Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Fictions ou réalités?

CHAPITRE IIl
Peut-on croire encore aux miracles de l'Évangile ?

 Au moment d'aborder ce sujet difficile, plus difficile encore que les précédents, nous sentons le besoin de rappeler une fois de plus à nos lecteurs que nous ne prétendons aucunement élucider tous les problèmes de la foi chrétienne. Chaque domaine a ses mystères, le domaine religieux encore plus que les autres.
Tant que nous serons dans l'économie actuelle, beaucoup de choses nous échapperont que nous devrons pourtant admettre : cela est si vrai qu'il faudrait se défier de théories simplistes qui supprimeraient toutes les difficultés. Notre but en parlant de miracles n'est donc pas d'amener à la foi quelqu'un qui est résolu à ne pas croire : « Si un mort ressuscitait, disait déjà le Maître, ils ne croiraient pas (Luc XVI. 31). » C'est bien plutôt de fortifier la foi des croyants et de les amener à justifier devant leur intelligence leurs convictions, de façon à ce qu'ils en puissent rendre raison à ceux qui ne les partagent pas.

En même temps nous montrerons ainsi à ces derniers que nous connaissons leurs difficultés et leurs objections, et que, par conséquent, si nous croyons, ce n'est pas par parti pris, c'est après mûre réflexion et parce que les raisons de croire nous semblent plus concluantes que celles de ne pas croire. Mais malgré cela il faudra toujours un acte de foi spontané pour que l'homme puisse accepter le miracle, car, ici, comme partout ailleurs, Dieu respecte la liberté humaine et jamais Il ne la violera en nous imposant l'obligation de croire. J'ajoute qu'en traitant le sujet, je le limiterai le plus possible et parlerai non pas des miracles anciens ou modernes, ni même des miracles bibliques en général, mais uniquement de ceux que l'Évangile attribue au Christ.

Autrefois tout le monde ou presque tout le monde dans nos pays admettait ces miracles : il y avait bien, il y en a toujours eu, des négateurs qui, sans précisément rejeter le christianisme, cherchaient à le dégager du merveilleux pour ne conserver que les faits naturels, mais c'étaient des exceptions. Aujourd'hui le phénomène contraire se produit ; la majorité nie le miracle, et ceux qui l'admettent encore passent pour gens arriérés ou superstitieux. Il existe bien des milieux aujourd'hui où l'on rougirait de laisser voire que l'on a encore cette croyance, bonne pour les temps d'ignorance et de crédulité enfantine, inacceptable dans un siècle de lumière.

D'où cela peut-il bien venir ? D'un refroidissement de la piété ! diront quelques esprits chagrins, portés à voir en noir notre époque et nos contemporains et à regretter sans cesse le bon vieux temps. Nous ne le pensons pas ; on ne peut pas dire qu'il y a moins de piété aujourd'hui, celle-ci peut-être moins générale, n'en a que plus de profondeur, car les camps sont plus tranchés, croyants et incrédules osent affirmer plus franchement leurs opinions : c'est un bien plutôt qu'un mal.

Le véritable obstacle à la foi aux miracles doit être, me semble-t-il, cherché dans le mouvement scientifique moderne : les sciences naturelles se sont, depuis une cinquantaine d'années, prodigieusement développées, les découvertes se sont multipliées, et avec elles s'est produit un mouvement industriel intense. Il s'est fait des choses, et en grand nombre, qui tiennent du merveilleux, et cela grâce à la méthode scientifique moderne, qui consiste à n'admettre comme vrai que ce qui a pu être rigoureusement contrôlé, soit au moyen des organes des sens, soit par l'intermédiaire d'instruments de physique absolument exacts. Tout ce qui ne peut pas être pesé, analysé, observé, tout ce qui ne tombe pas sous les sens devient par là même suspect. Pourquoi dans le domaine religieux mettrait-on de côté une méthode qui a fait ses preuves et produit d'aussi magnifiques résultats ? La suivre ne sera-ce pas le meilleur moyen de faire accepter à tous la religion de Jésus-Christ ?

Cette même méthode scientifique appliquée à l'histoire a fait découvrir une foule de légendes plus ou moins ridicules, inventées par des gens souvent de bonne foi, qui croyaient bien faire en embellissant les événements dont ils avaient été témoins et qu'ils désiraient transmettre à la postérité. Tout bon historien commence donc par être un critique et avant de reconstruire les faits anciens, il doit s'efforcer d'en éliminer les éléments légendaires ; comme de bons architectes, ils creusent et fouillent le sol jusqu'à ce qu'ils aient découvert au-dessous du sable mouvant le roc qui va leur servir de fondement solide. Tout homme, je ne dis pas savant, mais simplement au courant de cette méthode historique, est obligé, de par sa conscience, de l'appliquer aux récits évangéliques et, sans la moindre mauvaise intention, il sera choqué de rencontrer tant de faits merveilleux : immédiatement la question se pose à son esprit de savoir si nous ne sommes pas là en présence de pieuses légendes, sous lesquelles il faut découvrir le fait réel et certain. Que dis-je ? Pour plus d'un, cette question ne se posera même pas ; en jetant un coup d'oeil sur l'Évangile, d'emblée ils traiteront de mythe tout le merveilleux qui s'y retrouve à chaque page, leur esprit cultivé ne pouvant tirer d'autre conclusion.

Il y a plus, quiconque a étudié, même superficiellement, l'histoire des religions s'est très vite aperçu que cette histoire n'échappe pas à la règle générale ; toutes les religions ont leurs miracles et des miracles nombreux. Mahomet, par exemple, est ravi en extase et transporté dans le ciel, jusque devant le trône d'Allah, Bouddha, quatorze siècles avant lui, avait lui aussi, accompli plus d'un miracle. Les fakirs aujourd'hui font des choses plus merveilleuses encore.

