Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE XCVI.
Février 1847
Je vous en supplie, ne décidez pas
d'avance ce que vous voudriez trouver dans la
Bible...
J'ai appris que vous avez de petites
réunions, où vous étudiez la
Parole verset après verset, et, pour ainsi
dire, mot après mot. C'est un bien bon
exercice, surtout entre personnes qui connaissent
l'original et qui suivent les règles d'une
saine critique, sans lesquelles on peut
s'égarer, même avec de bonnes
intentions.
Je ne vous parlerai pas de celles de ces
règles qui se rapportent à là
science ; mais permettez-moi de vous dire
quelques mots de celles que je pourrais appeler
spirituelles, et qui tiennent plutôt au fond
qu'à la philologie.
1° Je pense que la première
de toutes les règles d'une bonne critique,
c'est de demander instamment au Seigneur
d'être sous la conduite de son Esprit de
vérité, sans lequel la lumière
qui est en nous n'est que
ténèbres.
2° La seconde, de chercher la
vérité avec un coeur droit et humble.
- Le secret de l'Éternel est pour ceux qui
le craignent. Un coeur qui n'est pas droit
décompose tous les rayons de la
lumière, et ne laisse passer que ceux qui
lui conviennent.
Celui qui aime le rouge voit tout
rouge ; celui qui aime le jaune voit tout
jaune ; mais celui qui aime toute
lumière venant de Dieu, voit dans la Parole
les sept couleurs de l'arc-en-ciel dont Dieu
entoure son trône.
Il ne faut chercher dans la Parole, ni
l'Église nationale, ni les assemblées
darbystes, ni les assemblées
séparées, ni l'Eglise libre, ni autre
chose. Il n'y faut chercher ni l'élection
absolue, ni l'élection conditionnelle, ni
Christ mort pour tous, ni Christ mort pour
quelques-uns. Il faut y chercher ce qui s'y trouve.
Les exemples de mauvaises traductions,
venant de préoccupations
fâcheuses ; se trouvent dans toutes les
versions et ne sont que trop nombreux.
Je pleurerais volontiers quand je pense à
de pareilles choses. - Du moins cela me porte
à crier à tous ceux qui s'occupent de
l'examen du texte : « Je vous en
supplie, ne décidez pas d'avance ce que vous
voudriez trouver dans la Bible, ne l'arrangez pas
à vos idées mais rangez vos
idées d'après les
siennes. »
3° La troisième
règle, c'est de chercher à
s'instruire dans un but toujours pratique. Dieu
bénit ceux qui étudient sa Parole
dans ce but. La pratique est la
contre-épreuve des erreurs et les fait
souvent apercevoir. La pratique garde dans
l'humilité, et l'humilité garde
l'intelligence. Au rebours, l'esprit d'orgueil et
de vaine science, en nous enflant, nous fait
tourner la tête et désharmonise nos
facultés. Si une fois on se laisse aller
à la curiosité, si l'on fait de
l'esprit avec la Bible, il n'y a pas de folie qu'on
ne puisse défendre sérieusement, et
en cela on engendre sa punition. Les
prétentions à l'esprit sont souvent
punies par l'absurdité.
4° Enfin, il faut
interpréter les Écritures par les
Écritures, considérer un passage dans
son entier et dans son contexte, et ne jamais
l'isoler du reste de la Parole de Dieu.
Les paroles de la sagesse sont des
perles enfilées, est-il dit dans les
Proverbes. Lorsqu'on veut en séparer une
pour la voir seule, il faut défiler tout le
collier. Une fois défilé, tous ne
savent pas le reformer, et, faute de pouvoir vous
présenter un collier, chacun vous
présente continuellement la même
perle, la tourne et la retourne de tous les
côtés, l'enchâsse aussi bien
qu'il peut, s'en fait une bague et dit :
Voilà la vérité !
Quant à moi, j'aime le collier,
tout le collier, toutes les grâces
enfilées telles que Dieu me les
présente dans sa Parole. Le lien qui les
traverse toutes et qui les unit est couleur
écarlate, et il se nomme foi,
espérance et amour.
Peut-être serez-vous un peu de mon
goût.
LETTRE
XCVII
Quand les âmes seront bien unies au
Chef, elles seront bien unies entre elles.
