Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE LXXXVI.
1846.
Y a-t-il du bon sens à user par des
études l'instrument qu'on veut employer pour
le Seigneur ?
Depuis long-temps j'entends parler de
jeunes gens qui ont épuisé leur
santé dans les études
préparatoires à l'oeuvre du
ministère. Cela est déplorable, et
c'est une des vues mondaines qui existent encore
chez une partie des chrétiens. Je ne veux
pas déclamer contre les études ;
je crois qu'il y en a d'utiles, et même de
nécessaires. Mais ne pourrait-on pas sans
inconvénient en retrancher une partie, et
les proportionner au degré de faculté
de chacun ?
Y a-t-il du bon sens, pour ne pas dire
plus, à user par des études
l'instrument qu'on veut employer, de telle
manière que lorsqu'on voudra s'en servir, il
n'aura plus qu'une partie de sa force ?
A-t-on le droit d'user ainsi le corps
qui est pour le Seigneur, par des études qui
ne vont pas directement à
l'édification des âmes et à la
gloire de Dieu ?
Pense-t-on que le Seigneur prenne
plaisir à des études qui
empêchent de courir au secours des âmes
qui nous demandent, et qui pendant tout ce
temps-là passent dans
l'éternité ?
Se fait-on l'idée du temps
où l'on va, et du peu qu'il en reste
peut-être pour la liberté de
l'Évangélisation, lorsqu'on met
devant un jeune chrétien qui a du coeur, six
ou sept ans de préparation pour annoncer
l'Évangile ?
Ajoutez à tout cela que
très-probablement l'application qu'on donne
à des études qui prennent tant de
temps, jointe à la fatigue du corps,
dessèche l'âme et lui ôte cette
onction qu'il faudrait maintenir avant
tout.
Vous reprochez à ceux que vous
nommez dissidents de n'avoir pas eu
l'activité de.... Il y a peut-être
quelque chose à dire. Toutefois, ceux
d'entre eux qui pouvaient agir,
n'ont-ils rien fait ? De plus, on n'invente
pas les ouvriers, il faut qu'ils soient
donnés, et quand ceux qui seraient propres
à l'oeuvre, croient devoir étudier
six ou sept ans avant de s'y mettre, ou quand
après avoir étudié, ils
cherchent des positions fixes, plutôt que de
se dévouer avec foi aux églises, et
de s'offrir pour leur service, a-t-on à
reprocher à celles-ci une chose qu'elles
déplorent ?
Vous voudriez qu'on n'y regardât
pas de si près pour les ouvriers qu'on
emploie. Je ne suis pas de votre avis. C'est bon
pour ceux qui font une oeuvre de démolition
sans reconstruire. Quand il ne s'agit que de
démolir, le moindre manoeuvre peut
être employé ; mais quand il
s'agit de reconstruire, il faut connaître le
dessin et les proportions ; il faut savoir
manier l'équerre et le niveau. Il nous
faudrait des ouvriers en même temps fermes
sur les principes de l'Eglise, prudents et
modérés dans leur
application.
J'adopte assez votre idée, c'est
qu'on a beaucoup trop fait de systèmes, et
qu'on n'a pas assez cherché le
sérieux et l'onction de la vie, soit
l'application à l'âme des
lumières de l'intelligence. Je pense que
lorsque des progrès auront été
faits dans ce sens, les chrétiens s'uniront
facilement ; car on se rencontre bien plus
facilement par le coeur que par l'esprit.
LETTRE
LXXXVII
1846.
On ne fait pas schisme en se
séparant du monde...
En saluant affectueusement le frère de ma
part, vous lui direz que je n'admets pas plus que
lui l'excommunication, pas plus que je n'admets
l'admission à la cène, ne voyant
pas trace de l'une ni de l'autre
dans la Parole de Dieu. Quand on est converti, on
est ajouté à l'église des
élus et par conséquent en se
présentant comme frère à toute
église de frères, on doit être
reconnu par elle comme enfant de Dieu, et par
conséquent comme ayant droit à tous
ses privilèges ; tout comme on est sous
l'obligation d'en remplir tous les devoirs.