De deux choses l'une : ou bien les miracles des religions naturelles sont vrais, et alors que devient la prétendue supériorité du christianisme ? Ou bien ils sont légendaires, et c'est là l'opinion généralement admise dans nos pays chrétiens, alors de quel droit faire une exception pour les miracles du christianisme ? La loyauté scientifique ne nous fait-elle pas un devoir de leur appliquer la même règle, en rejetant le merveilleux évangélique comme une invention de gens bien intentionnés, mais cloués de trop d'imagination ?

Telle est, me semble-t-il, la cause principale des doutes et même des négations hardies que nous rencontrons chez la plupart de nos contemporains à l'égard du miracle. Tant que cette cause reste ce qu'elle vient de nous apparaître, une cause toute intellectuelle et non morale, tant que la négation n'est pas un prétexte dont l'homme se sert pour satisfaire ses passions, nous sommes en face d'un fait des plus respectables et nous n'avons pas le droit de blâmer ceux qui, malgré leur bonne volonté, ne parviennent pas à croire ; nous les comprenons trop bien nous-mêmes pour ne pas sympathiser avec eux. S'il s'en trouve parmi nos lecteurs, ils peuvent être assurés qu'il ne nous viendrait pas à l'idée de leur jeter la pierre ou de les juger sévèrement ; nos études nous ont rendue familière cette même méthode, et certes nous ne voudrions pas la voir écartée du domaine religieux. Nous avons donc droit à leur bienveillante attention, puisque cette question du miracle s'est profondément modifiée ces dernières années, même pour les plus conservateurs d'entre les croyants. Certains points de vue ont dû être abandonnés ; certains autres admis, qui paraissaient suspects. Que nos adversaires soient donc assez loyaux., assez scientifiques pour lire, sans parti pris, et en mettant de côté tout a priori intellectuel, les pages qui suivent. Leurs connaissances doivent les rendre à la fois larges et prudents, car il est des choses et en très grand nombre qui, naguère, auraient paru inadmissibles, et qui. grâce aux découvertes des savants, nous semblent aujourd'hui des plus naturelles.

Quant aux chrétiens qui ont sans doute éprouvé une certaine tristesse à la pensée que tant de gens rejettent les éléments mêmes de leur foi, qu'ils ne s'affligent pas outre mesure. Car cette crise peut avoir d'excellents résultats ; elle va forcer les croyants à chercher à leur foi une autre base, plus solide et plus morale que celle du merveilleux. Si celui-ci paraît à tous de plus en plus suspect, il est d'autant plus nécessaire d'en arriver à fonder notre foi sur une certitude morale, et si par là, certaines croyances sont ébranlées, ce sera la preuve qu'elles ne sont pas de bon aloi et qu'elles manquaient d'un élément essentiel, l'expérience. Cette méthode, qui a fait douter tant de gens, qui a effrayé tant de croyants timides, pourrait bien, au contraire, rendre à la foi le même service qu'elle a rendu à la science, en l'obligeant à creuser, elle aussi, jusqu'au terrain solide de l'expérience.

Pour plus de clarté nous allons successivement examiner :

1° Le fait du miracle évangélique.
2° L'historicité de ce fait.
3° Sa possibilité théorique.
4° Son explication probable.


§ 1. LE FAIT DU MIRACLE ÉVANGÉLIQUE

J'appelle miracle, au sens chrétien du mot, non pas avant tout un acte qui frappe les sens ou l'imagination, mais bien un acte dans lequel apparaît le doigt de Dieu. Un miracle a pour caractère distinct d'être une intervention directe du Dieu créateur. Chaque fois qu'un miracle dans ce sens est produit, les assistants ont l'impression très nette qu'ils viennent de se trouver en présence de Dieu : Dieu était là et c'est lui qui a agi, se disent-ils. Lors de la pêche miraculeuse, Simon-Pierre, bouleversé par l'intervention du Dieu tout-puissant, s'écrie : « Retire-toi de moi, car je suis un homme pécheur (Luc V, 8). » Ce qui l'a frappé avant tout, ce n'est pas tant la vue du grand nombre de poissons, bien faite pour étonner un pêcheur tel que lui, mais la pensée que Dieu est là tout près de lui, un Dieu dont les yeux sont trop purs pour voir le mal.

Le voile qui cache le monde invisible s'est soulevé tout à coup, l'apôtre a comme entrevu Dieu dans un éclair rapide.
Quand Jésus ressuscite le fils de la veuve de Naïn, « tous sont saisis de crainte, et ils glorifient Dieu, disant : Un grand prophète a paru parmi nous, et Dieu a visité son peuple (Luc VII, v. 16). »
Bien souvent il est dit de la foule, après un miracle, qu'elle glorifiait Dieu, car elle avait le sentiment très net que celui qui venait de l'accomplir ne l'avait fait que sous l'influence directe de Dieu. Jésus en est lui-même si convaincu qu'il n'attribue jamais les miracles à sa force personnelle, mais bien à l'intervention de son Père. De là ces paroles : « Mon Père agit jusqu'à présent ; moi aussi, j'agis (Jean V, v. 17). Je suis dans le Père et le Père est en moi. Les paroles que je dis, je ne les dis pas de moi-même ; et le Père qui demeure en moi, c'est lui qui fait les oeuvres. Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi ; croyez du moins à cause de ces oeuvres (Jean XIV, v. 10 et 11). Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas. Mais si je les fais, quand même vous ne croiriez point, croyez à ces oeuvres, afin que vous sachiez et reconnaissiez que le Père est en moi et que je suis dans le Père (Jean X, v. 38). » Au moment de ressusciter Lazare, il prie à haute voix devant la foule : « Père, je te rends grâce de ce que tu m'as exaucé. (Jean XI, v. 42) »

Si donc nous appelons miracle un acte extraordinaire, dans lequel nous reconnaissons le doigt de Dieu, d'autres que Jésus peuvent faire des miracles et, pas plus que lui, ils ne les feront avec leur propre puissance ; d'autre part, certains faits miraculeux en apparence seulement, doivent être considérés non comme le produit d'une action directe de Dieu, mais bien comme le résultat pur et simple du jeu inconscient des lois naturelles.


