Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre
du
Saint Évangile
LETTRE LXXVIII.
1844.
C'est dans le coeur et non dans la
tête qu'est la foi
Mes chers frères,
Lorsqu'on cherche à exhorter les
frères, on est tenté d'entrer dans le
détail de quelques-unes des nombreuses
misères qui se trouvent encore dans les
enfants de Dieu, de leur signaler les vices de leur
marche spirituelle en cherchant à les
détromper de leurs illusions. De telles
exhortations peuvent n'être pas sans profit.
Toutefois, je pense qu'il est encore beaucoup plus
profitable de remonter à la cause de toutes
ces misères spirituelles, et de signaler le
vice radical qui se trouve au fond du christianisme
d'un grand nombre d'entre nous. Ce défaut
est le manque de communion
habituelle avec le Seigneur Jésus, et par
Lui avec le Père.
Trop souvent, hélas ! on se
contente de pouvoir se rendre témoignage
à soi-même qu'on a mis son
espérance en Jésus pour avoir la vie
éternelle, et qu'on est passé des
ténèbres à la lumière.
Mais on ne se réjouit pas habituellement de
Jésus ; on ne marche pas habituellement
dans la lumière ; on n'est pas
habituellement comme la branche collée au
cep qui, à chaque instant, tire de lui sa
vie et sa force. On est comme un homme qui aurait
un excellent ami qu'il ne visiterait que de temps
en temps, mais dont il se passerait dans le commun
de la vie, faisant beaucoup de choses sans prendre
conseil de lui et sans rechercher son appui. Oui,
convenons-en, c'est cette présence
habituelle du Seigneur qui nous manque, et c'est ce
qui fait notre faiblesse. Nous sommes forts, quand
nous pouvons dire avec David : Je contemplais
l'Éternel devant moi, et parce qu'Il est
à ma droite, je ne serai point
ébranlé.
Nous parlons souvent avec un ton de
condamnation des incrédules, des gens
à propre justice, mais ne sommes-nous pas
nous-mêmes des espèces
d'incrédules en pratique, lorsque nous
passons une partie de nos journées loin de
la présence du Seigneur, et
à-peu-près comme d'honnêtes
mondains qui seraient sans Dieu et sans Christ au
monde.
C'est dans le coeur et non dans la
tête qu'est la foi ; et de même
c'est dans le coeur qu'est
l'incrédulité. L'insensé dit
en son coeur qu'il n'y a point de Dieu. Et nous,
mes frères, dans notre coeur, nous
abandonnons le Sauveur et nous avons une sorte
d'incrédulité envers Lui, lorsque
nous vivons une partie du temps loin de Lui et sans
Lui. N'est-ce pas encore une vraie propre justice
que de dire, de faire, de projeter tant de choses
sans chercher les conseils et la force de Celui qui
est notre conseil, notre vie, notre force ?
Que dirions-nous de quelqu'un qui nous
dirait : Vous êtes mon tout, je ne puis
rien sans vous, et qui la plupart du temps
agirait sans nous consulter
et
sans nous demander notre secours ? Nous
dirions que sa confiance en nous est une
espèce de moquerie. Et c'est pourtant
là ce que nous ne faisons que trop souvent
vis-à-vis du Seigneur Jésus. Nous Lui
disons les plus belles choses dans nos
prières, sur notre faiblesse, sur le recours
que nous avons à ses promesses, sur le
besoin que nous avons de son secours, sur le
bonheur que nous avons de pouvoir espérer en
Lui, et nous appuyer sur Lui.
Nous le prions d'être toujours
avec nous. Et voilà que peu de temps
après l'avoir prié, nous semblons
avoir oublié tout cela, nous allons notre
chemin sans prendre Jésus avec nous, et nous
le laissons pour ainsi dire dans un coin où
nous irons le retrouver à certaines
époques fixes, que nous appelons nos moments
de prière ou de recueillement.
C'est là une chose
misérable, oui,
très-misérable, et qui pourtant, je
le crains, n'est que trop commune chez les
chrétiens, quoiqu'elle ne se trouve pas chez
tous au même degré. N'en est-il point
qui en soient même venus à pouvoir
prier ou entendre prier publiquement, à
parler de Jésus et entendre des
prédications émouvantes, sans
être dans une réelle communion de
coeur avec Jésus ? Hélas !
que de choses on peut faire même dans le
règne de Dieu en dehors de cette communion
avec Celui qui est la vie ! Aussi ont-elles
peu ou point de cette puissance de l'Esprit qu'on
ne trouve que dans une communion vivante avec Celui
qui communique l'Esprit. Aussi ne faut-il pas
s'étonner qu'on puisse, dans cet
état, se trouver au milieu des meilleures
choses comme des morts au milieu des biens, ou
qu'on ne reçoive que des impressions
passagères, qui s'évanouissent comme
la rosée du matin, ou que si Dieu accorde
quelques grâces dans une assemblée, on
les montre avec un air d'orgueil, on en fasse
l'appui d'une opinion particulière qui est
pour nous une idole, et qu'on s'en serve pour
propager un esprit de dispute et de division.
