Oeuvres posthumme de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE I
1821.
La meilleure manière de bien
comprendre l'Écriture...
Quelque bonne que soit la parole de
l'homme, elle n'a jamais l'efficace de la Parole de
Dieu. Saint Paul dit que la Parole de Dieu est
l'épée de l'Esprit,
c'est-à-dire le moyen par lequel l'Esprit de
Dieu agit sur notre âme. Il est donc
essentiel de lire avec attention cette Parole si
efficace, et de la sonder avec le secours de
l'Esprit de Dieu, qui l'a dictée. Je suis
sûr que celui qui lit trois fois avec
attention dix versets de la Bible, est beaucoup
plus édifié que celui qui lirait
à la légère tout un chapitre
avec les réflexions d'Osterwald.
Ce n'est pas que des réflexions
ne pussent être bonnes, mais il faudrait
qu'elles développassent le sens de chaque
verset, l'un après l'autre, au lieu
d'être des réflexions
générales, qui souvent n'entrent
point dans le sens particulier et frappant de la
partie de l'Écriture sainte qu'on a lue. La
meilleure manière de bien comprendre
l'Écriture, c'est de la beaucoup lire; on
s'accoutume à son langage, un passage en
explique un autre, et peu à peu Dieu
récompense notre
persévérance en nous donnant une plus
entière intelligence de sa Parole.
J'ai vu des gens d'un esprit fort
ordinaire comprendre d'une manière admirable
l'Écriture sainte, taudis qu'on entend des
personnes d'esprit, dire : Je n'y comprends rien,
elle est obscure pour moi. C'est que Dieu veut
qu'on aille à Lui, non pas en gens d'esprit
qui vont chercher un aliment à leur vaine
curiosité, mais en gens qui, semblables
à des enfants, veulent recevoir avec
humilité les instructions d'un père,
et s'y soumettre.
La Parole de Dieu restaure l'âme
de ceux qui y cherchent le pardon de leurs
péchés, la paix de la conscience, la
force pour vaincre le monde et leurs passions, et
la consolation dans les maux de la vie. Mais les
orgueilleux et ceux qui ne veulent pas se corriger
de leurs péchés n'y voient que folie
et en sont rebutés. L'Évangile, dit
saint Paul, est une odeur de vie pour ceux qui sont
sauvés, et une odeur de mort pour ceux qui
périssent.
Puissiez-vous, en lisant avec un coeur
bien disposé cette sainte Parole, y trouver
la vie de votre âme, comme je l'y ai
trouvée et l'y trouve tous les jours !
Hélas ! vous ne tarderez pas à voir
en la lisant qu'on n'y croit guère, qu'on ne
la pratique guère dans le siècle
où nous vivons, et que nous avons autant
besoin de nous convertir que si nous étions
des païens ; car l'amour de Dieu et du
prochain sont bien faibles dans notre coeur.
Mais vous trouverez aussi toutes les
admirables ressources que Dieu fournit aux pauvres
pécheurs ; pardon pour, tous ceux qui ne
cherchent leur salut que par la foi en Christ mort
pour nous ! guérison de l'âme pour
tous ceux qui demandent à Dieu au nom de
Jésus-Christ, les secours du saint-Esprit
qui renouvelle notre âme, change notre coeur
et nous rend de nouvelles créatures.
Puissiez-vous apprendre toutes ces
bonnes choses, et en profiter, vous et les
vôtres, car hors de Christ il n'y a point de
salut.
LETTRE Il
Janvier 1822.
C'est là mon ouvrage...
l'Éternel a fait venir sur Lui
l'iniquité de nous tous
Je ne veux pas laisser passer
l'époque de ce renouvellement
d'année, sans venir m'entretenir avec vous
quelques instants. Je pense que vous n'avez pas
douté des voeux bien sincères que
j'ai faits pour vous et pour votre famille. J'en
fais pour tous les hommes, et à plus forte
raison pour ceux qui me sont unis par les liens de
la parenté.