En recevant un frère, une
église ne fait que reconnaître sa
qualité et ses privilèges, mais ce
n'est pas elle qui les lui donne ; elle n'a
aucun droit de lui accorder la cène, pas
plus que de la lui refuser s'il est enfant de
Dieu ; tout comme lui n'a aucun droit de
refuser de marcher avec ses frères dans
toutes les ordonnances du Seigneur.
De même que je n'accorde pas la
cène, je ne l'ôte pas. Quand une
église a un de ses membres qui
persévère dans quelque
péché, malgré tous les
avertissements, elle l'ôte ou le retranche
selon 1 Cor. V qui dit :
« Ôtez le méchant du milieu
de vous ; » et tout naturellement
étant retranché de l'église,
il ne prend plus la cène.
Vous direz encore à notre cher
frère.... qu'on ne fait pas schisme en se
séparant du monde, mais en se
séparant des frères, et que lorsque
des frères persistent à vouloir faire
corps avec le monde, on ne fait pas schisme en se
séparant d'eux.
Vous lui direz enfin, que je comprends
bien que nous ne présentons pas un spectacle
fort attrayant, mais qu'en tout cas le devoir de se
séparer du monde reste toujours, quitte
à voir ensuite ce que l'on fera ; comme
Abraham qui partit sans savoir où il
allait.
Votre fermeté dans les vrais
principes m'a fait plaisir, ainsi qu'au
frère.... à qui j'ai
communiqué votre lettre.
Nous pensons comme vous que tout
précepte vrai, demeure vrai, et doit
être observé en tout temps et quoi
qu'il en soit. Mais dans l'exécution il y a
des ménagements de prudence par lesquels on
évite souvent de cabrer les âmes, tout
en maintenant la vérité.
Comme vous, je crois aux promesses de
Dieu faites à une église quelque
petite qu'elle soit. J'ai eu des preuves
fréquentes que lorsque l'on croit à
ses promesses, Dieu les tient, et que lorsqu'une
église respecte sa position, on la respecte.
Mais si c'est se respecter que d'agir avec
fermeté, c'est aussi se respecter que de
rester dans les bornes de la modération et
de la douceur.
Vous dites une chose parfaitement vraie,
en disant qu'il y en a parmi ceux qui nous accusent
d'être raides et étroits, qui sont
bien plus étroits que nous, puisqu'ils ne
veulent pas céder un point, ni s'assujettir
aux autres en quoi que ce soit, tandis qu'ils
veulent qu'on s'assujettisse à eux en tout.
Mais il ne faut pas s'en étonner, l'homme
porte plus volontiers un joug d'homme que le joug
du Seigneur. C'est ce qui s'est vu de tous
temps.
Je vous salue cordialement.
LETTRE
LXXXVIII
1846.
Je suis toujours plus persuadé que
toute notre politique doit se résumer en ces
mots : « Que ton règne
vienne ! »
Mon cher frère,
Tous les détails que vous nous
donnerez sur la position de nos frères nous
intéresseront. Vous comprenez que je ne vous
demande point de nous parler de politique, Je suis
toujours plus persuadé que toute notre
politique doit se résumer en ces mots :
« Que ton règne
vienne ! » Notre joie doit
être que tous les événements
contribuent à avancer le glorieux
règne de notre Dieu. Rien de tout ce qui
arrive ne doit nous surprendre. Les
événements accomplissent les
prophéties, et sont des courriers qui
marchent devant notre Roi, et Lui préparent
le chemin.
Quant à notre position à
l'égard de ces choses, elle est toute
simple. Nous passons en ce monde pour nous rendre
dans notre véritable patrie, et en y
passant, nous sommes soumis à tout ordre
humain pour l'amour du Seigneur, ne demandant
à Dieu qu'une chose, c'est de pouvoir, sous
l'autorité des magistrats, quels qu'ils
soient, mener une vie paisible et tranquille, en
toute piété et
honnêteté.
