Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE LXIII.
1842.
Ayez horreur de vous faire une justice de
quoi que ce soit .
Ma chère soeur,
Votre lettre m'a fait plaisir, mais je
serai encore plus heureux si le bien que vous avez
éprouvé est durable, car je vous ai
vue déjà dans de bons moments qui
n'ont pas eu toutes les suites que j'en aurais
attendu. Il y a trop souvent chez les enfants de
Dieu de ces mouvements qui sont comme la
rosée du matin et comme la nuée de
l'aube du jour qui s'en va. Tout demande à
être cultivé et
développée par la vigilance et la
prière, parce que l'esprit est prompt, mais
la chair est faible.
Je vous conseille surtout de travailler
pendant que vous êtes plus tranquille,
à vous fortifier en l'homme
intérieur, c'est-à-dire à
rendre votre communion avec Christ plus
étroite et plus habituelle ; sans cela
vous n'aurez qu'une piété de
circonstance ; vous croirez être plus
calme quand vous serez loin de vos occupations,
puis quand vous en serez de nouveau
entourée, vous retrouverez la même
agitation.
Ce qui vous manque, c'est d'être
bien assise aux pieds du Seigneur pour
l'écouter. Votre christianisme est trop
agité et trop extérieur. Vous
confondez souvent les moyens avec le but. De bonnes
prédications, de bonnes méditations,
de bonnes lettres, de bonnes conversations, de
bonnes relations, sont pour vous une grande partie
de votre christianisme, et pourtant toutes ces
choses ne sont que des moyens pour en atteindre une
beaucoup plus excellente, savoir la vie avec
Christ. Le chemin conduit à la ville, mais
le chemin n'est pas la ville ; et encore moins
la carte de route qu'on regarde sans y marcher,
est-elle la preuve qu'on
arrivera ?
Votre christianisme m'a paru quelquefois
un peu formaliste, c'est-à-dire que vous
preniez les cérémonies pour le culte
du coeur, les émotions passagères
pour la piété durable, et les
discours pour les actions.
Prenez-y garde ; tout ceci tient
à la propre justice et à
l'idée de se composer une religion dont ou
puisse se satisfaire. On va jusqu'à se faire
une propre justice de tenir ferme la doctrine du
salut par grâce, et d'aimer l'entendre
annoncer. Mais la doctrine de Christ n'est pas
Christ, et il est des gens qui ont la doctrine sans
avoir Celui qui est l'objet de la doctrine ;
tout comme il est des gens qui admirent la
piété des autres sans l'avoir, et qui
croient que cela leur suffit, ou, qui du moins se
trompent en croyant que l'admiration de la
piété, c'est la
piété.
Croyez-moi, ma soeur, moins de paroles
avec les hommes, et plus de paroles entre Dieu et
vous ; moins d'extérieur et plus
d'intérieur. Sur toute chose, plus de
pauvreté d'esprit et d'humiliation
véritable dans le sentiment de votre
néant une plus profonde persuasion que
Christ est tout pour vous une disposition plus
habituelle à se tenir à ses pieds,
pour recevoir de Lui jour par jour et moment par
moment tout ce dont vous avez besoin.
Ayez horreur de vous faire une justice
de quoi que ce soit ; des discours que vous
tenez, des bonnes choses que vous entendez, des
bonnes résolutions que vous formez, de votre
disposition à apprécier la
piété des autres ; tout cela
n'est pas Christ, tout cela est une abomination
devant Dieu quand on s'en fait un appui, tout cela
ne réjouit l'âme que pour un moment,
et la laisse ensuite dans les
ténèbres. On s'était
appuyé sur un roseau cassé, et
bientôt on retombe sur soi-même. Rien
ne flétrit l'âme et ne l'obscurcit
comme la propre justice ; rien ne la
relève, ne la réjouit et ne la rend
vigoureuse, comme de s'appuyer uniquement sur
Christ et sur ses mérites. Lisez à
cet égard le
chap. XVII de Jérémie
et le
chap. VIII de Job.
Du reste, j'ai bonne espérance de
vous, et je crois qu'il y a en vous un grain de foi
qui se développera en son temps, sous la
bénédiction du Seigneur. Mais il faut
pour cela employer les moyens qui
développent la vie, et éviter ce qui
peut l'étouffer. Puisque vous avez reconnu
que l'éloignement de tout ce qui agite voire
âme en l'occupant trop vous est favorable,
souvenez-vous-en quand vous rentrerez chez vous, et
retranchez de votre maison beaucoup de choses qui
fournissent un prétexte à
l'agitation.
