en dehors du temps
réservé aux entretiens, Moody tenait
à ce que ses élèves fussent,
à tour de rôle, initiées
à la tenue du ménage, aux soins du
jardin et à d'autres travaux manuels. Il
entendait développer chez elles, avec
l'instruction proprement dite, le respect du
travail, la connaissance de la valeur de l'argent
et surtout le sens de la responsabilité
personnelle. Les nouvelles arrivantes
commençaient par les besognes les plus
humbles ; l'avancement dépendait de
l'application et constituait sa récompense.
Venues de milieux assez divers, les jeunes filles
étaient mêlées les unes aux
autres ; associées pour les tâches
communes, elles apprenaient à s'estimer
comme à s'entr'aider. Les conditions
d'admission étaient telles que personne ne
pût être retenu par les frais de
pension. Mais il était de règle que
chaque élève payât sa part :
cent dollars par an, le reste étant à
la charge de l'institution... ou de Moody
lui-même ! L'école devait
néanmoins rester ouverte aux jeunes filles
de condition modeste ; on n'écartait que
celles en mesure de fréquenter des
établissements plus coûteux.
Au début, Moody n'avait pensé
qu'aux élèves domiciliées aux
environs de Northfield ; très vite, les
demandes d'admission affluèrent de tout le
comté. Année après
année, il fallut agrandir.
Quant au personnel enseignant, le fondateur
entendait le choisir avec discernement, exigeant de
ses seconds, non seulement les capacités
pédagogiques, mais une connaissance
approfondie de la Bible, celle-ci étant
à ses yeux aussi importante pour
l'instruction générale que pour la
formation du caractère et le
développement de la vie spirituelle.
«On n'a pas le droit de prétendre
qu'un homme ignorant la Bible est vraiment instruit
; en revanche, de celui à qui la Parole de
Dieu devient familière, on ne pourra jamais
dire qu'il est un illettré !
».
«Deux choses, écrivait en
1896 le fondateur de ces écoles, sont
nécessaires à la vie d'un peuple :
l'instruction et la justice. L'instruction, les
fondateurs de notre république en ont
reconnu la nécessité et voulurent
répandre largement ses bienfaits pour
arracher le peuple à l'ignorance.
L'instruction a été mise à la
portée des plus pauvres. Elle ne cesse de
progresser et de s'étendre. Mais
l'instruction en elle-même n'a pas
d'efficacité spirituelle ou morale.
L'instruction ne prévient pas le crime. Ce
qu'il faut pour changer un caractère, c'est
un coeur nouveau avec la connaissance du Dieu
vivant et vrai. Je crois que notre pays ne souffre
pas d'un manque d'instruction ; il lui faut
l'Évangile de Jésus-Christ, le vieil
Évangile dans toute sa pureté et son
intégrité».
Sentant avec justesse ce qui lui avait fait
défaut au début de sa
carrière, Moody ajoutait, en une autre
occasion : «Mon défaut d'instruction
a toujours été pour moi un grand
désavantage. J'en souffrirai toute ma vie.
J'espère que lorsque tous ceux qui sont ici
seront partis pour un monde meilleur, celle
école vivra encore et sera en
bénédiction ; j'espère que des
missionnaires en sortiront pour aller prêcher
l'Évangile aux païens, et que l'on
reconnaîtra sa puissance, pour amener des
âmes au Christ».
Dans l'angle de la première maison
construite, aussi bien que dans toutes celles qu'il
inaugura par la suite, Moody déposa un
exemplaire des Saintes Écritures. Comme on
lui avait présenté, pour sceller la
pierre, une truelle d'argent, il refusa de s'en
servir et montra aux assistants un outil
fatigué par l'usage qu'il venait de
découvrir dans son grenier.
- Voici, dit-il, ce qui me
convient...
C'était la vieille truelle de son
père.
Les
institutions de Northfield.
Mount-Hermon
À peine ouvert le séminaire
pour jeunes filles, quelqu'un interrogea Moody
:
- Et les jeunes gens, que ferez-vous pour
eux
- Qu'un autre s'en charge !
répliqua-t-il, car il n'était pas
partisan de la coéducation. Je ne puis
ajouter quoi que ce soit à ce que j'ai
déjà sur les bras.
Mais, au même moment, arriva un ami de
récente date, M. Camp, de New-York.
