LA FORCE DE LA
VÉRITÉ.
DEUXIÈME PARTIE. (Suite 1 )
À cette époque je m'engageai
follement dans une suite de visites et de
distractions, qui me détournèrent de
la prière et de la méditation, et me
rendirent les Écritures et les études
théologiques insipides et ennuyeuses ;
funeste mais inévitable conséquence
d'une vaine complaisance pour le monde. Quelque
temps, mon ardeur fut éteinte, mon
anxiété dissipée, et mes
recherches ralenties. Je ne suspendis pas
néanmoins entièrement mes
méditations chrétiennes, et je
continuai, en général, mes
dévotions journalières et la lecture
des saints livres ; mais ces exercices manquaient
d'ardeur et de vie. Peu de temps après,
méditant avec attention le discours de notre
Seigneur à Nicodème,
(Jean III. ) je sentis un
désir inquiet de comprendre cette
intéressante partie des Écritures, et
surtout de connaître ce qu'il fallait
entendre par cette naissance nouvelle, ou naissance
de l'Esprit, que notre
Seigneur déclare
absolument nécessaire au salut. Je compris
bien qu'il était absurde de supposer, que
des expressions aussi fortes n'eussent rapport
qu'au baptême d'eau. Les sermons de Tillotson
sur ce point ne me satisfirent nullement. Je
m'imaginais qu'il fallait entendre par la
régénération un changement
entier non-seulement dans la conduite, mais aussi
dans le coeur; néanmoins ne le connaissant
pas alors par ma propre expérience, je ne
pouvais en comprendre la nature. Toutefois,
après avoir imploré les
lumières du St.-Esprit, j'entrepris de
prêcher sur ce sujet ; mais je n'en parlai
que d'une manière obscure, et j'employai une
partie considérable de mon discours à
déclamer contre les visionnaires et les
enthousiastes. Je fus cependant si satisfait de mon
ouvrage, que je l'envoyai à Mr.
Newton avec qui je correspondais, et qui me
fit part à son tour de quelques discours
qu'il avait composés sur
la même matière. Mais quoique le
désir que j'avais de comprendre la
pensée du Sauveur sur ce point important
fût vif et sincère, j'étais
trop orgueilleux pour me laisser instruire par un
autre. Je jetai donc négligemment les yeux
sur quelques-uns de ses sermons et je lui rendis
son manuscrit, sans l'avoir sérieusement
examiné.
Il ne m'arriva rien de remarquable
jusqu'au printemps suivant 1776, époque
à laquelle j'établis, d'après
le conseil de l'Évêque Burnet,
une lecture de la Bible dans chacune de mes
paroisses. Cette lecture, qui se faisait une fois
par semaine, était destinée à
l'explication de nos saints livres et elle me
fournit l'occasion d'examiner attentivement
plusieurs passages qui jusqu'alors avaient
échappé à mon examen. Ce fut
pour moi une grande occupation d'esprit que de
concilier ces passages les uns avec les autres, et
de les rattacher convenablement
au système que je m'étais
formé. Je n'avais fait que de légers
progrès dans la connaissance de la
vérité, lorsque l'entendis
recommander dans un sermon l'ouvrage qui a pour
titre : Vue sur l'évidence
intérieure du Christianisme, par Mr.
Jenyns.
Je le lus sur cette recommandation ; et
cette lecture imprima profondément, dans mon
esprit et dans mon coeur, la vérité
et l'importance de la révélation
évangélique, et me donna des vues
plus claires sur le dessein que Dieu s'était
proposé en accordant aux hommes son
Évangile. Enfin, après beaucoup de
réflexions sérieuses et de
prières ferventes, je fus
éclairé sur la réalité
et sur la vraie nature, de la propitiation que
Jésus-Christ a faite par sa mort pour les
péchés du monde ; car jusqu'alors je
n'avais guère eu, sur ce point fondamental
du Christianisme, d'autres sentimens que ceux de
Socin.
Malheureusement, cet avantage fût
bientôt contrebalancé par la
publication de l'ouvrage intitulé :
Doctrine de nos Saints Livres sur la
Trinité par le Docteur Clarke, et
par la controverse dont elle fut suivie. Cet
ouvrage devint à cette époque l'objet
de mon étude favorite. Le système
Arien est si incompatible avec la raison,
que l'on a sujet de s'étonner que les hommes
qui l'ont embrassé pour éviter des
conclusions qui, selon eux, sont mystiques et
déraisonnables, n'aient pas adopté,
pour la même raison, le système de
Socin.