§ 2. HISTORICITÉ DU FAIT MIRACULEUX.

Il est à peine nécessaire d'insister sur la réalité des miracles de l'Évangile, celui-ci en est tellement rempli que les supprimer serait supprimer cet Évangile lui-même ; presque chaque acte de Jésus en faveur des autres fut un acte miraculeux.

On a distingué quatre catégories de miracles accomplis par le Christ :

1° Les miracles sur la nature inanimée, tels que l'apaisement de la tempête, la marche sur les eaux, la multiplication des pains, la malédiction du figuier, l'eau changée en vin. Jésus apparaît comme maître souverain de la nature ; elle lui obéit toujours, sans la moindre résistance.

2° Les guérisons des maladies du corps. Jésus a guéri tous les malades qui vinrent à lui ou qu'on lui apporta : paralysie, cécité datant même de la naissance, mutisme, lèpre, fièvre, difformité, tous les cas sont les mêmes pour lui, il se montre en face de tous aussi puissant, aussi vainqueur.

3° Les guérisons des maladies mentales. Il s'agit ici de démoniaques que Jésus et ses contemporains considéraient comme étant sous une influence diabolique plus ou moins directe. Beaucoup de gens aujourd'hui n'admettent plus cette influence. ils prétendent que Jésus s'est accommodé aux idées courantes de son époque ou qu'il a partagé lui-même les préjugés de sa génération. Quelle que soit l'opinion que l'on se fasse à ce sujet, nul ne peut nier que nous soyons ici en face de malheureux atteints autant dans leur esprit que dans leur corps : la maladie physique peut bien être de l'hystérie ou de l'épilepsie, cela n'empêche pas que, derrière elle, il y avait autre chose : leur esprit n'était certainement pas dans un état normal.

4° Les résurrections au nombre de trois, sans parler de la résurrection même de Jésus, sur laquelle nous reviendrons plus tard. Il est possible que d'autres résurrections aient eu lieu, qui ne nous sont pas racontées. Les trois que nous connaissons sont des plus typiques : nous avons affaire à trois morts qui remontent à des dates différentes.
La petite fille de Jaïrus vient d'expirer, elle paraît endormie : dès que Jésus entre dans la chambre, il suffit qu'il la saisisse par la main et qu'il lui dise : « Jeune fille, lève-toi, je te le dis », pour qu'aussitôt elle se lève et qu'elle se mette à marcher.
Le fils de la veuve de Naïn est mort depuis plus longtemps ; ou porte en terre son cadavre, et quand Jésus a dit après avoir arrêté le cortège : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi » ! le mort s'assied et se met à parler.
Lazare lui, le frère de Marthe et de Marie, est depuis quatre jours dans le sépulcre ; nous sommes en Orient, où le climat hâte la décomposition du corps, et elle doit avoir commencé. Cette fois Jésus crie d'une voix forte, il appelle le mort avec puissance : « Dehors, Lazare ! » et aussitôt Lazare apparaît.

Tels sont les faits, et les documents sont là pour garantir leur authenticité, documents tout simples, sans recherche ni de fond ni de forme, provenant de témoins qui racontent avec sincérité, naïveté même, ce qu'ils ont vu et entendu ; chacun décrit à sa manière ; parfois même ils se contredisent sur certains points de détails, tant ils songent peu à faire des récits arrangés et bien combinés ; et ce qu'ils racontent étonnera, scandalisera même, déchaînera sur eux l'opposition et la haine, pour leur témoignage ils seront exposés à la mort, peu leur importe, comme Pierre et Jean devant le sanhédrin ils diront à ceux qui tenteront de les réduire au silence : « Nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu (Actes IV, v. 20). » Leurs récits renferment des détails qui seraient ridicules s'ils avaient été inventés et ajoutés après coup. Ainsi, lors de la multiplication des pains, il est dit qu'il y avait là beaucoup d'herbe et de l'herbe très verte. Ne devine-t-on pas le témoin oculaire qui remarque l'herbe foulée par la multitude au moment où elle s'assied ? Dans les heures décisives de l'existence, il y a de ces détails insignifiants que l'on observe et qui ne peuvent plus être oubliés. Lors de la résurrection de la fille de Jaïrus, le narrateur fait remarquer la foule bruyante qui pleurait et poussait de grands cris ; et quand la fillette est rendue à la vie, le Maître ordonne qu'on lui donne à manger. Si le fait est faux, que nous importe ce détail ? S'il est vrai, quelle valeur il prend aussitôt !

Mais c'est surtout dans la résurrection de Lazare que les détails abondent, inattendus, incompréhensibles, si l'histoire est un mythe ; naturels, nécessaires même si elle est vraie. Jésus frémit, Jésus pleure, Jésus lève les yeux au ciel ; la foule fait sur lui des remarques désobligeantes, Marthe exprime au Maître son anxiété à la pensée que la pierre roulée laissera voir son frère en décomposition. « Non, ce n'est pas ainsi qu'on invente », disait déjà J.-J. Rousseau, et le grand écrivain genevois avait raison.

Mais il est un autre fait plus important qui prouve la réalité des miracles évangéliques, c'est l'accord admirable qui existe entre ces miracles, et, d'un côté les discours de Jésus, de l'autre, l'enchaînement même de l'histoire. Les discours tout d'abord : plusieurs d'entre eux ont été prononcé précisément à l'occasion de l'un ou l'autre des miracles de Jésus, qui en ont fourni le texte et la cause ; supprimez la cause, supprimez le miracle, vous ne pouvez absolument plus comprendre l'effet, c'est-à-dire le discours. C'est ainsi par exemple que la parole extraordinaire dont nul ne conteste l'authenticité, tant elle est extraordinaire : « Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (Jean IX, v. 5) », a été prononcée à l'occasion de la guérison de l'aveugle-né.