Je puis même dire que mon coeur me
porte à en faire tout
particulièrement pour vous qui avez
été entre les mains de Dieu un
instrument pour la conservation de ma vie, dans un
temps où mon âme était bien
éloignée de Dieu, je vous assure.
Vous savez combien il y avait alors de mauvaises
choses en moi. Hélas ! il y en a encore ;
mais maintenant que Dieu m'a fait la grâce de
croire ce qu'il a fait pour mon âme en
livrant son Fils à la mort pour mes
péchés, je puis éclater envers
Lui en actions de grâces, et me
réjouir, malgré ma misère, en
Celui qui a déclaré que « celui
qui croit au Fils a la vie éternelle. »
Je vais à ce bon Sauveur en toute
confiance. Il peut compatir à mes
infirmités, puisqu'il a été
tenté, comme moi, en toutes choses ; je suis
sûr qu'il m'aime, puisque nul n'a un plus
grand amour que celui qui donne sa vie pour ses
amis. Je suis sûr qu'il peut me pardonner,
puisqu'il est dit « qu'il est puissant pour
sauver parfaitement ceux qui s'approchent de Dieu
par Lui. » Je suis sûr que, tout
pécheur que je suis, il ne me rejettera pas,
car c'est pour les pécheurs qu'il est venu ;
c'est pour chercher et sauver ce qui était
perdu ; c'est pour, mourir à la place des
méchants ; or, je suis pêcheur,
méchant et perdu. C'est
donc pour moi qu'il est venu et
qu'il est mort. Me repousserait-il, Lui qui a
invité tous les pécheurs qui sentent
leurs misères à aller à Lui;
Lui qui a dit : « Si quelqu'un vient à
moi, je ne le mettrai point dehors ; » «
Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et
qu'il boive? »
Oh ! quel amour, quel amour que celui
d'un Sauveur qui se fait homme, qui se laisse
crucifier par ses créatures rebelles et
ingrates, pour les sauver ! Quel amour que celui
d'un Sauveur qui nous arrache à l'enfer en
portant nos péchés en son corps sur
le bois, en se laissant maudire à notre
place, afin que, malgré nos
péchés, nous puissions être
bénis au dernier jour!
Il est notre ami, notre frère, et
son sang que nos péchés ont fait
couler, crie miséricorde et grâce pour
ceux qui l'ont fait couler. Au lieu que le sang
d'Abel criait vengeance contre Caïn, le sang
de Jésus lave et purifie les enfants des
hommes qui l'ont versé. Ah ! quand nos
coeurs se refroidiront, quand le
péché et le monde voudront s'en
emparer, allons à la croix, allons voir
Jésus, navré pour nos forfaits et
froissé pour nos iniquités ;
allons voir percées de clous ces mains qui
ne se sont étendues que pour bénir;
allons voir couronnée d'épines qui la
déchirent cette tête qui
méritait de porter les plus glorieuses
couronnes, puisque c'est celle du Roi des rois, du
Seigneur des seigneurs; allons voir Celui dont il
est dit « que tous les anges de Dieu
l'adorent, » injurié, moqué,
maudit, défait de visage plus qu'aucun des
fils des hommes, et courbant la tête sous le
poids des douleurs qu'il souffre en son corps et en
son âme.
Si nous ne sommes pas des
incrédules, nous frémirons lorsque
nous penserons que chacun de nous peut se dire :
C'est là mon ouvrage ! Car l'Éternel
a fait venir sur Lui l'iniquité de nous
tous, et, par conséquent, les miennes. Nous
nous écrierons : Comment
échapperais-je si je négligeais un si
grand salut ? Quelle autre ressource la
miséricorde de mon Dieu
pourrait-elle m'offrir ? Que peut-il me donner de
plus que son Fils ?
