Fictions ou
réalités?
CHAPITRE Il
La Bible est-elle
inspirée ?
Quelle que soit l'idée que l'on se fait
de la Bible, le souvenir des souffrances au prix
desquelles elle nous a été transmise
à travers les siècles, nous
défend de traiter légèrement
la question de son inspiration. Pour nous la
transmettre, nos glorieux ancêtres, les
Huguenots, ne reculèrent pas devant les plus
grands sacrifices ; ils acceptèrent
l'exil, les galères, le cachot, la mort.
N'est-elle pas, indépendamment même de
toute croyance à l'inspiration, l'un des
plus vénérables monuments du
passé ? Son histoire, qui remonte aux
premiers jours de l'humanité, n'est-elle pas
l'une des plus saisissantes qui existent ?
Comment refuser tout au moins notre
vénération à un livre qui a
consolé tant d'affligés,
fortifié dans leur foi tant de malades,
aidé tant de mourants à traverser la
sombre vallée, procuré de la joie
à tant de malheureux, étanché
la soif de tant d'âmes
altérées ? Nous savons tous que
certains lieux sont devenus sacrés par les
souvenirs glorieux de notre histoire, et le
patriote qui les visite, instinctivement se
découvre en signe de respect.
Au moment d'aborder l'étude
sur l'inspiration de la Bible, nous nous sentons
pressé de réclamer cette attitude de
nos lecteurs ; même si, après un
examen impartial, nous nous trouvions obligé
d'abandonner certains points de vue anciens,
dépassés par la critique, l'antique
livre dont nous allons parler n'en
mériterait pas moins toute notre
vénération à cause du
rôle qu'il a joué et qu'il joue encore
au sein de l'humanité.
Lorsque le célèbre
romancier écossais Walter Scott fut sur son
lit de mort, un ami lui demanda quelle lecture il
devait lui faire : « Il n'y qu'un
livre pour un mourant, dit-il, lis-moi un chapitre
de la Bible. »
On raconte que Christian Baur, l'un
des théologiens les plus critiques du
siècle passé, atteint lui aussi par
la maladie qui devait l'emmener, ne voulut plus
qu'une lecture, celle du quatrième
Évangile, que naguères il avait
attaqué de la façon la plus
hardie.
Dans le conseil scolaire de Londres,
Huxley se prononça contre l'enseignement
religieux confessionnel, mais pour le maintien de
la lecture de la Bible, « la grande
charte des pauvres et des opprimés et un
instrument d'éducation sans pareil.
L'histoire biblique, dit-il, présente aux
enfants des personnages supérieurs à
tous ceux que l'antiquité classique peut
leur offrir, et s'il y a dans le monde un
être plus déraisonnable que le
bibliolâtre orthodoxe, c'est ce philistin
hétérodoxe qui, dans une
littérature sans pareille à certains
égards, ne sait découvrir qu'un texte
à de sottes plaisanteries et une occasion de
montrer sa suffisance et son
ignorance de tout ce qu'il doit aux
générations
antérieures. »
Un autre grand esprit de notre
siècle, C. Secrétan, écrivait
il y a une cinquantaine d'années :
« Sans préjuger aucune question
d'inspiration et d'authenticité, nous sommes
amenés à voir dans la Bible le canal
d'une révélation divine et nous
devons nous interdire les entreprises sur le texte
qui menaceraient l'intégrité de cette
révélation, telle que la
chrétienté l'a reçue et l'a
comprise. »
Reconnaissons-le cependant, la crise
très sérieuse par laquelle passe
actuellement cette question, a ôté
à la Bible, aux yeux de beaucoup de
personnes, son ancienne autorité. S'ils
deviennent rares ceux qui aujourd'hui la lisent
encore avec une respectueuse attention, c'est que
leur confiance a été
ébranlée par les travaux de la
critique moderne ; la Bible leur
apparaît comme un livre rempli d'erreurs qui
mérite à peine qu'on le lise d'un
bout à ]'autre. Les résultats les
plus négatifs d'une certaine école
théologique ont passé des milieux
cultivés au peuple. Aussi un homme qui
possède même un minimum de culture ne
peut plus admettre l'inspiration de
l'Écriture : « Cette
inspiration doit être mise de
côté comme tant d'autres
légendes inventées par l'imagination
humaine. » Et comme tous veulent
être des hommes cultivés, le nombre va
chaque jour grandissant de ceux qui n'ont plus foi
au livre qui a fait la joie et la force de nos
ancêtres. Les uns s'en réjouissent,
car ils ont au moins un prétexte valable
pour ne plus se mettre à une école
dont les exigences pourraient les
gêner. Les autres au contraire en sont
profondément affligés ;
quelquefois même, en doutant de
l'Écriture, ils arrivent à douter
aussi du christianisme et à le rejeter comme
une imposture. Mon but, dans les pages qui suivent,
est de m'adresser aux uns comme aux autres, pour
produire si possible un trouble salutaire chez ceux
qui s'endorment dans une fausse
sécurité, et ramener la paix et la
confiance chez les autres.
On avait autrefois dans bien des
milieux croyants une idée des plus
simplistes de l'inspiration : on se
représentait la Bible en quelque sorte
tombée du ciel toute faite, avec ses
soixante-six livres classés comme ils le
sont aujourd'hui. Dieu, par son Esprit, n'aurait eu
qu'à dicter aux écrivains
sacrés les enseignements et les faits qu'Il
voulait transmettre aux hommes ; tout par
conséquent dans l'Écriture devait
être considéré comme
revêtu d'une autorité divine ;
établir des distinctions, reconnaître
des différences d'inspiration d'un livre
à l'autre eût été un
sacrilège. L'inspiration littérale, -
c'est-à-dire l'inspiration dans la lettre
comme dans l'esprit, dans les mots comme dans les
idées, et même dans la ponctuation et
dans les points-voyelles hébreux ou les
accents grecs, - pouvait seule être
acceptée par les disciples du Christ.