Je pense que nous devons bien nous
garder, puisque l'Écriture le défend,
de mal parler des dignités et de
mépriser les puissances, car elles viennent
de Dieu
(Rom. XIII, et
1 Pierre II).
Gardons-nous aussi d'employer aucun
terme injurieux pour désigner une partie
quelconque de la population. La Parole dit que
celui qui dira à son frère :
Raca (d'où vient le mot de raccaille),
mérite punition, et souvenons-nous que
devant Dieu les péchés des riches ne
valent pas mieux que les péchés des
pauvres. - Paix vous soit !
LETTRE
LXXXIX
Mars 1846.
À mesure qu'on fait quelques
progrès, on évite toujours plus le
métier de donneur de conseils.
Si je ne t'ai pas donné de conseil
positif dans l'affaire en question, c'est qu'autant
je suis décisif quand je crois voir la
volonté de Dieu d'un côté ou de
l'autre, autant je crains de donner des conseils
quand cette volonté ne m'est pas
manifestée. J'ai quelquefois
été étonné, mais
étonné sans admiration, de
l'assurance avec laquelle certaines personnes
donnaient des conseils dans des circonstances qui,
à moi, me paraissaient
très-embarrassantes, et où j'aurais
craint de faire fourvoyer
quelqu'un en le poussant à droite ou
à gauche. Je crains que bien souvent ceux
qui consultent ne disent comme autrefois les
Juifs : « Voyez la vision de notre
coeur ; dites-nous des choses
agréables, » et que ceux que l'on
consulte, pénétrant bien dans quel
sens on les consulte, ne répondent selon les
secrets désirs du consultant. De tout cela,
il résulte dans le monde, et même
quelquefois parmi les chrétiens, une
espèce d'accord de tromperie, dont on ne se
rend pas toujours compte. Voilà pourquoi,
à mesure qu'on fait quelques progrès
en prudence et en défiance de
soi-même, ou évite toujours plus le
métier de donneur de conseils, et on apprend
à dire les mots : Je ne sais.
Voilà la cause de la
réserve dans laquelle je me suis tenu
à ton égard, quant au conseil que tu
m'as demandé.
La mère... vient d'être
retirée de ce monde de misères. Peu
d'heures avant sa mort, j'allai la voir, et
quoiqu'elle fût déjà dans un
commencement d'agonie, elle parut faire attention
à des passages que je lui citai, et vouloir
les répéter du bout des
lèvres. Je lui criai à l'oreille (car
elle était devenue sourde), pour lui
demander si elle avait la paix. Elle me fit signe
avec la tête que oui. Je lui
dis :
N'avez-vous point quelque crainte,
quelque trouble intérieur ? Elle secoua
la tête pour me dire que non. Nous pouvons
donc avoir la douce espérance qu'ayant cru
au Seigneur, elle est entrée dans le repos,
selon
Hébr. IV, 3.
J'aurais voulu lui voir plus de joie.
Une fois je le lui témoignai, et elle me fit
une réponse vraie et sérieuse qui
peut prêter à d'utiles
réflexions. « Nous ne vivons
pas, » me dit-elle, « de
manière à avoir des morts bien
joyeuses. Nous nous contentons de croire et nous
laissons subsister un certain nombre de liens qui
doivent se rompre avant la mort et qui occasionnent
un combat qui gêne la joie. »
Cette parole m'a fait
réfléchir davantage à
2 Pierre I, 1 à 12, et m'a
engagé à le
méditer avec le troupeau. Dieu veuille qu'il
en soit resté quelque chose !
LETTRE
XC
1846.
Partout où l'orgueil règne,
il ne peut pas y avoir union.
Ma chère soeur,
Que le Seigneur nous rende
reconnaissants pour toutes ses gratuités.
Qu'Il nous tienne dans un esprit de petitesse et
d'humilité, ne nous glorifiant de rien,
puisque tout est grâce, et nous souvenant de
quelle citerne, comme dit Esaïe, nous avons
été tirés, et de quel roc nous
avons été taillés ; nous
souvenant aussi combien de grâces de Dieu
nous avons laissé perdre ; combien nous
aurions pu croître dans la Grâce et
glorifier Dieu davantage, si nous avions fait un
meilleur usage des secours qu'Il a mis à
notre portée.
