Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Fictions ou réalités?

CHAPITRE IV
La prière sert-elle vraiment à quelque chose ?

 

En abordant ce sujet, je pense particulièrement à ceux, trop nombreux hélas ! qui avaient autrefois l'habitude de prier, et qui ne prient plus aujourd'hui. Ils ont fait de dures expériences. disent-ils : ils se sont plus d'une fois adressés à Dieu dans leur détresse, ils comptaient fermement sur l'exaucement, et l'exaucement n'est pas venu : tel être chéri tombé malade est encore malade, peut-être mort ; telle délivrance demandée leur a été refusée ; ils sont encore aujourd'hui dans de grandes difficultés d'argent, ils n'ont pas réussi à trouver une place qui leur permette de gagner honnêtement leur pain quotidien ; que dis-je ? après avoir prié, ils ont vu leur situation empirer ; il se peut même que depuis qu'ils ont cessé de prier, leur position se soit réellement améliorée. Je me souviens d'avoir rencontré un homme tombé dans le doute et même l'incrédulité pour avoir demandé vainement à Dieu la délivrance d'une coupable suggestion, tandis qu'un moyen tout humain suffit plus tard à l'affranchir.

Ou bien c'est le spectacle du monde avec toutes ses horreurs et toutes ses injustices qui a fait douter de l'efficacité de la prière : pourquoi, se demande-t-on, Dieu reste-t-Il silencieux en face de tant de misères ? comment peut-Il supporter pareil spectacle ? son silence dans les événements qui ensanglantent notre terre n'est-il pas la preuve qu'Il est sourd, aveugle, distrait ou trop absorbé par d'autres affaires pour s'occuper des nôtres. Comment voulez-vous, par exemple, qu'Il exauce des prières quand deux belligérants, aux prises dans une guerre sanglante, l'invoquent chacun de son côté ? Il doit être terriblement embarrassé pour exaucer l'un plutôt que l'autre, car il est certain qu'il y a des hommes sincères dans l'un et l'autre camp, et l'histoire est là qui nous montre presque à chaque page que ce sont d'ordinaire les forts qui écrasent les faibles, quelles que soient les prières de ces derniers.

À genoux sur son lit, ses boucles en arrière,
Un autre enfant songeur. lève au ciel son oeil bleu :
« Quand je dis : Donne-nous la victoire ! Ma mère
Les petits ennemis font la même prière...
Pour eux et nous, alors. il faut donc deux bon Dieu ? »

Ne serait-il pas plus loyal de reconnaître franchement l'impossibilité de l'exaucement des prières et de ne plus voir dans les événements que le cours fatal des choses ? Au moins, en le faisant, nous ne risquons pas d'accuser un Être que l'on dit bon et miséricordieux, nous n'accusons personne que les choses ou nous-mêmes. C'est par respect pour Dieu que nous lui dénions le pouvoir d'exaucer nos requêtes. Il faut en prendre virilement notre parti : à mesure que la vie humaine se déroule, le ciel au-dessus de nos têtes paraît être d'airain. Quand nous levons nos yeux en haut, nous ne voyons que la nuit noire de l'immense infini, où scintillent ici et là des mondes impersonnels. Quand nous poussons des gémissements ou même des cris, personne ne nous entend là-haut : rien ne vient interrompre le solennel silence des étoiles. Quand nos coeurs soupirent après un coeur sympathique répondant à leurs palpitations, ils n'en rencontrent aucun dans le vaste univers : ou plutôt oui, il y a des coeurs qui vibrent et qui sentent, mais ils sont sur la terre. Ne les cherchons donc plus là où ils ne sont pas.
Nous voudrions, nous dit-on, croire encore à la prière, nous y avons cru dans notre enfance avec délice, cette croyance a illuminé nos premières années ; aujourd'hui nous ne le pouvons plus, maintenant que nos beaux rêves se sont envolés, que nos illusions sont perdues, et nous ne nous en trouvons pas plus mal.

Bien loin de juger sévèrement ou de mépriser ceux de mes lecteurs qui en sont arrivés là, sans doute au travers de la souffrance, je me sens pris pour eux d'une très sincère compassion : je connais leurs difficultés à croire, je sais d'autre part ce qu'il en coûte d'abandonner une conviction qui jadis vous était chère, je me représente sans peine le vide qu'ils découvrent en eux, malgré les apparences contraires ; voilà pourquoi je voudrais m'approcher d'eux avec sympathie et rechercher avec eux si réellement la position qu'ils ont prise est la dernière possible. Je crois que cette grande question : La prière sert-elle à quelque chose ? mérite d'être examinée de nouveau avant d'y répondre pour toujours d'une manière négative. Et pour le faire d'une manière bien pratique, je voudrais leur rappeler une anecdote dont l'authenticité est assurée.