Si les chrétiens vivaient dans
une communion habituelle avec le Sauveur, cette
communion entretiendrait et conserverait dans
l'humilité les grâces qu'ils ont
reçues ; elles feraient leur force et
leur joie, et elles les garderaient de ces
contrastes si tristes qu'il y a entre leurs
prières, leurs discours et leurs actions.
On dit vulgairement :
« Dis-moi qui tu fréquentes, et je
te dirai qui tu es. » Rien n'est plus
vrai que cette maxime appliquée au
chrétien. Ce qu'il est, dépend
absolument de la fréquentation qu'il a avec
le Sauveur.
Si l'on vit habituellement avec
Jésus, peu à peu l'on est
transformé à la même image de
gloire en gloire, comme par l'Esprit du Seigneur.
Si l'on regarde à Lui habituellement, on
conserve la paix et la joie, car il est
écrit : L'a-t-on regardé ?
on en est tout illuminé, et leurs faces ne
sont point confuses. Si l'on se nourrit
habituellement de la chair et du sang de Christ, on
ne peut autrement que d'avoir la vie en
soi-même. Si l'on a habituellement devant les
yeux l'amour que Christ a eu pour nous, on trouve
dans cet amour une force singulière, qui
nous porte en quelque sorte au travers de toutes
les difficultés. Quand on est habituellement
bien avec le Seigneur, on ne peut qu'être
bien avec ses enfants. Le coeur s'élargit
dans la communion de Jésus. Il apprend
à aimer tout ce qui est de Christ, et
à ne pas renfermer ses affections dans les
bornes étroites de tel oui tel
système.
D'où vient que nous avons si peu
cette communion habituelle avec le Sauveur, qui est
si douce, et qui nous rendrait si forts ?
Certainement la faute en est à nous et non
au Seigneur, qui veut que nous ayons la vie et
même avec abondance, et qui nous recommande
si fortement de demeurer en Lui, afin que nous
portions beaucoup de fruits.
Plusieurs causes s'opposent en nous
à cette communion intime avec le Sauveur.
D'abord l'incrédulité. Nous avons les
choses dans la tête beaucoup plus comme
système que comme
réalité. Or, on ne
peut pas être en communion avec une
idée ou avec un système, mais avec un
être qu'on regarde comme vivant.
Le remède, c'est de demander
davantage de cette foi qui rend présentes
les choses qu'on espère, et qui est une
démonstration de celles qu'on ne voit point.
Si Jésus est vraiment vivant au milieu de
nous, par la puissance de l'Esprit, nous
connaîtrons la réalité de cette
promesse : Je suis toujours avec vous
jusqu'à la fin des siècles ; et
sa présence se faisant sentir à nous,
il nous sera facile de vivre dans une communion
réelle avec Lui.
Une seconde cause de notre manque de
communion avec le Sauveur, c'est la propre justice.
On ne sait pas vivre avec Lui et aller à Lui
tel qu'on est. Il semble pour ainsi dire qu'on fait
encore des façons avec Lui ; qu'on
n'ose pas Lui exposer franchement ses besoins, Lui
confesser librement toutes ses
misères ; vivre librement avec Lui, tel
qu'on est dans chaque moment, l'introduire dans
toutes ses affaires, le mettre de tout dans sa
vie ; en un mot en faire son ami et son
confident en toutes choses et à tout moment.
Je crois qu'on a encore peur de Lui, et
voilà pourquoi on ne vit pas comme le dit
Zacharie, sans crainte, dans la sainteté et
dans la justice en sa présence, tous les
jours de sa vie.
Le remède à ce mal, c'est
de mieux considérer, dans la Parole, la
bonté du Seigneur, et la douce
familiarité qu'Il a avec les siens, et de
Lui demander plus d'esprit d'adoption.
Un autre obstacle à la communion
avec le Sauveur, c'est le manque de droiture. On
craint la présence du Sauveur, parce qu'elle
condamne le péché. C'est une chose
terrible à dire, et pourtant c'est une chose
vraie.