À propos de divisions, comme vous
ne connaissez pas le grec, je crois qu'il est bon
que je vous dise qu'il y a deux mots
différents qu'on a traduits tous deux par
division. Le premier, qui répond au mot
français schisme, signifie une
déchirure ; c'est le même mot qui
est employé lorsque notre Seigneur dit,
qu'en cousant une pièce de drap neuf
à un vieil habit, la déchirure en
devient pire. C'est le mot qui est employé
1 Cor. XII, 25.
Le second mot employé en grec,
signifie une coupure en deux ; c'est le mot
qui est employé
Gal. V, 20, et
1 Cor. III, 3. Dans ce dernier
passage, Osterwald l'a traduit par le mot
parti.
Je souhaite, mon cher frère, que
Dieu vous revête d'un esprit de
charité, de force et de prudence, afin que
vous puissiez combattre selon
Lui et avec succès contre toute erreur que
vous rencontrerez sur votre chemin. Mais
souvenez-vous qu'il faut toujours accompagner tout
ce qu'on fait de beaucoup de prières ;
car si nous agissons dans notre propre esprit et
dans notre propre force, nous serons battus ;
mais si Dieu est avec nous, qui sera contre
nous ? Il faut aussi s'humilier, car Dieu
punit souvent par l'erreur, le peu de profit que
l'on a fait de la vérité, et par les
divisions, le peu d'union intérieure que
l'on a eue pendant que l'on jouissait de l'union
extérieure.
Il faut demander à Dieu de nous
purifier d'interdit, et de nous vivifier. La vie
est le meilleur préservatif contre l'erreur.
La vérité marche avec la
charité. Travaillez à attacher les
âmes à Jésus, à leur
faire voir qu'elles ont tout en Lui ; alors
elles n'auront pas cette espèce
d'inquiétude qui fait qu'elles se laissent
emporter à tout vent de doctrine.
Quand elles seront bien unies au Chef,
elles seront bien unies entre elles, et elles ne se
diviseront pas pour des choses secondaires, comme
par exemple d'appeler président un homme qui
exerce le don de présider, ou de ne point
lui donner de nom ; de parler depuis un
pupitre un peu exhaussé, ou de parler
étant de niveau avec les autres
frères. Si quelqu'un se dit conduit par
l'Esprit, alors qu'il ne soit pas assez formaliste
pour attacher de l'importance à de pareilles
choses, et qu'il ne prétende pas qu'elles
gênent en lui l'action du saint-Esprit.
L'orgueil n'est pas dans les marches d'un pupitre
ou d'une chaire, mais dans les marches de notre
misérable coeur où il se cache sous
toutes les formes, même sous les formes les
plus humbles en apparence.
Que le Seigneur vous garde et vous soit
en aide Si vous êtes obligé de
combattre une erreur parmi des frères, Dieu
vous donne de le faire toujours avec un sentiment
de charitable douleur, et en soupirant après
de meilleurs temps !
LETTRE
XCVIII
Grâces absolues et grâces
conditionnelles!
Cher frère en notre
Seigneur,
Ne voulant pas m'en fier à moi
seul pour le jugement à porter sur le sens
que le frère.... donne à la
cinquième demande de l'oraison dominicale,
j'ai communiqué sa lettre à deux
ministres du Seigneur et j'en ai
conféré avec eux. Nous nous accordons
tous trois à regarder ce sens comme faux et
forcé. Voici en gros les raisons qui me
paraissent le prouver.
1° La distinction que fait ce
frère des grâces accordées aux
élus, en grâces absolues et
grâces conditionnelles, me paraît
subtile et peu fondée.
Toutes sont absolues, en ce que Dieu a
décrété de toute
éternité non seulement le salut des
élus, mais encore le degré de
grâces qu'Il veut accorder à chacun.
Il appelle grâces conditionnelles
celles qui sont telles, qu'il faut d'abord avoir
rempli certaines conditions pour les obtenir. Mais
dans ce cas, comme toutes les grâces de Dieu
ont une certaine succession, en quelque sorte
réglée, tellement que l'une n'arrive
qu'après une autre déjà
reçue, c'est là sans doute ce qu'il
appelle une condition remplie ; car dans le
langage chrétien une condition remplie est
une grâce de Dieu qu'on reçoit, afin
de pouvoir en recevoir une autre. Il s'ensuit que,
sauf la première grâce que Dieu
accorde à une âme quand Il agit en
elle pour l'amener à Jésus, toutes
les autres seraient conditionnelles.