Il y a quelques années vivait un apprenti pharmacien plus ou moins incrédule. Un soir qu'il avait fermé son magasin et que, retiré dans sa petite chambre à coucher, il allait se livrer au repos, il entendit tout à coup sonner à la pharmacie. Il se relève en maugréant, et court ouvrir à son importun visiteur. Il trouve à la porte un petit garçon tout essoufflé, qui venait lui demander un remède pour sa mère mourante. Le jeune pharmacien lui verse une potion quelconque, et une fois l'enfant loin, se hâte de refermer son magasin. Mais voici que tout à coup en regardant de plus près le bocal d'où il a pris le remède, il s'aperçoit qu'il a donné à l'enfant un violent poison ! Que faire ? Il court dans la rue, appelle, mais en vain. Il rentre bouleversé, quand soudain le souvenir de sa mère et des prières qu'elle lui avait apprises lui revient. « Si j'essayais, se dit-il, de prier ; je ne crois plus guère à la prière, je l'ai depuis longtemps délaissée. Peut-être ai-je eu tort ? En tout cas, cela ne me fera pas de mal d'essayer. » - Et sans plus tarder, il se jette à genoux au milieu de la pharmacie et s'écrie : « Oh ! Dieu, tu vois ma détresse. Je ne sais plus que faire. Si ma prière monte jusqu'à toi, fais un miracle qui sauve cette pauvre femme ! »

Il avait à peine achevé sa prière qu'on sonne de nouveau. Il ouvre et, à sa grande stupéfaction, il revoit le petit garçon en sanglots qui lui raconte son gros chagrin : dans sa précipitation de porter le remède à sa mère, il a fait un faux pas, il est tombé et a cassé sa bouteille ! Tout le remède est donc perdu ! - Je ne sais si la femme fut sauvée, je le crois, je l'espère, mais ce qui est infiniment plus important, c'est que le jeune pharmacien fut si frappé de l'exaucement de sa prière qu'il redevint croyant : sa prière dans la détresse sauva son âme, parce qu'elle venait d'un coeur sincère.

Cherchons maintenant à nous rendre compte de ce que renferme cette anecdote ; il me semble que l'on peut envisager trois points essentiels

1° L'occasion de la prière.
2° La prière elle-même.
3° Les conséquences.

Et, tout d'abord, l'occasion de la prière. Tant que ce jeune homme était heureux, prospère, il n'avait pas besoin de Dieu ; se suffisant à lui-même, il ne priait pas ; et, peu à peu, son indifférence était devenue scepticisme. Mais dès que les circonstances changèrent et se tournèrent contre lui, il en fut tout autrement sa détresse lui ouvrit subitement les yeux sur son impuissance, il prit en quelque sorte conscience de lui-même, sans doute pour la première fois, et se reconnut faible, limité, incapable. Il est seul, personne ne peut lui tendre la main, et le sortir de cette impasse ; enfermé de toutes parts, il n'a plus qu'une chose à faire : diriger son regard vers l'unique côté de l'horizon encore ouvert : le ciel et Dieu qui le remplit. C'est donc parce qu'il se sent perdu qu'il crie à Dieu.

Ainsi en est-il encore bien souvent aujourd'hui ce sont les circonstances extérieures plus ou moins difficiles qui provoquent la prière, la vraie, celle qui jaillit du coeur spontanément et qui, s'élevant vers le trône du Tout-Puissant, est toujours entendue. Car ces circonstances sont comme des traits de lumière qui manifestent à l'homme, sa faiblesse et l'obligent à chercher ailleurs qu'en lui-même la force dont il a besoin ; l'homme reconnaît alors la dépendance, qui est son état normal, et une impulsion intérieure l'amène à crier à Dieu. Ce phénomène peut être produit par une détresse morale, le sentiment du péché, par exemple ; il peut aussi, et c'est le cas le plus fréquent, être provoqué par une détresse toute matérielle, comme dans le cas de notre pharmacien. Si les hommes savaient toujours se placer au point de vue de l'éternité et de leur bien réel, ils ne redouteraient plus tant la souffrance, ni les difficultés, car c'est par elles qu'une multitude infinie d'âmes sont entrées en relations personnelles avec Dieu et sont arrivées ainsi à la vie éternelle.

J'en viens à mon second point : la prière elle-même. L'apprenti pharmacien, on l'a remarqué, n'a pas fait de discours à Dieu, il n'a pas employé des phrases bien tournées et tout apprises ; point de formalisme, point de pose ou de recherche, mais un cri du coeur, jaillissant des profondeurs de son être intime. Je crois que c'est là la vraie prière, celle qui touche et qui remue le coeur de Dieu, parce que précisément elle provient du coeur. C'est une prière enfantine, naïve pleine de sincérité ; une prière directe et précise, se rapportant à un objet précis aussi. N'est-ce pas la preuve que l'expérience de la prière est à la portée de chacun, des plus ignorants, des plus simples, des moins doués, comme des autres ? Il faut qu'il en soit ainsi, si elle répond à une réalité, elle ne doit être refusée à personne.
Ce n'est donc pas l'intelligence qui est surtout en jeu, dans la prière, l'intelligence n'est pas l'apanage de tout le monde. Comme nous sommes loin de toutes ces caricatures de la prière qui s'appellent des moulins à prière, des chapelets, des formules répétées sans cesse et machinalement ! Tout cela, ce sont des formes vides de sens, qui, non seulement ne reçoivent aucune réponse du ciel, mais encore scandalisent et détournent de la piété des hommes sérieux, qui ressentent une horreur instinctive pour tout ce qui est hypocrisie.

Enfin, si nous envisageons dans l'histoire de l'apprenti les conséquences de la prière, nous devons reconnaître qu'il y en eut deux. Une conséquence matérielle : la délivrance de la pauvre femme, peut-être même sa guérison ; une conséquence spirituelle, d'une portée bien plus grande : le salut d'une âme par le retour à la foi. Je crois qu'en effet Dieu exauce encore aujourd'hui des prières du domaine tout matériel, car il n'y a qu'un Dieu, le même dans le monde de la nature et dans celui de la grâce ; et si nous savions croire et demander, nous aurions bien plus souvent des preuves tangibles de l'action de Dieu dans les détails de l'existence. À cet égard, les pauvres gens, qu'ils ne l'oublient jamais, sont dans une position supérieure à celle des riches, car ils dépendent de Dieu beaucoup plus que ces derniers dans le domaine matériel. N'ayant pas de rentes, ils doivent compter jour après jour sur le Père céleste, et par là même ils ont l'occasion de faire des expériences bénies de délivrance et de secours divin, que des gens dans l'aisance ne connaîtront peut-être jamais.

