LA FORCE DE LA
VÉRITÉ.
DEUXIÈME PARTIE.
Changement qui eut lieu dans les opinions de
l'auteur. manière dont il s'opéra et
moyens qui servirent à
l'effectuer.
EN janvier 1774, deux de mes
paroissiens, un homme et sa femme, se trouvaient
près de la mort. J'en eus connaissance ;
mais, selon ma coutume, n'ayant pas
été appelé auprès d'eux
je n'y allai point. Un soir, on vint m'annoncer que
la femme était morte, et que son mari allait
mourir, et l'on m'apprit en même temps que
mon voisin M. Newton leur avait fait
plusieurs visites. Ma conscience me reprocha
aussitôt la négligence dont je
m'étais rendu coupable, en ne visitant pas
des personnes mourantes, qui ne
demeuraient qu'à quelques pas de ma cure, et
qui étaient du nombre de mes auditeurs
accoutumés.
Quelque mépris que j'eusse pour
les doctrines que professait M. Newton, je
fus forcé d'avouer que sa conduite
était plus conforme que la mienne au
caractère d'un ministre de
Jésus-Christ. Il faut, me dis-je alors,
qu'il ait bien plus de zèle, et d'amour pour
les âmes que je n'en ai moi-même,
puisqu'il fait tant de chemin pour suppléer
à ma négligence, et visiter des gens
que mon insouciance exposait à périr
sans secours pastoraux!
Cette réflexion me toucha
profondément ; je priai avec larmes le
Seigneur de me pardonner une omission si
criminelle, et je résolus de m'acquitter
fidèlement à l'avenir de cet
important devoir. Dieu a daigné me donner la
force d'exécuter une résolution que
j'avais formée dans une confiance
téméraire en mes propres moyens.
J'allai donc sans délai visiter
celui des deux époux qui
vivait encore, et le touchant spectacle d'une
personne déjà morte et d'une autre
qui expirait dans la même chambre, fortifia
beaucoup la résolution sérieuse que
j'avais prise. Dès ce moment j'ai
constamment visité les malades de ma
paroisse, et je me suis efforcé de remplir
avec exactitude cette partie importante des
fonctions du pasteur.
Quelque temps après, un ami me
recommanda de lire, dans l'ouvrage de
l'Évêque Burnet,
intitulé : l'Histoire de son temps,
la partie de la conclusion. qui regarde le
Clergé. Cette lecture eut l'effet qu'il en
avait attendu ; elle m'instruisit beaucoup, et me
fit une profonde impression. Je fus convaincu que
mon entrée dans le saint ministère
était le résultat de motifs
très-mauvais ; qu'elle avait
été précédée
d'une préparation, et suivie d'une conduite,
très-peu convenables. Ces réflexions,
en me faisant sentir combien je
négligeais les devoirs
importans de la plus sublime vocation,
réveillèrent en moi une salutaire
inquiétude. Trop esclave du
péché, et trop plein de l'amour du
monde, je ne changeai pas le cours de ma vie et de
mes études, et je n'abandonnai point mon
plan favori d'avancement et de gloire; mais j'eus
de temps en temps le désir et formai la
résolution de me dévouer un jour
entièrement à l'oeuvre du
ministère.
Toutes ces choses réunies
augmentèrent les reproches de ma conscience
; car je vivais alors sans aucun culte
privé, n'osant adresser des prières
au Seigneur avant d'avoir commencé la
réforme de ma conduite. Mais je ne pus
étouffer plus longtemps mes remords, et je
résolus de nouveau de faire les plus grands
efforts pour m'amender. Je travaillai donc
sérieusement, en implorant le secours du
Seigneur, à rompre les fers dont Satan
m'avait jusqu'alors tenu captif; et il plut
à Dieu de me faire obtenir
quelques succès dans cette pénible
lutte, en m'aidant à renoncer à mes
péchés les plus condamnables, et
à pratiquer une sorte de
dévotion.
