DES RAYONS
ET DES OMBRES
CHAPITRE VII
Le coeur connaît sa propre
amertume
Pendant quelques minutes, Mm' Richard se tint
debout auprès de la couchette, regardant les
enfants endormies. Nelly vit que ses pensées
erraient au loin, car une expression de profonde
tristesse avait envahi son visage, si gai
habituellement. Se sentant tout à fait
oubliée, Nelly se glissa dans son lit, mais
elle ne pouvait dormir et, bientôt, elle vit
que Mm' Richard pleurait. Le coeur aimant de la
fillette fut touché en voyant le chagrin de
sa nouvelle amie et quoiqu'elle n'en pût
deviner la cause, ses propres larmes
commencèrent à couler. Elle
était bien lasse la pauvre petite Nelly,
bien seule aussi, et ce fut un gros sanglot qui
attira l'attention de Mm' Richard. Surprise, elle
se retourna en essuyant ses yeux et s'approcha du
lit de Nelly.
- Tu pleures, enfant, qu'as-tu
donc ? Je croyais que tu dormais.
- Je suis triste de voir que vous avez
du chagrin, murmura Nelly en jetant ses bras autour
du cou de sa nouvelle amie.
Mme Richard lui rendit sa
caresse.
- Je ne pleurais pas
précisément de chagrin, fit-elle,
mais la vue de tes petites soeurs a
réveillé dans mon coeur des
pensées douces et tristes à la fois.
J'ai eu moi-même une fois une fillette qui
était la joie de ma vie. Ma petite
May !
- Est-elle morte ? demanda Nelly
doucement.
- Oui, le Seigneur me l'a
reprise.
Après un moment de silence, Mme
Richard se leva et ouvrit un tiroir de commode tout
près du lit de Nelly. Une douce odeur de
lavande s'en échappa tandis qu'elle touchait
les petits vêtements soigneusement
pliés qui l'emplissaient.
- C'est ici que je garde les petits
souvenirs de ma chérie, expliqua-t-elle et
Nelly observa avec quel soin chaque objet avait
été enveloppé. Une minuscule
paire de souliers à peine usés, une
balle dont les couleurs s'effaçaient un peu,
un fragment d'étoffe dans lequel les petits
doigts malhabiles avaient planté une
aiguille pour « faire comme
maman ». Que de trésors renfermait
ce tiroir ! Avec quel amour la mère
touchait chaque objet qui lui rappelait
celle qu'elle aimait à
nommer son rayon de soleil ! Mais
bientôt revenant auprès de Nelly elle
lui dit d'une voix plus grave que
d'habitude :
- Ne pense pas, ma chérie, que je
voudrais rappeler ma petite fille auprès de
moi. Pourtant mon coeur a été bien
près de se briser quand elle est partie.
Mais j'ai appris maintenant que la volonté
du Seigneur est bonne et j'aime à savoir ma
fillette auprès de son Sauveur, dans le
bonheur parfait.
- A-t-elle été longtemps
malade ? demanda Nelly tout bas.
- Trois jours à peine. Le coup a
été si subit que je ne pouvais croire
que ma petite devait mourir. Mais pour elle ce ne
fut pas un coup, Nelly. Elle était
très jeune, presque un bébé
encore, mais elle aimait le Sauveur et
désirait le voir. Le dernier jour qu'elle
passa ici-bas elle semblait tout à fait
inconsciente et mon coeur se déchirait
à la pensée que ma chérie me
quitterait sans me donner une dernière
parole, un dernier regard. Dans mon angoisse, je me
penchai sur sa couchette et je l'appelai doucement.
Il sembla que ma voix la ramenait du seuil
même du paradis de Dieu où elle allait
entrer, car lentement ses grands yeux bleus
s'ouvrirent et elle me regarda
avec une expression intense que jamais je
n'oublierai. « Oh ! May, ma petite
May, m'écriai-je, sachant à peine ce
que je disais, ne veux-tu pas rester encore un peu
de temps avec papa et maman ? »
« Non, maman, répondit-elle dans
un souffle que je percevais à peine, je veux
aller vers Jésus ». Puis, voyant
peut-être mon visage angoissé, elle me
tendit ses petits bras. « Embrasse-moi,
maman ! » Je la serrai contre moi,
mais elle ajouta tout de suite :
« Je suis si fatiguée, je veux
dormir et aller vers Jésus ». Je
la recouchai doucement ; elle soupira une fois
et son âme s'était
envolée.
Nelly n'aurait pu parler. Après
quelques instants de silence, Mme Richard, faisant
un effort pour raffermir sa voix, dit presque
gaiement :
- J'ai beaucoup trop parlé ce
soir. Maintenant tu dois t'endormir tout de suite,
Nelly. Que dira ta maman quand elle saura que je
t'ai tenue réveillée aussi
longtemps ?
Ce fut avec un visage aussi serein que
d'habitude que Mme Richard rejoignit son
hôte. Elle trouva Mme Merton heureuse et
reposée.
- Je me sens tout à fait remise
maintenant, fit-elle. Je dois avoir dormi, je
crois.
- Dans ce cas nous pouvons avoir un
moment de bonne causerie, dit Mme
Richard en s'asseyant auprès d'elle. Elles
avaient beaucoup à se dire car elles
pouvaient parler ensemble de Celui qu'elles
aimaient toutes deux. Que d'expériences
n'avaient-elles pas faites l'une et l'autre de sa
grâce et de sa bonté ! Ainsi
chacune des nouvelles amies se sentit
rafraîchie par la foi qui se trouvait dans le
coeur de l'autre.
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