Je ferai vos salutations aux
frères et soeurs comme vous m'en chargez.
L'expression de votre affection leur fera plaisir.
Elle m'en a fait à moi-même car
quoique je ne fasse pas consister la charité
cri démonstrations extérieures,
cependant là où même les
démonstrations manquent, il faut qu'il y ait
bien peu de chose. Grâces au Seigneur, il
m'est donné de me souvenir quelquefois de
vous dans mes prières ; je voudrais que
ce fût plus souvent ; mais heureusement
il en est un à la droite du Père, qui
prie pour nous sans tiédeur et sans
interruption.
Recevez, chère soeur,
l'expression de mon affection en Christ notre
espérance, et mes voeux pour qu'Il soit
votre vie à tous, afin que lorsque la mort
arrivera, elle vous soit un gain.
LETTRE LXIV
Pour le 1er janvier 1843.
Dieu ne travaille pas en nous au
gré de notre paresse, c'est-à-dire
sans que nous y concourions.
Et à toi, ma chère fille, que
faut-il te souhaiter ? Je pense que tu seras
d'accord avec moi quand je te
souhaiterai cette
piété qui a les promesses de la vie
présente et de celle qui est à venir.
Je suis bien aise que tu en aies toi-même
quelque désir ; mais tâche de
n'avoir pas le désir du paresseux qui le
tue, parce que ses mains ont refusé de
travailler. Il y a de nos jours beaucoup de gens
qui font force bons souhaits ; mais vraiment
à voir combien peu ils se réalisent,
on serait tenté de croire qu'un certain
nombre de ces souhaits ne sont que des
espèces de formes par lesquelles on cherche
à satisfaire et soi et les autres ; une
espèce de fausse monnaie qui a cours entre
gens qui s'en contentent réciproquement,
mais qui n'a vraiment pas cours dans le royaume des
cieux qui ne consiste pas en paroles, mais en
efficace.
Comme le Seigneur ne manque ni de
puissance, ni de fidélité, et comme
il a dit : « Si vous demandez une
chose en mon nom, je la ferai ; » il
faut que celui qui ne reçoit pas, ne demande
pas sincèrement ou ne demande pas au nom de
Jésus. « Vous n'obtenez
pas, » dit l'Esprit par l'apôtre
Jacques, « parce que vous ne demandez
pas ; vous demandez et vous n'obtenez pas,
parce VOUS demandez mal. »
Je ne puis absolument pas admettre,
parce que ce serait faire injure à Dieu qui
a promis le contraire, que celui qui prie
sincèrement et au nom de Jésus puisse
n'être pas exaucé, et ne pas faire des
progrès. D'ailleurs en priant, il faut
veiller, car il est dit : « Veillez
et priez. » Quand on a rempli sa cruche
à la fontaine, il ne faut pas la porter
négligemment, de manière à
verser de côté et d'autre, car
bientôt elle serait, aussi vide
qu'auparavant. Pour devenir riche, il faut non
seulement gagner, mais encore soigner ce qu'on a
pour ne pas le dissiper. On reçoit plus
qu'on ne le pense. Quand on se plaint à
Dieu, comme s'Il ne donnait rien, Il pourrait, en
réponse, nous faire un long catalogue des
grâces qu'Il nous a accordées et dont
nous n'avons pas profité. Dieu ne travaille
pas en nous au gré de notre paresse,
c'est-à-dire sans que nous y
concourions.
Adieu, ma chère enfant, je
t'embrasse de coeur ne pouvant le faire autrement.
Que le Père de notre Seigneur
Jésus-Christ te comble de ses grâces
les plus précieuses
Ton père.
LETTRE LXV
1843.
Pour qu'une Église soit vivante, il
faut que chacun de ses membres travaille à
le devenir.
Mon cher frère,
J'ai besoin d'avoir de vos
nouvelles : je suis vraiment dans
l'inquiétude à votre sujet, et plus
d'une fois j'ai crié à notre
Père céleste en votre faveur pour Lui
demander qu'Il vous rendît victorieux du
malheureux penchant dont vous m'entretenez.
Dites-moi si vous avez prié de votre
côté, et si vous avez obtenu une
délivrance. À toute force il faut
couper le bras, arracher l'oeil, qui font broncher.
Si votre métier vous offre des
tentations au-dessus de vos forces, il faut
absolument le quitter. Dieu est puissant pour vous
nourrir d'une autre manière.