Enlever quoi que ce soit à cette
inspiration, toucher, fût-ce de loin, au
volume sacré, c'était profaner
l'arche sainte, c'était encourir les foudres
de la colère divine. Évidemment pour
ceux qui acceptaient une théorie semblable,
la critique apparaissait comme la
Bête de l'Apocalypse, les
théologiens qui en faisaient usage
étaient des gens dangereux, des ennemis de
Dieu, dont il fallait s'éloigner avec
horreur. Ce qui était pire encore, c'est
qu'on donnait beaucoup trop d'importance à
cette croyance toute intellectuelle : pour
être orthodoxe, c'est-à-dire bien
pensant, il fallait admettre ce dogme, dont
dépendait le salut. Campé sur ce roc
inaccessible à beaucoup, on se croyait le
droit d'anathématiser quiconque se
permettait de mettre en doute l'inspiration
littérale. L'orthodoxie de l'intelligence,
autrement dit, semblait beaucoup plus importante
que celle du coeur et de la vie,
Cette conception de la Bible allait
être en butte à de nombreuses
attaques : des théologiens en grand
nombre, aussi pieux que consciencieux, s'appuyant
sur de savantes études, avaient de tout
temps déclaré cette notion
inacceptable. Semblables aux éclaireurs
d'une armée, ils annoncèrent à
la foule des croyants les découvertes qu'ils
avaient faites. Beaucoup de fidèles en
furent troublés, scandalisés
même. D'autres pour le moins aussi pieux en
furent presque soulagés, car leurs propres
études, bien moins approfondies, les avaient
amenés au même résultat. Ils
étaient heureux de penser qu'on allait enfin
mettre d'accord la théorie avec
l'expérience, la science avec la conscience.
La crise s'étendit et s'approfondit, elle
put causer des naufrages, il faut,
hélas ! le reconnaître, mais elle
eut le bon côté de forcer les croyants
à changer le fondement de leur foi, à
ne plus mettre l'accent sur
l'importance d'un livre, si
respectable soit-il, mais bien sur la personne
vivante de Jésus-Christ, « le seul
nom, dit saint Pierre, donné aux hommes par
lequel ils puissent être
sauvés. »
(Actes, IV. 12) La crise mit au jour
la vraie foi et la différencia de la foi
aveugle : elle opéra le triage entre la
balle et le bon grain, et le triage est loin
d'être terminé.
Quelles furent les
découvertes qui provoquèrent cette
crise ? Avouons-le, rien de bien nouveau, rien
que ne sache tout homme un peu instruit qui se
donne la peine de réfléchir.
Malheureusement ce que l'on savait, ce que l'on
admettait quand il s'agissait d'un livre
quelconque, on l'ignorait ou l'on feignait de
l'ignorer dès qu'il était question de
l'Écriture Sainte. Ainsi pour ce qui
concerne les traductions : tout le monde sait
que la Bible telle que nous la lisons est la
traduction d'un original hébreu pour
l'Ancien Testament, grec pour le Nouveau. Ce
travail a été fait par des hommes
consciencieux et savants ; malgré leur
conscience et leur érudition, leurs versions
diffèrent parfois beaucoup les unes des
autres. Toutes renferment des erreurs ; de
là, la nécessité de
révisions successives. Laquelle est la
vraie ? C'est ce qu'il est impossible aux
profanes de décider, les savants
eux-mêmes l'ignorent souvent ; ils ne
réussissent pas à se mettre d'accord
sur tous les points. Cela va parfois si loin que
telle parole magnifique qui se trouvait dans une
traduction manque, dans une autre ou bien est
exprimée
différemment ailleurs. Il est arrivé
plus d'une fois, par exemple, qu'un pasteur
préparant sa prédication dans son
cabinet de travail, avait découvert une
parole de l'Écriture admirablement
appropriée au sujet qu'il voulait
traiter ; une fois son sermon fait, il vient
à l'église tout rempli de son sujet,
et voici qu'au moment où il ouvre la Bible
déposée en chaire il
s'aperçoit, ô horreur ! que son
beau texte n'y est pas ! ce qu'il lit n'a
qu'un rapport lointain avec le sens de sa
première traduction. On peut deviner sans
peine son cruel embarras !
Lequel des traducteurs avait
raison ? C'est ce que, seul, un fort
hébraïsant ou un helléniste
distingué peut décider. Et ici se
pose une autre question : Quand vous avez en
présence deux traducteurs qui se
contredisent, l'un pieux, mais peu versé
dans la langue originale, l'autre très
érudit mais sans piété
réelle, auquel des deux faut-il donner la
préférence ? Évidemment
au second, si du moins c'est un homme
consciencieux, mais alors où se trouve
l'inspiration ? Comment concilier cela avec la
théorie de l'inspiration
littérale ?
L'Ancien Testament fut traduit de
l'hébreu en grec, de la fin du IVme
siècle au milieu du IIme avant
Jésus-Christ. C'est la traduction dite des
Septante. Là légende raconte que
cette traduction fut faite par 72 savants
enfermés dans autant de cellules et
travaillant indépendamment les uns des
autres ; au bout de 70 jours ils avaient
terminé leur travail et leurs traductions
étaient toutes semblables ! Cela prouve
l'autorité que l'on
donnait dans l'antiquité à cette
oeuvre pourtant toute humaine. Or il se trouve que
plusieurs passages de l'hébreu sont
inexactement traduits, et quand les auteurs du
Nouveau les citent, ils les citent plusieurs fois
d'après les Septante, en maintenant l'erreur
primitive. Qui donc est inspiré ? Le
texte primitif mal compris ? ou le texte grec
fautif devenu texte du Nouveau
Testament ?
Autre difficulté plus grave
encore : les divergences entre les manuscrits.
Avant l'invention de l'imprimerie, personne
n'ignore que l'on copiait à la main les
livres que l'on voulait publier. La Bible subit ce
même sort, malheureusement les plus anciens
manuscrits du Nouveau Testament ne remontent pas au
delà du commencement du IVme siècle,
ceux de l'Ancien Testament au commencement du Xme.