La foi au salut serait conditionnelle,
car elle suppose la croyance à notre
perdition naturelle ; cette croyance serait
à son tour conditionnelle, car elle suppose
l'amour de la vérité qui fait
recevoir ce que dit la Bible, quelque opposé
qu'il soit à notre
orgueil.
La sanctification serait conditionnelle,
car elle suppose la foi ; et chaque
degré de sanctification serait conditionnel
en ce qu'il suppose celui qui l'a
précédé.
Ainsi tout dans un sens est absolu,
c'est-à-dire que tout est absolu dans le
décret de Dieu ; et dans un autre sens
tout est conditionnel, c'est-à-dire que dans
l'ordre de succession toute grâce en suppose
une déjà reçue. Il me
paraît de là que la distinction
établie par.... s'évanouit.
Je suis sûr, dit-il, que Dieu me
sanctifiera finalement, mais je ne suis pas
sûr qu'il me sanctifiera aussi promptement
qu'un autre, qu'il me fera passer par des voies
aussi douces, etc., etc.
Je ne le nie pas, répondrai-je,
mais je suis sûr que Dieu a
décrété d'avance de me
conduire par telle et telle voie, et que cela est
aussi bien résolu que mon salut. Si donc je
ne dois pas demander à Dieu une chose qu'il
a décrétée et qui m'est
nécessaire, je ne devrai pas plus Lui
demander les grâces que le frère....
appelle conditionnelles, que je ne dois, à
son avis, demander les autres ; et comme il
dit : « Demanderons-nous à
Dieu ce que nous avons déjà
reçu ? ne serait-ce pas un acte
d'incrédulité ? »
Moi je dirai aussi des grâces
qu'il appelle conditionnelles : Demanderai-je
à Dieu ce qui accompagne le don du salut, et
ce qu'il a déjà
décrété envers mon
âme ? Comment Celui qui n'a point
épargné son propre Fils, mais qui l'a
livré à la mort pour nous tous, ne
nous donnera-t-Il pas toutes choses avec Lui ?
N'a-t-Il pas dit que toutes choses concourent
ensemble au bien de ceux qui l'aiment,
savoir : de ceux qu'il a appelés selon
le dessein qu'il en avait formé ? Je
sais qu'il m'a appelé, qu'ainsi, selon sa
promesse, tout contribuera à mon bien.
Irais-je donc, incrédule que je suis,
demander à Dieu une chose qu'il m'a promise
et dont je suis sûr ?
Avec ce raisonnement nous ne devrions
jamais rien demander, car nous ne demandons rien,
quand nous prions en chrétiens, que nous ne
soyons sûrs d'obtenir, puisque Dieu a promis
toutes choses avec son Fils,
puisqu'il a promis que tout contribuera à
notre bien. Que pourrions-nous demander d'autre,
que pourrions-nous désirer de plus ?
Le fait est que le chrétien ne
demande rien dont il ne soit sûr, rien que
Dieu n'ait promis et qui dans son décret ne
soit déjà accordé ; et
voilà précisément ce qui fait
la grande douceur de la prière du
chrétien et sa confiance.
Quant à la difficulté de
savoir pourquoi on demande une chose
déjà sûre, je réponds
que c'est là la même objection que les
incrédules ont faite contre la
prière ; mais elle n'en est pas une
pour le chrétien qui sait que Dieu ordonne
de prier, et a établi la prière comme
le canal par lequel ses grâces arrivent
à nous ; tellement que quand Il veut
accomplir son décret envers nous, Il nous
fait prier. D'ailleurs la prière nous force
à sentir nos besoins, à nous
humilier, et à tourner les yeux vers Celui
qui nous donne tout secours.
Comme les grâces n'arrivent que
par la prière, nous sommes ainsi
fortifiés dans l'humble pensée que
toutes viennent de Dieu. Et comme toutes sont
promises à la prière et arrivent par
la prière, nous avons dans cet acte
même une nouvelle preuve que Dieu veut nous
les accorder, et c'est pourquoi l'acte seul de la
prière est déjà une immense
consolation dans nos détresses, sans compter
qu'il est si consolant d'exposer ses besoins
à Dieu, et qu'il est si naturel au
chrétien de pousser vers Lui le cri du coeur
en détresse, et de dire :
« Jésus, fils de David, aie
pitié de moi ! » - Heureux
les simples qui, sans raisonner, demandent à
Dieu ce qu'il a promis, et le demandent avec
confiance parce qu'il l'a promis !
