Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE V
1826.
Un véritable Job ! Vous
exagérez !
Cher frère,
Vous vous plaignez d'être en butte
à des insultes ; mais vous avez cela de
commun avec beaucoup de frères et avec
Jésus, votre Maître. On ne vous a pas
encore crucifié comme lui entre deux
brigands.... D'ailleurs, ne vous l'a-t-il pas
prédit ? « Vous serez
haï de tous à cause de mon
nom. » - Ne vous a-t-il pas dit de
« tressaillir de joie quand on vous
dirait des injures à cause de son
nom ? » - « Relevez donc
vos mains qui sont lâches et fortifiez vos
genoux qui sont déjoints, » et
souvenez-vous que si quelqu'un souffre comme
chrétien, il ne doit point en avoir honte,
mais glorifier Dieu en cela.
Vous vous dites un véritable
Job ! En cela vous exagérez.
D'abord je doute que Dieu pût
rendre à votre intégrité un
témoignage aussi éclatant qu'à
celle de Job qui « n'avait pas son
égal sur la terre. »
Secondement, êtes-vous
tombés comme Job, de l'état le plus
opulent à l'état le plus
pauvre ? Avez-vous. comme lui, perdu tous vos
enfants, de mort violente ? Êtes-vous,
comme lui, frappé d'un ulcère malin
de la tête aux pieds ?
Je crains, cher frère, que vous
ne vous exagériez le malheur de votre
position, et que vous ne détourniez les yeux
de ce que le Seigneur a fait pour vous, pour ne les
porter que sur ce qui vous manque. Je voudrais voir
chez vous plus de courage, de reconnaissance, de
confiance véritable. Je crains que votre foi
n'ait baissé. Si je vous juge trop
sévèrement, pardonnez-le moi ;
je n'ai désiré que de vous avertir
pour votre bien, et de vous rendre plus
résigné à votre sort.
Adieu, que la paix du Seigneur soit avec
vous !
LETTRE VI
1826.
Les épines qui stimulent,
l'âme la réveillent et la font
regarder en haut
Mon cher frère,
D'après ce que tu me dis, je suis
en peine de ta santé. Soigne-toi, je t'en
prie, et prends un peu de repos. Je crains que tu
ne fasses comme on fait quand on a joui d'une forte
santé : l'on ne s'imagine jamais qu'on
puisse trouver le bout de ses forces, et être
sérieusement malade. Puis l'on va
jusqu'à ce que l'on tombe tout à
plat.
Penses-y. Il s'agit de prévenir
un grand mal, et de se reposer un peu pour
n'être pas obligé de se reposer
longtemps. Donne-moi souvent des bulletins de la
santé. Que le bon Médecin te soit en
aide de toutes manières. Je ne suis pas
paresseux à l'invoquer pour toi. J'y suis
porté par plus d'une raison.
Vous êtes bien bons, chers amis,
de me regretter. En vérité, je ne le
mérite pas. Je ne puis pourtant pas dire que
je sois fâché d'être
regretté, car je ne suis que trop sensible
au plaisir d'être aimé de ceux
à l'affection desquels j'attache du
prix.
Je me sais trouvé
très-heureux chez vous ; mais je ne
sais pas après tout, si toutes ces douceurs
valent pour l'âme, les épines qui la
stimulent, la réveillent et la font regarder
en haut. Mon âme est si rebelle qu'elle n'est
jamais mieux qu'au milieu de l'épreuve et du
combat.
Ma santé est passable, meilleure
que je ne pouvais l'espérer d'après
tout ce que j'ai eu à écrire et
surtout à parler depuis mon retour. Les
occasions venaient tellement au-devant de moi,
qu'il n'y avait pas moyen de reculer. Aujourd'hui
encore, quoique fatigué de ma
méditation d'hier, il faut que j'aille
à demi-lieue d'ici vers une malade qui
désire entendre la Parole.
J'éprouve quelquefois de
l'angoisse, placé entre ma faiblesse
corporelle qui produit parfois un certain
affaiblissement d'âme, et entre le
désir de travailler et de faire l'ouvrage
qui est à ma portée. Il me semble que
Dieu devrait me donner plus de force ou envoyer ici
un autre ouvrier. Cela est mauvais, sans doute,
mais cela est ainsi.
Mes plus tendres amitiés en
Christ à tous les tiens.
Adieu, cher frère, que
l'Éternel te soit un salut et un bouclier.
LETTRE VII
1826.
Toute plante qui vit, doit
croître
« Croissez dans la grâce et dans
la connaissance de notre Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ » (2 Pierre III, 18).