Or quand on compare entre eux les 1770 manuscrits
du Nouveau Testament ou ceux de l'Ancien, on
constate qu'il existe entre eux de nombreuses
divergences. Le plus ancien manuscrit de l'Ancien
Testament, par exemple, qui remonte à l'an
916, ne contient qu'Esaïe,
Jérémie, Ezéchiel et les douze
petits prophètes. Le premier manuscrit qui
renferme l'Ancien Testament tout entier est du
commencement du XIme siècle. De même
pour les livres du Nouveau que l'on ne trouve
guère au complet dans les manuscrits
primitifs. Les variantes sont innombrables entre
les vrais documents ; d'ordinaire, il est vrai
qu'elles portent sur des points d'importance
secondaire. Parfois les manuscrits eux-mêmes
sont en contradiction directe les uns
avec les autres. Ainsi :
dans Romains IV, verset 19, le texte reçu
renferme une négation, de sorte que l'on
doit traduire : « Sans faiblir dans
la foi, Abraham ne considéra point que son
corps était déjà
usé, » etc. Tandis que d'autres
manuscrits, les Alexandrins, n'ont pas la
négation, de sorte qu'il faut
traduire : « Sans faiblir dans la
foi, il considéra bien en face l'usure de
son corps, » etc. Cette seconde
leçon doit être la vraie, parce
qu'elle est la plus difficile. un copiste n'aurait
pas eu l'idée de retrancher la
négation, tandis qu'on peut bien comprendre
qu'il l'ait glissée dans le texte pour le
rendre plus clair. Ajoutons que pour le fond de
l'idée, il importe peu que la
négation y soit ou n'y soit pas. Mais au
point de vue de l'inspiration littérale,
comment s'expliquer ces variantes ? lequel des
deux textes est inspiré ? Ils ne
peuvent pourtant pas l'être tous deux en
même temps. Auquel donner la
préférence ? Il faut, pour
trancher la question, une science, un tact surtout
qui n'appartient qu'à de rares mortels et la
foule, que fera-t-elle pour reconnaître la
parole inspirée et la distinguer de celle
qui ne l'est pas ?
Mais nous ne sommes pas au bout des
difficultés, le texte ancien tel que nous
l'ont conservé les manuscrits n'a pas de
ponctuation, les phrases se suivent sans
interruption, et chacun est libre de les arranger
comme il l'entend ; mais tous ne l'entendent
pas de la même manière ;
là où s'arrête un
théologien, un autre estime qu'il faut
continuer, qui a raison ? qui a tort ?
Dans certains cas, la réponse à cette
question peut entraîner les
conséquences dogmatiques les plus graves,
ainsi dans
Romains IX, v. 5, les
théologiens se divisent en deux camps bien
tranchés : les uns estiment que le
dernier membre de phrase doit être
séparé du précédent,
les autres au contraire le relient à ce
dernier, et il faut avouer que les uns ont aussi
raison que les autres, précisément
parce que la ponctuation manque. Mais suivant le
point de vue auquel on se place, la signification
sera toute autre : dans le premier cas nous
aurons : « A qui appartiennent les
pères et desquels provient le Messie. Que
celui qui gouverne toutes choses, Dieu, en soit
éternellement béni !
Amen. » (Oltramare.) Dans le second cas
nous lisons : « A qui appartiennent
les pères et desquels provient le Messie,
lui qui est Dieu au-dessus de toutes choses
béni éternellement. Amen. »
(Segond.) Évidemment chacun traduit suivant
ses idées dogmatiques ; ceux qui
admettent la divinité du Christ se serviront
de ce passage pour appuyer leur conviction et ils
auront raison, les autres leur refuseront ce droit,
et ils n'auront pas tort. Mais tout cela prouve
l'embarras des théologiens lorsqu'ils
veulent rester fidèles à leur
conscience sans contredire la science.
Ces difficultés ne sont
guère diminuées si nous nous
rappelons que la division en chapitres et en
versets est relativement récente : elle
remonte au XVIe siècle et a pour auteur
Robert Estienne qui, parait-il, l'aurait
établie au cours d'un voyage à cheval
qu'il faisait, et les malins prétendent que
l'on peut reconnaître aux alinéas et
aux chapitres les moments où il arrivait le
soir à l'hôtellerie
et où il terminait son travail de la
journée ! Qui oserait affirmer
après cela que cette division est
inspirée de Dieu ?
Un dernier fait important : le
texte hébreu des manuscrits ne renferme
aucun point-voyelle, c'est-à-dire aucune
indication nette de voyelles. Ces points ont
été ajoutés plus tard dans des
écoles de rabbins ; mais encore ici les
divergences se sont sans doute multipliées,
car chacun est libre de placer ces points où
bon lui semble et d'après cela de changer le
sens d'un mot ou même d'une
phrase.
Il nous reste à examiner une
difficulté plus grande encore et qui rend
absolument inadmissible l'ancienne doctrine de
l'inspiration littérale. Peut-être nos
lecteurs en ressentiront-ils de la fatigue, ce
n'est pas un mal, cette fatigue les aidera à
comprendre quelques-unes des difficultés que
rencontrent nos théologiens, et les rendra
peut-être moins sévères dans
leurs critiques.
Si réellement la Bible avait
été inspirée dans sa lettre,
autant que dans son esprit, en d'autres termes, si
la théorie de la dictée était
fondée, nous devrions, quand un récit
est répété deux, trois et
même quatre fois, retrouver, sinon
l'identité, du moins l'harmonie
complète dans la suite des
événements. Or, tel n'est point le
cas : s'il y a une harmonie
générale incontestable qui fait que
sur aucun point essentiel ne règne le
désaccord, il existe, et en assez grand
nombre, des contradictions de détails qui ne
sont point à négliger. Que l'on
compare par exemple les deux
récits de la
création qui nous sont donnés l'un au
chapitre 1, l'autre au
chapitre Il de la
Genèse : nul ne peut nier que nous
ayons là deux auteurs qui se sont
placés à deux points de vue
différents. On a dit, je le sais, que le
second répétait le premier pour le
compléter : c'est vrai d'une
manière générale, pas
absolument quand on regarde les choses de plus
près ; les deux récits
diffèrent plus qu'ils ne se
complètent. De même quand nous lisons
l'histoire du déluge, nous ne pouvons pas
nous défaire de la pensée que nous
avons de nouveau affaire à deux narrations
quelque peu différentes. Dans la
première,
chap. VI, il s'agit d'un couple
d'animaux, dans la seconde,
chap. VII, de sept
couples.
Quand on compare les Chroniques aux
livres de Samuel et des Rois, certains faits
répétés ne le sont
certainement pas de la même façon.
Ainsi dans
2 Samuel XXIV, 1, c'est la
colère de l'Éternel s'enflammant
contre Israël qui excite David à faire
le dénombrement, tandis que
dans I Chroniques XXI, 1, c'est Satan
qui inspire cet acte à David ! Je crois
bien qu'il existe une harmonie, possible entre les
deux interprétations ; on peut dire par
exemple que Dieu a permis la chute de David,
précisément parce qu'il avait reconnu
dans son serviteur la pensée orgueilleuse
qui allait le pousser à sa faute : Dieu
aurait en quelque sorte lâché la bride
à Satan, parce que David avait
intérieurement succombé,
c'était un moyen de lui ouvrir les yeux sur
l'état de son coeur. Cela n'empêche
que nous avons là deux manières
d'introduire le
dénombrement qui, par leur opposition
absolue, excluent l'idée d'une dictée
divine.