Il faut mettre le doigt sur la plaie et
ne pas la déguiser. Un mal qu'on
reconnaît, est à moitié
guéri. On n'a plus qu'à s'approcher
de Dieu pour Lui demander un coeur droit, qu'Il ne
refuse jamais à ceux qui le demandent.
L'Éternel est bon et
droit ; c'est pourquoi Il enseignera aux
pécheurs le chemin qu'ils doivent tenir. Il
fera marcher dans la droiture les
débonnaires et Il leur enseignera sa voie.
Enfin, une dernière cause qui
interrompt la communion avec le Seigneur, c'est le
peu de soin que nous avons d'éviter les
choses qui nous éloignent de Lui. Par
exemple la multitude des paroles, la multitude des
affaires temporelles, des agitations sans
nécessité, les querelles dans nos
maisons ou avec ceux du dehors, etc., etc. Puis
nous ne recherchons pas assez ce qui peut
entretenir la communion avec le Sauveur, la lecture
de la Parole, la prière, des moments de
recueillement, et ces entretiens avec les
frères où le Seigneur a mis la vie et
la bénédiction à
toujours.
Je termine, mes frères, en vous
disant et en me disant à
moi-même : Demandons et nous recevrons.
LETTRE
LXXIX
Septembre 1844.
Elles ont en elles la foi, mais elles
ne
savent pas lire dans la Parole que ce titre vaut la
vie éternelle.
J'avais déjà ouï
parler du discours de Mr. ... ; toutefois votre
petite analyse m'a fait plaisir, en ce qu'elle
m'approuve que vous aviez bien
écouté. J'espère que, comme il
est écrit dans le Ps. LXII, vous aurez
entendu deux fois ; une fois de l'oreille du corps,
et une fois de l'oreille du coeur.
J'espère que cette
prédication aura contribué à
vous donner cet affranchissement qui , je crois,
vous manquait encore.
J'ai cru voir que vous n'étiez
pas assurée de votre salut, et affranchie du
joug de la Loi. Bien des âmes sont dans cet
état là. Elles ont
la foi, mais elles ne savent pas ce que vaut la
foi. Elles ressemblent à un homme qui aurait
un billet de cent mille francs dans sa poche, et ne
sachant pas lire la somme, se lamenterait
continuellement de sa misère. Elles ont en
elles la foi, mais elles ne savent pas lire dans la
Parole que ce titre vaut la vie
éternelle ; c'est pourquoi elles sont
dans un accablement qui les quitterait, si elles
avaient compris ces mots : « Celui
qui croit ne sera point
condamné. »
Je suis persuadé, par de
nombreuses expériences, que le moment
où une âme acquiert l'assurance de son
salut, est l'époque d'un grand
développement spirituel chez elle.
Auparavant, elle était comme l'enfant qui a
vie dans le sein de sa mère ; mais
alors, elle est comme l'enfant qui a vu le jour, et
qui commence à manifester librement tous les
actes de la vie. Si vous êtes parvenue
à cet heureux état, je prie le
Seigneur de vous y maintenir, et de vous y
affermir. Je Lui demande aussi de vous rendre
attentive à la promesse faite à tous
les croyants, du saint-Esprit qui les cèle
pour le jour de la rédemption, et qui
produit en eux tous les fruits de sanctification
(Gal.
V, 22).
Une âme n'est en pleine
liberté, que lorsqu'elle comprend que
Jésus-Christ est venu pour la sanctifier
aussi bien que pour la laver dans son sang. Il est
dit dans Tite, qu' « Il est mort pour
nous racheter et nous purifier de toute
iniquité. Il est dit aussi Vous avez
été lavés, justifiés et
sanctifiés au nom du Seigneur Jésus
et par l'esprit de notre Dieu. »
J'espère qu'à la longue,
ce que vous avez reçu de Dieu se
développera, et que, peu à peu,
Jésus deviendra le centre de toutes vos
affections. C'est là le remède
à tous les maux ; c'est là ce
qui nous fait voir les choses sous un tout autre
point de vue ; car « si quelqu'un
est en Christ, il est une nouvelle
créature ; les choses vieilles sont
passées, et toutes choses sont faites
nouvelles. Lorsqu'une fois on peut dire
jusqu'à un certain degré
L'Éternel est tout mon salut,
et tout mon
plaisir. »
Alors, ce qui tient à ce monde, sans nous
devenir indifférent, perd beaucoup de son
importance, et nous sommes tout
étonnés de voir que ce qui nous
paraissait une montagne devient une plaine. Il n'y
a qu'une affection dominante pour le Seigneur qui
puisse modérer les autres. Quand le roi est
sur le trône, les sujets s'asseyent sur les
marches, chacun en son rang. Un rayon plus lumineux
de la Grâce de Dieu tombant sur notre coeur,
y met toutes choses en ordre, et éclaire
toutes choses d'un jour nouveau, car
l'Éternel est lumière et vie en
même temps.