Aller de l'Arianisme au
Socinianisme, du Socinianisme au
Déisme, et du Déisme
à l'Athéisme, telle est la
marche naturelle d'une raison orgueilleuse. Ils ne
sont hélas ! que trop nombreux les tristes
exemples de ces hommes qui n'ont montré les
titres qu'ils s'arrogent à la qualité
d'esprits forts, qu'en suivant, du moins en partie,
cette route glissante et fatale. Mais
lorsqu'un homme est descendu
jusqu'au Socinianisme, non par un
défaut de lumière, ou en adoptant en
aveugle les opinions d'autres hommes, mais en
s'appuyant sur son propre jugement, et en
préférant les décisions de sa
raison aux déclarations infaillibles de
l'Esprit-Saint, il est rare de le voir revenir
graduellement du Socinianisme à
l'Arianisme, et de l'Arianisme
à la doctrine reçue de la
Trinité. Tel a été cependant
mon cas.
Le docteur Clarke me parut
établir son opinion d'une manière si
irréfragable, l'appuyer de
témoignages si exprès des
Écritures, défendre si bien son
système et l'entourer d'un si grand nombre
d'autorités, que je ne pus garder plus
long-temps mes principes sociniens, et me
vis contraint de les abandonner. Je ne
m'aperçus pas alors du vice qu'il y avait
dans le raisonnement qu'il fait et dans la
conséquence qu'il tire, savoir: que le Fils
et le St.-Esprit, bien que
souverainement exaltés, et
honorés des noms et des titres les plus
sublimes, sont nécessairement de simples
créatures, sans quoi il y aurait trois
Dieux. N'apercevant pas la fausseté de cette
conclusion et trouvant ce système fort
commode, et fort propre à concilier le
respect que j'avais acquis récemment pour
les Écritures avec la passion que j'avais de
raisonner partout, j'accédai de bon coeur
à la doctrine dé Clarke, et
pendant long-temps je n'en pus souffrir aucune
autre.
Il ne m'arriva rien de remarquable
jusqu'en Décembre 1776. À
cette époque, je vins à ouvrir
nonchalamment l'Appel Sérieux de Mr.
Law, ouvrage que j'avais jusqu'alors
regardé avec mépris ; mais à
peine eu eus-je parcouru quelques pages, que je fus
frappé de l'originalité, de l'esprit,
et de la force d'argumentation qui y
règnent. Je ne veux parler ici que de la
forme de cet ouvrage ; car il renferme plusieurs
choses que je suis loin
d'approuver ; et assurément je connais
peu de livres religieux qui contiennent moins
l'Évangile que celui-là. Mais,
quoiqu'il n'ait presque aucune utilité pour
une personne profondément convaincue de
péché, et alarmée touchant
l'état de son âme, il en a une grande
pour préparer les voies à la
conversion ; il nous montre le besoin que nous
avons d'un Sauveur et nous excite à une
diligence proportionnée aux grands
intérêts du salut. Ce fut là
l'usage que j'en fis. Cette lecture me convainquit
que j'étais coupable d'une extrême
négligence et d'un délai
criminel ; que les devoirs de dévotion
privée exigeaient beaucoup plus de temps et
d'attention que je n'y en avais mis
jusqu'alors ; et que si je voulais sauver mon
âme et celles de mes auditeurs, je devais
réformer ma conduite à cet
égard, et redoubler d'activité dans
la recherche et le service du
Seigneur. Dès-lors, je
m'étudiai à rendre mes
dévotions plus ferventes et plus
utiles ; j'écrivis et j'appris par
coeur des prières prises de
l'Écriture ; je lus des manuels de
dévotion, et j'essayai d'en composer
moi-même ; en un mot, je devins plus
zélé, plus assidu, et j'ose croire,
plus spirituel dans mes dévotions et dans
mes prières.
Enfin, après bien des
délais, j'obéis à la voix de
ma conscience, et je renonçai à
toutes les occupations étrangères aux
fonctions pastorales, fermement résolu
d'abandonner au Seigneur le soin de mes
intérêts temporels, et de me
dévouer entièrement à l'oeuvre
de ma vocation. Je dirigeai alors toutes mes
réflexions et mes recherches vers la
religion ; et, pendant plusieurs
années, je n'ouvris guère un seul
livre qui traitât d'un autre sujet.
Pour faciliter ces recherches, je fis
usage de deux livres de notes ; l'un me
servait à recueillir les
passages remarquables de divers auteurs, et je
notais dans l'autre les passages de
l'Écriture qui sont relatifs aux dogmes les
plus importans et les plus contestés. Mais,
quand mes occupations se multiplièrent,
j'abandonnai cette méthode. Cependant elle
servit à me faire connaître plusieurs
passages auxquels je n'avais donné
auparavant aucune attention, et me prépara
un recueil de témoignages puisés dans
l'Écriture, qui m'aidèrent à
composer mes sermons de doctrine.