Heureux celui qui, le coeur
touché de ces choses ; dit avec les vrais
chrétiens de tous les temps : Ayant
été racheté à si grand
prix, je veux glorifier Dieu dans mon corps et
'dans mou esprit qui lui appartiennent ! Heureux
celui qui ne se contente pas d'une émotion
vaine et passagère, mais qui livre son coeur
pour toujours à Celui qui mérite seul
de le posséder, qui veut le guérir et
le sanctifier ! Heureux celui qui,
reconnaissant son impuissance, s'attache à
Jésus, comme le sarment est attaché
au cep ! Il produira toujours beaucoup de
fruit, et la force du Seigneur s'accomplira dans sa
faiblesse. Il sentira son âme se purifier
graduellement, ses sentiments et sa conduite se
mettre en harmonie avec l'Évangile, et il
aura dans son coeur la paix de Dieu, qui surpasse
toute intelligence ; cette paix que le Sauveur a
léguée à tous ses vrais
disciples, en leur disant : « Je vous laisse
ma paix, je vous donne ma paix. »
Oh ! que je plains ceux qui vivent
à côté de cet Évangile
de grâce, sans le lire, sans en profiter, et
qui se laissent périr à
côté du remède ! Combien
je prie mon Dieu de leur ouvrir les yeux pour voir
et le danger et la ressource, et de leur faire
comprendre qu'il n'y a de salut en aucun autre
qu'en Celui que Dieu nous a donné pour
Sauveur. Pauvres âmes! pauvres âmes !
puissent-elles connaître les choses qui
appartiennent à leur paix, avant qu'elles
soient pour jamais cachées de devant leurs
yeux !
Je prie notre Père commun de vous
faire croître dans la foi et dans l'amour de
notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.
Attachez-vous fortement à Lui, et vous
trouverez en Lui tout ce qu'il vous faudra; force
dans les tentations, joie dans les épreuves,
assurance contre les frayeurs de la mort,
espérance ferme d'une éternité
de bonheur. Tâchez d'amener à Lui tous
ceux que vous aimez, c'est le plus
grand bien qu'on puisse leur
faire.
Je fais bien des voeux pour que Dieu vous
conserve votre enfant. Tout en soignant son corps,
ne négligez pas son âme. Que vous
aimiez et soigniez votre enfant, rien n'est plus
naturel ; mais prenez garde pourtant que cet enfant
ne prenne trop de place dans votre coeur.
Souvenez-vous que le Seigneur dit : « Celui
qui aime son père, sa mère, son fils
ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi.
» Il faut faire tout ce qu'on peut pour la
santé de l'enfant, et laisser la chose entre
les mains de Dieu en toute confiance. L'enfant est
à Lui.
Je me recommande à vos
prières, j'en ai grand, besoin. Hélas
! je suis souvent encore bien tiède en
comparaison de ce que je devrais être. J'ai
encore une foule de misères qui doivent
être guéries ; mais je ne me
désespère pas, je suis
persuadé que, selon qu'il est dit dans la
Parole, celui qui a commencé en nous cette
bonne oeuvre est puissant pour l'achever, et qu'il
le fera.
Ce que je me reproche le plus, c'est
d'être souvent lâche pour confesser
Celui qui a expié mes péchés
sur la croix, et de ne pas dire assez franchement
la vérité aux âmes qui en ont
besoin. Quand on pense à ce que c'est que le
salut, on s'étonne qu'aucune
considération humaine puisse arrêter,
quand il s'agit de dire à une personne des
choses qui peuvent décider de son
éternité. C'est une des nombreuses
preuves de la méchanceté de notre
coeur. Que Dieu veuille ouvrir nos lèvres
pour parler comme il faut, et quand il
faut.
Adieu ; veuille le Seigneur vous
fortifier intérieurement par son Esprit !
LETTRE IlI
Décembre 1824.
Un christianisme vivant, sans
persécution, est un désir de l'homme
charnel
Un christianisme vivant, sans
persécution, est un désir de l'homme
charnel, mais c'est un vrai roman. Ou l'Esprit
saint à menti, ou il est vrai que «
ceux qui voudront vivre selon la
piété qui est en Jésus-Christ
souffriront persécution. » - Je
prévois le moment où toutes les
nations se ligueront en masse contre le Christ et
ceux qui sont siens.
