Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Fictions ou réalités?

AVANT-PROPOS

Le volume que nous présentons au public est comme la suite des Questions Vitales, parues il y a quelques années et rééditées récemment. Après avoir étudié les objets élémentaires et fondamentaux de la foi chrétienne, il nous a semblé utile d'aborder un second groupe de faits chrétiens, beaucoup plus contestés que les premiers, et qui n'en ont pas moins, selon nous, une très grande importance. Volontiers on traite de fictions ou de légendes certains de ces faits, on prétend qu'ils ont été ajoutés après coup pour embellir l'histoire primitive et authentique, et qu'ils n'ont aucune importance au point de vue pratique. Nous ne sommes pas de cet avis. Ce que nous avons pu observer dans plus d'un pays, l'expérience que nous avons faite et qui se renouvelle chaque jour, nous prouve au contraire que tout se tient dans le christianisme et que chacun des faits révélés a son importance et une grande importance dans le domaine de la vie et de l'activité. Les plus puissants remueurs de conscience, ceux qui ont amené au pied de la croix le plus grand nombre d'âmes, les disciples du Christ qui ont accompli l'oeuvre la plus durable et la plus profonde, ont toujours été ceux qui se sont montrés les plus fidèles aux faits de la révélation.

Cela n'empêche pas que l'esprit humain marche et que, pour s'assimiler le fond éternel de l'Évangile, il doit, suivant les besoins de l'époque, découvrir des manières nouvelles d'expliquer les choses anciennes. Beaucoup ne croient plus parce que leur conscience, éclairée par leurs études, ne leur permet plus d'en rester au point de vue traditionnel. Notre sincère désir et notre ardente prière seraient de les aider à revenir à ce qu'ils ont rejeté, en leur faisant entrevoir des solutions qui, pour être en une certaine mesure différentes des anciennes et plus conformes à la culture moderne, n'en sont pas moins respectueuses des vérités dont se sont nourris nos glorieux ancêtres, les Huguenots, et en général les grands chrétiens de l'histoire.
Genève, 18 mars 1903.

F. THOMAS.

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CHAPITRE 1
La Foi religieuse est-elle une Folie ?

En commençant une nouvelle série de conférences apologétiques, je dois à mes lecteurs un double aveu : le premier, c'est que je m'adresse ici aux douteurs plutôt qu'aux incrédules proprement dits. Ces derniers d'ordinaire ont leur siège fait ; leurs négations sont le résultat de raisonnements philosophiques plus ou moins serrés, ou, ce qui est beaucoup plus grave, de causes morales plus ou moins dissimulées ; inutile dès lors de chercher à les convaincre ; du reste, prendront-ils la peine d'ouvrir le présent volume ? Les lecteurs que j'espère avoir, ceux auxquels je m'adresse tout spécialement, sont plutôt les douteurs, c'est-à-dire ceux qui ne peuvent plus admettre ce qu'ils croyaient autrefois, et qui cependant souffrent de leurs doutes : ils sentent très bien que leur attitude spirituelle et morale ne saurait durer, c'est un état provisoire qui prépare autre chose : la foi ou l'incrédulité. Or ils ont le sincère désir de croire ; ils regrettent le temps où ils le pouvaient en bonne conscience, et ils ne demanderaient pas mieux que de voir leurs objections réfutées et l'accord rétabli entre leur intelligence et leur coeur.

Je me propose, dans ces études, de considérer quelques-uns des dogmes religieux les plus ébranlés aujourd'hui, et je m'efforcerai de prouver comment certaines données nouvelles, certains arguments modernes nous permettent de les accepter encore comme objets de la foi. Je ne prétends pas cependant que tous ces dogmes aient la même valeur, il en est de secondaires. Mais tous sont importants, car tout est coordonné dans la révélation, et telle pierre de l'édifice qui, au premier abord, semble superflue, apparaît comme indispensable à qui tente de la supprimer.

En outre, persuadé que la foi a un caractère rationnel, nous rejetons la formule antique : Credo qui a absurdum, sans pour cela voir dans les arguments intellectuels le fondement de nos convictions.

