Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Fictions ou réalités?

CHAPITRE V
L'histoire de Noël est-elle une légende ?

Dans quelques jours les cloches de Noël vont retentir sur la terre entière pour rappeler aux hommes la grande nouvelle de la venue du Sauveur du monde ici-bas (1). Cette fête apporte un rayon d'espérance à tous les coeurs ; même les plus tristes, même les plus sceptiques, ressentent quelque chose de la joie commune. Volontiers, ce jour-là, on donne aux autres une pensée de sympathie, on se sent attiré par ceux qui pleurent ou qui sont isolés, et l'ou désire faire briller sur leur sombre sentier un peu de lumière et de pitié. Et le coeur se perdant de vue un instant se croit meilleur, il reprend courage, et rêve d'une vie d'amour et de dévouement.

Partout, dans le cercle intime de la famille comme en public, on va relire l'histoire des bergers et des mages, ces récits touchants dans leur naïve poésie, que tous connaissent depuis leur enfance.

Mais voici que la critique les attaque aujourd'hui plus que jamais. Jadis c'étaient les ennemis du christianisme ou du moins les partisans du rationalisme qui les mettaient de côté comme des légendes ; maintenant ce sont des théologiens et des pasteurs évangéliques qui les rejettent de la même manière. Les anciens adversaires ont abandonné l'oeuvre de démolition, qu'ils jugent accomplie, depuis que les évangéliques s'y sont associés. La critique ne ressemble-t-elle pas ici à ces vents glacés qui passent au printemps sur nos campagnes et qui détruisent en un instant les moissons les plus belles et les espérances les plus vives ?

Mais alors je ne vois plus très bien comment l'on peut encore célébrer de bon coeur et sans arrière-pensée la fête de Noël. Si ce qui nous est raconté de la naissance de Jésus est faux, nous nous trouvons en face de l'une ou l'autre de ces alternatives : ou bien les évangélistes, auteurs de ces récits, les ont inventés de toutes pièces et nous ont par conséquent trompés, quelle confiance, alors leur témoigner dans les autres parties de la biographie du Sauveur ? Tout n'est-il pas mis en question par ce fait même ? La fête de Noël subsistera, car tous peuvent se réjouir de la naissance d'un être tel que Jésus-Christ, mais combien cette fête sera différente si elle rappelle une illusion ou un mensonge ! Ou bien ils ont raconté la vérité, mais ils se sont laissés tromper par d'autres, qui ont abusé de leur crédulité. Qui donc dans ce cas en a menti ? Il faut le dire franchement : Dieu lui-même, l'Esprit de Dieu qui a inspiré les auteurs de la Bible et qui, tout en étant appelé Esprit de vérité, n'en a pas moins osé induire en erreur les multitudes de lecteurs du saint volume. Sans en revenir à la théorie de l'inspiration littéraire, il me semble qu'il y a là une redoutable conséquence à laquelle on n'ose penser sans frémir.

Je sais bien que les théologiens qui traitent de légendaires les récits de la naissance miraculeuse ne vont pas jusque-là, ils ne tirent point les conséquences des prémices posées. Ont-ils raison ? J'en doute, car d'autres le feront à leur place, des âmes droites, logiques, des âmes de laïques qui n'entendent pas le langage parfois nuageux de la théologie et qui sont habitués à la précision des affaires.
Il leur semblera difficile à ceux-là de se réjouir à l'occasion d'un anniversaire qui leur rappelle chaque année une tromperie des hommes ou de Dieu ; et alors la fête de Noël deviendra de plus en plus profane et mondaine, ce qu'elle n'est que trop déjà : une fête sans Dieu, où l'on boit, où l'on mange, où l'on danse, en un mot une fête païenne. Le paganisme, avec ses natales romaines, aura vaincu le Noël des chrétiens.
Il n'est en tout cas jamais bon de rester dans l'illusion et la superstition, et nous croyons que le christianisme gagnerait en respect et en dignité, si l'on avait le courage de le dégager franchement de la légende, en supprimant la fête superstitieuse de Noël.

Avant d'aller plus loin, je tiens à ajouter que je ne prétends nullement anathématiser ceux qui ne peuvent plus croire aux récits de la naissance miraculeuse, ils peuvent être chrétiens sans les admettre, surtout s'ils les nient par sincérité et sans se rendre bien compte de la portée de leur négation. Mais je voudrais les rendre attentifs à la gravité de ces doutes, tout en les aidant peut-être à les surmonter.

Exposons maintenant en toute loyauté les difficultés que rencontrent beaucoup de gens dans les récits de la nativité. Ils se trouvent là en face d'un miracle absolument incompréhensible pour la raison : jamais aucun enfant n'est né directement de sa mère sans le concours du père ; or il nous est dit positivement que c'est avant son mariage que Marie a mis au monde son fils premier-né. De là ce mot du symbole des apôtres, qui est devenu la foi traditionnelle de l'Eglise : « Je crois à Jésus-Christ, notre Sauveur, qui a été conçu du Saint-Esprit et qui est né de la Vierge Marie. »

Ce qui rend le miracle de la naissance de Jésus inacceptable pour beaucoup, c'est le fait qu'il ne nous est raconté que par deux évangélistes, Matthieu et Luc; ni Marc, ni Jean n'en parlent, ils semblent l'ignorer complètement.
Cela est vrai, mais il faut reconnaître qu'il y a un grand nombre d'autres faits qui ne se trouvent pas chez les quatre évangélistes; certains ne se rencontrent que chez l'un ou l'autre seulement. Ainsi la parabole de l'enfant prodigue, cette perle du Nouveau Testament que tout le monde admire et dont nul n'oserait contester l'authenticité, n'est donnée que par Luc ; et l'on pourrait s'en étonner, car il semble qu'une parabole aussi merveilleuse a dû frapper les auditeurs et être soigneusement conservée. L'argument du silence nous mènerait loin si nous voulions nous en servir d'une manière impartiale ; nos adversaires devraient reconnaître qu'il ne porte pas ou qu'il peut facilement être retourné contre eux.