Cela peut aller loin, mais cela n'ira
jamais à nous ôter le salut, ni
à anéantir le droit de
l'Éternel et ce qu'il a prononcé en
sacrant son Fils : « Demande-moi, et je te
donnerai pour ton héritage les nations et
pour ta possession les bouts de la terre.
»
Les hommes sont bien petits pour lutter
contre Celui qui les a faits ! Ils passeront, et
ils iront tomber entre les mains de Celui qu'ils
ont insulté en passant sur la terre ; mais
Jésus, ses paroles, son Église et ses
desseins de miséricorde, ne passeront point.
« Il faut qu'Il règne ; » et Celui
qui a dit : Il faut, est Celui qui fait tout ce qui
lui plaît dans les cieux, sur la terre et
dans les abîmes.
C'est Celui dont les desseins,
formés dès long-temps, ont
été trouvés être la
fermeté même. Réjouissons-nous
donc d'être dans cette nacelle qui, quoique
battue de l'orage, ne périra jamais.
Jésus s'y trouve, et quoiqu'il semble y
dormir, les cris de ses élus le
réveilleront dans le temps convenable ;
il fera régner alors un grand calme, et la
barque arrivera au port. Réjouissons-nous
surtout de ce que Jésus
est dans notre nacelle.
Bientôt, cher ami, oui bientôt elle
abordera à l'heureux port de
l'éternité. Là,
« les méchants ne tourmenteront
plus personne »
(Job III, 17) ; là,
« la justice habite »
(2 Pierre III, 13) ; là,
ceux qui « meurent au Seigneur se
reposent de leurs travaux. » Et c'est
pour jamais, pour jamais ! O qu'il faudrait
aimer Celui qui nous a préparé par
ses douleurs infinies cette consolation
éternelle et cette bonne
espérance ; Celui qui, lorsque toutes
les portes du ciel nous étaient
fermées, nous a ouvert un chemin à
travers le voile, c'est-à-dire à
travers son propre corps, percé pour nos
forfaits.
Puisse la charité de Christ nous
presser de plus en plus, ensorte que nul de nous ne
veuille vivre ou mourir pour lui-même, mais
vivre et mourir pour le Seigneur, et que nous
regardions comme une grâce non-seulement de
croire en lui, mais de souffrir pour Lui. Qu'il le
fasse, ce bon Maître qui, après nous
avoir donné le bienfait, sait nous donner
aussi la reconnaissance ! Il le fera, car Il
l'a promis, et il n'y a pas en Lui le oui et le
non.
0 quel bonheur, cher frère, que
de s'avancer dans cet océan de grâce
et de miséricorde ! Je ne suis encore
que sur les bords, je ne marche que comme un faible
enfant, et pourtant je suis déjà ravi
de ce que mon guide me fait voir dans les
régions de la grâce, dans le royaume
de Christ.
Adieu, cher et bien-aimé
frère, mes amitiés tendres et
chrétiennes à ceux de votre
maison.
Réjouissons-nous au Seigneur et
fortifions-nous-en Lui et par sa grâce
toute-puissante !
LETTRE IV
(Écrite d'Italie.)
Décembre 1894.
Comme un mur qui penche
Cher et bien-aimé au
Seigneur,
Enfin voici un mot de ton ami qui a eu
souvent le projet de t'écrire, sans jamais
l'exécuter. Tu sais comme les jours coulent,
surtout pour quelqu'un qui se porte mal, pour qui
écrire est une fatigue, qui ne peut pas
toucher une plume à la lumière et
depuis le dîner, sans passer une mauvaise
nuit, et qui a des correspondances obligées
et suivies. Je pense bien que tu n'as pas plus de
défiance de mon affection que je n'en ai de
la tienne.. Pour cesser de nous aimer, il faudrait
que nous cessassions d'aimer le même Sauveur,
et pour cela, il faudrait que Lui-même
cessât de nous aimer. Mais « Il est
le même hier, aujourd'hui, et il le sera
éternellement. » Ainsi nous
pouvons et nous avons seuls le droit, nous, ses
indignes et bienheureux rachetés, de parler
d'amitié éternelle.