Et si nous ouvrons les
Évangiles, nous remarquons une admirable
harmonie entre les quatre, surtout entre les trois
premiers ; cette harmonie va même si
loin qu'on a pu, à juste titre, appeler
ceux-ci les Évangiles Synoptiques ou
parallèles. Mais dès que l'on examine
de plus près leurs récits, on ne
tarde pas à découvrir des divergences
de détails. Je ne parle pas ici du fait que
souvent les Évangiles se complètent
mutuellement : la naissance miraculeuse par
exemple ne se trouve que dans Matthieu et dans
Luc ; l'institution de la Cène,
seulement dans les Synoptiques ; les voyages
successifs de Jésus à
Jérusalem ne sont racontés en
détails que par Jean. Ce qui est plus
important, ce sont les contradictions proprement
dites : ainsi Matthieu, dans
XX, v. 29, parle de deux aveugles
guéris à Jéricho ;
Marc X, v. 46, et
Luc XVIII, v. 35, seulement d'un,
Bartimée, et pourtant il s'agit du
même fait. Dans Jean, les vendeurs du temple
sont chassés par Jésus au
commencement de son ministère ; dans
les Synoptiques, à la fin, juste avant la
semaine de la passion. Je pense que la solution de
la difficulté se trouve dans le fait qu'il y
a eu deux purifications du temple à deux
moments différents : encore est-il
qu'au premier abord le lecteur impartial est
étonné de cette découverte. De
même les trois premiers Évangiles nous
laissent entendre que Jésus est mort le
vendredi 15 nisan et que la veille, le 14, il a
institué la Sainte-Cène pendant le
repas pascal ; rien n'aurait
été changé au cours ordinaire
des événements. D'après Jean,
au contraire, la mort eut lieu le 14, jour officiel
du repas, et le repas pascal que Jésus
présida la veille, le 13 au soir, n'eut pas
lieu à la date ordinaire, mais fut
avancé par lui de vingt-quatre heures, sans
doute pour pouvoir y prendre part. De là de
longues, d'interminables discussions entre
théologiens, les uns donnant raison aux
Synoptiques, les autres à Jean, et cette
question ne peut guère être
traitée d'oiseuse, puisqu'elle nous aide
à déterminer exactement
l'année de la mort de Jésus, et par
elle celle de sa naissance, commencement de
l'ère chrétienne. On peut en effet
savoir astronomiquement l'année où la
fête de Pâques était
célébrée le 13, et celle
où elle avait lieu le 14 nisan. Il
paraît que l'année 1903 à
laquelle nous sommes parvenus n'est probablement
pas l'année exacte du calendrier.
Quant à la
résurrection du Sauveur qui nous est
racontée par tous les Évangiles, nous
trouvons d'assez grandes divergences entre les
Synoptiques et le quatrième. Dans les
premiers Marie-Madelaine se rend au tombeau avec
les autres femmes et Jésus apparaît
à toutes, d'après le
quatrième, elle est seule, au moment
où elle le voit, bien que, en se rendant au
sépulcre, elle semble avoir
été accompagnée.
Je n'allonge pas ces exemples,
très suffisants pour nous faire comprendre
l'impossibilité pour quiconque
réfléchit, d'en rester à
l'ancien point de vue. Indépendamment
même de l'inspiration, en nous plaçant
sur le terrain purement historique, n'avons-nous
pas précisément
dans les contradictions de détails que nous
venons de signaler, une preuve éclatante de
l'authenticité du récit ? Ces
contradictions ne nous inspirent-elles pas
confiance dans le témoignage d'hommes assez
loyaux et assez sincères pour raconter ce
qu'ils savent sans chercher à se mettre
d'accord ? Ils disent ce qu'ils ont vu et
entendu tout simplement et chacun le fait à
sa manière. S'ils étaient en parfaite
harmonie, si leurs récits coïncidaient
jusque dans les moindres détails, c'est
alors que nous aurions lieu de nous étonner
et même de nous défier : la
théorie de l'inspiration littérale y
trouverait un argument péremptoire, mais du
même coup la Bible perdrait de son
autorité aux yeux de tous ceux qui n'ont pas
mis de côté systématiquement la
critique historique, c'est-à-dire de
l'immense majorité de nos contemporains. Au
point de vue scientifique, nous ne pouvons que
bénir Dieu de ce qu'Il ne nous a pas
donné un livre dicté par Lui, pur de
toute erreur et de toute contradiction. De
grâce ! ne prétendons pas
être plus sages que Dieu.
Les lignes qui
précèdent me semblent parfaitement
d'accord avec le gros bon sens, qui n'est certes
point à dédaigner dans le domaine
religieux, pas plus que dans aucun domaine. Un
exemple illustrera encolle plus clairement ma
pensée. Je suppose que dix de mes lecteurs
soient témoins en même temps d'un
incendie ; je les suppose parfaitement
honnêtes et véridiques. Et pourtant je
suis absolument certain que si nous leur demandons
de nous raconter ce qu'ils ont vu, nous aurons non
pas un récit, mais dix,
renfermant des différences
de détails assez nombreuses et
peut-être importantes. Tous ne voient pas et
n'entendent pas de la même
manière ; il y en a qui ont de
meilleurs yeux, de plus fines oreilles que
d'autres ; les uns ont beaucoup d'imagination,
les autres peu ; tel d'entre eux est
infiniment plus nerveux et plus impressionnable que
ses compagnons ; leur état d'esprit et
de corps varie aussi suivant les circonstances.
Enfin ils ne contempleront pas tous l'incendie du
même endroit, les uns seront mieux
placés que les autres. Un premier
témoin verra vingt pompiers, un autre
trente, un troisième quarante, et chacun
racontera la chose à sa manière.
L'idée ne viendra cependant à
personne de les accuser de faux témoignage,
parce que leurs récits ne coïncident
pas absolument. Que dis-je ? Tout homme
d'expérience verra sa confiance augmenter en
constatant les divergences de détails, et le
doute au contraire naîtrait dans son esprit,
si les dix récits n'en formaient
qu'un : il verrait dans cette unité
absolue la preuve d'une entente
préalable.