Et puis, ne l'oublions pas, la biographie de Jésus donnée par Marc et par Jean ne commence qu'avec le ministère du Sauveur, au moment de son baptême par Jean-Baptiste. Du reste, si Marc ne nous raconte pas l'enfance de Jésus, il le présente au lecteur comme le Fils de Dieu. « Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu », tel est le premier verset du premier chapitre ; un peu plus loin, au chapitre VI, il met dans la bouche des habitants de Nazareth cette parole : « D'où lui viennent ces choses ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et comment de tels miracles se font-ils par ses mains ? N'est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ? et ses soeurs ne sont-elles pas ici, parmi nous (Marc VI, v. 2 et 3) ? » Si Marc était convaincu de la paternité de Joseph, époux de Marie, pourquoi ne pas dire : « N'est-ce pas le fils de Joseph ? » Ce serait en tout cas beaucoup plus naturel que fils de Marie, surtout chez les Juifs, qui volontiers ajoutaient au leur le nom de leur père : Simon fils de Jonas, Jaques et Jean fils de Zébédée, Bartimée, etc.

Quant à Jean, nul n'ignore qu'il commence son Évangile par un prologue qui certes vaut bien les récits de Matthieu et de Luc ; ce prologue est si catégorique au sujet de l'origine surhumaine de Jésus, qu'il a servi d'argument contre l'authenticité du quatrième évangile. C'est dans ce prologue que se trouve ce mot : « La Parole qui était avec Dieu et qui était Dieu a été faite chair (Jean I, v. 1 et 14). » C'est le seul Évangile qui, le plus souvent, parle de Jésus comme de l'envoyé de Dieu, c'est lui qui met dans la bouche du Sauveur ce mot : « Vous êtes d'en bas ; moi je suis d'en haut. Vous êtes de ce monde : moi je ne suis pas de ce monde (Jean VIII, v. 23). »

Il est une question plus embarrassante dans les Évangiles, c'est celle des généalogies de Jésus ; nous n'en avons que deux, une dans Matthieu, une autre dans Luc ; l'une remontant jusqu'à Abraham, l'autre jusqu'à Adam ; et elles ne concordent pas. L'une des deux doit être fausse, par conséquent, nous dit-on, à moins qu'elles ne soient fausses toutes les deux, ce qui prouverait bien que nous sommes en face de récits inventés de toutes pièces.

Je reconnais la difficulté ; mais ne pourrait-on pas faire observer que, s'il s'agissait d'invention, rien n'eût été plus facile pour les auteurs du premier et du troisième Évangile de se mettre d'accord avant de nous donner leurs récits ; les contradictions mêmes ne nous inspirent-elles pas confiance et ne nous montrent-elles pas clairement que nous avons à faire à des témoins qui racontent ce qu'ils savent, sans se préoccuper de se mettre d'accord auparavant ? La difficulté n'en subsiste pas moins, mais je pense que la solution probable est de supposer que la généalogie de Matthieu est celle de Marie, et la généalogie de Luc celle de Joseph ; dans l'hypothèse de la naissance miraculeuse, la première serait seule réelle et elle suffirait pour que Jésus fût un descendant de David ; la seconde serait la généalogie officielle, celle de Joseph, qui, ayant adopté Jésus pour son fils, dut le faire inscrire sous son nom, avec sa généalogie à lui, la mère ne comptant pour rien chez les Juifs au point de vue de l'inscription officielle. Il est un petit mot qui, dans Luc, appuierait cette supposition ; Luc s'exprime ainsi : « Jésus avait environ trente ans lorsqu'il commença son ministère, étant, comme on le croyait, fils de Joseph (Luc III, v. 23) », etc. Ce « comme on le croyait », ne laisse-t-il pas deviner une adoption officielle ?

Autre difficulté dans nos deux narrations : Si Matthieu et Luc sont d'accord sur le fait même de la naissance miraculeuse, ils ne le sont pas absolument sur les détails qui l'accompagnent. Matthieu nous parle de la visite des mages, dont Luc ne nous dit rien ; Lue nous raconte l'histoire des bergers que Matthieu ignore totalement. Enfin, après la visite des mages, Matthieu nous parle du voyage en Égypte, qui précède le retour à Nazareth, tandis que Luc a l'air de croire que ce retour a eu lieu de suite après la présentation au temple.
Tout cela est vrai, nul ne peut le contester, mais encore une fois ces divergences ne sont pas pour nous déplaire, bien au contraire. Évidemment pour qu'elles existent, il a fallu que les deux auteurs puisassent à des sources différentes. Ces sources sont-elles absolument inconciliables ? Je ne le pense pas. Ne peut-on pas au contraire rétablir les faits dans l'ordre suivant : De suite après la naissance de Jésus à Bethléem où Joseph et Marie étaient venus pour le recensement eut lieu la visite des bergers, puis la présentation au temple. Après cela vinrent les mages, puis Joseph et Marie se réfugièrent en Égypte qu'ils quittèrent plus tard pour retourner à Nazareth où ils s'établirent et où Jésus passa son enfance. Avec cet ordre dans les faits, tout se tient et les deux récits nous deviennent d'autant plus précieux qu'ils se complètent admirablement.