Mais il ne faut pas oublier que tout exaucement de prière dans le domaine matériel doit avoir son contre-coup dans le monde spirituel : l'un n'est-il pas comme une grande parabole de l'autre ? Ne doit-il pas servir à nous faire faire l'apprentissage de la vie spirituelle ? Malheur à l'homme qui, ne voyant plus que la matière, s'y attache avec passion et oublie l'essentiel, qui est l'esprit ! En d'autres termes il importe que les exaucements accordés par Dieu dans la vie matérielle nous fassent faire un pas en avant dans la vie spirituelle, afin qu'ils ne nous soient jamais un piège.
En accordant au pharmacien sa prière, le Tout-Puissant poursuivait un autre but, beaucoup plus élevé et plus beau : le salut d'une âme immortelle, infiniment précieuse aux yeux du Créateur.
Et cependant, même en face d'un fait pareil, l'homme garde sa liberté pleine et entière. Un instant de réflexion suffit à faire reconnaître que celui qui ne veut pas croire peut parfaitement nier l'intervention de Dieu dans ce que nous appelions tout à l'heure un exaucement de prière. Il peut n'y voir qu'un enchaînement de faits naturels qui se seraient tout aussi bien passés si le jeune homme n'avait pas prié. Un enfant court, dira-t-il : quoi de plus naturel qu'en courant il fasse une chute ? N'est-ce pas diminuer Dieu que de mettre cette chute sur le compte de son intervention ? En tombant, il casse la bouteille qu'il portait et revient au magasin : encore là rien que de naturel, rien que des faits qui ne nécessitent en aucune façon l'intervention de Dieu. Par cette chute la femme est sauvée et le jeune homme profondément impressionné : il ne pourrait en être autrement : encore un coup, pourquoi mêler Dieu à tout cela ?

J'avoue sans difficulté que nous sommes là en face d'une série de faits tout simples, qui auraient pu se passer sans aucune prière, tant il est vrai qu'en nous exauçant, le Créateur ne bouleverse aucune des lois sages et bonnes qu'Il a lui-même établies : n'est-ce pas la thèse que nous avons soutenue à propos du miracle ? Et pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi en sera-t-il ainsi tant que nous serons sur la terre ? Par la bonne raison que Dieu respecte absolument notre liberté. Il nous a placés ici-bas pour faire un apprentissage, l'apprentissage de la vie divine, qui est une vie toute de liberté et d'amour. Il pourrait nous forcer à obéir, Il n'aurait aucune peine à le faire, lui, le Tout-Puissant, avec des êtres qui sont la faiblesse même. Il ne le fait pas, parce que c'est le seul moyen d'arriver à ses fins. Voilà pourquoi Il a, sur cette terre, arrangé les choses de telle façon que celui qui, sincèrement, veut croire le peut, tandis que celui qui ne le veut pas trouve des raisons plausibles pour rester dans l'incrédulité. C'est à la volonté conseillée par la conscience que revient l'autorité suprême, c'est elle qui forme le tribunal de dernière instance. « Si un mort ressuscitait, disait déjà Jésus des incrédules de son temps, ils ne croiraient pas. (Luc XVI, 31) » Les exaucements de prière les plus frappants ne convaincront pas davantage un homme résolu à nier l'action de Dieu et ses négations mêmes auront de très réelles apparences pour elles, presque autant que les affirmations du croyant.

Il n'était peut-être pas inutile de rappeler cela aujourd'hui que l'on veut tout peser, tout contrôler ; nous ne sommes plus ici sur le terrain scientifique qui est celui du déterminisme, mais bien sur le terrain de la morale qui est celui de la liberté. La prière échappera toujours au contrôle des instruments de physique, comme, du reste les phénomènes de la foi.
Mais ceci accordé, personne ne me contredira, je pense, si j'affirme que la prière est à la fois la chose la plus naturelle, puisqu'elle jaillit spontanément du coeur d'un homme quelconque, qui a peur ou qui se trouve dans la détresse ; si dans ce moment-là il est livré à lui-même, s'il n'est pas entouré de personnes prêtes à l'observer ou à le critiquer, s'il oublie les théories du scepticisme ou du rationalisme moderne pour n'écouter que son instinct, je prétends que cet homme quelconque, enfant ou homme de génie, se mettra à prier, ne pourra pas ne pas prier.
Que d'enfants auxquels on n'a pas enseigné à prier et qui, comme mus par une force toute-puissante, ont pris l'habitude de s'adresser à leur Père céleste comme s'il s'agissait de leur père terrestre ! Que d'hommes raisonneurs qui se moquaient aimablement de cette coutume superstitieuse quand ils étaient devant une galerie prête à les applaudir, qui, tout à coup, se jettent à genoux et prient comme des petits enfants quand ils sont seuls, dans un grand danger, par exemple au moment d'un naufrage ou bien en temps d'épidémie, ou encore en face d'un lit de souffrance ou de mort d'un être chéri ! Devant la galerie ils n'étaient pas eux-mêmes, ils jouaient un rôle, ils posaient ; lorsque la galerie a disparu, ils redeviennent eux-mêmes, et s'ils sont alors sincères, ils avouent que tout à l'heure ils ne l'étaient pas.