Je bénis Dieu de ce qu'il vous a
si bien entourée ; car quoique je
m'intéresse à votre bien-être
en ce monde, c'est le bien de votre âme qui
me touche avant tout.
LETTRE
LXXX
1844.
Un joug d'homme, est une ordonnance
que
Dieu ne nous a pas imposée dans sa
Parole.
Ceux qui crient contre les jougs
d'homme, ont raison s'ils comprennent bien ce que
c'est. Un joug d'homme, est une ordonnance que Dieu
ne nous a pas imposée dans sa Parole, et
auquel un homme voudrait nous assujettir, cherchant
à dominer notre foi et à nous
maîtriser à plaisir, comme dit
l'Esprit saint.
Ceux qui crient contre les jougs d'homme
devraient peut-être examiner de quel esprit
ils sont animés en cela, et si c'est
vraiment l'Esprit de Christ qui leur fait dire ces
choses. Ils devraient aussi examiner si, en se
débarrassant de ce qu'ils croient un joug
d'homme, ils ne se chargent
point réellement du joug d'un système
tranchant et absolu.
Après tout, chacun rendra compte
à Dieu pour soi-même.
Je n'attends plus l'union des enfants de Dieu
que d'un mouvement de son Esprit, que je ne vois
pas encore, mais qui peut être près,
car le vent souffle où il veut.
Il y a encore trop de moi, pour une
fusion. On pourrait faire des amalgames, mais le
Seigneur veut plus que cela. Il faut attendre en se
tenant tranquille, en repos et en espérance.
LETTRE
LXXXI
Décembre 1844.
Dieu ne veut pas qu'on essaie de
croire,
mais qu'on croie et qu'on continue de croire, quand
même.
Je crois que dans les meilleurs
chrétiens, il y a encore beaucoup à
faire pour dépouiller ce terrible moi, qui
est collé a nous comme la peau, et qui,
lorsqu'on le croit disparu, n'a fait souvent que se
déguiser pour reparaître sous une
autre forme. Ce moi est souvent ce que l'on attaque
le moins et ce qu'on devrait attaquer le plus, en
priant le Seigneur de tuer ce Léviathan de
sa grande et forte épée ; car
lorsque nous voulons le tuer nous-mêmes, nous
le ménageons singulièrement. Aussi
tous les renoncements que nous ne faisons que par
une' gymnastique spirituelle à la
façon de celle à laquelle ou s'exerce
dans certains ordres monastiques, ne sont que de
faux renoncements, dans lesquels
l'homme finit toujours par se retrouver
lui-même, en se complaisant dans ses
renoncements.
Les seuls vrais renoncements sont ceux
auxquels nous pousse l'amour de Dieu, et que
l'Esprit accomplit en nous, en changeant notre
volonté et la rendant conforme à
celle de Dieu, selon Rom. XII, 2. - Que de gens
sincères qui, faute de connaître cela,
tiraillent leur vieil homme pour s'en
dépouiller, cherchant à faire partir
leur volonté propre, tandis qu'ils n'ont
rien d'autre pour mettre à la place. Dans la
méthode de Dieu, qui n'est pas la
nôtre, c'est la nouvelle volonté qui
chasse ou qui domine la vieille, et cette nouvelle
volonté se forme par l'habitation de Christ
reçu dans nos coeurs par la foi, ou, si l'on
veut, par le saint-Esprit qui nous unit à
Christ, et qui produit en nous le vouloir et le
faire, selon son bon plaisir. Il faut donc, avec
tout son mauvais vouloir, aller tel quel à
Celui qui nous reçoit tels que nous sommes,
et qui a dit : « Je guérirai
leur rébellion, et je les aimerai
volontairement. »
Tu te sens le coeur dur ; tu
voudrais sentir, et tu ne sens pas. Eh bien !
tâche de te répéter à
toi-même, que pour en venir à sentir,
il faut croire sans sentir. Tout dépend de
l'assurance du salut fondée sur la Parole de
Dieu. Comment veut-on se réjouir d'un salut
qu'on n'a pas ? Comment veut-on être
reconnaissant d'un salut qu'on n'a pas
reçu ? Comment veut-on sentir la
sève de l'arbre en soi, quand on ne sait pas
encore si l'on est planté dans
l'arbre ? Comment veut-on recevoir l'Esprit,
tandis qu'il n'est donné qu'à la foi.