La fin de toutes choses est proche, mon
cher frère, soyons donc sobres, et vigilants
dans les prières ; prenons garde
à nous, de peur que nos coeurs ne
s'appesantissent par l'excès des viandes et
du vin, et par les soucis de la vie.
Je souhaite que l'Eglise dont vous
faites partie ait non seulement la forme, mais la
vie d'une Église, car le Seigneur ne
soutient pas des formes sans vie, et là
où est le corps mort, là aussi
s'assemblent les aigles, c'est-à-dire les
instruments de destruction. Jamais les erreurs
n'auraient fait tant de mal aux Églises, si
nous avions eu une vie abondante, et qu'un amour
fraternel bien tendre nous eût unis
fortement les uns aux autres.
Reconnaissons que le Seigneur nous a
châtiés justement. Prions-le de ne pas
éteindre le lumignon qui fume, mais de le
rallumer par son souffle de vie ; serrons-nous
les uns contre les autres et chacun de nous contre
le Sauveur qui nous conseille d'acheter de Lui de
l'or éprouvé par le feu, afin que
nous devenions riches.
Pour qu'une Église soit vivante,
il faut que chacun de ses membres travaille
à le devenir. Si chacun attend beaucoup des
autres et donne peu ; si chacun attend que son
prochain lui rende la vie, sans chercher
lui-même à la retrouver, tout ira
très-mal, et on perdra le temps à
s'attendre inutilement les uns les autres.
On pourrait souvent dire aux
chrétiens ce que Jacob disait à ses
fils : « Pourquoi vous regardez-vous
les uns les autres ? » Il vaudrait
beaucoup mieux aller tous ensemble là
où Joseph a des greniers remplis de
blé, qu'il vend pour rien à ses
frères, que d'attendre la délivrance
qui vient de l'homme, et qui n'est que
vanité.
Ne perdons pas courage. Avec le temps,
tout ce qui est de Dieu demeurera ; tout ce
qui n'est pas de Dieu tombera tant chez les uns que
chez les autres. Lorsque tour a tour nous aurons
été promenés sur le crible ou
passés au creuset, ce qui restera se
rassemblera plus facilement en une seule masse.
C'est la crasse qui nous empêche de nous
fondre en un seul lingot.
Saluez très-affectueusement toute
l'Église et aussi vos parentes qui nous ont
si bien reçus. Que le Seigneur les
reçoive aussi dans sa plus intime communion,
etc.
LETTRE LXVI
Février 1843.
Regarder à soi, pour
s'étudier soi-même et se surveiller
exactement.
Mon cher ami,
Si je n'ai pas répondu plus
tôt à ta lettre, ce n'est pas faute
d'intérêt, mais faute de temps.
Elle m'a fait un vrai plaisir, car
supposant, comme j'ai lieu de le croire, que tout
ce que tu me dis est tiré de ton
expérience et non de ta tête, il ne me
semble pas douteux qu'il n'y ait une oeuvre
commencée en toi. Or, comme je sais que
Celui qui a commencé en nous la bonne oeuvre
la perfectionnera jusqu'au jour de Christ, j'ai
tout lieu de me réjouir à ton sujet.
Toutefois, comme on en voit qui
reçoivent la Parole avec joie, et qui
ensuite se retirent lorsque la tentation ou la
persécution survient ; comme il en est
d'autres qui reçoivent la Parole parmi les
épines où elle est
étouffée par les soucis, par les
inquiétudes et par les
voluptés ; il faut veiller et prier, ne
pas s'endormir sur ce qu'on a déjà
reçu, oublier les choses qui sont
derrière, s'avancer vers celles qui sont
devant. Le meilleur moyen pour ne pas
décroître, c'est de
croître.
Je suis bien aise que tu sois en garde
contre la propre justice. C'est un pays dans lequel
on fait toujours de nouvelles et tristes
découvertes. Autre chose est d'admettre un
système où la propre justice n'entre
pour rien autre chose est d'être
dépouillé réellement et
pratiquement de toute propre justice. C'est un
Protée qui prend toutes les formes. Luther
disait à ses étudiants :
« Il y a trente ans que je prêche
contre la propre justice, et j'en suis encore tout
rempli. » - Chose étonnante, j'ai
vu des chrétiens qui me
semblaient évidemment se faire une propre
justice d'être dépouillés,
à ce qu'ils croyaient, de la propre justice.