Ne l'oublions pas, nous sommes ici
dans le domaine moral et sur le terrain de la
liberté, que Dieu respecte en nous. Or si
l'inspiration de l'Écriture pouvait se
démontrer mathématiquement comme un
théorème de géométrie,
les hommes seraient forcés d'y croire, et
Dieu s'imposerait à eux bon gré mal
gré. Les imperfections, les erreurs, les
contradictions mêmes que la Bible peut
renfermer sont voulues de Dieu. « Il y a
assez de lumière dans l'Évangile,
disait Pascal, pour que ceux qui
veulent croire le puissent, et assez
d'obscurité d'autre part pour que nul ne
soit forcé de croire. » Les
paraboles que Jésus emploie si souvent sont
une clef qui sert à ouvrir sûrement la
porte du coeur droit et à fermer tout aussi
sûrement celle du coeur qui manque
d'honnêteté. N'en est-il pas ainsi de
la personne même de
Jésus-Christ ? Si par Christ, Dieu se
révèle à nous, Il se voile
assez cependant en se révélant, pour
que nul ne soit obligé de par une
autorité extérieure à croire
en lui. Le Christ fils de l'homme, homme comme
nous, humble, faible, infirme comme nous, peut tout
aussi bien nous voiler Dieu que nous le faire voir,
aussi longtemps que ce n'est pas par la conscience
et par le coeur que nous le cherchons, aussi
longtemps que nous ne nous sommes pas placés
sur le terrain spirituel et moral qui est le seul
véritable. N'ayons donc pas peur de
l'élément humain de la Bible, il est
voulu de Dieu, car, si d'un côté il
nous est une garantie d'authenticité. de
l'autre il sauvegarde notre liberté
morale.
Les innombrables études qui
ont été faites de la Parole de Dieu
ont donc amené une transformation profonde
dans la manière dont on considère son
inspiration. La Bible apparaît aujourd'hui
comme un livre beaucoup plus humain, elle est
l'histoire d'une lente évolution dont elle a
été l'un des facteurs; les hommes qui
l'ont écrite, comme ceux dont elle nous
parle, ses auteurs comme ses héros ont
passé eux aussi par ce développement
inhérent à la nature
humaine ; ils ont
traversé des luttes, des crises, ils ont
remporté des victoires souvent à la
suite de terribles combats ; ils ont eu leurs
heures de joie et d'enthousiasme et leurs heures de
tristesse et de découragement. Ils sont
hommes comme nous, et cela même nous les rend
plus intéressants. Ils appartiennent
à une certaine époque, ils ont
reçu une certaine éducation, fait
certaines expériences, ils ont connu et
compris la vérité religieuse d'une
manière qui leur est propre. Nous retrouvons
tout cela dans leurs récits, et la Bible en
devenant plus humaine n'en devient que plus claire
et plus digne d'être
étudiée.
Est-ce à dire pour cela qu'il
soit impossible aujourd'hui de croire à
l'inspiration de l'Écriture sainte ?
Faut-il par réaction tomber dans
l'extrême opposé et dire comme
beaucoup le font que la Bible n'est pas plus
inspirée qu'un autre livre de génie,
tels que les drames de Shakespeare ou les oeuvres
de V. Hugo par exemple ? Ne s'est-il rien
passé de particulier au moment de la
composition du volume sacré ? Cette
solution simpliste est évidemment la plus
facile à admettre, mais avouons qu'elle est
aussi beaucoup moins scientifique qu'une autre, car
elle supprime l'un des deux termes du
problème ; c'est couper le noeud que
l'on ne réussit pas à dénouer.
Il y a des faits positifs dont il faut à
tout prix tenir compte lorsque l'on traite ce
sujet. Ces faits constituent des preuves de grande
valeur, du moins pour celui qui s'est placé
au point de vue moral, plutôt qu'au point de
vue intellectuel. Avant de rappeler ces faits,
qu'il me soit permis d'ajouter
encore une remarque qui me paraît
capitale.
On a eu tort, me semble-t-il, de
parler si longtemps de livres inspirés. Un
livre, à vrai dire, ne peut pas être
inspiré. Ce qui est inspiré c'est
plutôt son auteur. Disons donc que nous
croyons à l'inspiration d'un Moïse,
d'un Esaïe, d'un saint Paul, et que cette
inspiration a varié d'intensité,
d'éclat intérieur, suivant les
expériences faites.
Cela dit, j'aborde les faits dont je
parlais tout à l'heure : il y a des
faits secondaires et il y a un fait essentiel.
C'est à ce dernier qu'il faut donner le plus
d'importance, car les autres dépendent de
lui. Citons parmi les faits secondaires, le
phénomène unique dans l'histoire d'un
livre qui, après avoir été en
butte. à plus de critiques, d'attaques et de
calomnies qu'aucun autre, n'en demeure pas moins
plus qu'aucun autre respecté, lu et
admiré. À travers les siècles
la Bible a dû subir des assauts formidables,
il semblerait vraiment qu'une conjuration ait
été organisée contre elle.
Après avoir été ensevelie,
même enchaînée dans les couvents
pendant tout le moyen âge, des milliers
d'exemplaires furent brûlés par les
tribunaux de l'Inquisition, et depuis lors la
critique négative s'est acharnée sur
elle, après l'avoir examinée à
la loupe, espérant y découvrir des
points faibles pour ruiner son autorité.
Rien n'y a fait; elle a disparu, il est vrai, de
certaines contrées; plus d'un esprit,
grâce à la critique, a perdu en elle
sa confiance d'autrefois, un trop grand nombre de
croyants se contentent de
l'admirer de loin sans la lire : rien n'a pu
pourtant la faire disparaître. Que
dis-je ? C'est aujourd'hui le livre du monde
le plus répandu.
Grâce aux nombreuses
Sociétés bibliques (on en compte
aujourd'hui 73), 280 millions d'exemplaires ou de
portions de l'Écriture ont été
mis en circulation au cours du XIX,
siècle ! Cela fait près de 8000
par jour pendant ces cent dernières
années ! Ce livre est partout, dans la
maison du riche comme dans celle du pauvre, chez le
savant comme chez l'ignorant ; où que
ce soit que nous allions, du Nord au Sud ou de
l'Est à l'Ouest, sous toutes les latitudes,
elle est partout ; partout elle rencontre
à côté d'ennemis implacables
d'ardents défenseurs. Elle est traduite
aujourd'hui dans plus de 300 langues, et même
l'on sait que plus d'un idiome rudimentaire a
été consacré langue
écrite grâce à la traduction de
la Bible entreprise par un missionnaire.
Et si l'on nous objecte que cette
diffusion provient d'un parti pris d'un certain
nombre de fanatiques, nous demandons d'où
leur vient ce zèle qui ne leur rapporte
rien, sinon bien souvent des moqueries et
d'amères critiques.