Or, la foi embrasse non seulement cette
vérité que Christ est le seul Sauveur
des pécheurs ; mais aussi cette seconde
vérité, c'est que celui qui croit en
Lui comme, Sauveur a par Lui la vie
éternelle.
Je sais qu'il est difficile
d'espérer ainsi contre espérance,
mais il faut pourtant en venir là, et on le
peut en ne se lassant pas de le demander à
Celui qui donne.
Tout en demandant, je crois qu'il est
bon de remarquer ce que dit la Parole de Dieu
à ce sujet, et de bien appliquer son
attention aux passages sur le salut gratuit, car il
est dit que la foi vient de la Parole de Dieu, et
que nous sommes engendrés par la Parole de
vérité. Par exemple, remarque bien le
verset
5 du 4e chap. des Romains
« À celui qui ne travaille pas,
mais qui croit en Celui qui justifie l'impie, si
foi lui est imputée à
justice. » Qui est celui qui est
justifié ?
Premièrement, celui qui ne veut
faire aucune oeuvre pour gagner le salut.
Secondement, celui qui cherche sa
justification en Dieu.
Troisièmement, celui qui croit
que par Jésus-Christ Dieu justifie un homme
en tant qu'impie, non pas sans doute celui qui
voudrait rester dans son impiété,
mais celui qui se reconnaît impie, et qui
croit que Dieu peut le justifier par Christ dans
cet état-là qu'il condamne sans
doute, mais enfin dans lequel il se sent au moment
où il s'approche de Christ pour être
justifié.
Ce qui nous fait du tort, n'est
peut-être pas autant de voir trop notre
méchanceté, que de ne la pas voir
assez et de ne pas être assez convaincu que
nous sommes impies, et que c'est comme impies que
nous devons nous approcher de Dieu et être
justifiés, par Lui, sans que nous ayons
à Lui apporter autre chose que notre
profonde misère et la foi à son salut
gratuit. C'est précisément ce pardon
donné à des impies, qui ôte
l'impiété.
Remarque à ce sujet
Rom. XI, 26 et 27. - Je demande
à Dieu qu'il te soit donné de moins
regarder à toi, et plus à Christ, qui
a dit : « Regardez vers moi, et
soyez sauvés. » Par
conséquent, tant que tu regardes au
Seigneur, tu as la preuve que tu es sauvé.
L'Israélite devait regarder au serpent et
non à lui-même pour être
guéri ; et s'il avait vu en regardant
sa plaie qu'elle ne se guérissait pas, et
s'il doutait qu'il eût bien regardé,
le plus simple et le plus sûr aurait
été de regarder de nouveau, et de
continuer à regarder avec pleine assurance
à la promesse de Dieu.
Dieu ne veut pas qu'on essaie de croire, mais qu'on
croie et qu'on continue de croire, quand
même. La seule chose que Dieu ne permet pas,
c'est de dire dans son coeur :
« Péchons, afin que la grâce
abonde. » Mais Il veut qu'on dise :
« Là où le
péché a abondé, la
grâce, y a surabondé. » Et
encore : « Il est puissant pour
sauver entièrement tous ceux qui
s'approchent de Dieu par Lui. »
Que le Seigneur rende ces choses esprit
et vie dans ton âme ! Ne te
décourage pas. Je te crois en bon
chemin ; je suis sûr que tu
arriveras ; j'attends seulement le moment
où tu feras une faillite complète,
parce que ce sera celui où tout d'un coup tu
deviendras riche.
LETTRE
LXXXII
Février 1845.
Ce qu'il faut demander dans les temps
d'épreuves.
Je crois que tout en demandant au Seigneur dans
les temps d'épreuve, ou la
délivrance, ou des ménagements, nous
devons demander beaucoup plus d'être
vivifiés et soutenus pour supporter tout
avec douceur, avec patience et avec joie.
Autrement, je crois que nous prierions
charnellement, car nous ne demanderions que
d'être délivrés de ce que la
chair craint, et nous ne ferions que la
première moitié de la prière
de Jésus en Gethsémané qui
exprime la faiblesse innocente de la chair, et nous
négligerions la seconde partie qui est celle
du dévouement et de la
soumission de l'Esprit
« Père, glorifie ton nom !