Je lus, en janvier 1777, un pompeux
éloge des ouvrages de M. Hooker,
qu'on honorait du titre de judicieux. Cet
éloge piqua ma curiosité et m'engagea
à les lire. Je rencontrai, dans son
Discours sur la justification, un passage
remarquable que je transcrirai ici, à cause
de sa beauté et de l'influence qu'il eut sur
mes principes religieux :
« Quand bien même
nos mains ne feraient jamais
violence à nos
frères, une pensée haineuse suffit
pour nous rendre meurtriers devant Dieu
(1). Quand bien
même nos bouches ne s'ouvriraient jamais pour
prononcer de parole scandaleuse, injurieuse ou
méchante, le cri de nos pensées
secrètes est entendu de l'Éternel.
Quand bien même nous n'aurions pas commis ces
péchés où nous retombons
chaque jour et à chaque instant, combien de
défauts qui souillent nos meilleures
actions ?
C'est à la volonté et
à l'intention que Dieu regarde. Si donc nous
retranchons du nombre de nos bonnes oeuvres toutes
celles dans lesquelles nous n'avons eu en vue que
notre propre gloire, et nous ne nous sommes
proposés que de plaire aux hommes ; en
un mot, si nous retranchons
toutes celles que nous avons
faites par un autre motif que par amour pour Dieu,
que nous restera-t-il ? Examinons ensuite la
plus sainte et la plus juste de nos actions :
certes, nous ne sommes jamais mieux disposés
envers Dieu que lorsque nous le prions ; et
cependant, combien, dans cet acte si solennel, nos
affections sont détournées de
lui ! Quel peu de respect pour l'infinie
Majesté du Dieu à qui nous
parlons ! Quel faible regret de l'avoir
offensé ! Combien de fois ne
sommes-nous pas ennuyés de commencer nos
prières, et joyeux de les finir ; comme
si Dieu, en nous disant invoque-moi, ne nous
eût imposé qu'une tâche
pénible et fastidieuse ! Je ne vous
proposerai qu'une question : Si Dieu vous
offrait de faire grâce, je ne dis pas
à une seule ville, comme il l'offrit jadis
à Abraham, à condition qu'elle
compterait cinquante, quarante, trente, vingt, ou
ni même dix justes mais aux
hommes et aux anges rebelles, à condition
qu'il y aurait, dans toutes les
générations humaines un seul homme
qui eût fait une seule action parfaitement
pure croyez-vous que vous le trouveriez parmi les
fils d'Adam ?
Si donc il y a dans nos meilleures
actions mêmes un vice, une tache qui a besoin
d'être pardonnée, comment
pourrions-nous faire une oeuvre qui fût
méritoire et digne de
récompense ? Il est vrai que Dieu
promet libéralement tout ce qui appartient
à la vie et à la piété
à ceux qui gardent sa loi aussi parfaitement
qu'ils le peuvent, quoiqu'ils soient incapables de
l'observer entièrement ; aussi
reconnaissons-nous la nécessité de
bien faire. Mais nous nions absolument que nos
bonnes actions aient rien de méritoire. Nous
voyons combien nous sommes loin de la justice
parfaite que la loi exige, et Dieu sait combien il
y a de corruption et de souillure
dans le peu de fruit que nous portons. C'est
pourquoi nous n'avons garde d'y mettre aucune
confiance quelconque. Nous n'avons garde de rien
réclamer auprès de Dieu, pour de si
misérables bonnes oeuvres, et nous n'osons
l'appeler à entrer en compte avec nous,
comme s'il était notre débiteur. Mais
le sujet continuel des prières que nous lui
adressons est, et doit être, qu'il supporte
nos infirmités, et pardonne nos
offenses. »
En lisant ce passage, je fus frappé de la
rigueur et de la spiritualité de la loi
divine, et de la perfection qu'un Dieu saint et
juste peut exiger de ses créatures ; et
je fus convaincu que les devoirs que j'avais le
mieux remplis et dans lesquels j'avais placé
ma confiance, n'étaient autre chose que des
péchés cachés sons de belles
apparences, et que toute ma vie n'était
qu'un enchaînement de transgressions. Je
compris alors le sens de cette
parole de l'Apôtre :
« Nulle chair ne sera
justifiée devant Dieu par les oeuvres de la
loi ; car la loi donne la connaissance du
péché. »
(Rom. III. 20.) Toutes les
difficultés que je m'étais
formées sur ce sujet
s'évanouirent ; toutes les distinctions
que je m'étais créées, tous
les raisonnemens que j'avais faits sur le sens des
mots loi et justification
tombèrent à la fois : je ne m'en
amusai pas davantage, pleinement persuadé
que tous les hommes sont si manifestement
transgresseurs de tous les commandemens de la loi
divine, que nul d'entr'eux ne peut être
justifié devant Dieu par l'obéissance
à cette loi. Je sentis que si Dieu
m'eût alors appelé à
comparaître devant son tribunal, j'aurais
été condamné, selon la rigueur
de sa loi, comme un transgresseur, pour le devoir
même que j'avais le mieux rempli ; car
ce devoir, pesé dans la balance du
sanctuaire, eût été
trouvé infiniment léger ; et
ainsi je vis que je ne pouvais
être sauvé que par la pure
miséricorde de Dieu. Mais ce ne fut que
long-temps après que j'appris à
connaître la voie de la grâce.
