MOODY
PÊCHEUR
D'HOMMES - MILITANT DES U. C. J. G.
CHAPITRE VI
L'APOSTOLAT AMÉRICAIN (1875-1881)
Un
peuple en évolution
Après une aussi longue absence, Moody
retrouvait son pays natal entraîné par
l'évolution rapide qui, dès la Guerre
de Sécession, transformait la vie
économique et sociale. On avait
découvert de nouvelles sources de richesses,
l'industrie se développait, grâce
à la multiplication des voies ferrées
; une ère de prospérité sans
précédent s'annonçait : mais
tout cela n'allait point sans dangers.
Accroître sa fortune était pour
nombre de gens la préoccupation dominante
et, si répréhensibles fussent-ils,
tous les moyens d'y parvenir étaient bons.
Le torrent de l'immigration charriait toutes sortes
d'éléments nouveaux. On voyait
s'opposer les courants de pensée les plus
divers. C'était le temps, observait un bon
juge, où, comme dans l'ancienne Rome, le
monde éprouvait un pressant besoin de
régénération morale et
religieuse autant que de consécration
à un plus haut idéal, mais où
les idées traditionnelles sur la Bible, la
foi des pères, étaient battues en
brèche. De plus en plus se répandait
dans des cercles toujours plus étendus un
agnosticisme dédaigneux et
stérilisant. On se donnait un mal
énorme pour mettre l'instruction à la
portée de tous, mais, au-delà de ces
efforts humains, beaucoup cherchaient dans le
désarroi général à
retrouver un terrain solide :
«Notre nation, écrivait le
professeur Royle, de l'Université d'Harvard,
a perdu contact avec les anciennes formes de sa vie
religieuse. Depuis la guerre, noire Peuple,
transformé et toujours remuant, cherche une
direction pour sa vie morale comme pour sa vie
spirituelle ! Quels principes doivent nous guider
pour trouver une voie sûre dans ce
désert de la nouvelle démocratie
où il risque fort de s'égarer ?...
»
On peut comparer ce temps à celui
où Wesley et Whitefield, un siècle
auparavant, s'étaient voués à
l'évangélisation de leur peuple. La
prédication des chaires officielles
manquait trop souvent de
simplicité. Elle était devenue
parfois une sorte de dilution de systèmes
théologiques, parfois aussi un simple cours
de morale ; ailleurs, la proclamation de la Loi ;
ailleurs encore, un appel à
l'émotivité. « A peine», a
dit quelqu'un, «pouvait-on distinguer la
prédication des essais littéraires ou
des harangues politiques ... »
Seul un grand mouvement de réveil
devait révéler au peuple
américain la gravité de la situation
et l'amener à lutter contre les forces du
mal qui menaçaient de le détruire.
Aussi le retour des deux évangélistes
fut-il salué avec joie par ceux qui
espéraient et demandaient ce redressement
spirituel. Les uns les attendaient avec
curiosité ; d'autres gardaient une attitude
critique. Il y avait des enthousiastes, il y avait
des sceptiques. Mais, dans l'ensemble, l'accueil
devait être favorable.
L'appel des campagnes et Celui des
cités
À ce moment, D. L. Moody et sa
compagne devaient, d'un commun accord, prendre une
décision de haute importance. Pour eux,
comme on l'a déjà vu, l'oeuvre
entreprise à Chicago était
achevée. La mission à laquelle ils se
sentaient appelés débordait les
cadres d'une cité ; elle était
devenue mondiale. Aussi bien, sans revenir dans la
métropole de l'Ouest, celui qui avait vu le
jour dans l'humble village de Northfield voulut-il
y établir sa famille. Sa mère y
vivait encore ; souffrant d'avoir été
si longtemps séparé d'elle, il
désirait la voir plus souvent et l'entourer
davantage ; ses enfants grandiraient dans
l'atmosphère du foyer ancestral. Et de
là, qui l'empêcherait de rayonner dans
tout le pays ? Northfield serait la retraite
où, entre les missions qui lui seraient
confiées, il reviendrait, dans le cadre
d'une nature qu'il aimait, renouveler ses
forces.
Car cet établissement à la
campagne n'impliquait nullement la suspension de
ses voyages. Il devait modifier sa méthode
de travail en ce sens qu'au lieu de rester peu de
jours en diverses localités, il concentrait
désormais ses efforts sur des missions de
réveil dans les principales cités du
pays. «Les rivières descendent des
hauteurs ; les grandes villes sont comme les hautes
collines ; si nous pouvons les atteindre, nous
atteindrons le pays tout entier».