Père, que ta volonté soit
faite » Une prière ainsi
tronquée ne serait pas vraiment selon
l'Esprit, et ne pourrait pas être
exaucée. C'est pourquoi demandons à
Dieu qu'Il nous donne de pouvoir prier, non
seulement pour la délivrance temporelle,
mais aussi et surtout pour qu'il nous soit
donné par la puissance de son Esprit de le
glorifier s'il le faut, jusqu'à la mort.
Dans le fond, ne savons-nous pas bien,
comme le dit l'apôtre, que « celui
qui va à la guerre ne s'occupe plus des
choses de ce monde, pour plaire à Celui qui
l'a enrôlé ? » Que
dirait-on d'un soldat qui, à la veille d'une
bataille, dirait : « Je n'ai jamais
entendu m'enrôler pour recevoir des coups de
fusil. J'entendais simplement m'enrôler pour
faire l'exercice et toute la partie du service
militaire qui n'expose point la
vie ? » -
Ce langage qui paraîtrait houleux
et dégradant dans la bouche d'un soldat de
ce monde, ne le serait-il pas à plus forte
raison dans la bouche d'un soldat de Christ qui
cherche en Lui l'honneur, la gloire et
l'immortalité ?
Je me sens porté à vous
rappeler en forme d'exhortation fraternelle ce que
le Seigneur a bien voulu me rappeler à
moi-même ces jours-ci, c'est qu'un de nos
premiers devoirs, est de prier pour nos magistrats
qui sont des ministres de Dieu pour notre bien. Un
autre devoir aussi pressant, c'est de prier pour la
conversion de ceux qui nous veulent du mal.
N'est-ce pas le meilleur moyen de les
arrêter ? N'est-il pas dit :
« Bénissez ceux qui vous
maudissent, bénissez-les et ne les maudissez
point ? » N'est-il pas
ordonné de prier pour ceux qui nous courent
sus ? Le Sauveur et son disciple
Étienne n'ont-ils pas prié pour ceux
qui leur ôtaient la vie. N'ont-ils pas obtenu
l'un, la conversion du centenier
(Luc
XXIII, 34,
47), et l'autre, la conversion de
Saul de Tarse ?
LETTRE
LXXXIII
Février 1845.
Ce serait de notre part une
lâcheté et une
témérité de demander la
délivrance d'une manière absolue.
Nous avons médité Dimanche dernier
sur cette belle Parole de
l'Ecclésiaste : « Qui craint
Dieu sort de tout. » Nous avons
trouvé, d'après les Écritures,
que ceux qui craignent Dieu sortent de
l'épreuve de trois manières. Ou en ce
qu'ils reçoivent la force de soutenir
l'épreuve, ou en ce que Dieu met fin
à l'épreuve en les en tirant par des
moyens dans lesquels Il fait éclater sa
puissance en leur faveur, ou enfin par la mort qui
est la plus heureuse de toutes les
délivrances, lorsque le Seigneur juge
convenable de la donner.
Je ne m'attends qu'à Lui pour une
délivrance temporelle, s'il y en a une. Son
bras n'est pas raccourci pour ne pouvoir pas
délivrer. Ses anges, qui se comptent par
milliers redoublés, n'ont jamais
cessé d'exister, et quoique invisibles, ils
sont toujours des esprits administrateurs
destinés à servir ceux qui doivent
hériter le salut. Je crois aux miracles tout
comme aux temps jadis. Le Dieu des trois enfants
dans la fournaise, de Daniel dans la fosse aux
lions, d'Élisée environné des
troupes du roi de Syrie, d'Ézéchias
assiégé par celles de
Sennachérib, etc. ; en un mot, le Dieu
des délivrances d'autrefois est toujours le
même Dieu, toujours vivant, toujours vrai,
toujours faisant tout ce qu'il lui plaît dans
les cieux et sur la terre. Il ne faut que de la foi
pour ramener les merveilles, et voir se
réveiller le bras de
l'Éternel.
Cependant n'oublions pas que nous sommes
appelés à souffrir avec Christ pour
régner avec Lui, et que nul n'est
couronné, s'il n'a combattu selon les lois.
Nous savons que le juste est difficilement
sauvé, que le jugement de Dieu
doit commencer par sa
maison, et
que nous ne devons point trouver étrange si
nous sommes dans la fournaise pour être
éprouvés, comme s'il nous arrivait
quelque chose d'extraordinaire.