Ce qui étonne encore nos adversaires, c'est le fait que les frères de Jésus ne croyaient pas en lui, Marie même semble par moments partager leurs doutes.
Comment ces doutes seraient-ils possibles si réellement Jésus était né d'une manière aussi extraordinaire ? Mais Marie a bien pu partager les préjugés de son temps sur la gloire terrestre du Messie et s'étonner que son fils ne voulût pas jouer un rôle plus éclatant. Quant aux frères de Jésus, pouvons-nous nous étonner qu'ils ignorassent sa naissance miraculeuse ? Marie a dû mettre une certaine réserve dans le récit de faits aussi délicats, surtout parce que les frères étaient si mal disposés à l'égard de l'aîné. Ce sont choses sacrées, il faut être dans le sanctuaire. il faut être du sanctuaire pour en parler et en entendre parler. En d'autres termes nous trouvons tout naturel quant à nous qu'il y ait eu un certain vague. un certain mystère au sujet de l'origine surnaturelle du Christ : la pleine clarté, sur un fait pareil, blesserait nos yeux comme une éblouissante lumière, dans une cathédrale privée de ses vitraux.

Enfin on nous objecte que si le fait était vrai les autres auteurs du Nouveau Testament en auraient parlé. Comment se fait-il, nous dit-on, que l'apôtre, Paul en particulier n'en dise pas un mot ? Pour la bonne, l'excellente raison qu'il n'avait aucun motif de le faire puisqu'il ne nous a pas donné de biographie de Jésus ; il a de même passé sous silence la plus grande partie des récits évangéliques, pourquoi aurait-il fait une exception pour celui-là ? D'ailleurs, ne l'oublions pas, le troisième Évangile a pour auteur son compagnon de voyage le médecin Luc, et il est plus que probable que Luc nous a donné l'Évangile tel que Paul le connaissait et le prêchait aux païens dans ses tournées missionnaires. L'Évangile de Luc est sans doute celui dont Paul disait : « Dieu jugera les hommes selon mon Évangile (Rom. II, 16). À celui qui peut vous affermir selon mon Évangile (Rom. XVI, 25). Jésus-Christ est ressuscité des morts, selon mon Évangile (2 Tim. II. 8) ».

La foi à la divinité du Christ qu'avait l'apôtre Paul, l'absolue certitude que Jésus-Christ venait de Dieu et qu'en lui habitait la plénitude de la divinité présupposent la naissance miraculeuse ; nous nous représentons difficilement que Paul l'ait ignorée, mais nous ne voyons pas davantage en quoi cette ignorance impliquerait la fausseté des récits évangéliques concernant la nativité.

Telles sont les principales difficultés que rencontrent ceux qui examinent de près les récits de la nativité. Les quelques mots de réfutation qui précèdent ne suffiront pas, je le crois, à les faire revenir de leurs doutes, aussi voudrais-je maintenant reprendre la question délicate que nous étudions à cinq points de vue différents, qui seront comme autant d'arguments en faveur de l'authenticité des récits.

Commençons par le point de vue historique. Voici un fait dont il faut tenir sérieusement compte. La naissance miraculeuse du Sauveur du monde, nous est positivement attestée, ainsi que nous venons de le voir, par deux évangélistes qui sont pour le moins aussi dignes de foi que les autres et qui n'avaient aucun intérêt à attribuer à leur Maître une origine pour le moins douteuse. Comment se fait-il qu'ils nous aient conservé ce récit si cette naissance divine est une illusion ? Il est très facile de dire que ç'en est une, mais cela n'explique pas pourquoi le récit est là, d'autant plus que Luc a toujours passé pour un historien scrupuleux. C'était un médecin, donc un homme cultivé, et il nous dit lui-même qu'il s'est livré à « des recherches exactes sur toutes choses concernant le Christ depuis leur origine ». Il n'a donc pas dû écrire les deux premiers chapitres de son Évangile sans réflexion.

Au reste un examen plus minutieux des documents en question nous amène à des constatations bien curieuses, paraissant absolument inexplicables s'il s'agit d'une légende. Tout le monde sait, par exemple, que l'Évangile de Matthieu a un caractère judaïque prononcé ; son auteur est un juif qui est constamment préoccupé de ses compatriotes et qui écrit son histoire dans le but de les gagner à son Roi-Messie, Jésus-Christ. Aussi son Évangile est-il tout rempli de citations de l'Ancien Testament ; constamment il emploie les expressions : « comme il est écrit ; ainsi que le dit l'Écriture ; afin que l'Écriture soit accomplie. » Luc, au contraire, païen converti et compagnon de Paul, écrit pour les païens ; il veut à tout prix les amener à la foi ; de là le caractère universaliste de son Évangile ; le Christ qu'il décrit veut être le Sauveur de tous, et non pas seulement de quelques privilégiés.
Or, il se trouve que c'est Matthieu le Juif qui nous raconte la visite des mages païens à la crèche de Bethléhem, tandis que c'est Luc, l'ancien païen, qui nous montre les bergers juifs auprès de cette même crèche ! Nous avons donc juste le contraire de ce que nous étions en droit d'attendre. Ce n'est pas ainsi que l'on invente ; si les faits racontés étaient controuvés, les auteurs les auraient racontés autrement : ils les auraient arrangés de façon à prouver leur thèse, au lieu de la contredire.

On a trouvé, d'autre part, dans l'Évangile de Luc, un argument contre l'authenticité des récits de la nativité dans le fait des cantiques de Marie, de Zacharie et de Siméon : on nous dit que jamais des personnages d'aussi humble condition n'auraient été capables de parler de la sorte ; leurs cantiques doivent être l'oeuvre d'un auteur vivant beaucoup plus tard et qui les aurait composés de toutes pièces.
J'accorde que ces cantiques sont beaux, très beaux et qu'ils dénotent une inspiration supérieure : pourquoi cette inspiration aurait-elle été impossible, quand on se rappelle la piété de ces trois personnages, et le moment solennel où ils se trouvaient ? Ce moment n'était-il pas psychologiquement beaucoup plus favorable que cent ou cent-cinquante ans plus tard. Il est bien plus difficile de s'inspirer à froid, au sujet de faits passés depuis longtemps, qu'au moment même où ces faits se produisent. D'ailleurs ces pieux Israélites, malgré leur humble origine, avaient été nourris dès leur enfance des psaumes de David dont le langage est tout naturellement rappelé par celui de ces cantiques.