C'est à Northfield même que
Moody inaugura son «apostolat
américain», pour employer le terme
appliqué à cette période.
Heureux de renouer connaissance avec ses voisins de
campagne comme avec l'Église qui l'avait
entouré dans son Jeune âge, ne se
devait-il pas tout d'abord aux communautés
rurales ? Contrairement à ses désirs,
l'écho des succès remportés de
l'autre côté de l'Océan ne
tarda pas à s'amplifier : bientôt se
multiplièrent les appels du dehors.
Il fallut donc inaugurer d'importantes
campagnes à Brooklyn, Philadelphie,
New-York, Chicago, visiter aussi plusieurs villes
de moindre importance et terminer par Baltimore,
Saint-Louis et la Californie. Boston, berceau de sa
vie religieuse, ne fut pas oubliée, mais le
courant rationaliste qui depuis longtemps y
dominait, ne facilitait pas la prédication
dé l'Évangile tel qu'il le
comprenait.
Partout on vit se reproduire ce qui
s'était passé en Écosse et en
Angleterre. De lieu en lieu, l'intérêt
allait croissant, comme le prouvait l'afflux de
foules toujours plus denses. Sans doute, le
prédicateur rencontrait partout les
barricades que l'indifférence,
l'hostilité, les intérêts
particuliers, les railleries élèvent
toujours contre l'Évangile, mais partout
aussi, à sa grande joie, il voyait l'Esprit
de Dieu changer les plus ardents adversaires en
humbles et courageux serviteurs du
Maître.
À Brooklyn, toutes les
prévisions furent dépassées.
Un grand organe local, la Tribune, prit ainsi la
défense des prédicateurs du
réveil :
«Que beaucoup d'auditeurs viennent
en simples curieux, cela ne fait aucun doute ;
qu'un plus grand nombre encore professent
déjà le christianisme que
prêchent les orateurs, cela est
évident. Mais tous peuvent recevoir d'eux un
encouragement pour leur foi, un stimulant pour leur
vie. Des gens au goût délicat,
critiquent la familiarité de la forme et du
fond ; ils estiment que présenter ainsi des
sujets qu'ils tiennent pour sacrés et
vénérables entre tous, c'est
vulgariser et rabaisser la Vérité.
Admettons qu'ils voient juste : que faut-il donc
faire pour la foule ? Ce n'est Pas aux classes
cultivées que le Christ a
prêché mais aux travailleurs, aux
pécheurs, aux péagers. Il s'est servi
de mois et d'images qui pouvaient les frapper. Si
Moody et Sankey réussissent à faire
pénétrer Christ dans les coeurs et
amènent les gens à changer de vie par
amour pour Lui. bénissons-en Dieu sans nous
attarder à des erreurs de
goût ni à des fautes
de style ! Le christianisme n'est pas une question
de grammaire ». Ce trait final,
parfaitement juste, rappelle un mot de Moody
à l'un de ses interlocuteurs qui lui
reprochait de ne pas parler correctement :
«- Je le déplore
moi-même, croyez-le. Mais Je fais pour Dieu
tout ce que je puis avec ce que
j'ai.»
Plus il avançait, moins le grand
évangéliste se montrait
disposé à rester en marge des
Églises, car nul ne croyait davantage
à « la sainte Église
universelle». La valeur d'une oeuvre
d'évangélisation devait, à ses
yeux, se mesurer au nombre de personnes qu'elle
déciderait à se rattacher à
une communauté. Dans ses campagnes, on
l'entendait protester contre toute
arrière-pensée séparatiste.
«Si j'avais dans les veines»,
s'écriait-il, «une seule goutte de sang
sectaire, je la ferais aussitôt
disparaître !».
L'attitude qu'il prit à
l'égard de l'Armée du Salut est,
à cet égard, très
significative. L'occasion lui fut fournie de s'en
ouvrir au général Booth en personne.
Comme il désapprouvait la prétention
du chef à régler personnellement la
conduite de chaque soldat de son armée (ce
qui lui semblait contraire aux directions de
l'Esprit et aux ordres de la conscience), il entra
de suite dans le vif du sujet :
- Quelle est votre position à
l'égard des Églises? demanda-t-il au
général.