Je dirais donc volontiers que la prière est chose naturelle au coeur humain, que plus l'homme devient homme et se rapproche par là de la nature, plus la prière lui est nécessaire : c'est l'homme artificiel, conventionnel qui ne prie pas. Que l'on se souvienne du prophète de Nazareth, l'homme par excellence, celui qui s'est appelé de préférence : le Fils de l'homme, titre qu'on n'oserait lui contester. Eh bien ! nul n'a prié comme lui ; il priait de jour, il priait de nuit ; il priait en public, il priait dans le cercle intime de ses disciples, comme dans le tête-à-tête avec Dieu ; il priait dans le temple, il priait sur la montagne, à tel point que sa vie a été une longue, une incessante prière, et celle-ci était bien devenue comme la respiration de son âme, aussi nécessaire qu'à son corps la respiration de ses poumons. Il paraissait en cela faire la chose la plus naturelle du monde : que l'on se souvienne devant le tombeau de Lazare, ce moment solennel où, la pierre ôtée de dessus le sépulcre, Jésus leva les yeux en haut et s'écria : « Père, je te rends grâce de ce que tu m'as exaucé. Pour moi, je savais que tu m'exauces toujours ; mais j'ai parlé à cause de la foule qui m'entoure, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé (Jean XI, v. 41 et 42). » Et quand il se met à table à Emmaüs, le jour même de sa résurrection, c'est au moment où il prend le pain et le rompt, après avoir rendu grâces, que ses deux disciples le reconnaissent, tant ils étaient accoutumés à le voir agir de la sorte.

L'enfant qui, tout simplement, demande à son père ce dont il a besoin est bien plus vrai, bien plus telles que nous, et surtout ils ne peuvent croire que Dieu puisse rien changer en leur faveur au cours ordinaire des événements. Aussi, quand une requête paraît être exaucée, ils disent qu'il y a là une sorte d'auto-suggestion.

Voici un malade qui demande sa guérison il se rétablit. Il va sans dire, nous affirme-t-on que Dieu n'est pas intervenu, Il n'avait pas à intervenir ; mais, en désirant avec ardeur la guérison, ce malade a déterminé en lui une réaction salutaire, d'abord toute morale, puis physique, qui l'a remis sur pied. Dieu n'y est pour rien, ou si l'on veut voir sa main, disons qu'Il a créé notre être physique et moral capable de se transformer sous l'influence d'une forte volonté. C'est bien Dieu qui exauce dans ce cas, mais d'une manière très indirecte et impersonnelle.
Il en est de même d'un défaut que l'on réussit à vaincre à force de prières. Illusion, pure illusion que de croire à une action immédiate de Dieu. Mais il y a eu de la part de l'homme un effort salutaire qui a produit la délivrance définitive ou plus probablement momentanée.
Ou bien encore un homme passe par une grande épreuve, un deuil, par exemple, il supplie Dieu de le consoler. Dieu ne l'entend pas ; mais cet affligé, à force de prier, se fait en quelque sorte une raison, il se discipline soi-même, il se durcit en face de l'événement et remporte la victoire sur sa douleur.
Si ce même homme se trouve en face de la mort et la redoute, il fera bien de prier, non pas pour rien changer à l'événement qui approche, ni pour obtenir du Juge un pardon qui ne lui est pas nécessaire, mais pour s'aider soi-même, se fortifier vis-à-vis de la mort : toujours le même phénomène, monologue de l'homme, dans lequel il se suggère à lui-même par une activité intérieure, souvent très énergique, ce qu'il croit obtenir du Créateur.

Cette théorie de la prière est spécieuse ; elle semble concourir, bien plus que l'autre, au développement de l'initiative et de l'énergie individuelles ; elle n'en est pas moins la négation de la prière proprement dite. L'idée de requête, qui est l'idée essentielle d'après le sens étymologique du mot prière, en est complètement bannie.

Que l'on ait le courage alors d'aller jusqu'au bout, que l'on mette de côté cette expression ; car c'est tromper son prochain que de lui laisser croire que l'on s'adresse à Dieu quand ou ne s'adresse qu'à soi-même, de lever les yeux vers le ciel ou de se mettre à genoux, quand on ne regarde personne et que l'on est seul avec soi-même au moment où l'on se prosterne en terre. Libre à nos sages modernes de ne pas croire à l'efficacité de la prière, chacun doit avoir des convictions conformes à sa conscience, mais alors qu'ils n'usent pas de moyens qui sont sacrés pour les croyants ; qu'ils se gardent de paraître faire ce qu'ils ne font pas en réalité. Le peuple appelle cela des mômeries, c'est-à-dire des formes vides et hypocrites, et il n'y a rien de tels que les mômiers, dans ce sens là, qui est le vrai, pour pousser à l'incrédulité les âmes droites et sérieuses.

La prière, au sens propre du mot, n'est donc pas un monologue, mais un dialogue, un entretien plein d'abandon et de confiance, dans lequel celui qui est la faiblesse même communique avec le Tout-Puissant, celui qui reconnaît son néant entre en relations personnelles avec la plénitude divine, celui qui se sait souillé, impur, coupable, se jette dans les bras du Dieu de sainteté et de miséricorde. La prière est un dialogue entre un fils et son père, parce que le fils a compris qu'il ne pouvait se passer de son père, et que, s'il le pouvait, il ne le voudrait pas, tant son coeur le pousse vers le père bien-aimé. Il est évident que si Dieu est sourd, s'Il est aveugle, ou, ce qui revient au même, s'Il est trop haut, trop loin, pour s'occuper de sa créature, il ne faut pas non plus parler de la paternité de Dieu, l'oraison dominicale est une illusion ou un mensonge, elle qui, pourtant, a rallié, lors du Congrès des religions de Chicago, les représentants de toutes les dénominations ; nul homme droit et sincère ne doit encore la prononcer. Le beau résultat ! et combien en harmonie avec la raison et la conscience modernes !