Et puis, ne l'oublions pas, au IIme siècle et même à la fin du 1er, Jérusalem était en ruines, les Juifs dispersés sur la surface de la terre et toutes leurs espérances messianiques bouleversées de fond en comble et même anéanties. Or, les cantiques en question sont de conception essentiellement juive qui ne peut correspondre qu'à une époque où les espérances avaient encore toutes leur raison d'être : « Il a secouru Israël, son serviteur, s'écrie Marie, et il s'est souvenu de sa miséricorde, comme il l'avait dit à nos pères, - envers Abraham et sa postérité pour toujours. (Luc 1. v. 53 à 55) » Et Zacharie dit de son côté : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'Il a visité et racheté son peuple, et nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur, comme Il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens, - un Sauveur qui nous délivrera de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent ! Béni soit le Seigneur de ce qu'Il daigne ainsi manifester sa miséricorde envers nos pères, et se souvenir de sa sainte alliance, selon le serment par lequel Il avait juré à Abraham, notre père, de nous permettre, après que nous serions délivrés de la main de nos ennemis, de le servir sans crainte, en marchant devant lui dans la sainteté et dans la justice, tous les jours de notre vie (Luc I. v.68 à 75) ! »

Je sais que l'on pourra répondre que l'auteur faussaire a mis dans la bouche de ses héros des paroles qui devaient cadrer avec leur milieu et leur époque. Oui, s'il s'agissait de lecteurs juifs, mais en faisant parler ses héros de la sorte, Luc risquait de troubler ses lecteurs païens et de les éloigner de la foi puisque c'était dire que l'attente d'Israël avait été déçue malgré les magnifiques promesses de l'Ancien Testament.

Non, non, ou ne nous ôtera pas de l'idée que les cantiques cités par Luc ont une couleur locale trop caractérisée pour ne pas dater de l'époque à laquelle l'auteur les fait remonter, et, s'il en est ainsi, quel argument en faveur de la réalité de la naissance miraculeuse !

Je ne dis rien de l'étoile qui conduisit, d'après Matthieu, les mages d'Orient ; il y a tant de phénomènes astronomiques curieux, que je ne vois pas pourquoi l'un de ces phénomènes n'aurait pas précisément coïncidé avec la naissance de Jésus. Un grand astronome, Kepler, a même démontré qu'en l'an 747 de Rome, dans la seconde moitié du signe des Poissons, près de celui des Béliers, et au printemps de l'année suivante, 748 de Rome, Mars vint se joindre sous ce signe à Jupiter et à Saturne. et il a vu dans cette conjonction le phénomène relaté par Matthieu. C'est possible ; en tout cas il n'est pas nécessaire de se représenter un bouleversement quelconque des lois de l'astronomie. L'auteur s'exprime d'une manière enfantine quand il dit que l'étoile s'arrêta, sans doute il veut dire qu'elle cessa de briller au moment où les mages arrivèrent à Bethléhem. J'aime mieux ne pas insister sur des faits qui ne sont pas de ma compétence et en venir à un second point de vue, le point de vue psychologique, dont la portée est bien supérieure.

Pour qu'une légende naisse et se développe dans un certain milieu, il faut absolument qu'elle soit en harmonie avec ce milieu, il faut qu'elle en sorte comme un fleuve de sa source. Or, tel n'est pas le cas de la naissance miraculeuse. Si, chez les païens, une idée semblable pouvait s'accréditer, elle est absolument inconcevable dans un milieu juif. Les Juifs, en effet, considéraient le mariage et la maternité comme une bénédiction ; une femme non mariée était presque déshonorée par ce fait ; une femme mariée sans enfants se croyait abandonnée de Dieu ou punie par lui. Une femme devenue mère était au contraire estimée et honorée de tous. L'amour conjugal n'était point envisagé comme rabaissant en une mesure quelconque l'homme ou la femme. Qu'on se rappelle, pour s'en convaincre, le Cantique des cantiques, dans lequel on a cru voir un symbole de l'union de l'âme avec Dieu, on de l'Eglise avec Christ, tandis que probablement le vrai sens, le sens primitif du moins, devait être la glorification de l'amour conjugal et de la fidélité de deux époux. Évidemment Salomon, en composant ce magnifique poème, n'avait que ce but-là devant les yeux, et les autres significations, très justes comme analogies, n'ont pas dû se présenter à son esprit.

S'il en est ainsi, on peut affirmer que jamais des chrétiens anciens n'auraient eu l'idée, pour grandir leur héros jusqu'à l'apothéose, de le faire naître ici-bas sans le concours paternel. L'absence de ce concours non seulement n'aurait rien ajouté à la gloire de leur Messie, mais l'aurait peut-être quelque peu diminuée. Pour que le fait n'ait été rapporté que par Luc, et même par Matthieu, l'ancien péager juif, il fallait qu'il fût vrai.

J'arrive maintenant à un point de vue que j'appellerai scientifique et pour le développer, il nous faut remonter à l'origine du monde et à la formation de la vie sur notre globe. On sait que cette question a mis aux prises deux catégories de savants, souvent très opposés : d'un côté, les partisans de la création spontanée, de l'autre, ceux de l'évolution, d'après laquelle de rien, rien ne peut sortir, par conséquent tout ce qui est, tout ce qui vit est le résultat d'une série de lentes transformations ; le monde végétal sortirait dans ce cas du monde minéral, l'animal du végétal, l'homme de l'animal, et ainsi de suite.