Nous avons surtout à nous
humilier de ce que nous sommes si orgueilleux,
avant tant de sujets d'être humbles, et de ce
que la moindre grâce que nous croyons avoir
reçue, le moindre éloge que l'on nous
donne, trouvent en nous une disposition à
l'enflure de coeur.
Heureux ceux qui connaissant tout cela,
s'humilient vraiment de leur orgueil, le combattent
sincèrement et en tirent parti pour sentir
d'autant plus que nous sommes sauvés par une
grâce immense, qui surabonde même
là où notre orgueil a abondé.
Quand cette grâce nous touche
véritablement et qu'elle est dans notre
coeur plus que dans notre intelligence, elle nous
humilie, elle nous porte à regarder chacun
comme plus excellent que nous, et à ne pas
nous glorifier de quelques vues un peu plus claires
que nous pourrions avoir sur
quelques portions de la Parole,
oubliant que des frères moins
éclairés ont peut-être le coeur
beaucoup plus rempli de la Grâce de Dieu que
nous.
Je ne puis m'empêcher de croire
qu'une des grandes causes des divisions qui
existent entre enfants de Dieu, et qui
malheureusement d'après votre lettre,
paraissent se trouver à.... comme ailleurs,
c'est qu'on a plus dans l'intelligence que dans le
coeur. Ce qui n'est que dans l'intelligence
enorgueillit, car il est écrit que la
science enfle.
Or, partout où l'orgueil
règne, il ne peut pas y avoir union, car
l'Esprit saint dit que l'orgueil ne produit que
querelle.
C'est incroyable ce qu'on peut faire par
orgueil ou par esprit de parti. On peut même
par orgueil avoir une sanctification en apparence
très-avancée ; s'imposer des
renoncements ; donner son bien aux pauvres et
son corps pour être brûlé ;
et avec tout cela n'être rien.
L'apôtre Paul dit positivement
dans le
chap. XIII de la première
épître aux Corinthiens, qu'on peut
avoir et faire tout cela sans
charité.
L'expérience a prouvé que
l'esprit de parti peut pousser très-loin, et
qu'on peut faire beaucoup de choses simplement pour
honorer un système et pour avoir occasion de
dire : « Voyez quelles
bénédictions il y a au milieu de
nous ! »
C'est pourquoi, après avoir tout
bien considéré, je me défie de
toutes les sanctifications dont on fait parade et
de toutes celles qui sont accompagnées d'un
esprit de parti qui divise au lieu d'unir ;
car ce qui divise ne peut pas être de Dieu,
qui a déclaré positivement qu'Il veut
qu'il n'y ait point de division dans le corps
(1 Cor. XII, 25).
Les réflexions
précédentes pourront peut-être
vous servir de direction au milieu des diverses
congrégations de chrétiens qui se
trouvent à.... En restant fidèle
à vos convictions, soyez bien avec tous ceux
qui sont sincères. Recherchez surtout ceux
qui vous paraîtront avoir le plus l'esprit de
charité et d'humilité; ceux qui ne
médiront pas de leurs
frères, qui ne les
décrieront pas ; ceux qui s'occuperont
plus de ce qui est commun à tous les
chrétiens que de leurs vues
particulières ; ceux qui vous
paraîtront le plus dépouillés
de l'esprit de parti et de schisme ; ceux qui,
tout en vous aimant comme soeur, ne chercheront pas
à mettre la main sur vous pour vous
accaparer et grossir le nombre des partisans d'un
système. Jouissez de tout ce qui est de
Dieu ; profitez de tout ce qui vient de
l'Esprit ; mais ne prenez pas en bloc la chair
et l'esprit qui se trouvent dans le même
enfant de Dieu. En un mot, comme le dit l'Esprit
saint : « Éprouvez toutes
choses et retenez ce qui est
bon. »
Je suis bien aise si votre
maîtresse est contente de votre
manière d'être avec ses enfants.