- J'entends ne pas me confondre avec
elles.
- Allez-vous constituer une nouvelle
communauté
- Non.
- Mais si, par exemple, une jeune fille se
convertit à l'Armée et si ses parents
la pressent de se rattacher à leur
Église, quel conseil lui donnerez-vous?
- Je lui demanderai où elle a
trouvé le salut.
- Sa réponse sera sans doute : dans
l'Armée !
- Eh bien ! déclara Booth, je lui
dirai de rester là où elle a
trouvé la vie.
- Vous créerez ainsi fatalement une
nouvelle communauté ! ...
Malgré les dénégations
de son illustre interlocuteur, cet entretien
détermina l'attitude de Moody à
l'égard d'un mouvement qui, resté en
marge des Églises constituées, lui
paraissait manquer d'un élément
essentiel : la permanence de l'effort
spirituel.
Aussi, lorsqu'en 1878 on l'appela à
Baltimore, décida-t-il d'y
passer tout l'hiver en accordant son concours
plusieurs semaines à chacune des
Églises et en insérant ses
réunions dans le cadre de leurs services
habituels. N'avait-il pas reconnu et
déclaré ouvertement, en
Écosse, que, sans le travail régulier
et fidèle que les pasteurs accomplissent
dans leur paroisse, jamais sa campagne
d'évangélisation n'aurait abouti
à de tels résultats?
Un
champ nouveau
Entre ses séjours à
Philadelphie et à New-York, au cours de
l'hiver 1878-1879, Moody fit à
l'Université de Princeton une visite qui lui
ouvrit des perspectives nouvelles et fut
décisive pour la suite de son
ministère. Elle lui fit comprendre le
rôle de premier plan que les hautes
écoles pouvaient jouer dans la vie de son
pays. Un contemporain en a fixé l'origine
:
« Le réveil se fait sentir
avec puissance parmi les étudiants. C'est un
mouvement de date récente. Lors du
séjour à Philadelphie de MM. Moody.
et Sankey, les étudiants de
l'Université de Princeton ont exprimé
à leur président le désir
unanime d'inviter les deux
évangélistes à venir passer
quelques heures avec eux. »
Acceptée d'enthousiasme, cette
rencontre fut soigneusement préparée
de part et d'autre. Parmi les élèves,
elle suscita le plus vif intérêt.
Au surplus Moody ne fit pas d'effort
spécial pour s'adapter à ce nouvel
auditoire. On l'entendit parler comme il parlait
ailleurs ; mais, grâce à sa
façon simple et directe de présenter
l'Évangile, il sut capter l'attention des
intellectuels comme il captait celle des
foules.
«J'ai trouvé plus de
zèle à Princeton en un seul jour
qu'ailleurs en une année entière,
écrivait-il peu après. je parlai aux
étudiants de leur âme, et
bientôt je les vis se presser autour de moi.
L'un d'eux déclara se donner à Christ
; je vis aussitôt vingt à vingt-cinq
mains se tendre d'un même élan vers
lui. Voilà bien ce qu'il nous faut : des
hommes qui se réjouissent lorsqu'ils
entendent parler de conversions ! ».
En face de tels succès, on peut se
demander si Moody, malgré
sa réputation croissante et en dépit
des hommages qu'il ne cessait de recevoir, sut
demeurer fidèle à lui-même sans
se laisser griser. Il n'est qu'une réponse
possible : il restait homme de prière et la
prière le maintenait dans
l'humilité.
«Quand Dieu veut déplacer une
montagne, déclarait-il, ce n'est pas
à l'aide d'une barre de fer, mais en se
servant d'un vermisseau. Le fait est que nous
sommes trop forts. Dieu a choisi les choses faibles
du monde pour confondre les fortes. Quand Dieu a
fait sortir Israël de l'Egypte, Il n'a pas
envoyé une armée comme nous
l'aurions, nous, jugé nécessaire, une
armée... ou un orateur ! Mais Dieu a
envoyé un homme qui avait vécu
quarante ans au désert et qui avait la
langue embarrassée. C'est de faiblesse que
Dieu a besoin. Nul n'est petit quand Dieu le prend
en main... »
Moody
prêche dans «L'Agriculture Hall»
à Londres.
Moody
prêche dans «L'Agriculture Hall»
à Londres.
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