2° Le frère.... met au
nombre des choses dont nous demandons à Dieu
d'être délivrés, en disant -
« Pardonne-nous, » les coups
dont Dieu nous frappe à cause de nos
péchés.
Or, je ne voudrais pas demander à
Dieu de ne pas me châtier, vu qu'il nous
châtie pour notre profit, afin de nous rendre
participants de sa
sainteté, et que si j'étais exempt du
châtiment auquel tous participent, je ne
serais pas du nombre des enfants légitimes
(Hébr. XII). Je Lui demande
seulement de rendre le châtiment utile
à mon âme, et de ne pas m'envoyer,
selon sa promesse, une épreuve au-dessus de
mes forces : 0 Éternel !
châtie-moi, mais que ce soit par mesure
(Jérém. X, 24).
Quant aux langueurs et aux
sécheresses, elles sont un mal en
elles-mêmes, mais un bien dans la position
d'âme où Dieu me les envoie pour
m'humilier, me punir, me rendre plus fidèle.
Je demande à Dieu ma sanctification, mais je
dois me garder de Lui fixer les voies par
lesquelles il doit l'amener.
3° Quand je demande à Dieu
le pardon de mes péchés, je ne
demande point que Christ vienne une seconde fois
les expier comme le dit.... ; c'est parce
qu'Il les a expiés que je demande le pardon
avec assurance. Je ne fais point un acte
d'incrédulité, mais un acte de foi.
L'erreur de.... me paraît
être de regarder la foi comme un acte unique,
fait une fois pour toutes, tandis que c'est un acte
de tous les jours et de tous les moments ; un
acte par lequel le fidèle toujours plus
persuadé qu'il est maudit par sa nature,
toujours plus humilié des
péchés qu'il commet, sentant toujours
plus combien ils sont odieux au Seigneur et combien
ils l'offensent, sent le besoin de s'arroser sans
cesse du sang de Christ, de dire à Dieu
qu'il ne peut vivre que de pardon gratuit, et de
crier sans cesse :
« Pardonne-moi ! »
Heureusement, il le crie avec assurance, car il
sait que Dieu lui a pardonné en Christ
toutes ses offenses, et qu'il est
écrit : « Si nous confessons
nos péchés, Il est fidèle et
juste pour nous les pardonner, et pour nous
purifier de toute iniquité »
(1 Jean I, 9).
Certainement, ici, le pardon qu'on
demande n'est pas la sanctification, car il en est
bien distingué par ces mots : Pardonner
et purifier. Voyez aussi le chap.
II, 1. Jésus-Christ ne s'est
pas contenté d'expier nos
péchés, Il
intercède encore à
chaque péché que nous commettons pour
que son sang paraisse avec le péché
devant la majesté divine ; et nous
aussi, déjà pardonnés pour
chaque péché, nous disons à
Dieu : Pardonne ! et nous prenons dans
les mains de notre foi le sang de Christ pour
l'offrir. Voyez David
Ps. LI, 7 ; il demande
d'être purifié de son
péché.
Voyez aussi
1 Chron. XVII, 23 à 27, ou
David demande à Dieu une chose que Dieu lui
a promise, versets
12 à 15 ; et il la
demande parce que Dieu l'a promise.
C'était, il est vrai, une
grâce temporelle, mais la nature de la
grâce ne change rien à la
question ; et nous avons là une preuve
qu'il n'y a point d'incrédulité
à demander une chose que Dieu a promise.
Un enfant qui est sûr à
toujours de l'affection de son Père,
l'offensera-t-il sous ce prétexte, sans lui
demander pardon ?
N'ira-t-il pas au contraire le lui
demander avec d'autant plus d'humilité qu'il
est fâché d'avoir offensé un si
bon Père, et avec d'autant plus de confiance
qu'il connaît le coeur et la fidèle
tendresse de celui qu'il a offensé ?
Je regarde l'acte de demander pardon
chaque jour, comme une espèce de
commémoration de notre première
réconciliation avec Dieu. Acte aussi filial
qu'il peut l'être, car je demande avec
assurance. Un Évangéliste dit
« Pardonne-nous, car aussi nous
pardonnons.