Immédiatement après, je
pris pour texte ce passage des
Galates ( III. 22) :
« L'Écriture a tout
renfermé dans le péché, afin
que la promesse par la foi en Jésus-Christ
fût donnée à ceux qui
croient ; » et je prêchai
conformément à la doctrine de Hooker.
Pour prouver de la manière la plus
convaincante que le salut vient de la
grâce par la foi, et non des oeuvres, afin
que personne ne se glorifie je m'attachai
à montrer à mes auditeurs aussi
fortement que je le pus, que nos meilleures oeuvres
mêmes sont, souillées, et que nous
avons toujours besoin de la miséricorde
divine.
Mais je n'étais pas encore
capable d'adopter le vigoureux passage de
Hooker, qui vient immédiatement
après celui que j'ai
cité :
« Si nous voulons
être justifiés devant Dieu, ne parlons
pas de notre propre justice ; nous ne pouvons
être justifiés par aucune
qualité qui nous soit
inhérente ; mais Christ est la justice
de tous ceux qui sont en lui. C'est à cause
de notre union avec lui que Dieu nous trouve
justes ; et c'est par la foi en son sacrifice
que nous sommes incorporés à lui.
Ainsi, quoique nous ne soyons, par
nous-mêmes, que péché, si nous
sommes trouvés en Christ par la foi, Dieu
nous voit d'un oeil de miséricorde ;
efface nos péchés, en ne nous les
imputant point ; nous exempte du
châtiment qui nous était
dû ; et nous accepte en
Jésus-Christ, comme si nous étions
parfaitement justes, et que nous eussions accompli
toute la loi ; dirai-je plus parfaitement
justes que si nous l'eussions accomplie
nous-mêmes ?
Je dois prendre garde à mes
paroles. Mais l'Apôtre déclare que
Dieu a fait que celui qui n'a
point connu le péché devînt
péché pour nous, afin que nous
fussions justice de Dieu en lui.
(2) Nous sommes
donc aux yeux de Dieu le Père comme le Fils
de Dieu lui-même. Qu'on estime cela folie,
fanatisme ou enthousiasme, n'importe ; c'est
notre consolation et notre sagesse ; et nous
ne voulons savoir autre chose que cette
vérité : c'est que l'homme a
péché, et que Christ a
souffert ; c'est que Dieu a traité le
Juste comme un pécheur, afin que nous qui
sommes pécheurs fussions traités
comme justes. »
Les paroles suivantes, du même auteur,
sont également positives et
frappantes :
« Tous ceux, dit-il, qui
soutiennent, avec l'Eglise de
Rome, que nous ne pouvons être sauvés
sans une justice personnelle, rejettent, non par
une série de conséquences
éloignées, mais directement, la
grande vérité qui fait le fondement
de la foi ; ils ne la retiennent pas
même par un simple fil. »
Si l'on admet le jugement du judicieux Hooker
sur ce point important, et je crois qu'il n'est pas
facile de le réfuter, je crains fort que le
fondement de la foi ne soit conservé que par
une bien petite partie de l'Eglise qui a
secoué le joug de Rome.