Et le fameux discours à Capernaüm sur le pain de vie descendu du ciel, sur son corps qu'il faut manger, son sang qu'il faut boire, discours à la suite duquel les foules l'abandonnèrent, trouvant trop dure la parole qu'elles venaient d'entendre, ne peut absolument pas s'expliquer si l'on supprime le miracle de la multiplication des pains, qui en a été l'occasion. Chose curieuse et bien digne d'être relevée : c'est précisément ce miracle, le plus incompréhensible de tous, celui que la raison peut le moins s'expliquer, qui est le plus enchevêtré dans le récit, le plus indissolublement uni au texte, celui que tous les Évangiles racontent et qui semble avoir été accompli à deux reprises différentes. Il en est ici comme de la résurrection de Lazare, dont Spinosa, le grand philosophe panthéiste, disait : « Si je pouvais croire au miracle de la résurrection de Lazare, tout mon système philosophique s'écroulerait, je l'abandonnerais sans hésiter et je deviendrais chrétien. » Or, ce miracle qui confond l'imagination est un anneau nécessaire dans l'enchaînement du récit évangélique : Jean seul le raconte (1) : En lisant les Synoptiques, on a l'impression qu'il manque quelque chose dans le récit, on ne se rend pas bien compte pourquoi Jésus a été si vite arrêté et mis à mort, la catastrophe arrive trop brusquement ; elle n'est pas assez préparée. En ouvrant le quatrième Évangile, la lumière se fait de suite, car il nous apprend que ce qui hâta la fin, ce fut précisément le miracle de la résurrection de Lazare, accompli tout près de Jérusalem, au moment de la fête de Pâques, qui attirait dans la ville sainte des milliers et des milliers de pèlerins ; un grand nombre furent certainement témoins de ce qui se passa à Béthanie. Le discours qui suivit la multiplication des pains avait éloigné du Christ la multitude qui le laissa seul ou presque seul continuer son ministère de souffrance, la résurrection de Lazare acheva l'oeuvre de dépouillement commencée et précipita la crise finale.

J'avais donc raison de dire que les miracles font partie intégrante des récits évangéliques et que les supprimer ou les passer sous silence serait tout simplement rendre la narration obscure ou même incompréhensible. En d'autres termes, les miracles de l'Évangile portent le cachet de l'authenticité, et les nier serait accumuler les difficultés sans aucun profit quelconque : ils sont nécessaires pour expliquer l'enchaînement des faits et l'origine des discours du Maître.

Mais il faut aller plus loin : il est un dernier témoignage que je tiens à relever et qui prouve d'une manière encore plus indiscutable la réalité des miracles, à savoir celui des ennemis mêmes de Jésus-Christ. Ils sont furieux que Jésus ait guéri la femme bossue, l'homme à la main paralysée, l'impotent de Béthesda le jour du sabbat ; ils ne songent même pas à nier le miracle, ils ne le pourraient pas, car le malade guéri est là ; alors ils essaient autre chose et s'efforcent de ruiner l'autorité de Jésus en prétextant la violation du sabbat. De même quand Lazare est ressuscité, il ne leur vient pas à la pensée de contester cette résurrection, ce qui serait facile si c'était une imposture, ils comprennent que ç'en est fait de leur influence si le Christ continue à exercer ce pouvoir et ils décident séance tenante de le mettre à mort. Voici du reste le texte même de l'Évangile, il mérite d'être cité : « Alors les chefs des prêtres et des pharisiens assemblèrent le sanhédrin, et dirent : Que ferons-nous ? Car cet homme fait beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront détruire et notre ville et notre nation... Dès ce jour ils délibérèrent sur les moyens de le faire mourir (Jean XI, v. 47, 48, 53). »

Si Jésus avait été entouré d'une foule enthousiaste, prête à embellir et à exagérer tout ce qu'elle lui voyait faire, peut-être serait-il permis de voir dans ces miracles une série de belles légendes, produit de l'imagination. Mais Jésus était sans cesse environné d'ennemis qui l'épiaient dans tout ce qu'il disait et dans tout ce qu'il faisait, avec passion, désirant le trouver en faute.

Si les miracles du Christ avaient été de la supercherie ou des illusions, rien de plus facile que de le prouver et de s'en servir contre lui, ce qu'ils n'ont jamais su ni pu faire.


§ 3. POSSIBILITÉ THÉORIQUE DU MIRACLE.

Une fois la réalité historique du miracle solidement établie, nous devons nous demander, avant de tenter aucune explication, si a priori et théoriquement le miracle est possible. Si le miracle est réellement un acte de Dieu, il faut admettre que Dieu est libre d'agir comme et quand bon lui semble. À défaut de quoi, Il serait pris lui-même dans l'engrenage qu'Il aurait établi, Il n'en serait qu'un rouage un peu plus important que les autres ; Il serait donc rivé lui-même au mécanisme universel. Dans ce cas, évidemment, Dieu ne serait pas libre : mériterait-il encore le nom de Dieu ? Ne serait-Il pas plutôt une force inconsciente, sans personnalité ? On ne comprendrait plus dès lors, comment ici-bas, il existe des personnalités et en grand nombre, qui s'appellent les hommes ; à moins que ceux-ci ne soient à leur tour des rouages du mécanisme, dont la liberté n'est qu'une apparence mensongère, théorie à la mode aujourd'hui dans certains milieux, contre laquelle proteste énergiquement notre conscience morale. Non, non, si l'homme est un être personnel, Dieu qui l'a créé l'est à plus forte raison ; et si l'homme, être personnel, est doué de liberté, il faut nécessairement que Dieu le soit de son côté. La liberté est même, au dire de certains philosophes, l'attribut souverain du Créateur, celui duquel tous les autres dérivent. Mais alors, si Dieu est libre, Il doit pouvoir faire ce que bon lui semble, Il doit avoir le droit et le pouvoir d'intervenir dans son oeuvre pour y manifester sa volonté souveraine.