Ils parlaient de leur affranchissement en Christ
avec un ton de satisfaction, et de ce qu'ils
appelaient le peu d'affranchissement des autres
avec un tel dédain, qu'ils me paraissaient
annoncer que la chose était plus dans leur
tête que dans leur coeur.
L'homme le plus dépouillé
de propre justice, s'humiliera encore en
reconnaissant qu'il en a beaucoup ; car s'il
n'en avait plus, il n'aurait plus d'orgueil. Or, il
n'y a qu'un orgueilleux qui puisse s'imaginer
être tout-à-fait humble. Les preuves
du dépouillement de la propre justice sont
de regarder beaucoup plus à Jésus
qu'à soi ; de ne rien faire sans
chercher sa force ; de se croire capable de
tout mal ; de ne s'étonner d'aucune des
monstruosités qu'on découvre dans son
coeur ; d'avouer franchement ses fautes ;
de supporter la correction ; de ne chercher
d'autre justification que le sang de Christ ;
de pouvoir envisager la mort sans frayeur, en se
sentant le premier des pécheurs.
Ceci m'amène à te
conseiller de prendre garde à une erreur
dans laquelle tombent quelques chrétiens,
c'est de croire que le sentiment de la
misère est contraire au dépouillement
de la propre justice. Ces chrétiens, sous
prétexte qu'il ne faut pas regarder à
soi pour y trouver un fondement de salut, ne
souffrent guère qu'on les engage à
sonder leur plaie. Quand on le fait, ils
répondent que de regarder à soi
décourage, qu'il vaut mieux regarder
à Christ où l'on trouve tout ce qu'il
nous faut. Ils crient qu'on veut les remettre sous
la Loi, qu'on ne comprend pas la Grâce, etc.,
etc.
Le fait est, qu'il ne faut jamais
regarder à soi pour se relever, pour y
chercher de la justice ou de la force. Mais il faut
regarder à soi, pour s'étudier
soi-même et se surveiller exactement. C'est
à quoi reviennent tous les passages qui
disent :
« Veillez ; »
« soyez attentifs sur vous
mêmes»,
« examinez-vous vous-mêmes
« gardez votre coeur de tout ce dont il
faut se garder, etc., etc.
Je suis bien aise que tu aimes le Miel
découlant du Rocher, qui est excellent pour
nous dépouiller de nos vieux
vêtements. Toutefois, il renferme quelques
pensées hasardées ou exprimées
avec peu de justesse.
Nourris-toi avant tout de la Parole qui
ne contient aucune erreur, ni pour le fond, ni pour
l'expression : « Le
témoignage de l'Éternel est
assuré ; c'est un argent affiné
au fourneau par sept fois. »
« Le principal point de la Parole, c'est
la vérité. » -
Les hommes n'écrivent presque
jamais sur les choses spirituelles sans y
mêler du leur, c'est-à-dire du faux.
C'est pourquoi il faut aller avant tout aux sources
de l'eau vive où les eaux sont pures et sans
mélange. Quant à ce qu'ont
écrit les hommes, « il faut
éprouver toutes choses et retenir ce qui est
bon. »
Je suis bien aise que tu sentes à
présent la nécessité de te
lier avec des chrétiens :
« Celui qui est né de Dieu aime
aussi celui qui est né de Lui. » -
J'espère que tu seras gardé contre
une certaine teinte mystique de quelques
chrétiens de nos jours, qui, lassés
des discussions, se renferment en eux-mêmes
ou se concentrent dans un petit cercle de
chrétiens de leur choix, où ils
cherchent à vivre le plus doucement
possible. C'est quelque chose qui est fort
agréable à notre homme naturel, mais
qui n'est pas du tout selon Dieu, qui veut que nous
aimions tous nos frères, que nous nous
exhortions tous l'un l'autre, que nous reprenions
les déréglés, que nous
supportions les faibles, et que nous soyions d'un
esprit patient envers tous.
Adieu, cher ami, que le Seigneur dirige
ton coeur à l'amour de Dieu et à
l'attente de Christ !
LETTRE LXVII
1843.
La vie ne se trouve ni dans la voie du
paresseux, ni dans la voie de la propre
justice.
Je suis bien aise, ma chère
soeur, que la vie ait repris dans votre âme.