(Luc XI, 4)
4° La difficulté
tirée de ce qu'il semble que Dieu mette une
condition au pardon s'évanouit quand on
considère :
a) que le pardon des offenses est un des
fruits caractéristiques de la foi, qui est
ici définie par un de ses effets ;
ensorte que c'est comme si nous disions :
Pardonne-nous, car nous avons une foi
sincère en Jésus !
« Il n'y a plus de condamnation pour ceux
qui sont en Jésus-Christ, qui ne marchent
point selon la chair, mais selon
l'Esprit. » Jamais celui qui n'a pas la
foi, ne pourra faire cette prière.
b) Le comme, qui est ici
employé
(Matth. VI, 12), n'est pas un
comme
d'égalité parfaite, car nous ne
pouvons jamais pardonner, dans toute
l'étendue du mot, comme Dieu a
pardonné, et avoir un amour égal au
sien. Le comme indique seulement un pardon
sincère, et qu'on désire
réellement que Dieu arrache de notre coeur
toute racine d'amertume, de telle manière
qu'on ne garde pas rancune en avant l'air de
pardonner.
c) Dieu avant promis au croyant tout ce
qu'Il lui commande, le croyant est sûr de
pouvoir pardonner par la force de Dieu, qu'il
cherche ; il peut donc dire
« Pardonne-moi comme je
pardonne. »
Si une personne professant de croire en
Jésus était en tel état, que
non seulement elle sentît de la haine, mais
qu'encore elle ne la combattît pas et ne
demandât pas sérieusement à
Dieu de l'ôter de son coeur, je
déclare qu'elle aurait grand tort
d'être sûre de son pardon, car elle
devrait avoir de très-forts doutes sur sa
foi ; et la cinquième demande de
l'oraison dominicale serait propre a les lui faire
concevoir.
Enfin, si elle est enfant de Dieu, le
saint-Esprit s'en servira pour la réveiller,
la sortir de son état de chute, et l'amener
à repentance.
Le frère.... ne raisonne pas
juste, il me semble, en disant :
« Puisqu'il est dit : « Si
vous ne pardonnez pas, votre Père
céleste ne vous pardonnera pas, »
il s'agit ici de l'élu dont Dieu demeure le
Père, suit qu'il pardonne, soit qu'il ne
pardonne pas, et par conséquent ce n'est pas
le pardon de la peine éternelle du
péché qu'il demande. »
À cela, je réponds :
l'Écriture, en disant Votre Père,
dans des phrases où elle semble parler
à des gens dont le caractère ne
paraît pas celui d'enfants de Dieu, veut
évidemment dire : Celui que vous
appelez votre Père. Elle parle non selon ce
qui est, mais selon ce que fait profession de
croire celui à qui elle parle. Voyez par
exemple
Jacques III, 9. Elle suppose que la
même personne « bénit Dieu
son Père, et maudit les hommes faits
à l'image de Dieu. » En
conclurai-je que celui qui agit
ainsi est également enfant de Dieu, soit
qu'il bénisse, soit qu'il maudisse ?
Mais au verset
12, saint Jacques décide
« qu'aucune fontaine ne peut jeter par
une même ouverture de l'eau douce et de l'eau
amère. Il n'est donc pas possible qu'une
bouche conduite par l'Esprit de Dieu bénisse
et maudisse.
Conclus donc, ô homme qui en agis
ainsi ! que tu n'as pas été
purifié, et que tu es un hypocrite ;
ou, du moins, prends garde à toi, car ton
état est fort douteux.
Quant à la parabole contenue en
saint
Matthieu XVIII, elle s'explique par
le même principe. Il est évident que
le frère.... donne un sens peu juste au
verset
34, en disant qu'il signifie :
« Jusqu'à ce qu'il eût
acquitté toutes les peines temporelles
attachées à ses
péchés ; » car la
dette dont il est parlé au verset
34 est évidemment la
même que celle dont il est parlé aux
versets
25, 26 et 27 comparés avec
Matth. V, 25 et 26. Il n'y a pas
contradiction, parce que je pense qu'ici notre
Seigneur ne parle que du faux chrétien qui
croit aussi selon sa fausse foi avoir obtenu
grâce, et qui dit : Je suis sûr de
mon salut, tout en ne voulant pas pardonner.