La foi ne se démontre pas, elle se montre ; quelqu'un qui ne voudra pas croire pourra toujours avancer des arguments intellectuels qui justifieront son incroyance. En dernier ressort, la foi est un acte de volonté et de liberté que chacun doit faire pour son propre compte, mais auquel il peut aussi se refuser. Les pages du présent volume pourront bien amener quelques âmes à la foi ou encore affermir ceux qui sont résolus à croire ; elles pourront fournir aux croyants des arguments pour leurs discussions avec les incrédules, elles ne produiront pas la foi chez l'homme de parti pris qui, d'avance, est décidé à ne pas se laisser convaincre.

Cela dit en forme d'introduction, je commence par le sujet général de la foi et je vais chercher une réponse à cette question : La foi religieuse est-elle une folie ? Question essentielle à traiter dès le début d'une série comme celle-ci, car si la réponse devait être affirmative, il serait préférable de nous arrêter de suite et d'aviser au plus vite aux remèdes appliqués d'ordinaire aux maladies mentales. En tout cas c'est bien l'opinion que se fait des chrétiens plus d'un de nos contemporains ; parfois on le dira ouvertement, voire même grossièrement, plus souvent on le pensera sans l'exprimer, et quand on rencontrera quelque croyant ou que l'on parlera de lui, ou ébauchera un sourire de moquerie ou de pitié, et ce sourire en dira plus long que bien des discours. Ce mépris n'est pas nouveau ; il en a été ainsi de tout temps, et si nous remontons à l'aurore du christianisme, nous rencontrons le même phénomène. Si l'apôtre Pierre et ses compagnons ont été accusés d'ivresse le jour de la Pentecôte, saint Paul, lui, fut interrompu dans son discours devant le roi Agrippa et apostrophé de la sorte par le gouverneur Festus : « Tu es fou, Paul ! Ton grand savoir te fait déraisonner. » Bien plus : du Maître lui-même plusieurs disaient : « Il a un démon, il est fou, pourquoi l'écoutez-vous ? » De là ce mot de l'apôtre Paul aux Corinthiens : « Nous sommes fous à cause de Christ (1 Cor. IV, 10). La prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés elle est une puissance de Dieu. Puisque le monde avec sa sagesse n'a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse ; nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens. Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages (1 Cor. I, 18 à 27). »

Quoi d'étonnant, puisque le Maître et les premiers disciples ont été traités de fous, que nous le soyons à notre tour ? C'est le contraire qui devrait nous surprendre ; peut-être ne sommes-nous pas suffisamment chrétiens pour être traités de fous. S'il nous arrive de l'être, ne nous plaignons pas, car nous sommes en nombreuse et excellente compagnie. Mais la question est précisément de savoir si la foi religieuse est réellement un indice de folie. Car la foi, au sens général du mot, je la retrouve partout, dans tous les domaines ; je m'aperçois en observant les hommes que tous vivent de foi : serait-ce la preuve que tous sont fous ? Écoutez plutôt. Si vous lisez l'histoire de la philosophie, vous serez surpris comme moi de voir la confiance extraordinaire que sut inspirer à une foule de disciples plus d'un philosophe distingué : l'un affirme que la matière seule existe et que l'esprit est une pure illusion, et des multitudes de gens intelligents poussés par leur foi en la parole du maître ne voient plus les manifestations de l'esprit et répètent en choeur, avec une conviction sincère, qu'effectivement la matière existe seule. Un autre au contraire se met à nier cette matière, pour lui tout est esprit, la matière est une pure illusion de nos sens, et la foule des disciples de répéter à l'envi l'affirmation du maître. Un troisième ose même avancer qu'il n'existe pas, que son existence à lui et celle des autres hommes est un rêve sans aucune réalité, et ce philosophe lui aussi trouve des gens pour croire à sa parole, bien que tout en apparence la contredise. Remarquez-le bien : je n'en veux pas aux philosophes et à leurs disciples d'admettre ainsi toutes sortes d'idées plus étonnantes les unes que les autres, je constate seulement ce grand fait que l'homme est un être qui croit, il a besoin de croire, et pour satisfaire ce besoin, il va jusqu'à fouler aux pieds les règles les plus élémentaires du bon sens et de la raison.