Malheureusement, trop souvent les partisans de l'une de ces théories ont considéré les défenseurs de l'autre comme des adversaires dangereux, qu'il fallait à tout prix combattre par amour pour la vérité. Or il nous semble qu'en ceci, comme dans une foule d'autres choses, la vérité se trouve entre les deux, dans une conciliation entre la création et l'évolution, et je confesse que je suis un partisan convaincu de cette conciliation.

A priori déjà, il ne me semble pas qu'il soit possible de concevoir l'évolution darwinienne sans une création préalable, car qui dit évolution dit point de départ, origine, acte initial, création et Créateur, par conséquent ; et d'autre part, la création, à elle seule, semble inconcevable sans un développement des lois organiques établies par le Créateur.
Or c'est là précisément ce que nous enseigne le chapitre I de la Genèse, qui, sans être un traité de science, n'en renferme pas moins des faits scientifiques des plus remarquables.
Dans ce chapitre, il est dit à trois reprises : « Dieu créa » ; au verset 1, Dieu créa la matière ; au verset 21, Il créa la vie, au verset 27, avec l'homme, Il créa la vie consciente.

Nous sommes donc en face de trois actes décisifs, de trois interventions divines, dans l'histoire de la formation de notre globe et du développement de la vie. Entre ces trois actes, c'est la loi d'évolution qui suit lentement, mais régulièrement son cours : « Que la lumière soit ! Que l'atmophère soit ! Que le monde minéral soit! Qu'il produise la vie végétale ! Que les astres apparaissent ! Que les eaux, puis l'air, puis la terre produisent les êtres vivants ! » Dieu ordonne et la matière elle-même obéit et enfante en quelque sorte pour obéir.

Pourquoi donc mettre en opposition Darwin et Moïse ou l'auteur anonyme de la Genèse ? Ne sont-ils pas réconciliés, et de la manière la plus merveilleuse ? (* Note de "Regard")

Ceci dit, voyons ce que nous enseigne la naissance miraculeuse ; est-elle en contradiction avec ce que nous venons de dire de Genèse 1 ? Bien au contraire, elle se trouve être en harmonie parfaite. Cet enfant du miracle vient au monde comme la matière, comme la vie, comme la vie consciente, comme le premier Adam ; c'est-à-dire par une intervention directe de Dieu, par un acte créateur, telle est la loi de création. Mais, pour le faire naître, Dieu se sert d'un instrument, la vierge Marie, qu'il trouve dans la série des êtres déjà existants, telle est la loi d'évolution.
Jésus-Christ est tout à la fois le produit de la création et le produit de l'évolution.
Produit de la création, car il est l'initiateur d'une ère nouvelle, il va faire franchir à l'être vivant une étape inconnue jusqu'ici, il va faire faire à la matière vivante et consciente un progrès nouveau, et ce progrès sera un pas considérable en avant.
Produit de l'évolution d'autre part, car il doit se rattacher aux êtres qui vivaient déjà sur la terre, pour pouvoir les faire monter plus haut ; s'il n'était pas l'un d'eux, il y aurait en quelque sorte un hiatus qui empêcherait l'évolution nouvelle.

Or les adversaires de la naissance miraculeuse rejettent, sans s'en rendre compte, précisément cette synthèse des deux lois que, sur d'autres points, ils sont si portés à admettre. Ils croyaient simplifier le problème ; ils nous font l'effet de le compliquer encore et de le rendre insoluble en rejetant la part de création dont nul ne peut contester la réalité dans cette nouvelle apparition, qui s'appelle le royaume de Dieu sur la terre. On aura beau dire, on aura beau faire, jamais les savants ne pourront expliquer l'apparition de la matière, de la vie, de la vie consciente, par la seule évolution, à combien plus forte raison la manifestation suprême de la vie divine ici-bas, dans la personne de Jésus-Christ.

Rien ne vient de rien, il faut un germe qui précède ce qui naît et si ce germe n'est pas contenu dans la substance existante, il faut qu'il vienne d'ailleurs, de plus haut.
En d'autres termes, il faut une foi plus grande pour croire que le Christ est né d'une manière ordinaire, que pour admettre sa naissance surnaturelle, l'absence de miracle rendrait cette naissance plus miraculeuse encore, voilà pourquoi nous acceptons avec confiance les récits de nos Évangiles primitifs.

Après le point de vue scientifique, le point de vue dogmatique, dont il nous faut maintenant dire quelques mots. Avant toutes choses, je me permets de demander aux adversaires de la naissance surnaturelle comment ils expliquent le fait de la sainteté absolue de Jésus-Christ. Si le Christ est né comme tous les autres hommes, nous avons, en effet, à choisir entre l'une et l'autre de ces deux alternatives : Ou bien Christ a été réellement saint et alors le péché héréditaire ou originel n'est qu'une illusion, et nous sommes en contradiction avec l'expérience de tous les temps et de tous les pays - Jésus-Christ est un bloc erratique au sein de l'histoire, dont rien ne nous explique l'origine. On bien le péché est héréditaire. et alors Christ a dû en être lui aussi un héritier, donc sa sainteté parfaite est une illusion : c'est bien à cette conclusion que sont amenés plus ou moins consciemment plus d'un des théologiens que nous combattons : ils ne le diront pas ouvertement, ils éviteront de le faire pour ne pas scandaliser les croyants, mais au fond c'est leur pensée, et cette pensée est absolument logique.

Elle ne le serait plus si, comme nous, ils admettaient la naissance surnaturelle. Non pas que nous prétendions qu'elle explique complètement la sainteté de Christ, elle n'en est pas la condition essentielle, elle en est une condition importante ; seule. elle la rend possible.