D'autre part, nous ne pouvons plus depuis l'avènement du christianisme, nous représenter Dieu autrement que comme un Être sage, compatissant, plein de tendresse, débordant d'amour comme un Père, notre Père : mais s'Il est notre Père, Il doit pouvoir intervenir, quand Il le juge bon, en faveur de son enfant dans le cas où cette intervention est nécessaire. Se représente-t-on ce Père tout-puissant et tendre, incapable d'agir à l'égard de cet enfant qui l'appelle à son secours ? S'il en était ainsi, il faudrait dire franchement que ce titre de Père est un mensonge ou une illusion de plus et que le Christ nous a trompés en nous enseignant l'oraison dominicale.

Comme il est plus simple d'admettre la liberté d'amour de notre Père céleste, lui permettant d'agir, que dis-je ? le poussant à agir en notre faveur chaque fois qu'il le veut dans sa sagesse.

Les savants nous disent que le déterminisme de la matière est comme un immense filet couvrant tout ce qui existe et tout ce qui vit. Nous acceptons cette comparaison, encore qu'elle ne soit pas tout à fait juste, mais notre expérience de tous les jours nous dit que les mailles de ce filet sont assez lâches pour que nous puissions agir librement ; nous y avons assez de place pour que notre liberté puisse s'y manifester. Constamment nous accomplissons des actes spontanés en nous servant précisément des lois établies par le Créateur. Ainsi je lève mon bras pour démontrer cette liberté ; en le levant je prends un objet que je tiens en l'air un instant ; la loi de la pesanteur est là bien qu'elle paraisse momentanément supprimée, la preuve, c'est le poids de l'objet que je puis estimer et qui nécessite de ma part un effort proportionné.

Pourquoi Dieu ne pourrait-Il pas agir de la même manière ? Qui osera lui refuser ce que tout le monde m'accorde ? Mais alors il faut concéder à nos adversaires que si l'homme, en agissant, se soumet librement aux lois plus ou moins connues de la nature, Dieu fait de même en toute liberté lui aussi. En d'autres termes, nous n'admettons plus l'ancienne conception du miracle qui supposait un bouleversement des lois de la nature ; quand Dieu intervient par un miracle, Il ne bouleverse rien du tout. Notre culture scientifique moderne, les expériences faites constamment nous empêchent de croire que Dieu ait rien à bouleverser pour atteindre ses fins. S'Il le faisait, serait-Il encore parfaitement sage, puisqu'Il semble revenir sur ce qu'Il a lui-même établi ? Ne l'oublions pas : Dieu n'est pas un homme pour se tromper, Il ne se trompe jamais, et même quand nous comprenons le moins ce qu'Il fait, nous pouvons être assurés qu'il n'y ni erreur, ni bouleversement.
Qu'y a-t-il alors ? C'est ce que nous allons examiner dans notre dernier paragraphe.


§ 4. L'EXPLICATION PROBABLE.

Tout d'abord revenons à ce que nous disions tout à l'heure sur la seule base de miracle acceptable aujourd'hui, la base morale. Le côté du merveilleux, du prodigieux, ne touche plus guère nos contemporains, du moins ceux qui ont quelque culture ; nous sommes obligés de l'abandonner pour chercher un point d'appui plus solide et moins discutable, qui repose d'aplomb sur la conscience morale et non sur la raison ou l'imagination. Et quel est ce point d'appui plus solide ? La sainteté parfaite de celui auquel les Évangiles attribuent tant d'actes miraculeux.

Jésus-Christ seul dans l'histoire apparaît comme absolument sans péché ; c'est un soleil dans lequel l'oeil le plus exercé ne peut discerner aucune tache. Tandis que les générations humaines, à mesure qu'elles surgissent à l'horizon pour traverser la vie terrestre sont toutes gangrenées par le pêché, tandis que cette affreuse lèpre atteint et ronge tous les hommes, pauvres et riches, civilisés et sauvages, tout à coup, sur ce fond sombre, apparaît la figure du prophète de Nazareth ; au premier abord il n'attire guère l'attention, mais à mesure qu'on le contemple, à mesure qu'on le connaît mieux, tous sont frappés d'une chose : c'est un homme qui fait contraste avec la race humaine, il a échappé à la terrible contagion, il ne connaît pas le péché par la douloureuse expérience que tous nous en avons faite. Voilà le grand miracle, un miracle tout moral, s'adressant avant tout à la conscience, ne parlant guère aux sens, et qui échappe par là même aux regards distraits de la grande majorité. Une fois ce miracle admis, il n'est pas difficile d'accepter les autres, qui en découlent et qui ne sont que jeux d'enfants en comparaison.

Mais ce miracle est-il certain ? D'une manière générale, tout le monde est d'accord, libéraux comme orthodoxes, et cela pour une double raison, une raison de science et une raison de conscience.

La raison scientifique, c'est le fait du témoignage évangélique : les quatre Évangiles sont absolument unanimes sur ce point ; tandis que chez tous ses héros, la Bible découvre des fautes qu'elle nous raconte en toute franchise, dans la personne du Sauveur rien de semblable : jamais, dans aucune circonstance, ni en public, ni en particulier, les témoins de la vie du Christ n'ont pu observer la moindre infraction à la morale. Or, il n'est pas possible d'inventer un type pareil, autrement, comme disait J.-J. Rousseau, l'inventeur serait plus grand que son héros et le miracle plus extraordinaire encore.