Notre Seigneur n'a pas voulu, dans cette
parabole comme dans beaucoup d'autres passages,
établir le moyen de justification devant
Dieu, mais seulement des maximes
générales de sanctification qui sont
vraies dans toute leur étendue, mais qu'il
faut toujours joindre avec le reste de
l'Évangile ; car une parabole ne peut
pas renverser un passage formel ; au
contraire, c'est celui-ci qui doit expliquer la
parabole. Or, puisqu'un passage formel me dit,
« que la vocation et les dons de Dieu
sont sans repentance, » il en conclus que
dans la parabole ce n'est pas d'un véritable
enfant de Dieu qu'il s'agit, et ce n'est que par
supposition que son Père est sensé
lui avoir une fois pardonné.
Ces passages, sur le pardon des
offenses, sont faits pour démasquer les
hypocrites, relever les enfants de Dieu qui sont
dans des chutes en leur
inspirant des doutes sur leur
foi, et servir de barrière contre le triste
penchant de notre coeur à l'antinomianisme,
c'est-à-dire à pécher, afin
que la Grâce abonde.
Je gémis quand je vois que par un
zèle mal entendu pour la doctrine de
l'élection, on veut détourner le vrai
sens de ces passages et en affaiblir la vertu
sanctifiante et réveillante. C'est ainsi que
sans s'en douter et contre son intention, on ouvre
la porte à l'antinomianisme. Que Dieu nous
garde de ces fausses explications, de quelque part
qu'elles viennent ! Qu'Il nous donne d'aller
toujours au sens simple, vrai et non difficultueux
de sa Parole. Qu'Il nous donne de dire tous les
jours, avec humilité et assurance :
« Pardonne-nous comme nous
pardonnons. » Si quelque racine
d'amertume bourgeonnant en haut, nous trouble en
faisant cette prière, nous aurons en cela un
heureux avertissement, et nous irons sentirons
portés à crier : 0 mon
Dieu ! donne-moi de pardonner comme je crois
que tu m'as pardonné, et comme je veux que
tu me pardonnes !
Si quelqu'un veut faire encore
là-dessus des difficultés
métaphysiques, qu'il les fasse ; je ne
lui répondrai pas. Je m'en tiens à
l'Écriture et à l'expérience
de mon âme conduite par l'Esprit, et l'un et
l'autre, en m'assurant que Dieu m'a
pardonné, me portent à Lui dire
chaque jour : Pardonne-moi. Chaque jour je
trouve du bonheur à me remettre dans la
position du péager, et à dire au
Seigneur : « Sois apaisé
envers moi qui suis
pécheur ; » car je puis
ajouter ensuite : 0 mon Dieu ! je sais
que pour l'amour de Jésus Tu m'as fait
grâce ! -
Je sais que Dieu ne veut plus se
souvenir de mes péchés, mais moi je
les Lui remettrai en mémoire en disant avec
David
Ps. XXV, 7 : « Ne te
souviens point des péchés de ma
jeunesse ni de mes
transgressions ! » J'imiterai
l'enfant prodigue qui, quoique serré dans
les bras de son père
(Luc XV, 20), lui dit : (verset
21) « Mon père,
j'ai péché contre le ciel et contre
toi ! »
LETTRE
XCIX
Plus on est timide avec les erreurs, plus
elles deviennent hardies.
J'ai été réjoui de la
manière dont vous vous y êtes pris
pour arrêter au milieu de vous les semences
de division. Rien de tel que d'amener tout en
lumière, et d'avoir des explications
franches, loyales et charitables.
Souvenez-vous toujours, que lorsque les
erreurs commencent à s'introduire, il faut y
aller comme au feu, et éteindre l'incendie
au moment où il commence à s'allumer.
Pour peu qu'on arrive tard, on ne sauve la maison
que fort endommagée. Plus on est timide avec
les erreurs, plus elles deviennent hardies.
En étant charitable avec les
individus, il faut être sans
miséricorde pour les faux systèmes.
La vérité est un dépôt
sacré qui nous est confié ; il
faut la défendre envers et contre tous.
L'erreur vient du diable qui est le père du
mensonge, et elle ne peut produire que de mauvais
effets. Les erreurs qui divisent les enfants de
Dieu doivent être surtout repoussées,
car elles vont en sens inverse des intentions de
Christ, qui veut que les siens soient
rassemblés en un.