On objectera, je le sais, que par Marie, Jésus a pu hériter le péché, tout aussi bien que par Joseph et que les catholiques sont plus conséquents que les protestants en acceptant le dogme de l'immaculée conception. - Mais ce dogme n'explique rien du tout, il ne fait que reculer la difficulté, sans la résoudre, car à notre tour nous demandons comment il se fait que Marie, étant née d'une manière surnaturelle. n'ait pas hérité le péché de sa mère ? Pour être logique. ne faudrait-il pas remonter de génération en génération jusqu'à la première femme pour que Christ soit absolument à l'abri du péché ?

Nous reconnaissons franchement l'objection : nous sommes ici devant le mystère, qui oserait prétendre connaître à fond les secrets de l'origine de la vie ? Ils sont déjà si obscurs quand il s'agit d'un homme ordinaire. Ne peut-on pas dire en tout cas que dans la conception, la part du père est plus importante que celle de la mère, puisque le premier est l'agent actif, le second l'agent réceptif ? Cette idée ne lève pas le mystère, je le reconnais, d'autant plus qu'elle sera contestée par plus d'un ou plus d'une féministe avancée, mais elle nous met peut-être sur la voie de sa solution.

Il y a plus, si la sainteté de Christ présuppose sa naissance surnaturelle, ne peut-on pas en dire de même de sa pleine humanité ? Jésus est l'homme de tous les temps et de tous les pays ; s'il est Juif de naissance, il s'est fait cependant tellement un avec notre race, que chaque nation le reconnaît pour l'un des siens, chacun se l'approprie en quelque sorte, comme s'il était son frère d'une manière particulière. Aussi bien le titre que Jésus préférait à tous les autres était celui de Fils de l'homme, qui revient plus de cinquante fois dans les Évangiles.

Supposons que Joseph fût le père de Jésus au même titre que Marie fût sa mère, qu'en résulterait-il immédiatement ? C'est que ce caractère d'homme de tout temps et de tout pays que possédait Jésus à un si haut degré, disparaîtrait du même coup. On aurait en lui un Juif, rien qu'un Juif, non pas un homme dans le sens général du mot ; dans ce cas, Jésus ne pourrait pas être aussi bien le représentant de la race humaine tout entière, os de nos os, chair de notre chair. il ne serait plus le nouvel Adam. solidaire de l'humanité dans son ensemble. Et c'est ainsi qu'en voulant le rapprocher de nous, en s'efforçant d'en faire l'un des nôtres dans le plein sens du mot, nos adversaires l'éloignent au contraire, ils l'isolent au sein de la race et nous le rendent étranger, au même degré que s'ils venaient à nous dire qu'Adam appartenait à une nation particulière et n'était point le père de tous les hommes.

La naissance naturelle, au contraire, rend le Christ fils de l'homme, dans le sens absolu et unique ; par sa mère Jésus peuvent bien être de sa race, un Israélite, fils d'Israël ; par son Père, Dieu lui-même, il est l'homme universel, le nouvel Adam, celui qui, par conséquent, peut engendrer une race nouvelle, car il s'est trouvé dans une situation analogue à celle du premier Adam ; comme lui, il est né non pas saint, ni sans péché, mais innocent et candidat à la sainteté ; comme lui, il a dû vaincre la tentation. Mais tandis que le premier Adam a succombé aux efforts de l'ennemi et a entraîné ses descendants dans le mal et la mort, Jésus, lui, a triomphé : aussi il veut et il peut entraîner tous ses rachetés vers la sainteté et vers la vie. La pleine solidarité du Christ avec la race humaine tout entière qu'il était venu sauver, en d'autres termes son absolue humanité rendait donc nécessaire la naissance surnaturelle du Sauveur.

Enfin, n'oublions pas que Jésus s'est cru et s'est déclaré Fils unique de Dieu, c'est même cette prétention inouïe qui a soulevé la violente opposition que l'on connaît, c'est elle qui a poussé ses ennemis à prendre des pierres pour le lapider ; c'est elle qui a conduit le sanhédrin à le condamner et à le crucifier (2).

Cette prétention dont nous parlons longuement dans un autre chapitre est-elle concevable avec la naissance naturelle ? Nous ne le pensons pas, ou du moins elle devient beaucoup plus difficile à accepter. Avec la naissance naturelle il n'y a plus à proprement parler d'incarnation, ce n'est plus la Parole qui se fait chair, c'est plutôt la chair qui devient Parole ; ce n'est plus une intervention directe de Dieu, c'est une évolution de l'humanité vers Dieu, ce n'est plus une descente de Dieu, c'est une ascension de l'homme. Jésus peut bien être encore appelé Fils de Dieu dans un sens unique, mais c'est par droit de conquête, c'est comme récompense ; sa filiation divine n'est plus un point de départ, c'est un point d'arrivée, le résultat de sa parfaite sainteté. Évidemment, pour ceux qui n'admettent d'autre divinité en Christ que celle-là, la naissance naturelle suffit, jusqu'à un certain point du moins ; pour ceux, au contraire, qui croient à la divinité essentielle, substantielle de Christ, cette naissance serait le renversement de leur conception.
Aussi peut-on dire que le point de vue auquel ou se place dans la question si grave de la divinité du Christ laisse deviner celui que l'on adopte quant à la naissance du Sauveur. En d'autres termes, il est très facile d'admettre la naissance miraculeuse quand on croit à la divinité réelle de Christ ; il est par contre très difficile d'accepter cette divinité quand on traite de légendaire le récit de la naissance du Sauveur. Et l'on peut se demander si l'une des principales raisons de l'opposition que l'on fait à cette naissance ne doit pas précisément être cherchée dans la négation de la divinité du Christ.