Bien plus, les ennemis même de Christ sont unanimes à reconnaître sa perfection morale. Ils ont beau l'épier de très près, ils ont beau le suivre partout, ils ne trouvent rien à reprendre dans sa conduite, de là l'inanité de leurs accusations quand ils comparaissent avec lui devant le sanhédrin ou le gouverneur romain. Ce dernier, avant de le leur livrer pour être crucifié, fait apporter de l'eau devant la foule et déclare être innocent du sang de ce juste. Ce que la conscience païenne vient de confesser, la conscience juive le confesse à son tour : Judas, le traître, qui avait tout intérêt à découvrir des fautes dans son Maître pour justifier son abominable crime, Judas qui l'avait vu dans le cercle intime des disciples pendant près de trois ans, est obligé, lui aussi, avant de s'ôter la vie, d'avouer, en rendant aux sacrificateurs l'argent reçu, qu'il a livré le sang innocent. Et sur la colline de Golgotha, le centenier romain, un autre païen, après avoir observé la mort du Christ, s'écrie en se frappant la poitrine : « Certainement cet homme était juste (Luc XXIII, 47). » La mort de Jésus fut, malgré d'indicibles souffrances, comme le sceau mis sur sa vie de sainteté.

J'en viens à la seconde raison, celle que fournit notre conscience : Jésus-Christ a cru lui-même, de la façon la plus certaine, qu'il était sans péché ; non seulement il ne s'est jamais repenti et n'a jamais eu le moindre remords, mais encore il s'est nettement distingué de ses disciples quand il leur a enseigné dans l'oraison dominicale à demander à Dieu le pardon de leurs offenses. Bien plus, ses déclarations à cet égard sont catégoriques : « Qui de vous me convaincra de péché (Jean VIII, 46) ? » s'écrie-t-il, et personne n'ose se lever pour l'accuser. « Le prince de ce monde vient, dit-il ailleurs, mais il ne peut rien sur moi (Jean XIV, 30). » Et quand il pense à ce qu'il a fait et à ce qu'il a été, il ose dire : « Je fais toujours ce qui est agréable à Dieu (VIII, 29). J'ai achevé l'oeuvre que tu m'avais donnée à faire (XVII, 4). » Or, tout le monde sait avec quelle perspicacité Jésus découvrait chez autrui le péché, même le plus caché, et avec quelle sincérité il le condamnait, n'admettant aucun compromis. D'autre part, chacun sait que plus un homme est avancé moralement, plus il est mécontent de lui, plus il devient humble, parce qu'il sent tout ce qui lui manque encore et combien il est en dessous de l'idéal entrevu.

Avec le Christ, c'est juste le contraire. En le contemplant, nous nous trouvons donc en face de ce dilemme : Ou bien il a dit vrai, il a vu juste, il fut sans péché, et alors le miracle moral est là devant nos consciences dans toute sa splendeur. Ou bien il a dit faux, et alors il s'est trompé, c'est donc le plus aveuglé des hommes : de quel droit peut-il prétendre nous éclairer et nous conduire ? À moins qu'il ne nous ait trompés, il est donc le plus hypocrite des hommes, c'est un être dangereux qu'il faut combattre comme le pire ennemi de l'humanité. Notre conscience se révolte devant cette dernière alternative, nous touchons ici au blasphème. Toute conscience droite est forcée de rejeter avec horreur une telle supposition. Il ne lui reste dès lors plus qu'à proclamer la sainteté parfaite du prophète de Nazareth. C'est le plus grand des miracles.

Nous avons dit qu'un miracle était un acte de Dieu, donc une intervention du Tout-Puissant au sein de la nature ou de l'humanité : il me semble que l'apparition historique de Jésus-Christ dans le monde est la preuve la plus frappante de cette définition du miracle. Si jamais il y a eu action de Dieu et intervention directe de sa part, c'est bien quand cette personnalité est entrée sur la scène terrestre. Nier cette action divine serait admettre un miracle plus extraordinaire encore, et un miracle inexplicable. Ce premier miracle admis, il n'est guère difficile de croire aux autres. Comment concevoir qu'un être pareil, miracle lui-même, ait été incapable de faire aucun miracle ? Comment un Christ, incarnation de la sainteté et de l'amour, serait-il comme nous le sommes, condamné à l'impuissance vis-à-vis des multitudes de malheureux, qu'il serait incapable de soulager ?
Peut-on se représenter un Christ n'ayant à offrir que de bonnes paroles aux pauvres malades tourmentés par la souffrance ? Un Christ laissant mourir de faim une foule venue à lui pour l'écouter ? Un Christ réduit à l'inaction en face d'un corps inanimé et d'une famille en pleurs ? Ou incapable de sauver ses disciples de la mer en tempête ? Mais un Christ pareil nous étonnerait bien plus ; que dis-je ? il nous bouleverserait, il nous scandaliserait : serait-il encore possible de voir en lui une action et une intervention de Dieu dans l'histoire ? Un Sauveur aussi tronqué, aussi infirme, serait-il vraiment digne du Dieu tout-puissant et miséricordieux ? Nous ne le pensons pas