Hélas ! ce n'était
guère, à bien des égards,
qu'une forme de dévotion ; car je ne
connaissais ni ce Médiateur, ni cet
Esprit-Saint qui seuls peuvent rendre nos
prières efficaces. Cependant, je suis
persuadé que, même alors, je pouvais
quelquefois m'élever au-dessus d'une froide
dévotion, et offrir à Dieu des
prières assez spirituelles et ferventes pour
être exaucées.
Je réformai à quelques
égards ma conduite extérieure ; mais
le renouvellement de mon esprit, si toutefois il
avait commencé, était à peine
sensible ; car mon coeur infecté d'orgueil,
le devenait tous les jours. davantage, à
mesure que ma conduite me paraissait moins impie et
moins déréglée. Le moi
était l'idole chérie à
laquelle je rendais hommage, et mes succès
dans le monde devenaient plus que
jamais l'objet de mes plus grands efforts. À
cette même époque, tout concourait,
à accroître la bonne opinion que
j'avais de moi-même; j'étais
traité avec bienveillance des personnes de
qui je n'avais pas sujet de l'attendre ; ma
prédication était
goûtée, et mon amitié
recherchée. Insensé ! j'attribuais
tous ces succès à la
supériorité de mon mérite. Ma
conscience, dont les accusations avaient maintenu
jusqu'alors dans mon âme le sentiment de mon
indignité, gardait maintenant le silence, ou
semblait autoriser mon orgueil.
Conversant habituellement avec des
personnes qui favorisaient mes opinions ne les
contredisaient pas, je conclus que mon
système était la règle
même de la vérité, et que
j'avais, par mes talens supérieurs,
convaincu ou confondu tous ceux qui pensaient
autrement que moi. Dans cette idée, Je
désirais vivement entrer en controverse
avec des Calvinistes
(1) ; il s'en
trouvait plusieurs dans mon voisinage et j'avais
beaucoup ouï parler de leur doctrine. Ce fut
à cette époque que j'entrai en
correspondance avec M. Newton, dont je fis
connaissance dans le mois de mai 1775, à une
réunion annuelle du Clergé de
l'Évêché de Londres. J'eus
alors un moment d'entretien avec lui sur un sujet
de controverse ; ce qui attira sur nous l'attention
de plusieurs personnes. M. Newton esquiva
prudemment une trop longue conversation et il
m'envoya quelques jours après une courte
note, avec un petit ouvrage dont il me recommandait
la lecture Je saisis avec joie une occasion qui
répondait si bien à mes
désirs, bien persuadé que mes
argumens seraient
irrésistibles, et que
j'aurais l'honneur de dissiper les illusions d'une
personne d'ailleurs sensée.
Comme je savais que M. Newton
jouissait alors d'une grande considération,
même auprès de quelques personnes qui
désapprouvaient ses sentimens religieux,
j'en avais moi-même une opinion
très-favorable. On louait en effet sa
douceur, sa bienveillance, son
désintéressement, son zèle
infatigable à remplir les fonctions de son
ministère. Mais, tout en lui rendant justice
à ces divers égards, je regardais
comme un fanatisme ses sentimens religieux, et je
parlais de ses talens avec beaucoup de
mépris. Un jour, j'eus la curiosité
de l'entendre prêcher; mais, n'ayant pas
compris son sermon, j'en plaisantai beaucoup
partout où je pus le faire sans offenser
personne. J'avais aussi lu une de ses adresses
imprimées; mais j'y trouvai, par la
même raison beaucoup d'idées bizarres,
paradoxales et inintelligibles.
Cachant donc les vrais motifs de ma
conduite sous le prétexte d'entrer avec lui
en relations amicales, et de chercher la
vérité, je lui écrivis une
longue lettre, où j'affectai de montrer
beaucoup de candeur et un esprit ouvert à la
conviction. Je me proposais par-là d'obtenir
de lui une exposition de ses sentimens, afin
d'entrer ensuite en controverse.
L'événement ne
répondit point à mon attente. Il me
fit une réponse très-longue et
très-affectueuse ; mais il évita avec
soin de parler des doctrines qui auraient pu me
scandaliser. Il me déclara qu'il me croyait
un homme craignant Dieu, et placé
sous la direction de son St.-Esprit ; qu'il
acceptait avec joie mes offres amicales, mais qu'il
ne voulait m'indiquer aucune voie
particulière. Il ajouta qu'en même
temps qu'il me laissait ainsi sous la direction du
Seigneur, il serait charmé, toutes les fois
que l'occasion s'en
présenterait, de rendre
hommage aux vérités de
l'Évangile, et de me communiquer ses
sentimens avec toute la confiance de
l'amitié.