Enfin, le cinquième et dernier argument est celui que j'appellerai l'argument moral, c'est peut-être le plus pratique et le plus important. On se représente volontiers que la question traitée ici est purement métaphysique sans relation avec la vie. Or l'on sait combien aujourd'hui tous les croyants, libéraux et évangéliques, insistent avec raison sur le côté pratique du christianisme, c'est-à-dire sur la vie. Seulement n'oublions pas que la doctrine a beaucoup plus qu'on ne le croit d'influence sur celle-ci. C'est ce que nous allons voir à propos de la naissance miraculeuse.

Les adversaires de l'Évangile, en particulier les socialistes matérialistes, accusent violemment aujourd'hui le christianisme d'être une religion d'exploitation égoïste ; ils prétendent que c'est un très habile instrument entre les mains des capitalistes bourgeois et jouisseurs pour s'assurer la conservation de leurs privilèges en les refusant au peuple travailleur. En parlant toujours d'un Dieu qui récompense, d'un ciel et d'un enfer, d'une vie à venir, les prêtres et leurs alliés n'ont d'autre but que de tranquilliser le pauvre peuple, de lui faire prendre patience en attendant mieux. Autrement dit, on reproche aux disciples du Christ d'être des gens intéressés qui ne se servent de la religion qu'à leur profit personnel. Hélas ! l'Eglise à travers les siècles, l'Église contemporaine elle-même, doit avouer à sa honte que ce reproche n'est pas sans quelque fondement. Mais ce qu'il y a de plus grave, c'est qu'aujourd'hui, dans certains milieux du moins, on fait remonter ce reproche des disciples au Maître, des créatures au Créateur. Aux yeux de beaucoup, Dieu apparaît comme l'auteur du mal, comme le premier et le plus grand des exploiteurs, leur patron tout-puissant, qui les inspire et auquel par conséquent il faut déclarer une guerre acharnée. La haine contre Dieu est plus générale qu'on ne le croit d'ordinaire, preuve en soit par exemple le succès des conférences de Sébastien Faure sur les « Crimes de Dieu » qui répondaient à l'état d'âme de nombreux citoyens.

Supposons que le Sauveur soit né d'une manière naturelle : il n'est dès lors plus le don de Dieu au monde. « Dieu, a dit un théologien moderne, s'est si peu donné lui-même en Christ qu'Il s'est enrichi ; car Il se donne un Fils, mais Il ne nous donne pas son Fils, son autre lui-même ». Il se trouve par conséquent qu'au moment même où Dieu a l'air d'être généreux, miséricordieux, compatissant, à l'heure où Il semble nous aimer en s'imposant un sacrifice, c'est lui-même qu'Il aime, c'est à lui qu'Il pense, c'est lui-même qu'Il sert. Elle n'était donc pas si fausse l'accusation portée contre Dieu qui le disait le premier et le plus grand de tous les exploiteurs, l'auteur du mal par conséquent. Bien plus, ce Dieu est on outre un menteur ou du moins Il nous trompe ou nous laisse dans l'erreur, puisqu'Il nous fait croire par certaines déclarations de sa parole qu'Il s'est donné en Christ, quand Il ne s'est pas donné du tout. Mensonge la parole de Jésus à la Samaritaine : « Si tu connaissais le don de Dieu et quel est celui qui te parle ». Mensonge les paroles de Jésus à Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu'il ait la vie éternelle » ! Mensonge le mot de saint Paul aux Corinthiens : « Grâces soient rendues à Dieu pour son don ineffable » !
Quelle confiance alors avoir encore en ce Dieu ? L'homme n'est-il pas meilleur que lui ? Que dis-je ? l'idée de Dieu n'est-elle pas une illusion comme beaucoup d'autres ?

Admettons au contraire tout simplement, comme des enfants, que l'apparition du Christ dans le monde est le résultat d'une intervention directe de Dieu et qu'en intervenant, Dieu nous à réellement donné ce qu'Il possédait de plus précieux, son Fils unique et bien-aimé ; admettons qu'Il aurait pu nous envoyer un ange ou un archange, mais que cet envoi n'aurait pas suffi à manifester son amour, cet amour étant infini, admettons qu'il y a eu en Dieu réel sacrifice dans un don réel, dépouillement et non pas revêtement, appauvrissement et non pas enrichissement, comme aussitôt ce Dieu devient plus acceptable pour nos contemporains aigris et révoltés contre la société !

Comme la vue de ce Christ, fruit de son amour, don libre, spontané, gratuit du Père, va les toucher ! Comme les appels de ce Sauveur au nom du Dieu des miséricordes vont les émouvoir ! Comme l'oeuvre de salut et de rédemption qu'il est venu accomplir va paraître plus belle et plus digne et de l'homme et de Dieu !

Tant il est vrai que si la naissance miraculeuse est difficile à admettre an point de vue de la raison, elle répond au contraire au cri du coeur et de la conscience ; que dis-je ? elle s'impose comme une obligation morale à ce coeur et à cette conscience. Or ce qui gagnera notre génération, nos classes ouvrières en particulier si entamées par le socialisme révolutionnaire, ce ne sont pas tant les arguments de la raison, mais bien ceux du coeur, les mobiles moraux beaucoup plus que les intellectuels. Que nos rationalistes le sachent et s'en convainquent ! Or, on dirait vraiment par moments qu'ils n'ont aucun sens des besoins et des aspirations des foules au sein desquelles ils vivent. Ces foules peuvent bien être momentanément gagnées par l'argumentation négative d'un beau parleur faisant appel à leur seule intelligence : l'impression produite ne sera ni profonde ni durable : si ensuite le coeur et la conscience se mettent à parler, ils auront bientôt fait de renverser ses arguments intellectuels. Ne l'oublions jamais : les masses populaires sont composées non d'intelligences, mais de coeurs qui sentent et qui souffrent et de consciences qui ordonnent et qui exigent.