Il en est exactement de même de la science de la nature : elle a accumulé hypothèses sur hypothèses et toujours elle a trouvé des hommes en grand nombre pour croire ce qu'elle affirmait, quitte à avouer ensuite qu'elle s'était trompée. Ainsi, même les sciences physiques et chimiques reposent sur une hypothèse à laquelle tout le monde croit : l'existence de l'éther, matière impondérable et subtile qui serait partout et qui, par ses vibrations, expliquerait tous les phénomènes de lumière, de chaleur et d'électricité. Nous voyons des effets en grand nombre, nous sommes obligés de conclure à l'existence d'une cause et, bien que cette cause soit encore invisible, nous faisons sans peine l'acte de foi nécessaire pour croire à sa réalité. Et la matière elle-même, qu'est-elle ? Nul ne le sait, nous sommes pourtant obligés d'admettre sa réalité, bien avant que nous réussissions à l'expliquer.

Et dans le domaine médical, quels actes de foi vraiment prodigieux la Faculté nous demande par l'intermédiaire de ses doctes représentants ! Quand elle a découvert ou croit avoir découvert un remède nouveau ou quelque traitement inconnu jusqu'alors, quels que soient l'étrangeté et le prix de ce remède ou de ce traitement, tout le monde veut en essayer ; les cas de guérison sont rares, ou du moins peu connus, les sacrifices demandés par les médecins très considérables, peu importe, on a foi à la Faculté, on suivra coûte que coûte ses avis, quitte à la voir se tromper, et changer ensuite entièrement de méthode. Ah ! si les conducteurs spirituels obtenaient des fidèles le même zèle, la même obéissance, la même confiance que les médecins, quels merveilleux résultats seraient atteints ! Que l'on réfléchisse par exemple aux foules de poitrinaires qui, pour recouvrer la santé, quittent parents, amis, travaux ou plaisirs, pour aller s'établir en hiver sur de hautes montagnes et braver des froids sibériens. Quelle somme de foi de pareils sacrifices ne représentent-ils pas ? Et cela d'autant plus que le nombre des guérisons est encore peu de chose en comparaison des efforts faits et des sommes dépensées.

Quand nous étudions l'histoire ou la géographie ne sommes-nous pas obligés, à chaque instant, de faire acte de foi, car on nous parle de personnages, on nous décrit des pays que nous ne verrons probablement jamais, et cependant nous croyons à leur existence, parce que nous croyons à ceux qui nous l'ont affirmée. Et dans la vie de chaque jour, que faisons-nous d'autre que de croire encore et toujours ? Nous croyons à l'architecte et aux maçons qui ont construit la maison que nous habitons, à l'ingénieur et à ses nombreux collaborateurs qui ont établi la ligne de chemin de fer dont nous faisons usage, au commerçant qui nous vend sa marchandise, aux inconnus des pays lointains qui lui ont expédié le produit de leurs récoltes. Comment aurions-nous vécu si nous n'avions pas eu la foi, alors que, arrivés dans ce monde en ignorants, nous nous sommes mis à respirer un air, à boire un lait dont nous étions incapables de connaître la composition chimique : puis à digérer la nourriture prise sans même savoir que nous avions un estomac ? Encore maintenant, lorsque nous mangeons une bouchée de pain, nous faisons acte de confiance, puisque nous l'abandonnons aveuglément à nos organes intérieurs, bien persuadés que les transformations nécessaires se feront toutes seules, sans la moindre erreur. Et si vous me dites que rien n'est plus naturel, parce que vous en avez l'habitude et qu'une série interminable d'expériences vous ont prouvé que vous pouviez vous fier à votre organisme, je m'emparerai immédiatement de votre objection pour vous prouver que c'est là précisément ce qu'il s'agit de démontrer, à savoir que la foi est indispensable à la vie ; elle l'est même tellement qu'elle devient affaire d'habitude ou d'instinct à laquelle nous ne prenons plus garde et le jour ou nous voudrions la supprimer, la vie deviendrait impossible. Au début de l'évolution, la foi est toute instinctive, par exemple chez l'animal, le petit enfant ou l'homme à l'état sauvage, puis peu à peu elle devient consciente. tout en demeurant la foi.