Nous continuâmes cette
correspondance, par un échange de neuf ou
dix lettres, jusqu'au mois de décembre de la
même année. Dans toutes ces lettres
nous suivîmes l'un et l'autre le plan que
nous nous étions formé. Pour moi, je
faisais tous mes efforts pour l'amener à la
controverse je remplissais mes lettres de
recherches de définitions, d'argumens, de
conséquences et d'objections, et je
demandais des réponses précises. De
son côté, il évitait autant que
possible toute espèce de controverse, et
remplissait les siennes des instructions les plus
utiles et les moins propres à m'offenser. Il
jetait seulement çà et là
quelques idées sur la
nécessité de la foi, sur sa vraie
nature et son efficacité, sur la
manière dont il faut la chercher et dont on
l'obtient « et sur quelques
autres sujets qu'il jugeait propres à
m'aider dans la recherche. de la
vérité. Mais ces sages
réflexions. loin, de m'être utiles, ne
faisaient que blesser mes préjugés et
me fournir de nouveaux sujets de dispute.
Choqué de plusieurs de ses
assertions, je le combattis, durant toute cette
correspondance, avec tous les argumens que je puis
imaginer. Je lus avec beaucoup de mépris et
d'indifférence la plupart de ses lettres et
des livres qu'il m'envoya. Prenant pour un aveu de
sa faiblesse le soin avec lequel il esquivait toute
controverse, je proclamais mon triomphe en
plusieurs compagnies, avec autant d'assurance que
si j'eusse réfuté sans
réplique tous ses argumens. Enfin, ne
pouvant atteindre le but que je m'étais
proposé, je cessai de lui écrire, et
je rompis le premier notre correspondance.
Le compte que je viens de rendre au
lecteur de nos relations a
été fait fidèlement
d'après tous les souvenirs qui m'en sont
restés, et d'après une lecture
attentive des lettres de M. Newton et de mes
réponses, que j'ai conservées avec
soin. J'espère publier bientôt ces
lettres, convaincu qu'elles seront plus utiles
à d'autres qu'elles ne l'ont
été à moi-même, à
cause de mon esprit vain et contentieux. Les
miennes ne méritent que l'oubli, et ne
peuvent avoir d'autre usage que celui de me
rappeler ce que je fus et de mortifier mon orgueil
: elles montrent clairement, d'un
côté, la patience et la candeur avec
lesquelles mon ami a supporté long-temps ma
présomption et mon ignorance ; et de
l'autre, le caractère indocile et querelleur
que j'opposais toujours aux généreux
efforts qu'il faisait pour m'éclairer. Elles
me rappellent surtout la bonté de ce Dieu
qui, tout en résistant aux orgueilleux, sait
humilier leur coeur superbe, non-seulement par la
verge de fer de sa justice, mais
encore par le sceptre d'or de sa
miséricorde.
Nos liaisons d'amitié
cessèrent presqu'entièrement avec
notre correspondance. Dans les rares entrevues que
nous avions, notre conversation ne roulait que sur
des sujets indifférens. Pendant tout ce
temps de froideur, M. Newton ne cessa de me
dire qu'il avait été dans les
mêmes dispositions que moi, et que
j'embrasserais un jour ses principes religieux. Il
répétait souvent à ses amis
que j'approchais de la vérité,
quoique d'une manière lente et insensible;
tant il discernait clairement, au milieu de toutes
les ténèbres de ma nature
dépravée, et de mon opiniâtre
résistance à la volonté de
Dieu, l'aurore de la grâce qui se levait dans
mon âme.