Comment s'expliquer cette diffusion
qui tient du prodige ? Par une volonté
supérieure à laquelle l'homme
obéit, par une impulsion
providentielle ? Je le crois ; mais
aussi, mais tout autant par des expériences
bénies que ce livre étonnant a
provoquées. Des hommes, des peuples entiers
ont été métamorphosés
entièrement sous son influence. Des moqueurs
sont devenus croyants, des
esclaves du péché ont
été rendus libres, des
incrédules ont été
transformés en ardents apôtres, tout
simplement par la lecture impartiale et attentive
des Écritures ; ils ne l'avaient jamais
lue autrefois, ils en parlaient et ils s'en
moquaient absolument comme si elles leur
étaient familières. Tout a
changé depuis que, sincèrement, ils
ont entrepris cette lecture, qui a
été pour eux une
révélation.
Et les peuples
régénérés par la
Bible ? Il suffit de comparer les peuples
protestants fidèles à
l'Écriture aux nations catholiques romaines
qui en sont privées. La comparaison, toute
à l'avantage des premiers, est devenue
banale tant elle justifie l'opinion que la Bible
est encore aujourd'hui l'un des plus puissants
instruments de moralisation et de
développement mis à la portée
des peuples comme des individus.
Mais si, laissant les faits
extérieurs, nous concentrons notre attention
sur les faits intérieurs, nous, somme
frappés en examinant la Bible de
l'unité incontestable, dans les grandes
ligne, du moins, qui règne entre ses
soixante-six livres. Qu'on y
réfléchisse, voici un recueil de
documents qui a été
élaboré dans un intervalle de temps
d'au moins quinze siècles et par une
trentaine d'auteurs au minimum ; ces auteurs
appartiennent à des époques, et des
civilisations, à des cultures souvent
très différentes, ils ont tous des
personnalités très distinctes, la
plupart ne se sont jamais connus, ils ont
écrit chacun de son côté, sans
s'être entendus, et malgré cela il
règne entre leurs livres une admirable
harmonie. Ils ont de Dieu, de
l'homme, de sa destinée
éternelle des idées qui concordent.
À l'envi ils élèvent Dieu
au-dessus de tout ce qui existe, pour lui donner
à Lui, le Dieu unique, la première
place, ils ne voient en Lui aucune faute, aucune
tache morale, tandis que les dieux de leurs
contemporains étaient la proie des passions
de l'homme. Tous d'autre part sont d'accord pour
dévoiler à l'homme le triste
état de son coeur naturel et le besoin
profond qu'il a d'un Sauveur. La Bible, de la
première à la dernière de ses
pages, est à la fois le livre le plus
pessimiste et le plus optimiste qui existe ;
car cette race déchue, tombée si bas,
n'en est pas moins une fille de Dieu,
appelée aux plus glorieuses,
destinées. Qui donc a pu tisser les fils de
cette admirable broderie si harmonieuse en
même temps que si variée dans ses
couleurs ? Je doute que l'on puisse
répondre à cette question autrement
qu'en invoquant l'action même de l'Esprit de
Dieu s'exerçant d'âge en âge sur
les nombreux auteurs qui travaillaient à la
composition du saint volume. Celui-ci me fait
l'effet d'une cathédrale construite
lentement par plusieurs
générations : si les
innombrables ouvriers qui y ont apporté
leurs peines et leurs talents ont réussi
à donner à l'édifice
l'unité des lignes, c'est que tous suivaient
un plan établi d'avance par un architecte de
génie, c'est que tous étaient en
quelque sorte animés de son esprit et
remplis de sa pensée.
Au reste, si nous nous
replaçons sur le terrain moral qui est le
plus important, nul n'oserait contester la
supériorité de la Bible,
malgré ce que
prétendent certains
esprits fâcheux qui l'accusent d'être
un livre immoral, dangereux à mettre entre
les mains des enfants. Je n'ai jamais vu, quant
à moi, de jeunes gens qui aient
été entraînés à
l'immoralité par la Bible, mais j'en connais
qui, déjà impurs dans leur coeur ou
dans leur vie, connaissaient parfaitement et
recherchaient de préférence les pages
où le mal est décrit et appelé
par son nom.
Ce que beaucoup ne remarquent pas et
qui a pourtant son importance, c'est la
supériorité de la Bible au point de
vue purement esthétique : il y a des
pages de toute beauté, tant de fond que de
forme, que connaissent bien ceux qui ont l'habitude
de la lire : tels, par exemple, les chapitres
I et Il de la Genèse, certains Psaumes, Job,
la seconde partie d'Esaïe, le chapitre VIII de
l'épître aux Romains, etc,
Beaucoup aussi ne se doutent pas de
la portée de la Bible au point de vue
scientifique : il va sans dire qu'elle n'est
pas un traité de science, elle n'en a pas la
prétention ; son autorité est
avant tout une autorité morale et religieuse
et nous ne devons nullement nous laisser troubler
si nous rencontrons, en la lisant, des erreurs
historiques, géographiques ou proprement
scientifiques. Notre confiance n'en sera pas le
moins du monde ébranlée en ce qui
concerne la question essentielle, le salut de
l'humanité. Et cependant, il se produit
aussi dans le monde des savants, médecins,
orientalistes et autres, un phénomène
des plus curieux : ce sont ceux qui
aujourd'hui disent aux théologiens
portés à mépriser
l'autorité de l'Écriture
dans le domaine
scientifique : « Prenez garde ;
nous faisons chaque jour des découvertes qui
confirment étonnamment les données
bibliques ; les résultats des sciences
naturelles, le déchiffrement des anciennes
inscriptions égyptiennes ou babyloniennes se
trouvent beaucoup plus d'accord que vous ne le
croyez et que nous ne le pensions nous-mêmes
avec les vieux documents de
l'Écriture. »
Qui oserait se moquer encore du
récit
« évolutionnisme »
de la création que nous trouvons au chapitre
1er de la genèse? Qui oserait tourner en
ridicule les préceptes hygiéniques du
Pentateuque, aujourd'hui que le docteur Suchard et
d'autres ont prouvé par des arguments de
toute force que l'hygiène de Moïse se
trouve être d'accord avec la théorie
toute moderne des microbes, du moins dans ses
grandes lignes ? Qui oserait mettre
systématiquement de côté comme
autant de légendes les premières
données concernant l'origine des principales
races humaines, ou les récits que l'Ancien
Testament renferme au sujet des rapports
d'Israël avec les autres nations de
l'antiquité, quand les inscriptions
cunéiformes se trouvent concorder d'une
manière tout à fait inattendue avec
le récit biblique ?