Comment en serait-il autrement dans un monde de mystères tel que celui que nous habitons, étant donné l'ignorance extrême dans laquelle nous nous trouvons, malgré tous les progrès de la science ? Nous connaissons un certain nombre de faits positifs, mais combien nous échappent entièrement ! Nous avons pu découvrir la cause de plus d'un effet, combien d'autres phénomènes nous demeurent inexplicables ! Dès que nous voulons voir un peu plus loin, prolonger les lignes ou descendre au fond des choses, nous sommes arrêtés, nous nous trouvons au bord d'un fossé, voire même d'un abîme, et c'est alors que la foi doit intervenir, sinon le peu que nous savons nous impatiente et nous irrite en produisant en nous des soifs que rien ne vient étancher. C'est dans la foi que commence notre existence, c'est grâce à elle qu'elle peut se continuer, c'est dans la foi qu'elle doit se terminer, et si, par extraordinaire, la foi venait à être supprimée, ç'en serait fait de nous, notre vie deviendrait impossible. Que l'on se souvienne de ces malheureux hypocondres qui ont pris peu à peu l'habitude de se défier de tout et de tous, ils fuient la société, ils s'enferment loin du monde pour mener la plus triste des existences jusqu'au jour où ils meurent misérablement, victimes de leur défiance. N'est-ce pas ce qu'on appelle un maniaque ou un fou ? La folie serait-elle donc la conséquence de la disparition de la foi ? Je suis tenté de le croire, puisque la foi se retrouve partout et que l'homme cesse de vivre quand il cesse de croire. Mais alors, que penser de ceux qui accusent de folie les hommes de foi ?

Si ce que nous venons de dire est vrai, si la foi joue un tel rôle dans la vie humaine que, sans elle, cette vie devient impossible, je ne vois pas pourquoi il en serait tout autrement quand nous nous plaçons sur le terrain par excellence de la foi qui s'appelle le domaine religieux. Pourquoi sur ce terrain la foi devrait-elle cesser tout à coup ? Pourquoi est-elle rationnelle jusqu'ici et devient-elle soudainement ridicule ? Pourquoi la foi religieuse serait-elle folie quand ses autres manifestations sont raisonnables ? Car la foi religieuse ne fait pas autre chose que de prolonger les lignes commencées sous nos yeux, et qui toutes, sans elle, resteraient en suspens ; elle voit des effets en grand nombre, elle en cherche les causes, et surtout la cause première qu'elle appelle Dieu ; elle cherche d'autre part des buts à toutes les manifestations de la vie et surtout un but final qu'elle appelle Dieu. Ce Dieu, elle ne l'a jamais vu. cela est vrai, mais son existence s'impose à elle comme la seule hypothèse capable d'expliquer ce qu'elle voit ; dans un sens, ce Dieu est bien encore pour elle une supposition, mais une supposition nécessaire, comme l'éther sans lequel tout redeviendrait obscur et inexplicable dans le domaine de la science. En effet, la foi religieuse est tellement naturelle au coeur humain que l'on trouve chez les hommes de tous les temps et de tous les pays des religions plus ou moins rudimentaires ou tout au moins des vestiges de religion. On n'a jamais découvert de peuple foncièrement ou absolument irréligieux ; même ceux qui paraissent être les plus éloignés de l'idée d'un culte ont encore dans leur vie certaines coutumes, ou dans leur langage certaines expressions qui sont les derniers monuments d'une antique religion. S'ils ont abandonné ce culte, c'est une preuve de dégénérescence et non pas un retour à l'état primitif.

Je le sais, on pourra me citer des hommes et en bon nombre appartenant à nos pays civilisés qui se disent absolument athées et qui s'en vantent. Mais d'abord, il faudrait savoir s'ils sont parfaitement sincères, s'ils sont vraiment ce qu'ils veulent paraître.

Le coeur humain est si rusé et nous aimons tant à jouer un rôle et à nous rendre intéressants ! Et puis ceux qui sont sincères, et il y en a, nul n'a le droit d'en douter, n'ont probablement pas toujours été athées ; il y a eu des phases dans leur vie, ainsi pendant leur jeunesse, où ils avaient la foi religieuse.

Qui peut garantir qu'elle ne reparaîtra jamais ? Peut-on savoir ce qui se produira au jour de l'épreuve, en face du lit de mort d'un être tendrement aimé, ou quand eux-mêmes se trouveront arrivés sur le seuil du grand mystère de l'au-delà ? Je crois qu'alors il faut une dose de volonté considérable pour s'interdire froidement de soulever le voile et se défendre l'acte de foi si simple qui s'impose alors à toute raison humaine. Il faudrait connaître à fond le secret des coeurs, il faudrait être Dieu pour savoir exactement ce qui se passe dans le sanctuaire intime de l'âme humaine.