Mais je le reconnais, la foi à l'exaucement des prières que nous possédons, grâce à Dieu, et que beaucoup partagent avec nous, rencontre des difficultés très réelles que je me fais un devoir d'examiner maintenant avec le plus de sérieux possible. Je signalerai quatre de ces difficultés qui me paraissent particulièrement importantes.

La première se rapporte aux lois de l'univers. On nous objecte que ces lois sont immuables, et que, par conséquent, elles ne peuvent pas être modifiées par nos prières. D'ailleurs ces lois sont sages, il suffit qu'elles suivent leur cours pour que les événements se succèdent, sans que Dieu ait à intervenir.
N'y a-t-il pas beaucoup de prières qui restent sans exaucement ?
C'est la preuve que le cours des lois s'opposait à ces prières, et rien n'a pu l'empêcher. Et quand l'exaucement est accordé, c'est que l'ordre de l'univers réclamait cette solution même sans prière, l'événement se serait produit. Pourquoi vouloir toujours faire intervenir le Créateur ? N'est-ce pas le rabaisser en laissant croire qu'Il s'est trompé ou que son oeuvre a été mal faite ?

Mais qui donc prétend qu'en nous exauçant, Dieu change ses lois ? Bien des siècles avant Jésus-Christ, la Bible parlait déjà de lois établies par le Créateur et que rien ne peut troubler : « Ainsi parle l'Éternel, s'écrie le prophète Jérémie, qui a fait le soleil pour éclairer le jour, qui a destiné la lune et les étoiles à éclairer la nuit, qui soulève la mer et fait mugir les flots, lui dont le nom est l'Éternel des armées : Si ces lois viennent à cesser devant moi, la race d'Israël aussi cessera pour toujours d'être une nation devant moi (Jér. XXXI, v. 35 et 36).
Ainsi parle l'Éternel, dit-il ailleurs : Si je n'ai pas fait mon alliance avec le jour et avec la nuit, si je n'ai pas établi les lois des cieux et de la terre, alors aussi je rejetterai la postérité de Jacob et de David, mon serviteur (Jér. XXXIII. v. 26). L'Éternel a donné des lois, dit un Psaume, Il ne les violera point (Ps. CXLVIII, v. 6).

Ainsi donc, longtemps, très longtemps avant que la science moderne eût parlé de lois et s'en fût fait un argument contre la libre autorité de Dieu, les auteurs de l'Écriture, sous l'influence de l'Esprit-Saint, affirmaient de la façon la plus catégorique, que les lois existent et que Dieu n'a nulle intention de les violer. Cela ne les empêchait pas d'autre part de nous recommander la prière et de nous en assurer l'exaucement quand elle est faite avec foi et sincérité de coeur. Dieu peut fort bien exaucer la prière sans pour cela bouleverser les lois de la nature ; Il les connaît à fond ces lois, puisqu'Il en est l'auteur, Il doit pouvoir, en conséquence, s'en servir comme Il l'entend, en leur laissant libre jeu.
Et ce ne sera pas plus étonnant que lorsqu'un père accorde à son enfant la demande qu'il lui fait, en utilisant, lui aussi, les choses qu'il a sous la main et en suivant le cours régulier de ces choses. Parce qu'en lui donnant un morceau de pain, le père ne bouleverse aucune loi, il ne viendra à personne l'idée de dire que le père n'a pas exaucé sa demande et que l'enfant aurait obtenu ce qu'il désirait, même s'il n'avait rien demandé du tout. En d'autres termes, l'existence des lois naturelles n'est nullement en contradiction avec l'exaucement de la prière, elle en est plutôt la condition et la garantie. Dieu fait rentrer nos prières dans la marche générale des choses, car elles appartiennent, elles aussi, à cet ensemble de lois, lois morales et lois physiques, qui sert de fondement à l'univers.

Voici la seconde difficulté que je tenais à signaler : Si Dieu est réellement ce qu'Il est, un Dieu-Providence, Il doit savoir tout ce qui se passe, Il prévoit ce qui arrivera, ou plutôt Il ne prévoit rien, car tout est présent devant lui, l'Être éternel.

À quoi sert alors de lui parler de choses qu'Il connaît mieux que nous, de besoins qu'Il a fait naître lui-même dans notre coeur ? N'est-ce pas une ridicule prétention ? N'est-ce pas rabaisser Dieu, puisque c'est supposer que Dieu ne peut pas se tirer d'affaire tout seul et qu'Il se trouverait dans l'embarras, si nous ne lui venions en aide en le mettant au courant de ce qu'Il ignore ? Nier sa connaissance de tout ce qui nous manque, ce serait, en portant atteinte à cette science, le nier lui-même.