Voici comment il défend sa
doctrine contre les objections des Papistes ;
car il n'y avait alors que les Papistes qui la
combattissent ouvertement :
« C'est une objection bien
puérile que celle que nos adversaires nous
opposent continuellement au sujet de la
justification, lorsqu'ils s'écrient :
que nous foulons aux pieds toutes
les vertus chrétiennes ; que nous
n'exigeons des Chrétiens que la foi, en
enseignant que la foi seule justifie. Mais nous
n'avons jamais voulu prétendre que dans
l'homme justifié l'espérance et la
charité. soient séparées de la
foi, et que les oeuvres ne doivent pas y être
jointes comme des devoirs nécessairement
requis de tout homme justifié. Nous avons
seulement voulu dire que. la foi nous revêt
de la justice de Jésus-Christ ; que ses
mérites sont le seul vêtement, qui,
mis sur nous couvre la honte de notre nature
souillée, cache les imperfections de nos
oeuvres, et noirs présente, sans tache aux
yeux de Dieu. Autrement, la faiblesse seule de
notre foi suffirait pour nous rendre coupables
devant l'Éternel, et nous exclure du Royaume
des cieux, où rien d'imparfait ne peut
entrer. »
Si j'eusse rencontré de semblables
passages dans les écrits
des Dissidens, ou dans quelques-unes de ces
pièces modernes que le monde condamne sans
les lire, en les flétrissant du titre
d'ouvrages méthodistes, ou qu'il ne
lit qu'avec une prévention insupportable, je
les eusse rejetés avec mépris comme
les productions d'une imagination
échauffée ou d'un grossier
enthousiasme. Mais je savais que Hooker
était reconnu pour être parfaitement
orthodoxe, et qu'il passait pour un écrivain
du premier mérite chez les prélats de
l'église de son temps. J'avais appris, par
sa dispute avec M. Travers, que les
zélés Protestans de son siècle
l'avaient publiquement accusé de faire de
trop grandes concessions à l'Eglise Romaine,
au sujet de la justification. Je n'avais jamais oui
dire qu'il dit été taxé
d'enthousiasme ; et d'ailleurs, la solidité
de son jugement, et la pénétration de
son esprit se manifestaient assez dans ses
ouvrages. Ainsi, l'opinion de ce docteur fut
une grande autorité pour
moi; elle m'inspira des doutes sur mes premiers
sentimens, m'engagea à faire de
sérieuses recherches sur ce sujet, et
à prier le Seigneur de me faire
connaître la vérité.
Après beaucoup de doutes et d'objections, et
l'examen attentif de la parole de Dieu,
j'accédai en partie aux sentimens de
Hooker.
Mon opinion est présentement
celle qu'expriment les passages mentionnés
de cet auteur, et elle se fonde sur les mêmes
raisonnemens. Quiconque voudra renverser notre
doctrine de la justification par la foi seule, sera
donc obligé de répondre d'abord
à ces passages de M. Hooker.
De toutes les doctrines que je
prêche maintenant, au déplaisir de
plusieurs personnes, à peine s'en
trouve-t-il une seule qui ne soit clairement
enseignée dans les écrits de ce
célèbre docteur. Je citerai pour
exemple son Sermon sur la
perpétuité de la foi dans les
élus, où il prouve, par
des passages de
l'Écriture, la persévérance
finale des vrais croyans, et qu'il termine par ces
belles paroles, qui sont le triomphe de la foi
chrétienne :
« Je sais en qui j'ai cru. Je
n'ignore pas combien est précieux le sang
qui a été versé pour moi ;
j'ai un pasteur plein de bonté, de
miséricorde et de puissance, en qui j'ai mis
tout mon espoir. Il a gravé de son doigt,
sur la table de mon coeur, ces paroles consolantes
: Satan a demandé à te cribler comme
on crible. le blé; mais j'ai prié
pour toi de peur que ta foi ne défaille. Par
la puissance de la prière, et avec les
secours de mon Dieu, je m'efforcerai donc de garder
jusqu'à la fin, comme un précieux
joyau, cette douce espérance. »
Je souhaite vivre, et j'espère mourir
avec ces paroles dans ma bouche, et avec cette
assurance dans mon coeur. Il n'est pas besoin, je
pense, que je m'excuse d'avoir cité ici les
paroles de cet ancien auteur. Les
passages que j'en ai extraits sont dignes de
l'attention du lecteur, et pourront,
peut-être, engager quelques personnes
à lire son ouvrage dont elles ont jusqu'ici
ignoré le mérite. Je recommande
surtout l'examen impartial de sa doctrine à
ceux qui admirent en lui le défenseur de la
discipline de notre Église, et qui lui
accordent volontiers l'honorable titre de
judicieux. Cela mettrait, fin à
toutes les déclamations de l'ignorance et de
la malice ; et l'on cesserait de taxer
d'innovations les doctrines que je viens
d'expliquer et de défendre par les propres
paroles de M. Hooker.
Cet auteur, je l'avoue, admet beaucoup
de choses auxquelles je suis loin de souscrire ;
cependant, je bénis Dieu, du fond de mon
coeur, de me l'avoir fait connaître à
cette époque ; car le premier changement
heureux qui s'opéra dans mes vues sur
l'Évangile, fut le résultat de cette
lecture.