Au reste il est une observation facile à faire : très souvent les gens irréligieux sont superstitieux ; ne pouvant se passer d'une religion et n'en ayant point, ils en inventent une qui n'est autre chose que la caricature de la religion et qui s'appelle la superstition. Ils redoutent de voyager un vendredi, ils ont peur du chiffre 13 ; ils s'arrêteront à mille circonstances fortuites avant de prendre une décision ; ils recourront aux conseils d'une diseuse de bonne aventure, d'une tireuse de cartes ou d'une évocatrice des morts. On dit que dans nos pays civilisés cette catégorie de femmes jouissent d'une très haute considération et qu'elles reçoivent de nombreuses visites, même de gens intelligents et cultivés qui se piquent d'être irréligieux. C'est la revanche de l'instinct religieux foulé aux pieds. Tout le monde connaît l'exemple fameux du philosophe Auguste Comte, fondateur et chef de l'école positiviste : Après avoir démontré par ses écrits que l'humanité pensante a traversé trois phases dans son évolution, la phase de l'enfance ou religieuse, la phase de la jeunesse ou philosophique, la phase de l'âge mûr ou scientifique, après avoir catégoriquement affirmé que les hommes cultivés d'aujourd'hui devaient mettre résolument de côté la religion et la philosophie comme les restes d'un autre âge, pour adopter la science positive, seule religion et philosophie normales, il inventa dans la seconde partie de sa vie une religion avec un Dieu, l'Humanité, et un culte solennel dont il se fit grand-prêtre, lui le positiviste convaincu ! Nous ne lui en voulons pas, cela va sans dire, je cite ce fait uniquement pour montrer que l'homme, si cultivé qu'il soit, ne peut se passer d'une religion ; l'instinct est si puissant que tôt ou tard il reprend le dessus, quand bien même il aurait été refoulé avec énergie pendant de longues années. Tant il est vrai que la foi et la foi religieuse en particulier est innée au coeur de l'homme ! Il n'est donc pas si absurde de croire.

Mais encore est-il qu'il importe de bien s'entendre sur ce que l'on appelle la foi religieuse, car certaines de ses manifestations frisent la folie. Nous rejetons avec horreur par exemple tous les genres de fanatismes religieux, derviches tourneurs, persécuteurs sectaires, contemplateurs extatiques qui se laissent emporter bien haut dans les nuages en oubliant les humbles devoirs de chaque jour. Nous ne croyons pas qu'il faille approuver telles manifestations de la foi qui consistent par exemple à répéter sans cesse les mêmes prières sans que le coeur y prenne une part active. Il ne faut pas davantage approuver une foi religieuse toute intellectuelle qui consisterait à adopter un certain credo, peut-être très orthodoxe, mais qui n'aurait aucune influence sur la vie ; ni la foi toute de sentiment en vertu de laquelle l'homme religieux serait un illuminé, esclave de ses impressions, rempli d'enthousiasme peut-être, mais d'un enthousiasme maladif, ressemblant plus à l'exaltation du délire qu'à une conviction forte, sobre et morale.

La foi religieuse que nous demandons, et qui nous paraît seule digne de ce nom, repose d'aplomb sur l'être moral, et avant tout sur la conscience et la volonté ; elle éclaire cette conscience, elle lui montre le bien comme l'idéal à poursuivre envers et contre tout, et lui rend sa souveraine autorité, tellement que lorsque la conscience ordonne, il faut obéir, quoi qu'il puisse en résulter. La vraie foie religieuse transforme la volonté, elle l'excite au bien et lui communique la force de l'accomplir en l'identifiant avec la souveraine volonté de Dieu. En d'autres termes, la foi religieuse normale ne se sépare jamais de la morale, elle en est bien plutôt toute pénétrée, car elle donne à nos devoirs envers les hommes, nos frères, la plus haute des sanctions, puisqu'elle les considère comme des devoirs vis-à-vis de Dieu même. Par cette foi, nous voyons dans la créature la plus déchue une âme qui doit devenir un reflet de Dieu, et notre amour pour Lui nous oblige à nous dévouer pour elle. La religion vraie doit être la grande inspiratrice de toutes les oeuvres de philanthropie et de dévouement que nécessite le triste état du monde que nous habitons. N'est-ce pas ce qu'elle a cherché à réaliser sans y réussir toujours ? Elle doit donner à l'homme force et courage pour soutenir les luttes de la vie et l'empêcher de tomber dans le désespoir quand l'épreuve survient redoutable, terrible. Elle doit sans cesse l'aider à regarder en haut, les yeux fixés sur un idéal de perfection difficile à atteindre, cela est vrai, mais seul véritablement digne de l'être humain.