C'est le premier des biens. Il faut tout faire,
tout sacrifier pour l'avoir. Elle ne se trouve ni
dans la voie du paresseux, ni dans la voie de la
propre justice. Elle se trouve en s'approchant de
Christ qui est la vie, et qui est venu, afin que
ses brebis aient la vie, et qu'elles l'aient
même avec abondance. Il faut demander
fréquemment le souffle du saint-Esprit, dont
l'affection est la vie et la paix.
David dit dans un psaume en parlant des
créatures : « Caches-tu ta
face ? elles sont troublées ;
retires-tu ton souffle ? elles
défaillent et retournent en poudre ;
mais si tu renvoies ton Esprit, elles sont
créées de nouveau, et tu renouvelles
la face de la terre. »
C'est pourquoi, lorsque nous nous
sentons défaillir, il faut crier à
Dieu : « Fais reluire sur moi la
clarté de ta face, et je serai
délivré ! Rends-moi la vie, et
j'invoquerai ton nom ! » Il faut
ouvrir par le désir de l'âme et par le
regard sur Christ toutes les fenêtres de
notre coeur, afin que les rayons du soleil de
justice puissent y pénétrer et y
porter vie, lumière, chaleur et
santé. Puis, il faut ôter tout ce qui
fait ombre devant notre âme ; les vaines
paroles, la bonne opinion de soi-même, les
péchés d'habitude, la
négligence à lire la Parole de Dieu,
les agitations inutiles, etc., etc. Il faut au
moins combattre toutes ces choses,
c'est-à-dire, avec le secours de Dieu, faire
effort pour les écarter, comme quelqu'un qui
couperait chaque jour des branches qui
s'entrelaceraient devant ses fenêtres et
intercepteraient les rayons du soleil. - Ma
chère soeur, que le
Seigneur nous enseigne de telle manière que
ces choses soient pour nous beaucoup plus que des
paroles !
Que la paix de Dieu, qui passe toute
intelligence, garde votre coeur et vos sentiments
en Jésus-Christ
LETTRE LXVIII
1843.
La vie prêche plus que les
discours.
La simplicité convient à
tous les chrétiens, et
particulièrement à ceux qui
prêchent le renoncement au monde et à
ses convoitises. Comme vous l'avez dit en parlant
du brave frère ...., la vie prêche
plus que les discours. Je suis intimément
persuadé que lorsque Dieu enverra des hommes
qui auront un renoncement au monde semblable
à celui de Jean-Baptiste, d'Elie, des
apôtres et des premiers chrétiens, ou
à celui de quelques missionnaires des
premiers siècles, qui se nourrissaient de
pain grossier et mangeaient dans des plats de bois,
alors on verra dans le monde de grandes choses.
Nous sommes encore trop messieurs, trop gens
imitant les façons de faire des nations,
pour frapper le monde par les contrastes que nous
devons présenter avec lui ; le tout
vient de ce que l'amour du Seigneur est encore trop
faible dans nos coeurs, et cette faiblesse vient de
ce que nous ne croyons pas véritablement ce
qu'Il a fait pour nous. Le ciel, l'enfer et la
croix de Christ sont encore pour nous, au moins
pour une partie, des dogmes plutôt que des
réalités. Le remède est de
beaucoup demander l'Esprit qui conduit dans toute
la vérité, et l'accomplissement de
cette promesse d'Esaïe :
« J'établirai leur oeuvre
dans la
vérité. » Puis, se dire
souvent à soi-même : Crois-tu ou
ne crois-tu pas ? Parles-tu sincèrement
et au nom de Dieu ? Dieu a-t-Il donné
un spectacle en la croix de Christ, ou bien
s'est-il passé là la plus solennelle
des réalités ?
Puis, il faut mettre la main à
l'oeuvre pour entrer de plus en plus dans la
réalité. Il faut tendre à
être réel dans ses relations avec
Dieu ; réel dans ses prières,
dans son ton, dans sa foi, dans ses renoncements.
Il faut éviter tout ce qui est faux, tout ce
qui sent la parade, tout ce qui ne mène pas
à l'exécution.
J'espère que l'indisposition dont
vous me parlez n'aura pas été grave,
et que vous êtes à l'ouvrage comme
à l'ordinaire. La vie de ceux qui
travaillent pour le Seigneur suit d'autres
règles que la vie des hommes qui ont le
temps d'être malades. Quant à nous, le
Seigneur qui veut bien nous employer, abrège
souvent nos indispositions, et les guérit de
sa propre main. Lorsqu'on connaît ce secret
de sa bienveillance, on peut quelquefois se mettre
en chemin avec la fièvre, persuadé
qu'elle se guérira dans la route.