Madame ... est une enfant de Dieu, qui marche au
milieu des bénédictions, à qui
tout profite, et qui m'est en grande
édification. Pour sa famille, je
désire sa vie ; pour elle, je sais que
le moment de la mort sera celui de l'éternel
repos. Elle paraît y tendre plus ou moins, et
sa santé ne donne pas à ceux qui
l'aiment l'espoir de la voir avec eux encore de
longues années. On ne peut pas mesurer le
temps, on pourrait se tromper.
Il n'y a rien d'alarmant pour le moment, mais c'est
un corps qui semble s'ébranler peu à
peu, par des crises assez rapprochées.
Toutefois la vie est un fil dur comme le diamant
quand Dieu n'a pas dit :
« Retourne, » et elle trompe
tous les calculs.
Quant a moi, je sens aussi que mon homme
extérieur s'ébranle beaucoup. J'ai
reçu à une secousse dont il se
ressentira long-temps, si toutefois il s'en remet
jamais. Ce qu'on appelle les forces vitales, la
constitution, a reçu chez moi un fort
échec, et je me sens beaucoup moins de
ressort qu'auparavant. Je suis « comme un
mur qui penche. » Je n'ai de force que
pour marcher et pour ce qui exerce le corps ;
mais pour le travail de cabinet presque point. Lire
et écrire me fatigue toujours plus, et il en
suit venu même au point que deux heures de
travail de cabinet sont presque de trop pour moi.
Que Dieu a été
miséricordieux envers moi en me donnant ici
une retraite. J'y ai trouvé tout
réuni pour le corps et pour l'âme. Il
n'y a qu'un Dieu qui fasse des choses semblables
pour les siens. « Il a rendu admirable sa
bonté envers moi »
(Ps. XXXI, 21).
Ne va pourtant pas croire, cher ami, que
parce que j'exalte la miséricorde de mon
Dieu, je la sente comme je le devrais.
Hélas ! je puis dire avec
vérité que je suis le plus grand des
ingrats, et je n'ai encore que trop ce coeur de
pierre de l'homme naturel. Plus j'avance, plus je
sens que je ne suis encore que sur les bords de la
sanctification et de la vie intérieure. Mon
amour pour mon Dieu et Sauveur est d'une faiblesse
lamentable. Je suis plein de recherche de
moi-même, de langueur, de tiédeur, de
lâcheté, de résistance à
la volonté de Dieu. Il me semble quelquefois
qu'aucun de mes frères ne peut avoir des
misères pareilles aux miennes ; et
vraiment, si mon orgueil me tentait de
m'élever au-dessus de quelqu'un d'eux, j'ai
assez d'anges de Satan qui me
soufflettent, pour m'humilier, et mon
expérience journalière me force
à me mettre au-dessous du plus petit d'entre
eux. Ma plus grande misère est de
connaître mes misères sans les sentir
assez, sans en gémir assez. Je voudrais
pouvoir n'en parler qu'avec larmes et serrement de
coeur. Les seuls effets de foi que je vois chez
moi, c'est que je ne suis pas dans la mort, qu'il y
a au dedans de moi un combat continuel que le
Seigneur entretient sans cesse, et que, d'un autre
côté, je ne me décourage pas et
suis persuadé que je serai plus que
vainqueur par Celui qui m'a aimé.
Mes nombreuses misères ont au
moins l'avantage de m'affermir beaucoup dans la
croyance pratique au salut par pure grâce, et
à l'éternelle élection de
Dieu.
O mon ami, que deviendrais-je si la
fidélité de Dieu dépendait de
la mienne, au lieu d'en être le
fondement !
Quand je suis dans des jours
ténébreux où le coeur de
pierre semble se retrouver en entier, où
rien en moi ne cherche le Seigneur comme son bien,
et où tout est révolte et
dégoût des choses spirituelles, je
demande comment je pourrais sortir de cet
état, s'il ne me restait pas ce cri de
détresse et de foi en même
temps : Seigneur qui m'as sauvé,
tends-moi la main, et tire mes pieds du bourbier
profond !