Et comment cela ? Parce que la foi qui n'est pas affaire de cérémonies extérieures, d'intelligence ou de sentiment, mais bien de conscience et de volonté, doit se manifester dans une relation intime et vivante avec un être tendre et puissant, elle est une relation filiale d'un fils avec son père, Dieu étant redevenu notre Père en Jésus-Christ, de telle sorte que celui qui s'unit à Christ, le Fils unique du Père, devient par là même fils à son tour et peut désormais vivre ici-bas comme un enfant dans la maison paternelle.

L'homme qui se connaît lui-même se sent faible, il a besoin d'un être fort tout près de lui qui l'aide et le soutienne : voilà pourquoi il croit au Dieu tout-puissant. L'homme qui se connaît lui-même se sent extraordinairement borné ; plus il avance plus il apprend qu'il ne sait rien ; à mesure qu'il réfléchit, il voit mieux que tout est mystère en lui et autour de lui : voilà pourquoi il croit en un Dieu qui sait tout et qui tient dans sa main la clef de tous les problèmes. L'homme qui se connaît lui-même sonde avec tristesse l'égoïsme et la méchanceté de son coeur ; altéré de sainteté, il constate chaque jour davantage sa profonde souillure : voilà pourquoi il croit en un Dieu dans lequel il contemple la pleine réalisation de l'idéal entrevu. L'homme qui se connaît lui-même a soif d'amour et de tendresse, et les affections terrestres, même les plus pures et les plus légitimes, ne peuvent pas étancher cette soif, le coeur reste là, souvent trompé, pleinement satisfait jamais : voilà pourquoi il croit au Dieu-Amour, source de toutes les affections, qui aime sans limite et que l'on peut aimer sans danger.

Il va sans dire que la foi religieuse normale doit produire une vie, une vie d'amour et de dévouement au service des autres ; elle doit amener l'homme à reproduire ici-bas la vie même de Dieu contemplée en Jésus-Christ, autrement elle n'est plus la foi, et peut bien alors mériter l'accusation de folie. Mais, je le demande à mes lecteurs, est-il réellement fou celui qui croit en Dieu et cherche à lui obéir ? Est-il réellement fou celui qui poursuit un haut idéal de perfection morale et qui se met dans les conditions voulues pour le poursuivre et pour l'atteindre ? Je me refuse à le croire : je trouve bien plutôt que cet homme est un sage, un vrai sage, tandis que l'autre qui ne croit à rien, qui ne sait d'où il vient ni où il va, qui en prend tranquillement son parti sans plus s'en préoccuper, ne mérite guère le titre d'homme sensé. Au reste saint Paul l'a dit dans le passage que nous citions tout à l'heure : « La croix est une folie pour ceux qui périssent, mais pour ceux qui sont sauvés elle est la sagesse même de Dieu. » Ce qu'il dit de la croix peut s'appliquer à la foi. Quiconque ne vit que pour la terre, quiconque s'imagine qu'après notre dernier soupir tout expire, puisque nous ne sommes que matière, ne peut pas, ne pourra jamais comprendre ni approuver ceux qui, par la foi, marchent les yeux fixés sur le monde invisible. Il faut choisir : ou bien se croire sage et l'être aux yeux des hommes, ou bien être fou pour le monde, mais en réalité sage pour Dieu. Tout bien compté, l'approbation de Dieu vaut celle des hommes.