Toute plante qui vit, doit croître. Chaque
plante a besoin du terrain qui lui est propre pour
pouvoir croître. Les unes demandent les
marais, d'autres les hautes roches, etc. - Les
plantes spirituelles ont aussi besoin d'un terrain
et d'un climat particuliers. Ce terrain, c'est
celui de, la grâce !
La grâce, c'est le pardon plein et
entier de tous les péchés c'est cette
volonté de Dieu de sauver ; c'est ce
pardon, cette force, cette vie, dont l'âme a
un continuel besoin ; c'est l'amour de Dieu en
action, en faveur du pécheur et dans le
pécheur.
On est placé dans cette
grâce par la connaissance de Jésus.
Plus on le connaît, plus on est
enraciné dans cette grâce. - Cette
grâce fait croître.
Dans cette grâce il faut sentir le
besoin de croître, il faut être
assuré d'y participer, en jouir, et porter
les fruits - de la mesure qu'on en a
déjà reçue.
Les moyens de croître sont :
La prière, la lecture et la
méditation de la Parole, l'union entre les
chrétiens
(Ephés. IV, 15, 16). - Les
plantes de Dieu gagnent à être
rapprochées les unes des autres. Les arbres
prospèrent bien plus en forêt que
lorsqu'ils sont isolés. En forêt, les
orages leur sont bien moins nuisibles.
LETTRE VIII
1827.
Les morts n'ont pas faim
Je remercie le frère ....de son
souvenir : Il m'est donné quelquefois
de penser à lui. Je ne doute nullement de sa
piété, et je crois qu'il y a des
choses précieuses dans son âme, mais
je pense qu'il serait plus heureux s'il pouvait
faire taire son imagination, et marcher par une foi
toute simple, tout unie ; et par des voies
toutes petites, tout humbles et tout ordinaires.
Ceux qui ont trouvé ce chemin ont le secret
du repos et du bonheur. Mais Dieu seul peut calmer
les imaginations naturellement actives, et leur
dire « Tiens-toi calme,
tais-toi. »
Quant à vous, je vois que vous
avez toujours faim et soif. C'est une bonne marque.
Les morts n'ont pas faim. En attendant d'autres
témoignages, réjouissez-vous d'avoir
celui de la foi. Il est dit que celui qui croit, a
le témoignage de Dieu au-dedans de lui.
Ne vous effrayez pas de trouver de
l'incrédulité à
côté de la foi. Il faut seulement
dire : « Je crois, Seigneur,
subviens à mon
incrédulité. » Si vous
n'aviez pas de foi, vous ne verriez pas votre
incrédulité. Là où
(comme il est dit dans Job) rien ne reluit que les
ténèbres, on ne voit pas les
ténèbres ; mais si l'on
introduit un rayon de lumière dans les
ténèbres, aussitôt ce rayon les
fait ressortir.
Si vous voyez toujours plus la
méchanceté de votre coeur, tant
mieux ; c'est preuve que vous êtes
lumière en notre Seigneur ; car il est
dit dans les Éphésiens que tout ce
qui est manifesté est lumière. - Nous
pleurons souvent de ce qui devrait nous
réjouir, parce que c'est la preuve de
l'oeuvre de Dieu dans notre âme. - Allez le
mieux que vous pourrez avec
votre grain de foi. Quand on ne peut pas avoir une
lampe à la main, il faut marcher avec son
lumignon. Mieux vaut marcher comme on peut que de
perdre le temps à se lamenter de ce qu'on ne
peut pas marcher mieux. Mieux vaut rendre
grâces de ce qu'on a, que de se
décourager de ce qu'on n'a pas.
Dans un corps, il y des parties fortes
et des parties faibles ; et celles qui
paraissent les plus faibles sont les plus
nécessaires
(1 Cor. XII, 22).
Mettons que vous ne soyez que le petit
doigt dans le corps du Seigneur, il ne veut pas le
laisser périr ; car
« personne n'a en haine sa propre chair,
mais il la nourrit et l'entretient, comme le
Seigneur le fait à l'égard de
l'Église »
(Ephés. V, 29). Ne
soignez-vous pas votre petit doigt aussi bien que
votre tête, et le reniez-vous parce qu'il est
petit ?
Allons, bon courage ! Le Seigneur
vous aime et nous avons tout en Lui.
Ayez le coeur joyeux ; il vaut une
médecine, dit l'Esprit saint.
LETTRE IX
Mars 1827.