Après avoir largement pourvu à
l'avenir de sa famille, cet homme de bien voulait
faire de sa fortune un usage utile à la
communauté ; il préparait son
testament et venait chercher conseil auprès
de Moody.
«- Pourquoi ne pas être votre
propre exécuteur ? lui suggéra ce
dernier. Vous avez eu la peine d'amasser votre
argent - accordez-vous donc le plaisir de voir le
bien qu'on en peut faire !
- Mais à quoi le destinerai-je
- Donnez-le aux oeuvres de votre
Église ; elles sont sagement
dirigées, l'emploi en sera judicieux.
- Hum ! je préférerais le
consacrer à un but plus précis j'aime
à voir ce que je fais.
- Bien ! continua Moody. En ce cas, j'ai
votre affaire. On me supplie de prendre des
garçons à Northfield ou de
recommencer ailleurs ce que j'ai fait pour les
jeunes filles. Mais je ne puis pas me charger
davantage. Il faut pour cela quelqu'un d'autre que
moi. À votre tour, Mister Camp
!»
Camp était un homme d'âge ; il
déclarait avoir perdu contact avec les
jeunes. Mais l'exposé de Moody
l'intéressa si vivement qu'il le somma de se
mettre à l'oeuvre... en lui offrant un don
initial de vingt-cinq mille dollars. Grand embarras
de Moody ! Il s'était compromis en
défendant la cause de la jeunesse masculine
: impossible de reculer !
Bientôt, à quelques
kilomètres de Northfield, il s'assure la
propriété de deux fermes de cent dix
hectares ; les maisons situées au haut d'une
éminence sont adaptées à leur
nouvel usage et M. Camp baptise l'Institut
«Mount Hermon», en souvenir de
l'école de prophètes bibliques.
«Car là, disait-il,
repose la bénédiction, la vie
à toujours
»(Psaume CXXXIII. 3). Le 1er mai 1881,
deux ans après l'école des filles,
celle des garçons s'ouvrait avec... un
élève !
Au début, on commit l'erreur
d'admettre des jeunes gens au-dessous de seize ans
dont la préparation insuffisante entravait
le développement général. Plus
tard on réserva la place aux candidats
avides de compléter leur instruction et
prêt à se soumettre à la
discipline d'un internat.
À Mount-Hermon, les principes
directeurs étaient les mêmes
qu'à Northfield. Chaque élève
payait cent dollars par an, Moody fournissant,
là aussi, l'équivalent de cette
somme. À la base du programme, était
placée l'étude de la Bible. Sous
l'égide de maîtres compétents,
les internes faisaient des travaux manuels et
pourvoyaient à l'entretien de la ferme. Leur
nombre ne cessa de croître jusqu'à la
mort du fondateur (1)
.
«On me demande souvent,
déclara Moody en 1898, lors de
l'inauguration d'un nouvel édifice :
«Avez-vous pour vos écoles des
ressources suffisantes ? » Ma réponse
est que nous avons un très riche capital
d'amis. Si Christ a toujours la
prééminence, jamais les fonds ne
manqueront. Donnez-Lui la première place.
Ces écoles n'existeraient pas sans Christ et
la Bible. Vivez en Lui et la lumière sur la
colline brillera sur le monde ! ».
À peu de distance de l'Institut,
Moody aimait à conduire ses visiteurs sur
une verte éminence d'où la vue
s'étendait au loin. Il l'avait
baptisée Temptation Hill, la Colline
de la Tentation. Comme on s'étonnait d'un
tel nom donné à un si beau point de
vue :
« - J'espère, disait-il en
souriant, que quelqu'un cédera ici à
la tentation d'ériger une chapelle !
»
Bâtiments scolaires au Mount
Hermon
Le temple construit au sommet de la
Temptation Hill», en 1897.
Plusieurs années
s'écoulèrent sans que personne y
succombât. Mais en 1897, lors du
soixantième anniversaire de Moody, on put
grâce à des dons spéciaux,
élever le lieu de culte
espéré. À la demande expresse
de l'animateur de n'être pas nommé,
l'inscription dédicatoire porte ces simples
mots : « Grâce aux dons d'amis
chrétiens d'Amérique et de
Grande-Bretagne, cette chapelle a été
élevée pour la gloire de Dieu. Elle
sera le témoignage perpétuel de leur
unité au service du Christ».