Et d'ailleurs comment douter du
témoignage d'hommes tels que les auteurs de
la Bible qui nous apparaissent tous, ceux que nous
connaissons du moins, comme des hommes d'une
parfaite loyauté ? Ce que nous savons
de leur caractère est bien de nature
à nous inspirer confiance, surtout quand
nous nous rappelons que leur témoignage a
souvent été rendu
au péril de leur vie.
Quand un saint Jean écrivait :
« Ce que nous avons entendu, ce que nous
avons vu de nos yeux, ce que nous avons
contemplé et que nos mains ont
touché, concernant la parole de vie, nous
vous l'annonçons
(1 Jean I, 1-3) » ;
quand un saint Paul s'écriait :
« Nous ne falsifions pas la parole de
Dieu, comme font plusieurs ; mais c'est avec
sincérité, mais c'est de la part de
Dieu, que nous parlons en Christ, devant Dieu
(2 Cor. II, 17) » ;
lorsqu'un saint Luc, ancien païen, disait au
commencement de son Évangile :
« Plusieurs avant entrepris de composer
un récit des événements qui se
sont accomplis parmi nous, suivant ce que nous ont
transmis ceux qui ont été des
témoins oculaires dès le commencement
et sont devenus des ministres de la parole, il m'a
aussi semblé bon, après avoir fait
des recherches exactes sur toutes ces choses depuis
leur origine, de te les exposer, afin que tu
reconnaisses la certitude des enseignements que tu
as reçus
(Luc I. 1 à 4) »,
ces témoins proclamaient la
vérité en bravant la
persécution et la mort. Or le simple bon
sens nous dit que d'ordinaire on ne meurt pas pour
une rêverie ou un mensonge. Le sang d'un
Esaïe, d'un saint Paul, d'un saint-Pierre,
morts martyrs, est le sceau mis sur leur
témoignage.
Nous aurions des doutes à cet
égard qu'un autre fait suffirait à
les dissiper. La Bible renferme des récits,
qui, psychologiquement, ne peuvent pas avoir
été
inventés. Les héros
dont elle raconte l'histoire apparaissent tous,
à l'exception du Christ, il est vrai, comme
des pécheurs, tous ont failli plus ou moins
gravement. Aucun n'est
idéalisé : Abraham ne dit pas
toujours la vérité et il porte
atteinte à plusieurs reprises à
l'institution du mariage monogame. Moïse est
un meurtrier et un homme colère. David est
un orgueilleux assassin et un adultère.
L'apôtre Jean, par son emportement, s'attire
le surnom de fils du tonnerre. L'apôtre
Pierre est un lâche, un renégat et,
dans une certaine occasion, un hypocrite. Paul a
sur la conscience le meurtre d'Étienne, il
reconnaît lui-même qu'il était
« un blasphémateur, un
persécuteur, un homme violent
(1 Tim. I. 13) ». Quelle
touchante sincérité ! Ne
donne-t-elle pas confiance au témoignage
d'hommes pareils ?
Et le portrait qui nous est
donné du peuple d'Israël, il n'est
certes pas flatté ! Ses défauts,
son endurcissement, ses révoltes, son
idolâtrie, sa sensualité, son orgueil,
tout cela nous est décrit sans
ménagement par des auteurs qui
étaient pourtant israélites et qui
aimaient passionnément leurs compatriotes.
Il y a un petit livre plus intéressant
qu'aucun autre à cet égard, c'est
celui de Jonas, dans lequel nous voyons le
prophète, représentant ici sans doute
le peuple élu lui-même, à la
fois révolté contre Dieu et enfant
gâté, et, ce qui est pire,
s'affligeant à la pensée que Dieu
pouvait faire grâce aux habitants
idolâtres de Ninive. Dans
ces quelques pages, tandis que les païens, les
animaux, les plantes et jusqu'au vent et à
la mer, apparaissent comme soumis à la voix
du Créateur, le prophète
israélite au contraire lui tient tête
de la façon la plus impudente. Ce n'est pas
ainsi qu'on invente. Aussi je comprends ce mot d'un
théologien : « Ce qui
m'étonne, ce n'est pas que le ventre d'un
poisson ait pu contenir Jonas, mais que l'Ancien
Testament puisse contenir son
livre. »
Je m'arrête dans
l'énumération de ces faits que j'ai
appelés secondaires pour arriver à
celui qui donne à tous les autres leur
valeur décisive. C'est toujours à ce
fait essentiel qu'il faut en revenir, c'est sur lui
qu'il faut mettre l'accent ; quiconque l'a
compris, a quitté le sable mouvant, et mis
le pied sur le rocher ; peu lui importent les
questions de texte et de critique,
l'authenticité ou l'inauthenticité
des livres ; les contradictions, les erreurs
le laissent indifférent, il peut
s'écrier comme saint Paul :
« Je sais en qui j'ai
cru ! »
Voici ce fait : La Bible n'a
toute sa valeur, la Bible n'a toute son
autorité morale que parce qu'elle nous donne
Christ, le Sauveur du monde.
La Parole écrite ne vaut
quelque chose que parce qu'elle est le canal de la
Parole vivante ; c'est elle qui nous la fait
connaître, c'est elle qui nous met en rapport
personnel avec Jésus-Christ. Ôtez par
impossible Christ de la Bible et celle-ci n'a plus
de valeur ; c'est comme si vous
éteigniez la flamme d'un phare ou que d'un
corps vous ôtiez l'âme. On a dit que la
Bible était un écrin renfermant un
précieux joyau : Le
joyau est tout, l'écrin rien. Or, on aura
beau faire et beau dire, on ne pourra jamais
séparer Christ de la Bible, attendu qu'elle
est toute remplie de lui. Christ s'y rencontre
presque à chaque page.
- L'Ancien Testament retentit du cri : Il
vient.
- Les Évangiles nous disent : Il
est venu.
- Les épîtres et l'Apocalypse
nous annoncent qu'il revient.
Christ est tout dans la Bible ; aucun livre
ne nous le communique comme elle. Aussi les
adversaires peuvent bien s'acharner après le
Livre saint pour nous prouver qu'il n'est pas
inspiré, qu'il est un livre comme un autre,
ils réussiront peut-être à
convaincre une âme qui n'ayant pas Christ est
sans Dieu, sans espérance, et marche vers la
mort, ils ne réussiront jamais à
persuader celle qui, ayant trouvé Christ, a
trouvé Dieu et marche triomphante vers la
vie.
