DES RAYONS
ET DES OMBRES
CHAPITRE V
Une amie
La petite troupe bien lasse suivit le chemin qui
serpentait entre les haies d'épine
noire ; l'homme qui s'était
chargé des bagages les
précédait. Après quelques
minutes il s'arrêta devant un portail
rustique.
- C'est ici, Madame. Dois-je porter les
malles dans la maison ?
Au même instant un paysan surgit
de l'obscurité grandissante. Il tendit une
grosse clef à Mme Merton.
- Il y a eu un accident, fit-il. Le
camion a versé en descendant la colline. Les
hommes ont eu beaucoup de peine à porter le
mobilier jusqu'ici. Ils n'ont fait que le
déposer dans la maison, n'importe comment et
ont refusé de rester pour monter les
lits.
- Je vous remercie, répondit Mme
Merton ; elle prit la clef tranquillement,
mais son courage était presque à
bout.
- Entrez les malles, je vous prie,
ajouta-t-elle en se tournant vers
le portefaix. Elle suivit la longue allée
conduisant au petit cottage et ouvrit la porte
d'entrée au-dessus de laquelle les plantes
grimpantes formaient un épais
rideau.
Quel spectacle attendait les
voyageurs ! Le chaos régnait partout.
Les meubles avaient été jetés
n'importe où, dans le désordre le
plus absolu ; une affreuse odeur de moisissure
émanait des chambres trop longtemps closes
et un froid humide et pénétrant
glaça les arrivants jusqu'à la moelle
des os !
- Que le Seigneur nous soit en aide,
soupira la pauvre Marie en se laissant tomber sur
la première chaise venue, le
bébé toujours dans ses bras. Ces
sans-coeurs nous ont laissés dans un triste
état. Comment se procurer de la nourriture,
des lits et du feu ce soir ? Dieu seul le
sait.
Pendant ce temps, Mme Merton avait
congédié l'homme aux bagages et
maintenant elle entrait dans la chambre tenant Mimi
et Lili par la main. Dès que les petites
virent la confusion qui régnait partout,
elles se mirent à pleurer.
- Je déteste ce vilain endroit,
sanglotait Mimi ; je veux ma chère
maison à moi.
- J'ai faim, j'ai très faim,
gémissait Lili.
Ces lamentations
réveillèrent Jean qui
naturellement joignit ses
hurlements à ceux de ses soeurs. Quant
à Nelly, elle avait bonne envie de pleurer
aussi. Mais un coup d'oeil jeté sur le
visage pâle et tiré de sa mère
lui fit oublier sa propre lassitude.
« Sois brave et patiente »,
avait dit papa. C'était le moment de s'en
souvenir. Alors Nelly supplia silencieusement le
Seigneur de lui aider à être un bon
soldat de Jésus Christ et sa prière
fut entendue.
Les lamentations des enfants
ranimèrent l'énergie de la brave
Marie. Elle se leva d'un air
déterminé, remit le
bébé entre les bras de sa mère
et s'apprêtait à tenter un voyage de
découverte dans la région de la
cuisine, lorsque tout à coup une voix douce
et claire les fit tous tressaillir.
- Puis-je entrer ?
Sans attendre la réponse, une
jeune femme dont le visage rayonnait de
bonté traversa le vestibule d'un pas
léger. Un coup d'oeil lui suffit pour se
rendre compte de la situation : elle vit
l'affreux désordre qui régnait dans
la maison, les enfants fatigués, la
mère pâle et patiente, la bonne
chargée de soucis.
S'avançant vers Mme Merton, elle
lui tendit la main.
- Chère madame, j'ai
guetté votre arrivée tout
l'après-midi. Ayant appris
l'accident survenu au camion,
j'ai tout préparé pour vous recevoir
chez moi ; vous devez être si
fatiguée et les enfants aussi. Le souper
vous attend, ne voulez-vous pas venir avec
moi ?
Mme Merton écoutait avec
stupéfaction. Qui donc pouvait être ce
bon ange ? Celle qui lui parlait était
une inconnue pour elle, et pourtant il lui semblait
l'avoir connue et aimée toute sa vie. La
dame vit l'étonnement qui se peignait sur le
visage de son interlocutrice. Elle se mit à
rire, d'un rire très jeune et très
joyeux.
- Naturellement j'ai commencé par
la fin et ne vous ai pas dit mon nom. Permettez-moi
de me présenter à vous comme Mme
Richard, votre plus proche voisine. Quel bonheur
que nous habitions si près l'une de
l'autre ! J'ai appris dimanche dernier dans
notre petite réunion que vous veniez vous
installer ici. Puis elle ajouta doucement, tandis
que le regard de ses yeux bruns se faisait
très doux et très
affectueux :
- Chère madame, vous ne me
refuserez pas le privilège de vous recevoir
chez moi avec vos enfants.
Maintenant Mme Merton connaissait le
secret de tant de bonté ! Elle avait
à faire à une enfant de Dieu. Jamais
encore, elle n'avait
réalisé à ce point la force du
lien qui unit entre eux les rachetés du
Seigneur. Son émotion l'empêcha de
répondre pendant un instant, mais Mm'
Richard ne se trompa pas quant à
l'expression des yeux baignés de larmes qui
se levèrent vers les siens. Au même
moment, la vieille bonne survint, son large visage
illuminé par un bon sourire.
- Le Seigneur vous bénira,
Madame, car vous avez témoigné de la
bonté à ma chère
maîtresse ; nous serons tous
reconnaissants de quitter cet affreux
désordre pour nous trouver sous un toit plus
hospitalier !
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