Évidemment, si le fidèle qui prie s'imagine qu'il vient suppléer à ce que Dieu ignore, il est dans une erreur profonde, il méconnaît la souveraineté de Dieu et se fait de son Père céleste une idée tout à fait inexacte. Ce n'est pas là notre manière de voir. Nous pensons bien plutôt que l'homme qui prie, prie beaucoup plus pour lui-même que pour Dieu ; il est bon qu'il se rende compte, un compte aussi fidèle que possible de ses besoins et de la manière dont Dieu y pourvoit ; il faut qu'il fasse une double expérience, d'un côté, l'expérience de sa dépendance, de sa pauvreté, de sa faiblesse, d'autre part l'expérience de la richesse et de la plénitude qui est en Dieu ; il faut qu'il sache que s'il ne peut rien, s'il n'est rien par lui-même, Dieu, dans son amour, est prêt à lui communiquer tout ce qui manque à sa faiblesse, pourvu qu'il ait recours à lui, comme à un père. Il s'établira de la sorte, entre l'âme et Dieu, des relations infiniment douces et précieuses, qui donneront une saveur nouvelle à la vie et contribueront à faire faire à cette âme l'apprentissage de la vie éternelle ; c'est là le but de l'existence terrestre et le moyen par lequel il sera atteint.

N'est-ce pas en demandant et en recevant beaucoup que l'enfant apprend à connaître ses parents et que des relations s'établissent entre eux et lui, qui contribueront puissamment à son éducation' ? Supposez un enfant qui, ne demandant jamais rien, parce que ses parents sont sourds et aveugles ou très éloignés de lui, ne reçoive jamais rien d'eux, ou plutôt reçoive inconsciemment, d'une manière impersonnelle en quelque sorte, comme d'un étranger et par l'intermédiaire d'un autre, n'est-il pas évident qu'il manquerait un élément essentiel à ces relations filiales et que l'éducation tout entière en serait gravement compromise ?

Dieu sait tout, nous dit-on ? D'accord. Mais c'est justement pour cela qu'Il nous dit de le prier, car Il connaît notre nature et Il sait que nous avons besoin d'entrer en relations vivantes et personnelles avec lui, et que, sans ces relations, la vie est vide et décolorée ; tandis qu'elle devient belle et féconde une fois ces relations établies et soigneusement entretenues. Et même, dans un certain sens, Dieu a besoin, consent à avoir besoin de nous, car Il nous aime, et quand on aime, ou se réjouit d'être en communication avec celui qui nous est cher.

Un père ne souffre-t-il pas quand il est séparé de son enfant ? Dieu n'est pas une abstraction froide, une idée vague et impersonnelle, une force colossale, mettant tout en mouvement, une intelligence infinie comprenant tout, Il est bien plus encore un coeur débordant d'amour. Dieu est amour et Il doit être touché quand ses enfants s'adressent à lui avec confiance, tressaillir de joie quand Il peut les exaucer. Il est étrange que ceux qui insistent si fort sur la paternité de Dieu aient tant de peine à croire à cette paternité d'une manière pratique et soulèvent tant d'objections à l'une de ses manifestations les plus naturelles. Pourquoi est-il si difficile à la raison d'admettre ce que le coeur réclame impérieusement ? « Le coeur n'a-t-il pas ses raisons que la raison ne comprends pas ? »

Une troisième difficulté, c'est l'immensité de l'univers et la petitesse de l'homme. « Y songez-vous, nous dit-on, l'univers semble infini ? il y a, roulant dans l'espace incommensurable, des milliers, probablement des millions d'étoiles semblables à notre terre, et d'autres, sans doute, beaucoup plus considérables ; dans la plupart de ces mondes, il est probable, peut-être certain, que des créatures spirituelles existent, vous imaginez-vous ce que doit être la vie d'un Dieu appelé à entendre les requêtes de ces innombrables créatures, à entrer dans le détail de leurs existences respectives pour répondre à leurs multiples besoins ? Cette pensée seule donne le vertige ; elle est inacceptable pour une créature raisonnable. »
Et pourquoi donc, répondrai-je ? Une fois que l'on admet le caractère infini du Créateur, sa toute-puissance, c'est-à-dire une puissance que rien ne limite, sa sagesse infinie, sa toute-science, je ne vois pas ce qu'il y a d'impossible à se représenter ce Dieu voyant tout, entendant tout, dirigeant tout. D'ailleurs, s'il est réellement le Créateur de tout ce qui existe, si ces mondes innombrables avec leurs myriades d'habitants sont sortis du néant à l'appel de sa parole puissante, je ne vois pas pourquoi ces mêmes mondes ne seraient pas surveillés, dirigés, pénétrés par lui. Le Dieu qui a fait le plus doit pouvoir faire le moins. En d'autres termes, une fois que l'on admet le Dieu-Créateur, en niant le Dieu-Providence, on ne fait que reculer la difficulté, on ne la supprime pas. « On ne montre pas sa grandeur, dit encore Pascal, pour être en une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois et remplissant tout l'entre-deux. »

L'un des caractères du génie consiste précisément dans le fait que plus un homme est grand, plus son intelligence descend dans les détails, sans pour cela oublier les grandes lignes. Dans la nature, le léger flocon de neige qui tombe en tourbillonnant est aussi parfait que l'étincelant glacier qui couvre les hautes Alpes ; la fleurette qui s'épanouit dans la prairie est aussi belle à considérer que cette prairie elle-même ; la poussière d'or qui donne aux ailes du papillon ses splendides couleurs est aussi merveilleuse que l'insecte lui-même. Je me demande si le détail ne fait pas ressortir la grandeur infinie, du Créateur, plus encore que l'ensemble. Pourquoi donc, à propos de la prière, vouloir exclure le Père céleste d'un domaine où Il est si réel et si vivant ?