Mis quelquefois de
côté pour nous faire sentir que
Dieu peut se passer de nous
Mon cher ami,
J'ai besoin d'avoir de tes nouvelles. Si
tu ne peux pas écrire, prie ta soeur de
vouloir bien le faire. Il me semble que c'est
seulement depuis que tu es malade que je sens
combien je t'aime. Je voudrais savoir si tu as pu
pourvoir à tes fonctions, car je sais que ce
sera là ton seul sujet d'inquiétude.
Je regrette de ne pouvoir rien faire
pour toi à cet égard ; mais si
en quelque autre chose je pouvais t'être
utile, emploie-moi librement.
J'ai souvent élevé mes mains vers le
trône de grâces, et il m'est doux de
penser que ce n'est pas en vain, et que tu as, un
Intercesseur auprès du Père, qui
t'obtient tout ce qui peut t'être
nécessaire dans la circonstance où tu
te trouves.
J'ai la persuasion que cette maladie
sera pour la gloire de Dieu, et que tu en sortiras
avec de nouvelles bénédictions d'en
haut. Il nous est bon, à nous qui sommes
employés au règne de Dieu,
d'être mis quelquefois de
côté ; quand ce ne serait que
pour nous faire sentir que Dieu peut se passer de
nous, et que s'il nous emploie, c'est une
grâce qu'Il nous fait ; car Il pourrait
à notre place susciter, s'il le voulait,
vingt ouvriers meilleurs que nous. Je me
réjouis des sujets de joie spirituelle que
Dieu te donne autour de toi : C'est un grand
adoucissement à ton épreuve.
J'espère que tes paroissiens te
voyant malade, apprécieront mieux ce que
Dieu a mis en toi, et qu'ils écouteront avec
plus d'attention la Parole de vie, quand tu la leur
porteras de nouveau. Il faut quelquefois des
secousses pour sortir les âmes de leur
apathie.
Adieu, bien-aimé, que la
vérité et la gratuité te
gardent continuellement !
LETTRE X
1827.
Pour ne pas ôter aux vrais pauvres
l'argent qui leur est dû
Cher frère,
La raison de votre santé est
décisive pour ne pas vous occuper à
présent d'un travail qui épuiserait
vos forces. Quant à vos autres raisons,
elles sont édifiantes par ce qu'elles
montrent la confiance que vous avez en la force de
la Parole maniée par une
main toute faible selon la chair. Elles ne sont pas
sans poids quant à votre cas particulier, en
ce qu'elles montrent que votre manque d'instruction
n'empêche pas que vous ne puissiez faire du
bien ; mais je les crois sans force quand il
s'agirait de poser le principe
général qu'un prédicateur peut
se passer d'instruction. Car je ne vois pas que
l'instruction qu'il aurait l'empêchât
de faire le bien que vous faites sans instruction,
et je crois que dans bien des cas elle le mettrait
à même d'en faire davantage, par une
connaissance plus approfondie de la Parole, et en
le mettant en état de la défendre
contre les attaques de ceux qui tirent des
arguments du sens prétendu qu'ils attribuent
aux mots du texte original. L'instruction
maniée par un homme pieux, est un moyen
souvent béni de Dieu.
Mon avis très-décidé est
que:
1° Une église, avant de
recevoir une personne dans son sein, doit l'engager
à mettre ses affaires en règle et
à liquider, à moins qu'elle ne prouve
qu'elle a plus de biens que de dettes.
2° Qu'une église doit
surveiller de près ses membres pour qu'ils
ne contractent pas des dettes par défaut
d'ordre, d'économie, ou par des entreprises
mal entendues.
3° Qu'il n'est aucun sacrifice que
les enfants de Dieu de toute église ne
doivent faire, pour soutenir un frère ou une
soeur qui, ayant suivi les directions de son
église dans les articles
précédents, ont liquidé par
remise de leurs biens à la justice ou
autrement, ont adopté le genre de travail et
de vie que leur a conseillé l'église,
et dirigent leurs affaires sous son inspection.
Dans ce cas-là, il faut que celui
qui a deux robes en donne une, et que celui qui a
de quoi manger en fasse de même ; et
j'espère que Dieu me donnera d'être le
premier à observer ce précepte dans
un cas comme celui-là, parce que je donnerai
avec joie, sachant que mon argent est bien
employé.