Si le Christ n'avait fait aucun miracle, il subsisterait des doutes au sujet de sa perfection morale, tant il est vrai que ses miracles sont la manifestation extérieure de sa sainteté.
En effet, ne l'oublions pas, le miracle en grec est appelé un signe, un jamais le mot qui signifie prodige, chose étonnante, merveilleuse, n'est employé seul, car ce n'est pas sur le côté merveilleux que l'Écriture insista, mais sur le signe. Les miracles de Christ sont donc des signes ; des signes précisément de l'action divine et de cette action intervenant pour sauver l'humanité perdue. « Les oeuvres que je fais, dit Jésus, rendent témoignage de moi. Croyez du moins à cause des oeuvres que j'accomplis (Jean X, 25 et 38) : » Ces miracles sont toujours la preuve de l'amour divin rédempteur se manifestant à l'égard des pauvres pécheurs. Aussi nulle part Jésus n'en fait-il pour lui-même ; il le pourrait, cela va sans dire ; il pourrait, quand il a faim, changer les pierres en pain, faire un acte prodigieux en se jetant au bas du temple, échapper à ses ennemis en Gethsémané en les frappant d'éblouissement ; se procurer de l'eau quand il a soif, sans en demander à la Samaritaine, et ainsi de suite. Il ne le fait jamais, car il n'est pas ici-bas peut lui-même, il y est pour le service de son Père dans le service de ses frères. Ce fait même d'un Christ capable de faire des miracles, qui n'en accomplit cependant pas un seul pour lui, ne constitue-t-il pas un miracle de plus, au sein d'un monde où chacun poursuit ses intérêts, et cela, parfois, avec une âpreté d'égoïsme déconcertante ?

C'est ce qui explique pourquoi jamais il n'y a de pose dans les actes du Maître, même dans les plus surprenants. Il ne joue jamais de rôle, il ne se met jamais en scène. Il n'y a jamais chez lui la moindre recherche de soi. Il multiplie les pains absolument comme s'il rompait le pain à la table de famille. Il touche le lépreux et le guérit, sans chercher en quoi que ce soit à attirer l'attention. Il dit au paralytique de se lever, il commande aux vents et aux flots exactement comme il parlerait à des êtres vivants. C'est là l'un des traits les plus caractéristiques des miracles évangéliques, c'est par là qu'ils se différencient profondément des miracles des religions naturelles. Que le lecteur relise, pour s'en convaincre, le récit de l'enlèvement au ciel de Mahomet ou tel chapitre des Talmud, par exemple celui qui nous raconte la mort de David. Le contraste saute aux yeux de tout homme impartial.

Les pages qui précèdent étaient nécessaires pour nous amener à la véritable explication du miracle. Si le miracle est une action de Dieu, s'il n'est pas, d'autre part, un bouleversement des lois de la nature, qu'est-il donc ? Tout simplement, nous semble-t-il, la neutralisation, ou mieux encore l'harmonisation, le jeu normal et parfait de ces lois. Dieu doit connaître les lois qu'Il a lui-même établies, infiniment mieux que nous ; Il sait tout le parti que l'on peut en tirer. Quand donc par l'intermédiaire soit du Christ, soit d'un autre instrument, Dieu accomplit un miracle, Il fait usage, un usage parfait, de ces lois, sans que nécessairement l'instrument en question, fût-ce même le Christ, se rende toujours un compte exact de ce que Dieu fait par lui.

Je disais tout à l'heure que notre connaissance des lois est très incomplète, nul ne le contestera, en tout cas pas les savants qui, à mesure qu'ils étudient, sont forcés de constater qu'ils ne savent rien. Tels d'entre eux vont même aujourd'hui jusqu'à se demander très sérieusement si les lois que la science croit avoir découvertes et dont elle se vante tant, ne sont pas en fin de compte des catégories de notre esprit, des généralisations de faits observés ayant un caractère tout subjectif, pouvant par conséquent être immuables ou ne l'être pas du tout.
Dieu, lui, sait exactement ce qu'il en est, Il sait jusqu'à quel point ces lois sont de véritables lois et surtout Il les connaît toutes ; Il peut donc obtenir par elles des effets qui tiennent du prodige à nos yeux de myopes, mais qui n'en sont pas moins le résultat naturel du fonctionnement de ces lois.

Un exemple illustrera mieux ma pensée. Mettons entre les mains d'un enfant la palette et les pinceaux d'un peintre de génie, en lui demandant de reproduire un paysage. Le résultat obtenu n'aura, au point de vue artistique, aucune valeur quelconque, nous n'y reconnaîtrons rien de l'oeuvre du maître, et pourtant ce sont mêmes pinceaux, même palette.

N'en agissons-nous pas ainsi avec la nature ? L'humanité dans son enfance n'en a su tirer aucun parti, car elle était comme écrasée par la puissance aveugle de cette nature ; puis, de tâtonnements en tâtonnements, l'homme est arrivé à déchiffrer ses secrets, sans que, pour cela, il puisse encore se poser en maître de la création. Supposons en face de ces forces inconnues, non pas un être infirme, borné et dont la mort interrompt sans cesse le travail, mais Dieu lui-même, dans sa puissance et son infinie sagesse qui connaît à fond chaque ressource de sa création, tout ce que les hommes pourront alors contempler apparaîtra nécessairement comme autant de prodiges inexplicables.

Mais, dira quelqu'un, cette théorie du miracle est précisément celle des libéraux, c'est du libéralisme tout pur ou même du rationalisme ? Oui, si les libéraux se contentent de dire que le miracle n'est pas le bouleversement des lois de la nature, ce que nous leur concédons de grand coeur. Non, mille fois non, s'ils en concluent que dans le miracle Dieu n'intervient pas, mais que nous sommes en face du jeu fatal des lois de la nature, ce que nous ne pourrons jamais admettre, nous qui croyons à la liberté souveraine du Créateur. Ce qui nous différencie profondément de nos adversaires, c'est précisément l'intervention libre et personnelle de Dieu, qu'ils ne peuvent admettre. Plus je crois à cette intervention, plus je crois en même temps au jeu régulier des lois établies, sous la direction de Celui qui n'a pas seulement établi ces lois, mais qui encore veille à leur fonctionnement. Il en est ici comme de "l'évolution" : plus d'un croyant fut troublé à l'apparition de la "théorie de l'évolution", car il se représentait (certains savants matérialistes y avaient pris peine, il faut le dire que l'évolution supprimerait la création. Rien de plus faux, ces deux explications de l'origine des choses, nous le verrons bientôt, vont très bien ensemble, l'une est même la conséquence logique de l'autre, car il est impossible de concevoir une évolution sans un point de départ, c'est-à-dire un acte créateur au commencement.