Notre foi à l'inspiration
dépend donc directement de notre foi en
Jésus-Christ. C'est dire que nous ne
pourrons jamais démontrer l'inspiration
à un homme qui rejette Christ ou qui ne veut
pas se soumettre à son autorité,
tandis que celui qui l'aime et le reconnaît
pour son maître n'a aucune peine à
voir dans l''Écriture un livre
inspiré. L'Ancien Testament
déjà est tellement rempli de Christ,
que le Sauveur était tout
étonné et profondément
attristé de voir l'incrédulité
des Pharisiens en face de sa personne -
« Vous sondez les Écritures et
vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la
vie »
(Jean V, 39 et 40).
Je comprends fort bien qu'un homme
aborde la Bible comme un livre ordinaire, qu'il se
mette à la lire sans croire encore à
son inspiration, ce n'est pas par là qu'il
faut commencer. Mais si, dans cette lecture, il
rencontre Christ et devient son disciple, il est
impossible qu'une seconde lecture ne soit pas faite
dans un tout autre esprit ; ce livre qui
n'était rien pour lui aura désormais
une valeur unique à ses yeux, car, par lui,
il entrera en relations toujours plus intimes et
personnelles avec son Sauveur. S'il en est ainsi,
je crois que nous arriverons à dire de la
Bible qu'elle est inspirée dans la mesure
même où elle nous révèle
Christ.
Jésus-Christ étant le
soleil qui brille dans l'Écriture, plus nous
serons près du soleil, plus nous aurons de
lumière et de chaleur ; plus, au
contraire, nous nous en éloignerons, moins
son rayonnement se fera sentir à nous.
De là de grandes
différences d'inspirations d'un livre
à l'autre : évidemment nous ne
pouvons pas mettre l'Ancien Testament sur le
même pied que le Nouveau, à
l'exception de certaines pages, comme
Genèse 1, la seconde partie
d'Esaïe et d'autres qui rappellent tellement
le Nouveau, qu'on a pu dire par exemple que le
second Esaïe était le cinquième
Évangile. En tournant les feuillets de la
Bible dont se sert tous les jours le disciple de
Christ, nous rencontrons certaines pages absolument
usées, d'autres presque neuves : ne
serait-ce pas la preuve qu'instinctivement
l'âme chrétienne cherche sa nourriture
là où elle la trouve en plus grande
abondance ? et cette
nourriture n'est autre que celui
qui se donne à nous comme le pain de
vie.
Mais ne l'oublions pas, le Christ
que la Bible nous révèle est un
Christ couronné d'épines, c'est la
Parole divine faite chair, acceptant par
conséquent d'entrer dans les douleurs, les
humiliations, les infirmités, de la vie
humaine. Quand le Fils de Dieu condescendit
à devenir le Fils de l'homme, il poussa
l'amour rédempteur jusqu'à se
soumettre aux chances de l'histoire et de la
critique historique ; il devint alors un objet
d'étude au même degré qu'un
autre personnage. Or le document qui nous le fait
connaître ne peut échapper aux lois
auxquelles il s'est lui-même volontairement
soumis.
Si donc nous ne sommes nullement
ébranlés en voyant le Roi de gloire
humilié, abaissé, couvert de crachats
et couronné d'épines, ne le soyons
pas davantage en voyant la Parole écrite,
qui nous relate son incarnation, passer par les
mêmes humiliations. Notre admiration grandit
pour le Christ quand nous le voyous
abaissé : pourquoi ne grandit-elle pas
de même pour la Bible quand nous, lui voyons
subir le même sort, quand nous voyons Dieu
nous aimer assez pour consentir à ce que sa
Parole sainte passe par ce même
abaissement ?
Pour une âme qui n'a pas
été saisie par la grâce de Dieu
qui est en Christ, la Bible peut apparaître
comme une musique composée de notes en
désaccords. Pour celle au contraire qui a
entendu la voix de Christ et dans laquelle cette
voix a rétabli l'harmonie et la paix, la
Bible est une symphonie admirable
exécutée sur de belles orgues par un
artiste de génie : les tuyaux de
l'instrument peuvent varier, c'est pourtant le
même souffle qui les remplit tous, c'est le
même artiste qui les fait vibrer : la
mélodie est d'autant plus belle que les
harmonies en sont plus variées.
Il est temps de conclure. Si ce que
nous venons de dire de l'inspiration est vrai,
notre confiance en la Bible ne doit pas être
ébranlée, bien au contraire;
différente de la confiance aveugle que l'on
avait autrefois, elle sera plus intelligente, plus
juste et par conséquent plus grande. Et si
cette confiance est réelle, nous la
montrerons avant tout en nous efforçant de
mieux comprendre, de nous mieux approprier les
enseignements que renferme l'Écriture ;
nous ne nous laisserons ni arrêter, ni
rebuter par les difficultés ou les
obscurités. La mine d'or peut être
recouverte extérieurement de cailloux et de
ronces, mais quand l'ouvrier a su enlever ces
cailloux et ces ronces pour descendre tout au fond
de la terre jusqu'au filon caché, il
découvre des trésors dont il ne
soupçonnait jusqu'ici pas
l'existence.
D'autre part cette confiance en la
Bible nous poussera à la faire
connaître à d'autres. Beaucoup de gens
aujourd'hui ne la lisent plus et ne peuvent plus
croire à son autorité. Faut-il nous
en affliger outre mesure ? Je ne le pense pas,
car si les points d'appui peu solides ont
été supprimés, on sera
forcé d'en chercher d'autres. Il en
résulte pour les chrétiens une
tâche nouvelle de toute importance : les
foules ne lisent plus la Bible,
que les chrétiens deviennent en quelque
sorte, pour les autres des Bibles vivantes,
ouvertes aux yeux de tous, et dans lesquelles tous
puissent lire clairement la pensée de Dieu.
Si une nouvelle conception de l'inspiration de la
Bible s'impose à l'esprit de nos
contemporains et substitue à
l'autorité extérieure, une
autorité toute intérieure, rendant
nécessaire une sorte de réincarnation
de la Parole dans chaque disciple de Christ,
devons-nous nous en affliger ? Ne devons-nous
pas bien plutôt en bénir Dieu et tout
faire pour prouver que la Bible est inspirée
puisqu'elle nous a nous-mêmes inspirés
en transformant nos vies ?
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