DES RAYONS
ET DES OMBRES
CHAPITRE II
Il prend soin de vous
Les rayons du gai soleil d'été
pénétraient clairs et brillants dans
la chambre lorsque Nelly se réveilla le
matin suivant. Elle ouvrit les yeux avec un
étrange sentiment de lassitude et de
tristesse ; jamais encore elle n'avait
éprouvé chose pareille.
Sa joyeuse enfance s'était
écoulée jusque-là sans un
nuage. Entourée d'affection et
possédant tout ce qui peut rendre un enfant
heureux, sa jeune vie s'était
épanouie comme une fleur sous les douces
caresses du soleil. Mais maintenant Nelly se
trouvait en face de la leçon que tous les
enfants de Dieu, jeunes ou vieux, doivent apprendre
tôt ou tard : « Vous aurez de
la tribulation dans le monde ».
Pendant un instant la fillette se
demanda ce qui s'était passé, puis la
triste réalité lui revint en
mémoire. « Papa est très
pauvre et nous devons quitter notre chère
vieille maison ! »
« Être pauvre ! »
Nelly ne comprenait guère ce que cela
signifiait, mais abandonner la maison où
elle avait toujours vécu, se séparer
de sa chère institutrice -
cela elle ne le comprenait que trop bien et son
coeur se serra douloureusement.
Elle se leva et s'habilla tout doucement
pour ne pas éveiller les petits, car l'heure
était encore très matinale.
Lorsqu'elle fut prête, elle ouvrit la
fenêtre toute grande et, la tête
appuyée sur sa main, elle regarda le paysage
familier. Certains enfants l'auraient
peut-être trouvé un peu
austère, mais Nelly en aimait chaque
détail.
Les Merton habitaient une vieille ville
de province et leur maison était bâtie
dans le proche voisinage de l'antique
cathédrale. À travers la brume du
matin, Nelly distinguait les sveltes tourelles du
majestueux édifice et le vieux beffroi dans
lequel les hiboux avaient élu domicile.
L'enfant avait toujours vécu à
l'ombre de ces murailles séculaires ;
comment s'en éloigner maintenant ? Plus
loin, elle voyait les grands ormes où
nichaient les corneilles ; elle distinguait
leurs nids débraillés dans les hautes
branches et même le cri discordant des noirs
oiseaux lui était cher. Ne faisait-il pas
aussi partie pour elle de « la
maison » ? Et le vieux jardin dont
les allées moussues dévalaient
jusqu'au ruisseau qui coulait gaiement à
l'ombre des saules ; et la pelouse où,
depuis sa plus petite enfance, elle
avait cueilli pâquerettes
et boutons d'or ; et le gros marronnier dans
l'écorce duquel des
générations d'enfants avaient
taillé les initiales de leurs noms ; et
les plates-bandes encerclées de buis...
Ensuite les yeux de Nelly se reportèrent sur
sa chambre si jolie, si confortable dans laquelle
maman avait rassemblé tout ce qui peut faire
plaisir aux petits et aux grands enfants.
Tout cela il faudrait le quitter et,
à cette pensée, Nelly se mit à
pleurer de nouveau, non pas comme la veille en gros
sanglots, mais très doucement et très
amèrement aussi.
Puis, tout à coup, quelques
lignes d'un cantique que vous connaissez aussi lui
revinrent à l'esprit.
« Pour vous, enfants,
Jésus quitta la gloire Qui l'entourait dans
la splendeur des cieux... »
« Jamais je n'avais
pensé à cela, se dit l'enfant.
Jésus a tout quitté pour me sauver.
Et moi, qu'ai-je fait pour lui ? »
Elle essaya de se rappeler une occasion où
elle aurait renoncé à quelque chose
pour le Seigneur. Hélas ! sa vie tout
entière lui apparut comme un tissu
d'égoïsme absolu. « Hier, je
désirais mourir pour lui et maintenant je
murmure parce qu'Il me demande de
quitter cette maison ! Comme je suis ingrate
et méchante ! »
Nelly soupira profondément en
réalisant sa faiblesse. Alors elle repensa
aux paroles de sa mère. « Tu ne
peux rien faire avec ta propre force, mais le
Seigneur t'aidera. » Puis elle
répéta tout bas le verset appris la
veille et dont elle avait à peine saisi la
signification au moment même.
« Rejetant sur Lui tout votre souci, car
Il a soin de vous ».
Alors, avec sa confiance enfantine,
Nelly se mit à genoux et raconta au Seigneur
Jésus tout son grand chagrin. Elle le fit
très simplement et se releva toute
réconfortée. Celui qui aime les
petits avait écouté sa prière
et maintenant il avait rempli le coeur de la
fillette de Sa précieuse paix.