Le meilleur moyen de préserver
les troupeaux de l'erreur, c'est de les bien
affermir dans la vérité qui est selon
la piété, et de les tenir en garde
contre l'esprit d'orgueil qui fait saisir les
nouveaux systèmes comme des moyens de se
distinguer des autres, ou de se soustraire à
un joug qu'on trouve pesant.
Quand les âmes ne sont pas bien
affermies en Christ, elles éprouvent une
espèce d'inquiétude qui les pousse
vers ce qui est nouveau, espérant y trouver
ce qui leur manque en fait de paix et de
sanctification. Le même effet a lieu lorsque
les âmes sont tombées dans
l'orthodoxie sèche et sans vie, lorsqu'elles
ont la doctrine de Christ au lieu de Christ
lui-même. Alors elles sont
toutes prêtes pour les discussions, les
recherches subtiles, les disputes de mots, l'esprit
de parti, etc. Ce sont là comme des os que
l'ennemi leur donne à ronger, et dont elles
se repaissent à défaut de bonne
nourriture. D'autres étant affamées,
parce qu'on ne les a pas nourries de Christ
lui-même, et qu'on n'a fait passer devant
elles que des repas en peinture, se jettent partout
où on a l'air de leur présenter un
repas plus substantiel, et dans leur faim, elles
avalent sans discernement tout ce qu'on leur
présente.
Ajoutez à cela que lorsque les
âmes ne sont pas bien nourrit de Christ,
elles ne sont pas bien unies les unes aux
autres : l'amour fraternel se refroidit, et
elles sont toutes prêtes pour les divisions
qui étaient déjà dans les
coeurs avant de se manifester.
L'ennemi ne pénètre pas
facilement dans une phalange bien serrée, et
composée de gens bien entretenus, bien
nourris, bien vigoureux, et soutenus par un esprit
de corps bien prononcé, mais une
armée déjà
démoralisée par un mauvais esprit,
par la misère et par le manque de confiance
en ses chefs, une telle armée est
bientôt mise en déroute.
Étudions-nous donc, mon cher
frère, a nous nourrir nous-mêmes de la
manne cachée, afin qu'elle se trouve dans
nos prédications et dans nos exhortations
particulières. Faisons-en sorte que ceux qui
annoncent des erreurs n'aient rien de plus
substantiel à donner aux âmes que ce
que nous leur donnons nous-mêmes.
Nourrissons-les du lait et de la viande de la
Parole, donnons-leur Christ, rien que Christ, tout
Christ ; mais donnons-leur un Christ vivant,
tellement qu'elles aient non-seulement
l'écorce de l'orange, mais aussi le suc.
Apprenons-leur qu'elles ont tout
pleinement en Christ. Qu'elles sachent qu'avec
toutes leurs misères, elles peuvent toujours
retourner à Lui, sans crainte d'être
rejetées. Apprenons-leur qu'elles sont les
voies de Dieu dans la sanctification, voies souvent
lentes, mais toujours sûres, car elles
tendent à nous vider de nous-mêmes
par l'humiliation et à
nous remplir de Christ. Gardons-les contre cette
espèce d'impatience ou de dépit
orgueilleux qui se cache quelquefois sous les
apparences d'un grand désir de
sanctification, et dans lequel il y a souvent
beaucoup de propre justice, de paresse et de manque
de soumission aux voies que Dieu suit pour notre
éducation spirituelle.
Après tout, et je pourrais dire
avant tout, prions beaucoup, car le Seigneur seul
peut bénir les moyens qu'on emploie, et
souvent même Il agit sans ces moyens, dans
des cas où ils sont inefficaces. Le Seigneur
est le réparateur des brèches et
aussi Il les prévient.
Que le Seigneur vous donne de marcher
toujours en pauvreté d'esprit, car Il fait
grâce aux humbles.
Ne vous occupez pas de ce qu'on dit de
vous ici-bas, mais oui bien de ce qu'on en dit en
haut. Priez l'Éternel de vous cacher dans
une haute retraite, à l'abri des disputes
des langues. Cherchez le secours plus haut que
cette terre ; élevez vos yeux
jusqu'à Celui qui a fait les Cieux et la
terre. Quand vous serez battu de l'orage, levez vos
yeux en haut, car la délivrance est proche.
Enfin, marchez en intégrité devant
l'Éternel notre Dieu, car celui qui marche
en intégrité marche en assurance, et
l'Éternel ne lui épargne aucun bien.
Que le Dieu de paix vous donne la paix
en toute manière.
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