En conséquence, je crois que ce
serait de notre part une lâcheté et
une témérité de demander la
délivrance d'une manière absolue.
Tout ce que nous pouvons faire, c'est de dire avec
le Sauveur : « S'il est possible,
fais que cette coupe passe loin de moi, »
mais nous devons demander à Dieu qu'il nous
soit donné d'ajouter : « Si
cela n'est pas possible, que ta volonté soit
faite. » Je crois que nous ne serons
jamais déçus, si nous demandons avant
tout la force de tout soutenir avec douceur, avec
patience et avec joie. Si Dieu nous remplissait de
son Esprit ; si notre confiance en Christ
était pleine ; si les belles promesses
qu'Il fait à ceux qui souffrent avec Lui
étaient pleinement scellées à
notre coeur ; si, comme Étienne, nous
voyions les cieux ouverts et Jésus assis
à la droite de Dieu ; alors la mort
même nous paraîtrait un gain, et nous
pourrions dire avec l'apôtre :
« Je ne fais cas de rien, ma vie ne m'est
pas précieuse, pourvu qu'avec joie
j'achève ma course. »
Demandons et nous recevrons. Les
promesses sont abondantes, elles sont
complètes, il n'y a qu'à les saisir
par la foi. Mais demandons bien, si nous voulons
être exaucés ; demandons la
délivrance de l'incrédulité et
du péché avant celle de
l'épreuve ; sans cela nous ne
demanderions pas selon la volonté de Dieu.
Si nous ne pouvons pas demander ainsi, demandons au
moins de pouvoir le faire. Le Seigneur se souvient
de quoi nous sommes faits, Il a pitié de
notre faiblesse.
LETTRE
LXXXIV
1845.
Savoir ce qu'il faut prendre au
figuré et ce qu'il faut prendre à la
lettre.
Cher frère,
Je crois qu'il est utile que je vous
dise sans plus tarder, que j'ai lu au moins les
deux tiers de votre manuscrit, et qu'il m'est
impossible d'admettre dans la plupart de ses
points, votre interprétation spirituelle. Je
citerai entre autres comme une
interprétation qui m'a paru
singulièrement forcée, celle des deux
témoins ou fils de l'huile
(Zach.
IV, 14), par lesquels vous
entendez le saint-Esprit. Le saint-Esprit, c'est
l'huile et les fils de l'huile ne sont pas plus
l'huile que les fils d'un homme ne sont cet homme,
et que les fils de la sagesse ne sont la sagesse.
Évidemment dans Zacharie les deux fils de
l'huile sont Jéhosuah et Zorobabel, et
probablement les deux témoins
(Apoc. XI, 5) ou fils de l'huile
seront deux prophètes, oints de
l'Éternel, et remplis d'une onction toute
particulière.
Votre ouvrage, cher frère, me
semble prouver que vous lisez beaucoup la Parole,
que vous êtes un homme intelligent, mais que
vous vous laissez aller un peu à votre
imagination, et que vous avez d'avance conçu
un système qui vous a paru cadrer avec
quelques points, et auquel vous avez voulu faire
tout arriver coûte que coûte, sans vous
en apercevoir, car une fois qu'on est lancé
dans un système, on le suit jusqu'au bout
avec une espèce de bonne foi, sans se douter
qu'on est conduit par son système
plutôt que par la Parole.
Une des difficultés que
rencontrent les commentateurs sérieux de
l''Apocalypse, c'est de savoir ce qu'il faut
prendre au figuré et ce
qu'il faut prendre à la lettre. Les
interprétations les plus modestes de ce
saint Livre, où l'on dira le plus
souvent : C'est peut-être ceci,
ou : Ceci est plus ou moins probable, seront
celles qui m'inspireront le plus de
confiance.
Jusqu'à présent, aucune de
celles que j'ai lues sur cette portion des
Écritures ne m'a pleinement satisfait ;
et tous les calculs relatifs au temps, à moi
connus, ont manqués.
Je soupçonne qu'à part les
points principaux, on n'a pas encore trouvé
la vraie clef, et plus d'une fois j'ai
demandé à Dieu de susciter le vrai
commentateur de l'Apocalypse.
Paix vous soit en notre Seigneur.
LETTRE
LXXXV
1846.
Qui nous a permis de décider du
sort de qui que ce soit ? ( Au sujet du
suicide)
Ma soeur,
Je comprends votre angoisse ; je voudrais
la partager davantage, surtout je voudrais pouvoir
l'adoucir. J'ai déjà vu deux cas qui
avaient du rapport avec la triste issue de vos
prières. Il y a un certain nombre
d'années qu'un homme plein de zèle,
et qui n'était pas étranger à
la Grâce de Dieu, se suicida, et laissa sur
sa table un billet dans lequel il demandait au
Sauveur de vouloir prier pour que ce dernier
péché lui fût
pardonné.