Nelly se souvint tout à coup
combien elle avait été
méchante envers sa petite soeur la veille.
Elle courut bien vite à l'armoire des
jouets, en tira le trésor malmené de
Mimi et, au bout de quelques minutes, la jambe
déchirée était solidement
cousue et la poupée placée dans les
bras de la fillette encore endormie.
La grande soeur ne regretta pas la peine
qu'elle s'était donnée lorsqu'elle
vit le regard stupéfait et ravi à la
fois dont Mimi, à son réveil,
enveloppa son enfant chéri.
- Tu n'es plus cassée,
murmurait-elle en la caressant, tu es tout à
fait guérie et Nelly est gentille
maintenant.
Il fallut alors éveiller Lili
afin qu'elle partageât la joie de sa
jumelle.
Grandes fillettes qui lisez ces lignes,
avez-vous jamais pensé qu'en vous oubliant
un peu vous-mêmes vous pouvez amener un
sourire joyeux sur les visages de vos petits
frères et soeurs ? Avez-vous jamais
réalisé que c'est là ce que le
Seigneur demande de vous ?
Quelques minutes plus tard, en
descendant le large escalier de chêne noirci,
Nelly rencontra son père qui sortait de sa
chambre. Comme il était pâle et triste
! L'enfant, toute consternée, courut
à lui et l'embrassa tendrement.
- Ma petite fille est un vrai rayon de
soleil, ce matin, fit M. Merton en caressant
doucement la tête de Nelly. Maman m'a dit
pourtant que tu étais bien triste hier au
soir. Où donc sont partis tous tes
chagrins ?
Et, à part lui, le père se
disait Les enfants oublient si
vite ! »
Nelly cacha sa figure sur
l'épaule de son papa : elle n'osait
parler. Puis, prenant courage, elle dit
doucement :
- J'étais très,
très triste ce matin, papa, mais j'ai
raconté mon chagrin au Seigneur
Jésus ; c'est Lui qui
le porte maintenant. Il le peut tellement mieux que
moi.
M. Merton se pencha bien bas sur sa
petite fille et l'embrassa. Il sembla à
Nelly, lorsqu'il se redressa, qu'il essuyait une
larme. Mais peut-être se trompait-elle. Les
papas ne pleurent pas.
- Tu as enseigné une leçon
à ton papa, Nelly, fit-il d'une voix toute
changée et il rentra dans sa chambre en
fermant la porte derrière lui.
« Que veut-il
dire ? » se demanda l'enfant. Papa
en savait tellement plus qu'elle dans tous les
domaines ; jamais elle ne pourrait lui
enseigner quelque chose. Pourtant les paroles si
simples de la fillette avaient
pénétré jusqu'au coeur du
père. Il sentit qu'il ne possédait
pas la foi de son enfant. Il venait de passer une
nuit sans sommeil, se tourmentant à chercher
une issue qu'il ne trouvait pas ; il avait
prié, sans doute, mais s'était
relevé de sa prière sans avoir
déposé son fardeau. Pourquoi ?
Ah ! c'est qu'il ne pouvait se confier dans le
Seigneur pour ce qui concernait la vie de tous les
jours, et pourtant il s'était confié
en Lui pour son salut éternel. Maintenant il
voyait sa faute et, s'agenouillant de nouveau, il
supplia Dieu de lui accorder la foi d'un petit
enfant ; et, tandis qu'il priait
ainsi, de douces paroles de
consolation lui revinrent à la
mémoire. Une voix familière semblait
les murmurer à son oreille :
« Ne soyez pas en souci pour votre vie,
de ce que vous mangerez et de ce que vous boirez,
ni pour votre corps, de quoi vous serez
vêtus : la vie n'est-elle pas plus que
la nourriture, et le corps plus que le
vêtement ? Regardez aux oiseaux du
ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent,
ni n'assemblent dans des greniers, et votre
Père céleste les nourrit. Ne
valez-vous pas beaucoup mieux qu'eux ? Ne
soyez donc pas en souci, disant : Que
mangerons-nous ? ou que boirons-nous ? ou
de quoi serons-nous vêtus ? car votre
Père céleste sait que vous avez
besoin de ces choses. Lui qui n'a pas
épargné son propre Fils, mais qui l'a
livré pour nous tous, ne nous donnera-t-Il
pas aussi toutes choses avec
Lui ? »
Alors M. Merton courba la tête et
dit :
« C'est assez, Seigneur ;
je sais que Tu es fidèle. Tu me conduis par
un chemin que je n'ai pas suivi jusqu'ici, mais Tu
me tiens par la main et j'ai confiance en Ta
sagesse et en Ton amour ».
Ce fut ainsi que la petite Nelly aida
à son papa.
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