Il fondait principalement son espoir sur
la conduite que je tins peu après que nous
eûmes commencé à nous
écrire, dans un temps où mon esprit
était fortement
préoccupé de
quelques espérances d'avancement. Un
dimanche, après avoir indiqué le
psaume je feuilletai la liturgie et,
accidentellement ou par une direction de la
Providence, je l'ouvris à l'endroit
où sont exposés les articles de
doctrine; le huitième, relatif à
l'autorité du symbole d'Athanase,
attira immédiatement mon attention. Mes
prétentions à la candeur et
l'incrédulité touchant la doctrine
d'une Trinité de personnes égales
dans l'unité de Dieu, se
réunissaient pour exciter ma haine contre ce
symbole : aussi j'avais coutume d'en parler avec
mépris et d'en négliger la lecture
dans le service divin.
Après l'avoir parcouru, mon
esprit fut profondément frappé de ces
paroles qui le suivent : « Il doit être
entièrement cru et reçu, parce qu'on
peut le prouver par les témoignages les plus
positifs des saintes Écritures. » La
manière dont j'y avais souscrit, se
présenta aussitôt à ma
pensée ; et,
dès-lors, j'eus, sur ce point les scrupules
les plus inquiétans, jusqu'au moment
où mes vues sur le système
évangélique eurent été
complètement changées.
Le Fils de Sirach a dit sagement
: « Mon fils, si tu t'approches pour servir le
Seigneur, prépare ton âme à la
tentation. »
J'avais déjà souscrit deux
fois à ces articles, dans un temps où
mes principes religieux étaient mauvais.
Dans le sommeil de ma conscience, avec le peu
d'intérêt que j'apportais au service
de Dieu, je n'avais envisagé cet engagement
que comme une chose d'usage, et une
formalité nécessaire : mais
actuellement, quoique je fusse encore
influencé par l'orgueil, l'ambition et
l'amour du monde, mon coeur était plus
sincère envers le Seigneur, et je n'osais
commettre avec délibération, pour mon
intérêt temporel, un
péché qui m'était connu.
Souscrire à des articles que je ne croyais
pas, et cela pour m'avancer dans
l'Eglise, commença à me
paraître un mensonge impie, un crime odieux,
dont je ne pouvais témoigner un vrai
repentir qu'en renonçant au salaire
d'iniquité. Plus je considérais la
chose, plus ma conscience protestait avec force
contre une telle conduite.
Enfin, après une longue lutte
entre l'intérêt et le devoir, je
déclarai mes scrupules à mon
supérieur, et je lui fis connaître la
résolution où j'étais de ne
plus souscrire aux articles de doctrine.
J'abandonnai ainsi mes projets d'avancement, et je
demeurai, avec une famille croissante, sans d'autre
perspective que celle de la misère. Quoique
mes objections contre ces articles fussent mal
fondées, je montrai dans cette affaire
beaucoup de suffisance et d'obstination. Je
reconnais maintenant mon erreur ; mais je ne me
repens pas et le ne me repentirai jamais d'avoir
obéi à la voix de ma conscience, et
conservé mon
intégrité dans ces circonstances
difficiles.
Ma résolution ne fut pas
plutôt connue que je fus en butte à la
censure de plusieurs de mes amis : tous, j'en suis
certain, ne consultaient que leur amitié ;
mais aucune de leurs raisons ne put me
convaincre.
Cette décision eut pour moi un
grand avantage ; elle servit à me
déterminer à ne recevoir aucune
vérité religieuse sur la simple
autorité d'un homme ; elle m'engagea
à examiner la parole de Dieu, dans
l'intention de reconnaître si les articles de
foi de l'Eglise Anglicane, en
général, et si le symbole
d'Athanase, en particulier, étaient
conformes on non aux Écritures. Je les avais
déjà étudiées
jusqu'à un certain degré, soit pour
en connaître les langues originales, soit
pour en tirer des passages propres à
défendre mon système. Je connaissais
assez bien la partie historique de la Bible et
celles qui traitent des
préceptes ; mais je
n'avais point sondé ce précieux
dépôt de science divine dans le
dessein exprès d'y chercher des
lumières touchant les points de doctrine
contestés. À peine me doutais-je que
je me trompais ou que je pouvais me tromper. En
m'appliquant de nouveau à l'étude des
Écritures, je songeais moins à
modifier mes opinions qu'à mieux
connaître les passages qui les
établissaient.