Avant de quitter M. Hooker, je
citerai encore un passage tiré de son 2e
Sermon sur une partie de l'Épître de
St. Jude. Il s'adresse ainsi aux Pasteurs
chargés de paître les Élus
d'Israël :
« S'il y a en vous quelque
sentiment chrétien, quelques
étincelles du feu sacré de
l'Esprit-Saint, ranimez-les ; travaillez avec
zèle à vous fortifier
vous-mêmes dans la foi, et à
édifier votre troupeau. Je dis d'abord
à vous fortifier vous-mêmes, car celui
qui voudra embraser de l'amour de Christ les autres
hommes doit brûler lui-même de cet
amour.
C'est notre défaut de foi, mes
frères, qui nous rend insoucians à
l'égard de l'édification des autres.
Pourquoi abandonnons-nous l'héritage du
Seigneur, et négligeons-nous de paître
ses brebis ? C'est que nous portons nos
désirs là où ils ne devraient
pas être; c'est que, semblables à ces
créatures humaines qui se repaissent de
cendres on d'ordures,
lorsqu'elles pourraient se rassasier de la
meilleure nourriture, nous sommes affamés,
les uns d'honneurs, les autres de plaisirs, les
autres de richesses; et, de cette manière,
l'Évangile nous devient insipide. Comment
pourrions-nous donc nourrir les autres d'un aliment
pour lequel nous n'avons point de goût ? Si
la foi devient faible et languissante dans le coeur
du prophète, elle défaillera
bientôt chez le peuple. »
Il est inutile que je propose mes
réflexions sur ce passage ; il suffit que je
rappelle les paroles de Salomon (
Ecclés. I. 9. 10.) :
« Il n'y a rien de nouveau sous
le soleil. Est-il quelque objet dont on puisse
dire: voyez, ceci est nouveau ? Ne ne l'a-t-on pas
déjà vu dans les siècles
passés ?
(
Eccl. III. 15. ). Ce qui a été
autrefois est aujourd'hui : ce qui doit être
a déjà été. » Je
le répète à ma honte, quoique
j'eusse souscrit deux fois aux Articles qui
déclarent que le Livre
des Homélies
(3) contient la
saine et véritable doctrine je n'avais
jamais lu ce livre; et, quant à cette
doctrine, je ne la comprenais pas. Mais enfin,
sérieusement engagé dans la recherche
de la vérité, et, ayant conçu,
par la lecture des ouvrages de Hooker, une
opinion plus favorable des anciens
théologiens, je fus disposé à
examiner ces Homélies, et j'en lus
une partie avec attention. Plusieurs choses, il est
vrai, me semblèrent dures à entendre,
et difficiles à recevoir; d'autres cependant
servirent à m'instruire, surtout sur la
justification. J'aperçus que cette'
doctrine, que j'avais jusqu'alors
méprisée comme
étant particulière aux
Méthodistes, était incontestablement
celle de l'Eglise établie, au moment
où les Homélies furent
composées ; d'où je conclus qu'elle
devait l'être encore aujourd'hui, puisque,
bien que décriée, elle n'a rien perdu
de son autorité pour tous ceux qui
souscrivent aux trente-neuf articles : ensorte que,
si la lecture du Livre des Homélies
n'acheva pas de me convaincre pleinement de la
vérité de cette doctrine, elle servit
du moins à dissiper les préventions
que j'avais contre elle.
À cette époque, ma
prédication produisit un effet nouveau et
inattendu. Je m'étais contenté
jusqu'alors de voir les gens assister
régulièrement à l'Eglise,
écouter attentivement ce qu'on y disait, et
tenir une conduite décente et honnête.
Conduit moi-même par le Seigneur d'une
manière douce et progressive, sans avoir
éprouvé beaucoup de sollicitude
à l'égard de mon
âme, je n'avais pas fait la
réflexion que mes auditeurs ne suivraient
pas une voie aussi graduelle et aussi insensible.
Aussi, dès que je prêchai la rigueur,
la spiritualité et la sanction de la loi de
Dieu, de manière à troubler les
consciences, je fus très-surpris de me voir
consulté par plusieurs d'entre eux vivement
inquiets sur le salut de leur âme. Leur
conscience s'étant réveillée
à la vue de la condamnation sous laquelle
ils étaient par leur nature et par leur
conduite, ils recherchaient avec alarme ce qu'ils
avaient à faire pour être
sauvés. Je ne savais guère que leur
dire ; car je n'avais alors de l'Évangile
que des vues très-obscures, et mes
idées sur la justification étaient
encore très-confuses. Incapable de les
instruire sur la vraie nature de la foi et sur les
moyens de l'acquérir, je les exhortais,
d'une manière générale,
à croire au Seigneur Jésus-Christ. Je
les invitais aussi, et c'était avec plus de
connaissance, à amender
leur vie, et à étudier les
Écritures, en priant Dieu de leur en donner
lui-même l'intelligence. Par ces moyens, le
Seigneur les appela tout doucement à lui.