Et du reste, pour peu que nous réfléchissions, nous devons reconnaître que tout est relatif dans ce domaine comme dans les autres : tout est détail dans un sens, et rien ne l'est dans un autre. Un être humain est un détail dans l'ensemble de l'humanité, mais celle-ci, à son tour, est un détail sur notre globe ; elle ressemble à un peu de moisissure sur l'écorce d'une orange. Notre globe, lui aussi, qui nous semble si grand à nous qui l'habitons, n'est qu'un grain de sable dans le système solaire, et ce système lui-même ressemble à un tourbillon de poussière imperceptible dans l'immense univers ; à une certaine distance, sans doute, ce système n'est pas plus visible que, pour nous, une étoile qui scintille. Dès que l'on parle de détails, on emploie un langage qui ne signifie plus rien, car nul ne peut dire où finit la grande ligne et où commence le détail. Pour un père tendre, il n'y a plus de petites choses dans ce qui touche à son enfant, tout a de l'importance, une grande importance, de ce qui apparaît aux autres tout à fait insignifiant.
De là ce mot de Jésus que comprennent tous les pères qui aiment leurs enfants, mais qui, au point de vue philosophique, peut paraître ridicule : « Il ne tombe pas un passereau à terre sans la volonté de votre Père. Les cheveux mêmes de votre tête sont comptés. (Matth. X. 29 et 30) » Le Dieu qui a compté les étoiles et qui les appelle par leur nom est le même qui sait le nombre de nos cheveux : par rapport à l'infini qui est Dieu, une étoile n'est pas plus considérable qu'un cheveu.
« Très bien, nous dit-on, mais n'est-ce pas un sot orgueil et une folle présomption que de s'imaginer que Dieu veut ainsi s'occuper de chacun de nous et de toutes nos affaires, même des plus insignifiantes ? N'est-ce pas rabaisser Dieu en exagérant la valeur de sa créature ? Ne serait-il pas plus humble et partant plus digne d'elle de reconnaître qu'elle n'est qu'un chétif ver de terre ? L'homme ne doit donc pas s'attendre à attirer l'attention du Roi des rois ; oser s'adresser à lui, prétendre l'intéresser à son sort, c'est le comble de l'impudence. »

Ainsi donc, on nous accuse d'orgueil, de présomption ? Mais c'est justement parce que nous sentons que nous ne sommes rien et que nous ne savons ni ne pouvons rien, que nous ne saurions nous passer de Dieu ; nous sommes tellement convaincu de notre néant, de notre incapacité, de notre pauvreté naturelle que nous avons besoin, un besoin impérieux, de nous adresser à un plus fort et à un plus riche que nous. Ce qui paraît présomption ou orgueil est au contraire la preuve d'un sentiment profond d'incapacité, et l'on peut se demander bien plutôt si tel ou tel qui prétend pouvoir facilement se passer de Dieu et se tirer d'affaire tout seul n'est pas plus orgueilleux qu'il ne le croit, car il prouve par sa conduite qu'il compte sur des ressources ou des énergies cachées, dont l'autre se reconnaît privé. « Ainsi parle le Très-Haut, dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint : J'habite dans les lieux élevés et dans la sainteté, mais je suis avec l'homme contrit et humilié, afin de ranimer les esprits humiliés, afin de ranimer les coeurs contrits (Esaïe LVII, 15). Heureux les pauvres en esprit, dit Jésus, c'est-à-dire ceux qui ont une petite idée d'eux-mêmes, car le royaume des cieux est à eux (Matth. V, 3). »

Signalons une dernière difficulté, d'ordre tout pratique : comment se fait-il que nos prières restent sans cesse inexaucées ? Je reconnais, en effet sans peine que Dieu paraît assez souvent sourd à nos cris. Mais il faudrait savoir si ceux qui le prient l'ont fait dans de bonnes conditions. Je ne pense pas, par exemple, que l'on ait le droit d'exiger de Dieu l'exaucement de certaines prières du domaine tout matériel. Ainsi on peut bien s'adresser à Dieu pour lui demander la guérison d'un malade, mais il faut toujours ajouter : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » Il ne faut pas souhaiter une guérison contraire au vrai bien de celui qui prie ou pour lequel on prie. On a souvent cité l'exemple de cette mère dont l'enfant était malade et qui dit à Dieu : « Je veux que tu le guérisses ; si tu ne me le rends pas, je ne te le pardonnerai jamais. » L'enfant guérit, mais il devint un mauvais sujet et sa mère le perdit pour le temps et pour l'éternité : comme il aurait mieux valu le voir mourir à ce moment ! Dieu, en le retirant, lui prouvait son infinie miséricorde. - Quand Dieu nous refuse quelque chose, Il sait pourquoi Il le fait, nous devons nous incliner avec confiance devant sa sainte volonté.

Parfois aussi ce qu'il paraît nous refuser, Il nous le donne sous une autre forme et d'une manière merveilleuse ; Il nous refuse quelques centimes pour nous donner des millions ; Il nous refuse la santé du corps pour nous donner la santé de l'âme ; Il nous refuse les biens matériels, qui sont passagers, pour nous donner les biens spirituels, qui sont éternels. Si mon enfant me demande un verre de poison ou un poignard, je le lui refuserai : aurai-je tort ? « Nous ne savons pas toujours, dit saint Paul, ce qu'il convient de demander dans nos prières ( Rom. VIII, v. 26). »

Il se peut aussi que nous ne soyons pas assez persévérants ; nous commençons à prier, puis, parce que l'exaucement ne vient pas de suite, nous nous lassons. N'est-ce pas la preuve que nous ne désirons pas ardemment obtenir ce que nous demandions ? Dieu voulait éprouver notre foi et notre foi a succombé. Rappelons-nous la parabole du juge inique qui accorde à la veuve sa requête, pour se débarrasser d'elle et parce que cette femme le tourmentait. Si un homme dur, sans coeur, se laisse fléchir enfin par celle qui le supplie, à combien plus forte raison, le Dieu d'amour et de sainteté accordera-t-Il leurs requêtes à ses enfants bien-aimés, pourvu qu'ils persévèrent dans leurs prières !