Tel est le dernier argument, l'argument moral, en faveur de la naissance surnaturelle : il me semble qu'il confirme d'une manière éclatante ceux qui précèdent, en nous faisant descendre des hauteurs de la théorie et du raisonnement sur le terrain pratique de la vie et de l'action.

Voilà pourquoi, quant à moi, je me sens plus convaincu que jamais de la véracité de l'Évangile primitif, puisque ce récit me fait entrevoir un Christ absolument pur de la tache originelle, bien qu'il soit homme, preuve que le péché n'est nullement inhérent à la nature humaine, et que, d'autre part, ce même récit sauvegarde la notion de Dieu, en la séparant d'une manière absolue du mal et de l'égoïsme : car Christ est à la fois humain et divin, et d'autant plus divin qu'il est davantage humain.

Voici donc quelles seront nos conclusions. Aux croyants, tout d'abord, une parole d'encouragement. Vous avez peut-être été ébranlés un moment par les arguments employés pour détruire la foi de votre enfance, concernant Noël et la naissance du Sauveur. Eh bien ! nous venons vous dire que cette foi de votre enfance n'est point sans fondement ; que dis-je ? malgré les difficultés qu'elle rencontre, nous la croyons plus et mieux fondée que la foi rationnelle, que l'on voudrait vous imposer. Il y a pour le moins autant, si ce n'est plus, d'arguments raisonnables. Vous pouvez donc tressaillir de joie à l'occasion de la fête de Noël : ne vous défiez ni des anges qui vous invitent à vous réjouir, ni de la chrétienté qui convie le monde à l'allégresse, ni de votre propre coeur qui, avouons-le, ne demande pas mieux que de revenir aux douces impressions de la jeunesse.

Et pourquoi nous réjouir ?
C'est que Dieu nous aime infiniment malgré tout, malgré notre misère,malgré nos souillures, notre incrédulité, nos révoltes. Le tableau de l'histoire ancienne et contemporaine peut être sombre, très sombre, l'horizon peut bien être chargé de lourds nuages, Dieu n'en est pas moins intervenu dans l'histoire. Il a, en quelque sorte, fait sauter le cercle de fer du déterminisme universel, et, par un acte libre et spontané, par un miracle de sa grâce, Il nous a donné un Sauveur, et ce Sauveur Il l'a placé au sein même de l'humanité, pour la racheter et la transformer. Malgré ce que prétendent les sages de ce monde et les intelligents, ni Dieu ni ses témoins ne nous ont trompés le jour de Noël, l'histoire de Noël n'est pas une légende comment ne nous réjouirions-nous pas ?

Et aux autres, aux douteurs, à ceux qui ont de la peine à croire à cette origine surnaturelle du Sauveur du monde, nous dirons de ne pas se laisser arrêter par l'obstacle qu'ils ont rencontré là ; s'ils ne peuvent décidément pas croire à ce fait, qu'ils le mettent de côté momentanément, et qu'en toute droiture et sincérité de coeur, ils se placent vis-à-vis de la personne historique, éternellement vivante, du Christ, qu'ils le contemplent dans le silence et le recueillement, qu'ils se l'approprient, en quelque sorte, par un acte de volonté, et alors je ne doute pas qu'eux aussi en reviennent, par un autre chemin il est vrai, cela importe peu, à la foi de leur enfance, c'est-à-dire à celle de Luc et de Matthieu. Et cette conviction sera d'autant plus solide, qu'elle sera le fruit d'une expérience personnelle.

J'avoue, quant à moi, que ce qui m'a convaincu sur ce point, ce ne sont pas tant les arguments, mêmes les plus forts, mais bien une expérience intime de la personne du Sauveur. Christ s'est tellement imposé à moi par son exemple et par l'autorité de ma conscience qui est la sienne, il est tellement devenu tout pour moi, le centre de ma vie, de mon être et de mon activité, que je n'ai plus de peine à voir dans son entrée au sein de l'histoire, comme dans sa sortie, une intervention surnaturelle ; que dis-je ? s'il en était autrement, si tout était naturel au début et à la fin d'une vie où tout porte le sceau divin, j'en serais étonné, scandalisé presque.

Que serait-ce si, comme le sous-entendent nos contradicteurs, le Christ venu dans le monde, avant le mariage de ses parents, était un bâtard, fruit du péché et, diraient les catholiques, de la concupiscence ?!

Si Dieu a mis sa bénédiction (et quelle bénédiction !!) sur un acte pareil, comment ne pas excuser le relâchement moral qui, trop souvent, précède le mariage et vient ensuite consommer sa ruine ? Cette conclusion peut paraître un peu brusque et pas mal dure : j'ai peur qu'elle ne soit pourtant celle des esprits auxquels en impose la logique.


Table des matières

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1 Cette conférence a été prononcée quelques Jours, avant les fêtes de Noël.
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* Note de "Regard": Prenons garde de ne pas tomber dans le piège d'un évolutionisme qui détruirait les actes créateurs de l'Éternel qui a mis à notre disposition toutes choses "selon son espèce (Genèse 1: 12, 21, 25: 6: 20; 7:14) " et non pas des espèces de base qui au fil du temps se seraient "améliorées" pour arriver où elles en sont aujourd'hui tout en continuant leurs modifications pour "évoluer" vers un autre stade.
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2 On appelait bien parfois fils de Dieu. les héritiers des rois et certains grands prophètes : mais Jésus et ceux qui l'avaient jugé ne l'ont pas entendu de la sorte, puisqu'il s'est dit lui-même Fils unique et qu'il s'est laissé condamné comme tel, sans protester.

 

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