Toutefois, ne cherchez pas seulement à
contenter madame, mais le Seigneur. Il est
écrit : « Ne servant pas
seulement les hommes, mais le Seigneur. »
Dans un sens, le Seigneur est très-facile
à servir, en ce qu'Il est rempli de support
pour nos infirmités et que ce qu'Il nous
commande, Il nous donne la force de le faire. Mais
dans un autre sens, on pourrait dire qu'Il est
très-difficile en fait de sainteté,
car Il ne nous demande pas moins que la perfection,
et Il nous commande d'y tendre continuellement.
Plusieurs chrétiens se trompent
sur ce sujet. De ce que le Seigneur est plein de
miséricorde et de patience ; de ce
qu'Il nous sauve par Grâce et non par nos
oeuvres ; ils en concluent, au moins à
ce qu'il semble par leur conduite, que Dieu se
contente d'une sainteté fort
rabaissée, et que, sous la Grâce, Il
n'y regarde pas de si près. C'est là
un horrible abus de la Grâce de Dieu, qui est
faite au contraire pour nous délivrer du
péché, pour nous rendre de nouvelles
créatures et nous purifier comme
Jésus-Christ Lui-même est pur.
Un autre piège contre lequel nous
devons nous tenir en garde, c'est celui de nous
reposer et de nous endormir sur les grâces
reçues, et sur la bonne réussite de
ce que nous avons entrepris. Lorsque
quelque chose va bien, nous
pensons que cela doit toujours aller de même,
et en quelque sorte que cela ira tout seul. De
là vient que nous nous relâchons dans
la prière et dans le recours à Celui
qui est l'Alpha et l'Oméga, le commencement
et la fin. Souvenons-nous que nous n'avons
qu'à proportion que nous demandons et que
nous continuons à demander. Les grâces
d'aujourd'hui ne font pas compte pour demain ;
la manne gardée pue, et il s'y engendre des
vers. Il faut la ramasser chaque jour. Pour notre
bien et pour notre humiliation, Dieu ne nous permet
pas de faire des provisions de grâces. Il
nous tient dans une continuelle
dépendance ; Il garde par-devers Lui la
provision, et Il nous donne chaque jour notre pain
quotidien. La chose est beaucoup mieux ainsi, car
si la provision était entre nos mains, nous
nous en glorifierions, et nous la gaspillerions. Ce
qui nous suffit, c'est de savoir que le second Adam
auquel nous sommes unis par la foi est un Esprit
vivifiant, et que parce qu'Il vit nous vivrons. Or,
nous vivrons à proportion que nous
regarderons à Lui et que nous le prierons.
Celui qui demeure en Christ et en qui Il demeure,
porte beaucoup de fruit.
Le troupeau continue son petit chemin,
quant à sa marche intérieure.
J'espère qu'il en est de nous comme des
chênes, qui croissent lentement et qui durent
long-temps, tandis que les champignons croissent en
un jour et durent peu.
Que le Seigneur nous remplisse des
fruits de justice qui sont à sa gloire
!
LETTRE
XCI
Décembre 1846.
Heureux serions-nous de laisser
paisiblement notre avenir entre ses mains.
Voici une année de notre compte qui va
finir ! Sur ce sujet, il y a bien des choses
à dire ! Mais plus de prières et
moins de paroles, ouvriront mieux celle qui
s'avance. En gros, qu'y a-t-il à dire du
passé ? De notre part, ingratitude et
lâcheté étonnantes ; de la
part de Dieu, patience et miséricorde
à toute épreuve. Il faut donc, pour
le passé s'humilier et louer, et pour
l'avenir aussi : car l'avenir sera en gros
comme le passé.
Il faut, les yeux fermés, aller
en avant et recommencer le combat, sachant
seulement Jésus, et Jésus
crucifié pour toute science, pour toute
prévoyance, pour tout secours, pour toute
force. Tout est là, et hors de là
.... rien.