Privés d'un bon directeur, ils furent
long-temps avant d'être affermis dans la foi.
Quelques-uns cependant, plus indépendans des
préjugés et d'une raison
orgueilleuse, me devancèrent dans la
connaissance de la doctrine
évangélique et dans la pratique de la
piété; et, sans en avoir l'intention,
ils m'instruisirent sur plusieurs points, et me
rendirent ainsi un service important.
La pensée que je devais exhorter
mes semblables à s'occuper avec ardeur de
leur salut, lorsque j'entendais moi-même si
peu le véritable Évangile de
Jésus-Christ, accroissait beaucoup ma
perplexité. Craignant d'égarer ceux
qui me confiaient la direction de leur âme,
je redoublai d'ardeur pour connaître la
vérité : Je lus et je
méditai plus exactement la
parole de Dieu et j'adressai au Seigneur des
prières plus ferventes, pour obtenir sa
bénédiction et la lumière de
son Saint-Esprit. Toutes les fois que je
rencontrais, quelque difficulté, je le
priais de me préserver de l'erreur, et de me
rendre capable de discerner les
vérités révélées
dans sa parole des inventions et des traditions des
hommes.
À cette époque,
j'établis dans ma seconde paroisse une
lecture de la Bible, pour chaque semaine, et cet
exercice servit à me rendre plus
familières les diverses parties de la parole
de Dieu. En écrivant les réflexions
que je faisais, j'avais coutume de comparer tous
les passages qui étaient cités
à la marge de ma Bible, et de les expliquer
les uns par les autres. Cette méthode
enrichit ma mémoire de plusieurs portions
des Écritures, et me mit en état de
traiter avec plus d'exactitude les sujets de
doctrine.
Dans le cours de l'hiver de 1777, je fus
appelé à méditer sur le
passage de
St. Luc ( XI. 9 - 13.), relatif au
Saint-Esprit que Dieu accorde, à ceux qui le
lui demandent.
Après avoir recueilli tous les
passages que je pus trouver sur cet important
sujet, après les avoir attentivement
comparés les uns avec les autres,
après les avoir médités et
avoir ardemment prié le Seigneur d'accomplir
sa promesse à mon égard,
j'écrivis deux sermons ; le premier avait
pour texte ces paroles
(Luc XI. 13.) : « Si donc, vous
qui êtes méchans, savez bien donner de
bonnes choses à vos enfans, combien plus
votre Père céleste donnera-t-il le
Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent.
)
Le texte du second était ce
passage de St. Jacques (1. 16. 17-):
« Mes frères
bien-aimés, ne vous abusez point : toute
grâce excellente et tout don parfait vient
d'en haut, et descend du Père des
lumières. »
J'acquis par-là de nouvelles
idées sur les privilèges et les
devoirs des Chrétiens à cet
égard; et dès-lors, je
présentai mes requêtes au Seigneur
avec plus d'exactitude et plus de foi
qu'auparavant.
Je dois ici reconnaître les
obligations que j'ai à l'Évêque
Beveridge. - Lorsque je commençai
à lire ses sermons, je conçus de lui
une opinion défavorable, et ce ne fut que
long-temps après que je pus me
résoudre à examiner plus
attentivement ses écrits. Mais, quand j'eus
fait plus de progrès dans la recherche de la
vérité, les singularités, qui
me choquaient d'abord, me déplurent beaucoup
moins ; je commençai même à
goûter la simplicité, la
spiritualité, l'amour de Christ et des
âmes que cet auteur manifeste dans la plupart
de ses écrits. Ils furent pour moi une
source de grandes lumières ; en particulier
son sermon sur la satisfaction réelle,
opérée par la mort de Christ, pour
les péchés des
croyans, fut l'heureux moyen dont Dieu se servit
pour affermir ma foi en cette doctrine fondamentale
du Christianisme. Le Vendredi-Saint 1777, je
prêchai sur ce sujet, en prenant pour texte
le passage
d'Ésaïe ( LIII. 6. ) :
«Nous avons tous
été errans comme des brebis; nous
nous sommes détournés chacun en son
propre chemin, et l'Éternel a fait venir sur
lui l'iniquité de nous tous. »
Je m'efforçai de prouver que
Christ a porté les péchés de
tous ceux qui croient en lui; qu'il a souffert, en
son âme et en son corps, à
Gethsémané et sur la croix, la peine
qu'ils avaient méritée. Je professai
ouvertement que Christ, notre rançon et
notre répondant auprès de Dieu, a
satisfait pour nous à la justice divine et
aux réclamations de la loi. Je
désavouai ainsi publiquement toutes les
explications que j'avais autrefois données
de la satisfaction opérée par la mort
de Christ : et dès lors
cette doctrine, telle que je viens de l'exposer, a
été le seul fondement de mes
espérances. Ce fut elle qui me conduisit
pleinement à la connaissance de la
vérité. Je l'avais cherchée
avec zèle pendant trois ans, sans la
trouver, tant mon jugement aveuglé
était rempli de préventions contre
les grands dogmes révélés dans
la parole de Dieu. Hélas ! ils avaient
été jusqu'alors pour moi une folie ;
mais, instruit par le Seigneur, je commençai
à y découvrir, quoique
obscurément, une sagesse divine.