Premières conventions
chrétiennes
La sollicitude de Moody avait pour objet les
jeunes gens et jeunes filles désireux de
s'instruire et qui, jusqu'alors, n'avaient pas eu
les moyens de le faire. Mais travailler à
former une jeunesse plus cultivée ne lui
suffisait pas ; il visait plus loin et plus haut.
il ambitionnait que Northfield et Mount-Hermon
devinssent des pépinières d'ouvriers
chrétiens. Là aussi, il eut la joie
de voir ses espoirs se réaliser. Plus de
deux cents missionnaires et des centaines de
pasteurs sont passés par ses écoles,
et combien d'autres serviteurs et servantes
fidèles !
Mieux que cela ! Moody comprit la
nécessité de rapprocher les uns des
autres ceux qui sont engagés dans les champs
de Dieu. Pourquoi les installations qu'il
était en train de créer ne
serviraient-elles pas à de vastes
assemblées ? Jusqu'alors, il avait
groupé pendant ses vacances, les
chrétiens du voisinage éprouvant le
besoin d'affermir et d'enrichir leur foi ; il
dirigeait pour. eux des études bibliques.
L'idée lui vint d'offrir aux moniteurs
d'Écoles du dimanche, aux secrétaires
unionistes, (2)
aux pasteurs et laïques actifs, la
possibilité de mettre à part quelques
jours, chaque année, pour assister à
une retraite basée sur le recueillement,
l'étude de la Bible et la prière. Sa
conviction, puisée dans l'histoire de
l'Église, était que le réveil
doit commencer par la maison de Dieu.
Son idée se précisa au cours
d'une mission à Cleveland. Il eut alors la
vision de ce que pourrait être une rencontre
de ce genre. Un pasteur, qui présidait l'une
des séances, avait parlé de la
prière pour l'Église. À peine
l'auditoire dispersé, Moody fond sur lui, et
lui dit à brûle-pourpoint :
- J'ai besoin de vous à Northfield
l'été prochain.
Au début d'août, le pasteur
recevait une lettre ainsi conçue :
«Vous trouverez ci-joint une circulaire qui
s'explique d'elle-même. je
l'ai méditée lorsque J'étais
dans votre ville en novembre dernier. Je le
répète : j'ai absolument besoin de
vous ».
Et voici le texte de la circulaire
Convocation à la
prière
«Sentant profondément le besoin
de nous unir pour la prière, et convaincus
qu'il y a une récompense accordée
à ceux qui la cherchent sincèrement,
nous vous invitons à vous rencontrer
à Northfield du 1er au 10 septembre
prochain. Le but de cette rencontre est
assurément d'étudier la Bible mais,
avant tout, de nous consacrer solennellement
à Dieu, de faire appel à Ses
promesses et de nous attendre à Lui pour
recevoir une nouvelle onction de la puissance
d'En-Haut... Tous les ministres et les
laïques, hommes et femmes, qui sont nos
auxiliaires et nos collaborateurs dans l'oeuvre du
Royaume et dans l'attente de notre Seigneur
Jésus-Christ, de même que tous les
chrétiens qui ont faim et soif d'une
communion plus intime avec Dieu, sont cordialement
invités.
Il est à souhaiter que ceux qui sont
un avec nous dans ce désir d'un
renouvellement de la force. d'En-Haut mais qui ne
pourront être présents sachent en
témoigner par l'envoi d'un message afin que,
pendant les jours de préparation, nous
puissions être en communion de prière
avec eux dans le pays tout entier. »
D. L. MOODY.
Trois cents personnes répondirent
à cette convocation. Plusieurs durent loger
sous des abris de fortune. L'église
étant trop petite, à
côté d'elle une vaste tente fut
dressée.
On voit d'où partit le mouvement des
Conférences d'été qui,
renouvelées dès lors chaque
année, et, à une exception
près, présidées par Moody
lui-même, ont laissé dans la vie
spirituelle des Églises américaines
une empreinte profonde. Bien des hommes
éminents y prirent part qui sont devenus
chefs de file dans les champs de
l'évangélisation et de la mission,
tel John-R. Mott, Robert Speer, Wilder et tant
d'autres. Qui dira tout ce qu'ils ont reçu
là ?
Moody
à 45 ans.
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