Enfin et surtout, n'arrive-t-il pas que l'exaucement des prières est refusé, parce que celui qui les fait est encore en révolte contre Dieu ? Comme l'enfant prodigue, il s'est éloigné de son père et lui a brisé le coeur en le quittant : de quel droit ose-t-il demander des choses à ce père avant d'avoir fait la paix avec lui ? Je ne pense pas que le père du prodigue aurait envoyé de l'argent à son fils, si celui-ci lui en avait demandé, sans s'être auparavant humilié et repenti. Une fois que le repentir eut eu lieu, l'enfant fut reçu les bras ouverts et tout lui fut accordé.
Voilà pourquoi tant de requêtes restent sans réponse : au lieu d'en accuser Dieu, on devrait commencer par s'en accuser soi-même ; au lieu d'en chercher les motifs en Dieu, on devrait rentrer en soi-même, et l'on ne tarderait pas à découvrir la vraie cause du silence de Dieu.

Je me hâte d'ajouter que la prière ne consiste pas seulement à demander, mais tout autant à adorer le Roi des rois, à lui confesser nos fautes et surtout à lui rendre grâce pour ses innombrables bienfaits. L'homme demande beaucoup de choses à Dieu, le remercie-t-il aussi souvent qu'il le prie ? Je me permets d'en douter, et l'on sait pourtant combien, en éducation, il importe que nous apprenions la reconnaissance à nos enfants : un enfant qui demande toujours et qui ne dit jamais merci, ne mérite pas de recevoir ce qu'il demande ; en le lui donnant, on le rendra toujours plus ingrat et aussi toujours plus exigeant et mécontent de lui-même et des autres : lui aura-t-on rendu service ? Pourquoi voulons-nous que Dieu en agisse autrement ?

Quand Jésus apprit à ses disciples l'oraison dominicale, il leur enseigna à faire passer les intérêts de Dieu et de son règne avant les nôtres.
Que les croyants continuent donc à prier et à prier avec confiance leur Père céleste : c'est un droit en même temps qu'un devoir, un glorieux privilège en même temps qu'un ordre ; mais qu'en le faisant, ils apprennent à conformer toujours plus leur volonté à celle de Dieu, à faire de la volonté du Père leur nourriture quotidienne.
Que par la prière, ils entrent de plus en plus dans l'intimité du Dieu d'amour pour lui devenir de plus en plus semblables. N'est-ce pas là le grand but de la prière ? Établir avec le Père céleste des relations personnelles et vivantes, qui nous forment pour le ciel, dont la vie terrestre n'est qu'un apprentissage.

Plus l'enfant de Dieu avance, plus il fait sienne la prière de Jésus à Gethsémané : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » Il reconnaît chaque jour davantage que la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite, et sa constante préoccupation est d'être et de rester dans le chemin de l'obéissance, en apprenant par la prière à connaître toujours mieux la volonté divine. En avançant, d'autre part, dans la vie spirituelle, ses prières deviendront toujours plus des prières d'intercession ; il prie pour les autres autant que pour lui-même, plus encore peut-être, et par là il atteindra cet autre but de la prière qui est essentiel : Travailler à la communion des croyants, à l'union des enfants de Dieu, suivant cette parole de Jésus, qui fait partie de sa dernière prière avant de mourir : « Père, je te demande qu'ils soient un comme nous sommes un, qu'ils soient parfaitement un comme nous sommes un (Jean XVII, v. 22) ! »

Enfin, qu'il me soit permis de faire remarquer à ceux qui ne prient plus, parce qu'ils ne croient plus à la prière, que, moins ils prient, plus en avançant dans la vie, la solitude se fera autour d'eux. À leur entrée dans ce monde, parents et amis leur ont fait un cortège plus ou moins nombreux, mais à mesure qu'il avancent, les uns après les autres disparaissent, les tombes se creusent, et s'ils n'associent pas Dieu à leur vie, ils vont se voir et se sentir de plus en plus seuls en face de ce formidable mécanisme, prêt à les broyer, qu'on appelle l'univers. Le Dieu auquel ils croient encore, par la raison tout au moins, semble se retirer toujours plus dans un lointain vaporeux, jusqu'à ce qu'Il s'évanouisse complètement. Tout changerait pour eux, au contraire, s'ils invoquaient Dieu, et si, par la prière, ils le mêlaient à leur vie de chaque jour. Ayant appris à voir Dieu dans toute leur existence et dans tous les détails de cette existence, leur solitude se peuplerait, le désert se changerait en oasis, après avoir marché avec Dieu pendant quelques années ici-bas, la vie à venir ne serait plus pour eux qu'une communion plus complète avec Dieu et la réalisation de toutes leurs espérances chrétiennes.

Si la prière doit produire de pareils résultats, il n'est plus permis de se demander si elle sert à quelque chose : elle est l'apanage de l'homme, un glorieux privilège, la mettre de côté serait se condamner à une misérable existence ; l'homme qui ne prie plus, mérite-t-il encore le titre d'homme ?


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