Mais donner pour liquider des dettes
contractées en tout ou partie avant la
conversion, ou par une mauvaise gestion depuis la
conversion ; donner pour entretenir un
commerce où l'on se coule à fond, ou
pour en commencer un avec peu de chances
favorables ; donner sans que le frère
ou la soeur soit régulièrement
inspecté dans ses dépenses :
c'est, à mon avis, mal employer son
argent ; c'est ouvrir une porte aux hypocrites
qui se jetteront parmi nous pour faire payer leurs
dettes, ou à la négligence et
à la mauvaise gestion des frères et
soeurs qui, après avoir fait des dettes,
viendront demander qu'on les paie. C'est
entraîner les églises dans des
embarras inextricables, et ôter à de
vrais pauvres l'argent qu'on emploiera à
soulager des gens qui se sont mis dans des embarras
qu'on aurait pu éviter.
J'aime mieux qu'un frère et une
soeur ayant livré tout leur bien à la
justice, ne gagnent qu'un batz par jour, que de
rester dans un état embarrassé,
où les dettes s'augmentent tous les jours.
Trois cents batz font trente francs, et trente
francs gagnés valent mieux que quatre cents
et tant de francs perdus. Le reste de la
dépense devra alors être fourni par
les frères dont la
générosité, dans ce cas, doit
être aussi étendue que les besoins
l'exigent.
Réfléchissez à ces
choses, et dites-moi ce que vous en pensez. Que
votre paix soit multipliée par la
bénédiction du saint-Esprit !
LETTRE
XI
Juillet 1829.
J'attends tout de Celui qui relève
les abattus
Je saisis cette occasion pour me rappeler
à ton bon souvenir et à celui de ta
famille.
La mienne est bien, Dieu en soit
béni. Mon corps est assez affaissé,
mon âme aussi. Celui qui fouille
Jérusalem avec des lampes m'a fouillé
ces temps-ci, et j'ai trouvé bien de
l'oripeau et du clinquant mêlé avec de
l'or, tellement que je n'ai même pas trop su
ce qui me restait de dons véritables de
l'Esprit. Cependant, ce n'est que par l'Esprit que
je puis avoir vu ma profonde misère et mes
illusions, ce qui me donne bonne espérance.
J'attends tout de Celui qui relève les
abattus ; mais je suis bien résolu
à rester longtemps dans cet état,
plutôt que de me relever par des efforts
propres, et plutôt que de produire des fruits
de la chair sous l'apparence de fruits de
l'Esprit.
Je crains par-dessus tout ces branches,
en apparence vigoureuses, qui croissent au-dessous
de l'ente.
Je prie Dieu de m'humilier sous sa
puissante main, afin qu'il m'élève
quand il en sera temps.
J'espère que Dieu m'avant
amené à te faire part de mon
état, sans que j'en eusse d'abord
l'intention, ce sera pour mon bien, et cela
t'engagera à prier pour moi, afin que Celui
qui plante solidement les siens me plante ainsi
pour sa gloire et mon salut en
Jésus.
Adieu, ton affectionné et bien
réellement indigne frère.
LETTRE
XII
1829.
Lait empoisonné et fausses
caresses
Je félicite bien le cher
frère.... sur l'heureuse délivrance
de sa femme. Que son enfant soit béni de
notre Père en Jésus. J'envoie mes
salutations à sa femme. Je voudrais pouvoir
la féliciter de ce qu'elle serait née
à Christ en même temps que son enfant
est né à cette vie mortelle. Ne
serait-elle pourtant pas plus heureuse de
s'être abandonnée à l'amour de
Jésus, et de s'y reposer doucement et en
confiance, comme son enfant repose dans son
sein !
Que dirait-elle si une femme cruelle
prenait son enfant pendant son absence, l'emportait
en lui offrant un sein plein d'un lait
empoisonné, et cherchait à
l'étouffer en le caressant. Trouverait-elle
son enfant heureux, parce que le pauvre petit se
contenterait de ce lait empoisonné et de ces
fausses caresses ? Voilà pourtant la
position d'une âme non convertie. Le diable
la berce de fausses espérances, la nourrit
de faux plaisirs et, au milieu d'une folle
gaîté qu'il excite, il l'empoisonne et
la fait périr.
Veuillez bien. expliquer au frère
.... que ce n'est par aucun motif de mépris
que je ne lui réponds pas à
lui-même.
Dieu me garde de mépriser aucun
de ces petits qui croient en Jésus.
Grâces à mon Dieu, mes misères
me sont de plus en plus tellement rendues
sensibles, que je suis tenu continuellement en
garde contre la pensée de m'élever,
et que je puis en vérité et sous le
regard de Dieu dire de celui qui semble le plus
petit d'entre les frères, qu'il est plus
grand que moi, malgré l'orgueil naturel qui
me dit le contraire.
Je recommande à ce frère
de prier pour moi.
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