DES RAYONS
ET DES OMBRES
CHAPITRE III
Autour de la table de famille
Malgré le sombre nuage qui planait sur
elle, c'était une heureuse famille qui se
rassembla ce matin-là autour de la table du
déjeuner.
Une douce brise pénétrait
dans la salle à manger par les baies
largement ouvertes, apportant avec elle le parfum
de mille fleurs. Deux belles roses jaunes se
balançaient sur leur tige à hauteur
de l'appui de la fenêtre et leurs
pétales d'or encore humides de rosée
semblaient souhaiter une joyeuse bienvenue aux
occupants de la pièce.
Tous les enfants étaient
là naturellement et Nelly, assise à
côté de sa mère, aidait
à servir les petits. Un lien tout nouveau
s'était formé entre la mère et
l'enfant, depuis leur conversation de la veille au
soir. Mme Merton sentait instinctivement qu'elle
n'avait pas mal placé sa confiance et
pourtant elle n'avait pas échangé un
mot avec sa petite fille ce
matin-là sur le sujet qui les
préoccupait toutes deux. Mais les yeux de
Nelly disaient clairement : « Tout
va bien, maman », et quand sa mère
lui avait souri, l'enfant avait compris sa
pensée. « Ma fillette cherche
à porter son épreuve courageusement
avec la force que le Seigneur
donne. »
Sûrement cela aurait amusé
mes petits lecteurs de voir avec quel
sérieux Lili et Mimi se tenaient à
table, avec leurs poupées assises sur une
chaise entre elles deux ; une tasse et une
assiette minuscules étaient placées
devant chaque poupée et les fillettes
n'auraient pas avalé une bouchée
avant de les avoir servies. Fréquemment
elles leur offraient une cuillerée de
nourriture en disant : « Essaie donc
de manger quelque chose, ma chérie, tu dois
avoir bien faim. »
Quelquefois, si Mimi oubliait un peu les
usages, Lili la menaçait de son petit doigt
et l'exhortait :
- Oh ! Mimi, comment peux-tu
être si sotte ? Jamais ta poupée
ne sera gentille et ne se conduira bien à
table si tu ne lui montres pas le bon
exemple.
Mais c'était le cadet qui, plus
que tout autre, apportait vie et gaîté
dans la famille. Jean avait dix-huit mois. Un beau
garçon, rose et joufflu,
avec une tête bouclée et des yeux
pleins de malice. Il occupait sa chaise de
bébé à côté de
son père et s'amusait de tout ce qui lui
tombait sous la main.
En ce moment, la femme de chambre entra
apportant le courrier. La première lettre
que lut M. Merton sembla l'émouvoir
étrangement. Une exclamation lui
échappa.
- Qu'y a-t-il donc ? demanda la
mère anxieusement.
- Notre Dieu est Celui qui fait des
merveilles, répondit le père et sa
voix tremblait. J'ai osé douter de Lui, de
Sa puissance, de Son amour. Et pendant ce temps Il
menait tout à bonne fin pour nous. Cette
lettre m'a été adressée par un
ancien camarade de
collège ; il a appris qu'elles
étaient nos difficultés et maintenant
il m'écrit avec infiniment de tact et de
bonté, m'offrant une bonne place dans une
affaire qu'il dirige dans le Devon
(1). Le salaire
qu'il propose sera suffisant pour nous permettre de
vivre simplement à la campagne.
Cette bonne nouvelle était si
complètement inattendue que Mme Merton ne
put répondre tout de suite. Si grande
était son émotion qu'elle se
détourna vers la fenêtre ouverte pour
que les enfants ne voient pas les larmes qui
jaillissaient malgré elle. Mais de son
coeur, débordant de reconnaissance, les
actions de grâces montaient vers le
trône de Dieu.
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