Oui, rien ne peut alors fondre la glace
de mon coeur et amollir sa dureté, que de me
dire : Dieu t'a aimé, t'aime encore et
t'aimera toujours, toi rebelle. Il te sortira de
cet état ; sa main n'est pas
raccourcie.
En lisant alors et dans la Parole de
Dieu et dans mon âme où reste la foi,
toutes les promesses de Dieu aux siens, mon coeur
fait comme l'animal irrité qui se calme et
s'apaise sous la main qui le caresse, et qui finit
par la lécher. Si dans ces moments quelqu'un
venait me dire que Dieu a des bornes dans ses
compassions, et mettre ainsi quelque chose entre
lui et moi, je tomberais dans le désespoir
ou dans l'endurcissement. Ainsi je sais par
expérience que pour les élus,
l'assurance du salut est un
moyen de les ramener sans cesse à leur Dieu,
et non à un état de
sécurité qui les endorme.
Je n'ai jamais l'idée de
dire : Dieu m'a sauvé, donc je puis
pécher avec sécurité ;
mais je dis, ou plutôt l'esprit d'adoption me
dit : Un enfant de Dieu, un racheté de
Christ, un élu par le bon plaisir du
Père, peut-il être aussi ingrat ?
Tant d'amour ne doit-il pas presser son coeur de la
charité de Christ ?
C'est là une voix qui produit en
moi une heureuse honte, et qui me fait crier
à Dieu pour avoir ce retour de
reconnaissance que je sens être si
légitime. J'aime Dieu, parce qu'Il m'a
aimé le premier, parce qu'Il m'aimera
toujours. Je ne le quitte jamais
tout-à-fait, parce qu'Il met sa crainte dans
mon coeur, afin que je ne me retire pas de Lui.
Quand je change, je sais que Lui ne
change jamais ; et que je ne puis pas
n'être pas ramené à Lui,
puisqu'il ne peut pas changer son éternel
décret qui est de sauver ceux qui croient en
son Fils.
Quand mon âme est abattue, je lui
dis souvent avec le roi David :
« Retourne en ton repos, car
l'Éternel t'a fait du bien. »
As-tu remarqué combien ce : retourne en
ton repos, est admirable ?
Celui qui n'a pas la foi, n'a point un
repos où son âme puisse retourner. Il
peut bien dire : « Mon âme, ne
t'inquiète pas, pense à autre chose,
distrais-toi, tout ira bien. » Mais il ne
peut pas dire : Retourne en ton repos, parce
que jamais son âme ne sut sur quoi se
reposer. Mais le fidèle au milieu de ses
agitations sait que son âme a un repos, une
ancre ferme et assurée ! il se gronde,
et s'exhorte lui-même à retourner
à ce repos qu'il connaît bien par
expérience. Et ce repos, c'est le sentiment
que Dieu lui a fait du bien, c'est le souvenir des
miséricordes passées de son Dieu, qui
sont pour lui un garant de ses miséricordes
à venir c'est l'assurance que Celui qui a
donné son Fils, donnera toutes choses avec
Lui ; et qu'étant
réconcilié par sa mort, à plus
forte raison sera-t-il sauvé par sa vie.
Oui, nous sommes sauvés et le
serons, amen ! Honneur, louange et gloire
a Celui qui nous a aimés,
nous a lavés de nos péchés
dans son sang, et nous a faits rois et
sacrificateurs à Dieu, son
Père !
Je me réjouis du temps où
le grand Dieu et Sauveur ayant rendu mon âme
plus docile, habitera plus étroitement avec
moi ; car Il dit : « Si
quelqu'un m'aime, il gardera mes commandements, et
mon Père l'aimera, et nous viendrons
à lui, et nous ferons notre demeure chez
lui. » C'est là une promesse faite
à la sanctification et qui y est un grand
encouragement. Mais en attendant je me
réjouis en Dieu qui est mon Sauveur, et je
tiens pour certain que Celui qui a commencé
en moi cette bonne oeuvre, est puissant pour
l'achever, et qu'il le fera.