Ceci m'amène à une double conclusion sous forme d'un double appel. Avant tout à ceux qui ont le bonheur d'avoir la foi. Qu'ils considèrent leur foi, non pas comme un mérite de leur part, source d'orgueil, mais comme une grâce infiniment précieuse. On peut vraiment se demander si la foi serait possible sans une action directe de Dieu. « Qu'as-tu que tu ne l'aies reçu, et si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifies-tu ? » (1 Cor. IV, 7) Non pas que Dieu arbitrairement accorde cette grâce aux uns et la refuse aux autres : je crois au contraire qu'Il désire la communiquer à tous, parce que tous en ont besoin. Gardons-nous bien de mépriser jamais ou de juger sévèrement ceux qui ne la possèdent pas, car nous ne connaissons pas les raisons de leur incrédulité. Peut-être serions-nous profondément humiliés en apprenant que c'est notre conduite ou nos paroles, à nous croyants, qui en a été la cause. Les inconséquences des chrétiens font infiniment plus de mal et créent infiniment plus d'incrédules que les attaques des ennemis de l'Évangile. Trop souvent notre morale n'est pas à la hauteur de notre religion, et c'est ce qui étonne, éloigne et scandalise. Le meilleur moyen de gagner à notre foi ceux qui ne la partagent pas, c'est de montrer que celle-ci nous donne une paix, une joie et surtout un amour que les autres ne connaissent pas. Aux obstacles que rencontre forcément l'homme sincère qui veut croire, n'ajoutons pas la pierre d'achoppement de nos inconséquences. Que notre foi se montre donc dans notre vie et nous persuaderons bien mieux les adversaires qu'avec de très forts arguments philosophiques, sans influence sur la vie de chaque jour.

Quant à ceux qui voudraient croire mais qui ne le peuvent pas, je les supplie de ne pas se faire un jeu de leurs doutes ; rien de plus dangereux, car le doute dont on plaisante risque très vite de devenir chronique et incurable. Le sujet est d'ailleurs assez grave pour exiger tout notre sérieux. Ne s'agit-il pas ici, en effet, d'une question de vie ou de mort ?

Et puis, soyez assurés que vous arriverez plus vite à croire par le moyen de l'expérience que par celui du raisonnement : discuter ne sert pas à grand'chose, car en discutant on reste sur le terrain de l'intelligence qui n'est pas celui de la foi ; expérimenter vaut infiniment mieux étant à la portée de chacun, au moins sous la forme d'une lecture de l'Évangile, ou d'une prière adressée au Dieu encore inconnu, mais auquel on demande une révélation intérieure. Mais ce qu'il faut surtout, c'est être fidèle à la lumière, si vacillante soit-elle, que l'on possède. Vous qui êtes sincères, vous croyez en tout cas au bien, cherchez à l'accomplir et le surplus vous sera donné ; agissez comme si vous aviez la foi, et l'action ne tardera pas à la faire naître en vous.

Allez plus profond encore et, rentrant en vous-mêmes, demandez-vous si vos doutes et votre incrédulité ne proviennent pas d'une cause morale ; êtes-vous bien sûrs que vous n'avez aucun intérêt à vous détourner de la foi chrétienne ? Cela peut paraître étrange, mais quand on réfléchit et que l'on observe les hommes, on s'aperçoit qu'à l'ordinaire ils croient ce qu'ils ont intérêt à croire : « Là où est votre trésor, là aussi sera votre coeur, » (Matt. VI, 21) disait Jésus ; j'ajouterai, là aussi sera votre foi. Or, l'homme qui vit dans le péché, péché grossier ou subtil, sensualité ou orgueil, l'homme qui vit et qui ne veut vivre que pour soi, est gêné par l'idée d'un Dieu vivant et saint qui prétend à la première place dans son coeur et dans sa vie ; l'homme qui veut être son propre maître, c'est-à-dire son propre dieu, est par là même condamné au doute et à l'incrédulité. Qu'il essaie sincèrement de changer de conduite, qu'il déclare la guerre au péché sous toutes ses formes, qu'il soit prêt, si Dieu existe et se révèle à lui, à le proclamer roi, et bientôt il s'apercevra qu'en effet Il existe et qu'Il règne. Il ne croyait pas, tant qu'il ne le voulait pas ; maintenant qu'il est résolu, il croit sans peine.

 

N'est-ce pas Jésus qui a dit : « Le jugement, c'est que la lumière étant venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient dévoilées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient manifestées puisqu'elles sont faites en Dieu. » (Jean III, 19 à 21)

 

« Ma doctrine n'est pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé. Si quelqu'un veut faire sa volonté, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de mon chef. » (Jean VII, 16 et 17)


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