LETTRE LXIX
Décembre 1843.
Notre grand mal, c'est de n'être pas
assez simples.
Madame et chère soeur,
Il paraît d'après votre
lettre, que le Seigneur Lui-même vous a
déjà amenée là
où je voulais vous amener, c'est à
aller à Lui telle que vous êtes. Je
crois que l'ouverture que vous m'avez faite aura
été bénie pour vous, et aura
contribué à voire
délivrance. Ce n'est pas pour rien qu'il est
écrit : « Confessez-vous vos
fautes les uns aux autres et priez les uns pour les
autres, afin que vous soyiez
guéris. »
Quoique je jouisse du bon moment que
vous avez, je puis presque vous prédire que
de mauvais moments reviendront. Il est bien rare
qu'une âme ballottée et dont le
caractère naturel est porté a la
mélancolie, arrive tout d'un coup à
un calme permanent. Prenez patience, chère
soeur, le temps du repos arrivera une fois. Laissez
faire Celui qui vous connaît mieux que vous
ne vous connaissez vous-même, et qui humilie
votre âme par le travail. L'orgueil est le
pire de nos maux, et celui qui engendre presque
tous les autres. Voilà pourquoi le travail
de l'Esprit saint porte principalement sur ce
point. Or, rien n'est plus humiliant que d'avoir
beaucoup dans l'intelligence et peu dans le
coeur ; d'être sans cesse en vue de
misères que l'on connaît, qui font
gémir, et dont pourtant ou ne peut pas se
débarrasser tout-à-fait.
Croyez que j'en connais quelque chose,
et qu'il n'est pas une des misères dont vous
me parlez, que je ne trouve en moi avec d'autres
encore. Plusieurs fois j'ai reçu d'autres
âmes les mêmes confidences. Dans tous
ces cas, je n'ai pu donner et je ne puis me donner
à moi-même d'autres directions que
celle que me donna, il y a quelques années,
un frère auquel je m'ouvris.
« J'ai toujours
trouvé, » me dit-il,
« que j'étais heureux quand il
m'était donné d'aller à
Jésus tel que je suis. »
Je vous répéterai aussi un
mot que mon bienheureux frère me dit
à une époque où, étant
dans un grand travail d'âme, je m'ouvris
à Lui : « Quand tu serais
noir comme l'enfer, encore aurais-tu le droit,
comme enfant d'Adam, d'aller à Celui qui est
mort pour les pêcheurs, et de te
prévaloir des promesses faites à tous
ceux qui croient en Lui. »
Notre grand mal, c'est de n'être
pas assez simples. Nous faisons en quelque sorte
des compliments et des façons avec
le Sauveur. Nous arrivons
à Lui avec une espèce
d'étiquette, au lieu qu'il faudrait y aller
tout bonnement comme des pécheurs perdus qui
ne peuvent pas même se faire un mérite
de la connaissance de leurs misères, car ils
en ont infiniment plus qu'ils n'en voient
eux-mêmes ; et puis, connaître
n'est pas sentir.
Je puis vous dire par expérience
que le mal est à moitié guéri,
lorsqu'on sait consentir à un état
d'âme humilié, et dire avec le
prophète : « Quoi qu'il en
soit, c'est une maladie qu'il faut que je
souffre. » « Le dépit
nous tue, » comme le dit
l'Écriture, parce qu'il ajoute au mal que
nous avons, un mal plus grand encore, qui est le
dépit lui-même. Les maux
s'exagèrent par l'attention qu'on y donne,
et ils s'enveniment lorsque l'âme s'en
aigrit. Il se fait alors dans l'âme un
travail de dépit pour se débarrasser
du mal, dépit qui tourne le fer dans la
plaie et qui l'élargit. Il vaut mieux rester
abattu sous sa charge, en criant à Dieu pour
avoir du secours, que de faire de vains et inutiles
efforts pour se relever par soi-même. Il vaut
mieux rester paisiblement en prison, que de se
casser la tête contre les murs pour les
renverser.
Voici deux passages d'un grand usage
pour votre cas : « Accommodez-vous
aux choses basses, » puis -
« Humiliez-vous sous la puissante main de
Dieu, et Il vous élèvera quand il en
sera temps, Lui remettant tout ce qui vous charge,
parce qu'Il prend soin de vous. »
Je n'ai plus que le temps de vous saluer
bien affectueusement en notre Seigneur.
Votre ami et frère.
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