Il y a aussi un certain nombre
d'années que je fus dans le cas de voir une
personne qui me parut une vraie soeur en Christ, et
qui me demanda de lui expliquer les voies de Dieu
envers elle. Elle avait un fils pour qui elle avait
fait d'innombrables prières, à qui
elle disait avoir parlé fréquemment
du Seigneur. Hé
bien ! ce fils fût un rationaliste, il
écrivit un livre contre les
chrétiens, et il finit par prendre une
fièvre chaude et se suicider. La pauvre
mère me disait :
Comprenez-vous cette réponse
à mes prières ? Non, lui
répondis-je, je ne la comprends pas, parce
que « les voies de Dieu ne sont pas nos
voies, et ses pensées ne sont pas nos
pensées. » Un jour tout cela
s'expliquera. Pour le moment, il faut dire avec
David : « Je me suis tû et je
n'ai point ouvert la bouche, parce que c'est toi
qui l'as fait. » De plus, comme Dieu est
amour, nous devons être persuadés que
toutes ses voies sont amour, même celles qui
paraissent les plus sévères. Un jour
Il nous le montrera. En attendant, croyons-le par
la foi. Il est dit qu'un jour « Dieu
essuiera toute larme de nos yeux. » C'est
écrit, donc c'est vrai. Il s'ensuit qu'un
jour Il nous fera trouver des consolations pour
toutes les choses qui nous ont fait pleurer sur
cette terre. N'est-ce pas déjà un
sujet de consolation d'être assuré
qu'il y en a un, quoiqu'on ne le connaisse
pas ?
Enfin, dis-je à cette
mère : Qui vous a dit que votre enfant
n'est pas sauvé ? Comme le salut
dépend de l'élection de Dieu, cette
élection peut se manifester à la
dernière minute de la vie, et dans les
angoisses de la mort, quelque courtes qu'elles
soient.
Au surplus, qui nous a établis
juges ? Qui nous a permis de décider du
sort de qui que ce soit ? Laissons à
Dieu la place qui Lui appartient ; Lui seul
est le Juge des vivants et des morts. Autant je me
sens libre de décider que celui qui a le
Fils a la vie, autant je me sens peu libre de
prononcer sur le sort de qui que ce soit, une fois
qu'il est hors de ce monde. Ce n'est pas là
mon affaire, et quand on se mêle de ce qui ne
nous regarde pas, on en a toujours de
l'angoisse.
En attendant, je conviens que dans des
cas comme le vôtre, l'exercice de la foi est
très-difficile, et l'incertitude cruelle.
Mais que faire, sinon de se remettre entre les
mains de Celui qui console les
abattus, qui fait la plaie et qui la bande, et qui
peut faire pour nous infiniment plus que tout ce
que nous désirons et pensons. C'est entre
ses mains que je vous remets. J'espère que
tôt ou tard vous retirerez de cette
sévère épreuve le doux fruit
de justice dont parle l'Écriture, et que
vous aurez le mot de l'énigme de
Samson : « De celui qui
dévorait est procédée la
viande, et du fort est procédée la
douceur. »
En attendant, il est doux de pouvoir
pleurer et se plaindre dans le sein même de
Celui qui nous frappe, et de pouvoir Lui demander
que là où l'affliction abonde, la
consolation abonde aussi par
Jésus-Christ.
Bon courage, nous avançons. Les
peines d'hier ne reviendront pas. Bientôt
nous entrerons dans le repos du peuple de Dieu, et
alors tout deviendra lumineux pour nous. C'est par
beaucoup d'afflictions qu'il faut y entrer, Dieu
l'a dit, il faut qu'il en soit ainsi, quand
même nous voudrions toujours faire ensorte
que cette parole ne s'exécutât pas.
Dieu est plus sage que nous. Il taille avant dans
les chairs pour couper cette gangrène du
péché qui gagne si facilement. Quand
nous le croyons cruel, Il est plein de
charité mais le coeur naturel n'en peut
juger ainsi ; c'est par la foi qu'il faut le
croire.
Dites-nous dans quelque temps si le
Seigneur vous a fait un peu de bien, et si vous
pouvez donner gloire à sa
fidélité dans votre
affliction.
Paix vous soit en notre
Seigneur !
|