Il est une autre objection que l'on ne manquera pas de nous faire : Votre explication du miracle en est la négation, car, si vous êtes logique, vous devez avouer que, grâce au progrès de la science, les lois de la nature se dévoilant de plus en plus, tout mystère disparaîtra et que le moment viendra où il n'y aura plus de miracles. Eh bien ! oui, nous l'avouons franchement, le miracle lui aussi disparaîtra, parce qu'on en comprendra la genèse cachée. Il n'y en aura pas moins eu miracle pour cela au moment où l'acte merveilleux fut accompli, miracle de prescience plus encore que de puissance. N'est-il pas miraculeux d'avoir pu faire, il y a bientôt deux mille ans, ce que les savants commencent à peine à entrevoir aujourd'hui ?

Allons plus loin. Il ressort de ce que nous avons dit que le miracle fut rendu nécessaire par suite du péché, puisqu'il manifeste une intervention divine, en vue de sauver l'humanité perdue. Le profond théologien, César Malan (*), se demandait en conséquence si l'homme n'était pas actuellement dans un état de sous-nature, et je crois qu'il avait raison. Dans ce cas le surnaturel ne serait pas à proprement parler du surnaturel, ce serait tout simplement le retour à l'état normal. Quoiqu'en disent nos savants, il n'est pas naturel, il est sous-naturel que la matière domine l'esprit, qu'un imperceptible microbe puisse réduire en poussière un corps admirablement constitué, éteindre une intelligence de génie ; il n'est pas naturel, il est sous-naturel qu'une nature inconsciente détruise la nature consciente, qu'un lac en tempête, qui ne sait pas ce qu'il fait, engloutisse une barque remplie d'hommes qui doivent apporter au monde la bonne nouvelle du salut, que la mort, autrement dit, paraisse pour engloutir la vie. S'il en est ainsi, Jésus, par ses miracles, a remis en quelque sorte les choses au point, il a rétabli l'équilibre rompu, réorganisé la hiérarchie bouleversée. Bien loin d'être hors nature, il serait en pleine nature ; Christ serait dans ce cas le seul homme vraiment naturel, le seul véritable fils de l'homme, l'homme normal, et nous, par le fait du péché, nous serions des monstres, jusqu'à ce que en lui et par lui nous soyons rentrés dans l'ordre. Car nous croyons que l'ordre sera un jour rétabli sur la terre, nous croyons que la paix succédera à la tempête, nous croyons à la révélation sur la terre des fils de Dieu, après laquelle soupire toute la création. Alors il n'y aura plus de miracle, car tout sera miracle ; Dieu n'aura plus besoin d'intervenir d'une manière directe, car Il sera tout en tous, après avoir réconcilié toutes choses avec lui-même, par l'intermédiaire du Fils de l'homme, reflet de sa gloire, empreinte de sa personne, son Fils unique et bien-aimé.


CONCLUSION

Les glorieuses perspectives rappelées tout à l'heure, sont hélas ! encore bien éloignées. En attendant leur réalisation, nous devons vivre au sein d'une humanité devenue très sceptique à l'égard du miracle. Comment faire pour la ramener à la foi ? Évidemment, les miracles du monde matériel, même ceux du Christ, peuvent produire sur elle une certaine impression. Cependant ces miracles-là ne persuaderont jamais les incrédules, car ils pourront toujours invoquer le cours naturel des choses, ils pourront toujours dire que Dieu n'est pour rien dans tel ou tel événement qui se serait probablement produit sans intervention spéciale de sa part. Mais il est un miracle infiniment plus convaincant pour un incrédule, du moins s'il est sincère et droit et s'il a pris l'habitude d'écouter sa conscience et de lui obéir : c'est le miracle moral de la transformation de notre être. Nous l'avons dit, le plus grand des miracles évangéliques, c'est l'apparition, au sein de notre monde égoïste et corrompu, de la personnalité sainte et débordante d'amour du prophète de Nazareth. Pour convaincre la société incrédule et frivole, il faut que ce miracle se reproduise aujourd'hui, il faut que le monde, aussi égoïste et corrompu que jadis, voie dans les disciples du Christ des réincarnations de sa sainteté et de son amour. Si tous les chrétiens étaient de vrais miracles, le monde n'aurait pas tant de peine à croire au christianisme.

Devenir des miracles vivants au sein de la société contemporaine, des miracles d'amour et de perfection morale : tel est le programme proposé par le Christ à ses rachetés. Ce programme est difficile à remplir, il peut paraître impossible. Ce n'est pas une raison pour y renoncer, surtout si l'on se rappelle d'un côté la splendeur des résultats entrevus, la terre transformée en paradis rempli de la gloire de Dieu, de l'autre l'aide toute-puissante promise par le Dieu des miracles à ceux qui comptent sur lui :

- Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de l'Éternel (Genèse XVIII, v. 14) ! 

- Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Luc XVIII, v. 27).

-Tout est possible à celui qui croit (Marc IX, v. 23).
- Si vous aviez, dit Jésus, de la foi et que vous ne doutiez point, vous pourriez dire à cette montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer, et cela se ferait. Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez (Matth. XXI, v. 21, 22).

- En vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera des plus grandes, parce que je m'en vais au Père ; et tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai (Jean XIV, v. 12 à 14).


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. 1. Les Synoptiques, écrits bien avant le quatrième Évangile n'ont pas raconté la résurrection de Lazare, sans doute par prudence vis-à-vis de Lazare et de ses soeurs, qui probablement vivaient encore. Cinquante à soixante ans plus tard, le danger n'existait plus.

 

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