Heureux serions-nous si, toujours plus enfants,
dans le sens spirituel du mot, nous savions prendre
comme des présents de notre Père
céleste tout ce dont nous jouissons en
commençant une année, et voir
placées, comme sur une table devant nous,
toutes ses glorieuses promesses par lesquelles nous
sont données toutes les choses
nécessaires à la vie et à la
piété ! Heureux serions-nous de
laisser paisiblement notre avenir entre ses mains,
Lui remettant tout ce qui nous charge, parce qu'il
prend soin de nous !
Demandons au Seigneur qu'Il nous donne
de plus en plus cette foi simple, dans laquelle est
renfermé tout le secret du bonheur !
LETTRE
XCII
Janvier 1847.
En pleurant, n'oublions pas de rendre
grâces à Dieu.
Cher Monsieur,
Je viens d'apprendre la rude
épreuve par laquelle il plaît au
Seigneur de faire passer votre famille par la mort
subite de votre gendre.
La dernière fois que j'eus le
plaisir de le rencontrer, je fus frappé de
son air respectable, de la pureté, de la
douceur et du sérieux empreints sur son
visage. Le Seigneur le préparait
évidemment pour l'éternité en
imprimant de plus en plus sur son âme le
sceau des rachetés de Christ.
En pleurant, n'oublions pas de rendre
grâces à Dieu, de ce qu'Il avait
donné pour un temps, un homme qui a pu
être si utile par ses leçons et par
son exemple. Combien de souvenirs doux et
précieux il doit laisser à ceux qui
ont eu le bonheur de le voir de plus
près ! Puis combien il est heureux
d'être dans le repos du Seigneur, et
jouissant de la présence de Celui en qui il
espérait. Maintenant il se repose de ses
travaux et ses oeuvres le suivent. Maintenant il
est recueilli de devant le mal, et
délivré de toute oeuvre mauvaise.
Pleurons à cause de lui, parce qu'il nous a
été enlevé ; mais ne le
pleurons pas, lui, car ce serait pleurer son
bonheur....
Nous sentons le Seigneur souvent plus
près de nous dans les larmes que dans la
prospérité. Le Père fait plus
de caresses à l'enfant qui souffre,
qu'à l'enfant qui se porte bien.
Agréez, etc.
LETTRE
XCIII
16 Janvier 1847.
Quand il y aura assez d'amour, il y aura
assez d'argent...
Il y a long-temps que je désirais
un appel comme celui que je trouve sur votre
feuille d'aujourd'hui en faveur des pauvres
Irlandais. En conséquence, je bénis
Dieu d'avoir exaucé les prières que
je lui ai faites à cet égard, et
c'est avec reconnaissance envers Lui et avec joie,
que je vous envoie ci-inclus, une petite traite que
je répéterai, Dieu le voulant, si les
besoins continuent et ne sont pas soulagés
d'ailleurs.
Il faudrait n'avoir point de foi, ni de
coeur, pour oser manger du pain en abondance, sans
venir au secours de ces pauvres gens qui meurent de
faim ! Ce pain-là deviendrait du
gravier dans la bouche et un fiel dans les
entrailles
(Job XX, 14). Il me semble que la
paroisse la plus malheureuse est celle que dessert
l'ancien prêtre .... et qui est mise à
l'interdit par ses coreligionnaires. - Toutefois,
si vous ne recevez pas pour l'autre paroisse,
veuillez partager entre les deux.
Je ne doute pas que si la charité
se réveille, on ne trouve de quoi soulager
ces malheureux, et dans le canton de Vaud et
ailleurs. Quand il y aura assez d'amour, il y aura
assez d'argent ; quand le coeur y est, Dieu
donne de quoi faire abondamment toutes sortes de
bonnes oeuvres. Bientôt toutes les richesses
terrestres vont s'envoler. Heureux est-on, pendant
qu'on en possède quelque peu, de pouvoir
faire quelque bien avec cet argent qui fait faire
tant de mal. Heureux est-on, de pouvoir donner un
morceau de pain pour l'amour de Celui qui nous a
donné une éternité.
Recevez mes affectueuses salutations et
mes remerciements pour votre appel.
|