Je dis obscurément, car
j'étais encore dans de grandes erreurs, et
l'ignorais plusieurs vérités
très-importantes. Je savais que le
péché est la transgression de la
loi; mais je n'en apercevais pas l'odieuse
difformité; je ne sentais pas qu'il est une
rébellion ouverte contre l'autorité
souveraine de Dieu; qu'il accuse le Créateur
de manquer de sagesse ou de bonté; d'imposer
aux créatures humaines un
joug qu'elles ne peuvent porter;
enfin qu'il tend à abolir toute
subordination, et à introduire dans
l'univers la confusion, l'anarchie et la
misère. J'avais reconnu que mes meilleures
actions étaient souillées ; mais je
ne comprenais pas qu'elles le fussent par une suite
de ma dépravation naturelle.
La corruption héréditaire
de notre nature, provenant de la chute de l'homme,
cette corruption, source féconde de tant de
misères, n'entrait pas encore dans ma
profession de foi. Relativement à mes
sentimens sur la nature de Jésus-Christ, et
sur celle du Saint-Esprit, j'étais
Clarkiste ou Arien. J'avais quelque
faible idée de l'oeuvre sanctifiante que cet
Esprit opère dans le coeur du fidèle;
mais je n'en comprenais pas bien les commencemens,
et je continuais à conserver une implacable
inimitié contre la doctrine de
l'élection et contre les
vérités qui y sont intimement
liées.
Quoique je blasphémasse le nom de
Jésus-Christ, en niant sa divinité,
ma foi en un Sauveur crucifié était
maintenant affermie et je désirais
sincèrement me dévouer au Seigneur.
Il accepta l'oeuvre qu'il avait lui-même
opérée dans mon âme; pardonna,
dans sa miséricorde, tout ce qui venait de
moi, et me délivra enfin de mes
perplexités, en me tirant du labyrinthe de
contradictions et d'erreurs dans lequel je
m'égarais.
Dans le cours de mes lectures, le
discours de notre Seigneur à
Nicodème s'offrit de nouveau à
mon examen. Je ne pus obtenir, par mes
prières et mes méditations, des
idées satisfaisantes sur cet important
sujet. Convaincu que les expressions «
né de nouveau » et «
né de l'Esprit » devaient
désigner quelque changement
intérieur, je m'efforçai de
l'expliquer d'après ce que j'avais
éprouvé moi-même. Mais mes
réflexions étaient encore
très-confuses, et ne me satisfirent pas.
Le traité de Leland sur
les Écrivains Déistes
était le seul écrit fait par un
Dissident que j'eusse lu avec attention et candeur.
À cette époque, je lus, à la
recommandation d'un de mes amis, le premier volume
des sermons d'Evans, intitulé le
Caractère du Chrétien, mais
non sans une extrême prévention, parce
que l'auteur était un Dissident.
Néanmoins Dieu daigna bénir cette
lecture. Je reconnus enfin que l'homme déchu
est charnel, et que son corps et son
âme sont vendus au péché
; que la partie la plus excellente de notre
être est, par nature, destituée
d'affections spirituelles, plongée dans la
matière, et, par une déplorable
prostitution, occupée du soin de la
chair, pour en satisfaire les convoitises ; et
je fus convaincu que l'homme qui n'est pas
né de l'Esprit de Dieu, renouvelé
dans son entendement créé de nouveau
pour les bonnes oeuvres et fait participant de la
nature divine, ne peut entrer
dans le royaume de Dieu. Toutes les
difficultés que j'avais rencontrées
touchant cette vérité
s'évanouirent en peu de temps ; je la vis
bientôt dans le plus grand jour, et je fus
persuadé que tout homme qui l'entendrait
exposer avec netteté et précision ne
pourrait refuser de l'admettre. Cette doctrine, que
j'ai dès-lors invariablement
prêchée, a eu d'heureux effets ; elle
a servi à ouvrir les yeux d'un grand
nombre de pécheurs, et à les
convertir des ténèbres à la
lumière, et de la puissance de Satan
à Dieu (
Act. XXVI. 18.)
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