N'oublie pas, très-cher, de faire
mention de moi dans tes prières, comme je
fais souvent mention de toi dans les miennes.
J'espère que Dieu nous accordera encore la
douceur de nous voir et de prier ensemble. C'est
une grande joie que ces prières communes de
deux frères qui s'aiment d'une affection
cordiale en notre Seigneur.
Dieu ne m'a pas accordé ici de
succès apparents hors de la maison. J'aurais
dû, sans doute, parler plus souvent.
Cependant Dieu a daigné me donner
quelquefois (hardiesse). Mais les
préjugés et la crainte des hommes
opposent des barrières terribles, et je ne
les vois encore rompues chez personne.
On écoute, quelquefois on a l'air
de goûter la Parole, mais on en reste la.
J'ai tous les dimanches un culte
où assistent quelques Suisses établis
dans cette ville, quelques autres qui y passent
l'hiver pour leur santé, et parfois deux ou
trois dames anglaises. Notre nombre varie beaucoup.
Quelquefois nous ne sommes qu'une douzaine ;
dimanche dernier nous étions plus nombreux.
Je n'ai vu encore aucun réveil ; mais
je puis me rendre le témoignage que ce n'est
pas manque de dire la vérité
franchement. Je sais que Dieu ne
me jugera pas sur mes succès, mais sur ma
fidélité. Moïse qui conduisit un
peuple de col raide, n'en fut pas moins jugé
« fidèle en toute la maison de
Dieu. » Ce n'est pas que je
prétende être aussi fidèle que
lui, mais je le cite comme preuve qu'il faut voir
l'approbation que Dieu nous donne, dans notre
fidélité et non dans nos
succès. Il peut y avoir aussi un effet
secret pour un temps, qui se manifestera au-dehors,
quand Dieu le jugera à propos.
Je bénis Dieu de ce que mon cher
frère a eu le bonheur d'être un des
confesseurs de la vérité. Au milieu
de son épreuve, il a eu d'abondantes
bénédictions, et ses lettres sont
pour moi un moyen de réchauffer mon
âme. Il m'a écrit de Paris, plein de
reconnaissance pour les marques de protection qu'il
a reçues du Seigneur. Il y reste pour le
moment, parce qu'on lui a dit qu'il y trouverait
des portes ouvertes. Leur désir aurait
été d'aller en Angleterre, mais ils
ont marché selon l'Esprit, et sont
restés là où ils ont cru que
le Seigneur les appelait. Ils ne s'en repentiront
pas.
Il semble quelquefois à notre impatience
humaine que le Seigneur tarde bien ; mais il
est patient envers tous, ne voulant pas qu'aucun
périsse, mais que tous se convertissent. Il
supporte même « avec une grande
patience les vaisseaux de colère
disposés à la perdition »
(Rom. IX, 22).
Les persécutions font la vie de
l'Église et l'épurent. Pas un des
élus ne périra. Les machinations des
ennemis entrent dans le plan de Dieu, pour
l'avancement de son règne, aussi bien que
les efforts des amis de l'Évangile.
Voilà bien des raisons de se consoler et de
se réjouir, même au milieu de
l'épreuve. Néanmoins il est selon
l'Évangile de prier pour qu'on puisse mener
une vie paisible en toute piété et
honnêteté.
À la pensée de la
persécution, la chair frissonne, mais la foi
rend du courage en assurant que Dieu n'affligera
jamais au-delà de nos forces, et qu'avec
l'épreuve il donnera le moyen de la
supporter. Il ne faut peut-être pas trop
prévoir, mais plutôt vivre au jour le
jour, n'étant pas en souci pour le lendemain
qui prendra soin de ce qui le regarde. Soyons
fidèles aujourd'hui, c'est le meilleur
garant que nous puissions avoir que le jour de
demain nous trouvera prêts pour ce qu'il
amènera avec lui.
Adieu, cher et bien-aimé, que la paix du
Seigneur te soit multipliée avec la
charité !
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