J'entrepris donc cette recherche ; le
premier passage qui me fit soupçonner que je
pouvais être dans l'erreur fut celui-ci :
(Jacques I. 5.)
« Si quelqu'un de vous a besoin
de sagesse, qu'il la demande à Dieu qui la
donne à tous 'libéralement, et ne la
reproche point, et elle lui sera donnée.
»
En le considérant avec attention
je sentis que bien que je fusse sage à mes
yeux, ma sagesse ne venait point d'en haut, puisque
je n'avais jamais adressé à Dieu une
seule prière pour la lui demander.
Je vis aussi dans, ce passage une
promesse qu'il m'adressait pour me diriger et
m'encourager dans mes recherches, et
dès-lors je commençai à lui
demander cette sagesse qu'il ne refuse à
personne.
Peu de temps après, je
méditai et je prêchai sur ce texte de
St. Jean VII. 16. 17 :
« Ma doctrine n'est pas de moi,
mais de celui qui m'a envoyé; si quelqu'un
veut faire sa volonté, il connaîtra,
si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de mon
chef. »
Surpris de n'avoir jamais fait attention
à des paroles aussi remarquables, j'y
découvris la promesse consolante d'une
direction, qui, semblable à un fil
salutaire, devait conduire mes pas au travers de ce
labyrinthe de controverses, dans lequel je risquais
de m'égarer. Mais, trop livré
à mes vains raisonnemens, je ne tirai point
de ce précieux passage tout le fruit qu'en
peut recueillir celui qui se laisse humblement
instruire par le Seigneur.
Néanmoins, disposé
à tout risquer pour faire ce que je croyais
la volonté de Dieu, ces paroles
m'encouragèrent, en me donnant l'assurance
que si j'étais actuellement dans quelque
erreur, je le découvrirais tôt ou
tard.
Un passage des proverbes me donna lieu
aussi de soupçonnée que je
m'étais égaré dans une
mauvaise voie, pour n'avoir pas cherché la
vérité d'une manière
convenable
(Prov. III. 5. 6.
« Confie-toi de tout ton coeur
en l'Éternel, et ne t'appuie point sur ton
entendement ; reconnais-le en toutes les voies, et
il dirigera les sentiers. »
Je fus forcé de reconnaître
que jusqu'alors je ne m'étais point
confié en l'Éternel ; que je ne
l'avais point reconnu dans toutes mes voies
; qu'il n'avait point dirigé tous mes
sentiers ; mais que, dans toutes mes
spéculations théologiques, je ne
m'étais appuyé que sur mon propre
entendement.
Ces passages, et d'autres semblables,
firent sur moi une profonde impression, et
m'apprirent quelles étaient les choses que
je devais demander chaque jour à Dieu dans
mes prières, pour parvenir à bien
entendre sa parole. Mais l'orgueil et' l'amour de
la controverse avaient tellement infecté mon
âme, qu'il était impossible de
guérir en un moment un mal aussi
invétéré. Il s'en fallait bien
que je fusse un petit enfant, assis humblement aux
pieds du Seigneur, pour apprendre de lui les
premiers rudimens de la science divine. Je ne
soupçonnais pas encore que tout ce que
j'avais jusqu'alors estimé sagesse
n'était que folie, et qu'il fallait
l'oublier et le regarder comme une perte, afin de
parvenir à l'excellence de la
connaissance de Jésus-Christ. Je
commençais bien à reconnaître
que je pouvais être dans l'erreur à
quelques égards; mais j'étais encore
persuadé que mon système
était vrai dans les
points, capitaux.
Lorsqu'on parvenait à m'inspirer
des doutes sur l'une de mes opinions, je rappelais
à mon esprit, pour les dissiper, tous les
raisonnemens et toutes les interprétations
de l'Écriture qui étaient en ma
faveur ; et lorsque cet expédient ne pouvait
me satisfaire, je recourais à des
écrits de controverse. Cette habitude, en
alimentant mon orgueil, me détournait de la
parole de Dieu, me faisait négliger la
prière, et me fournissait des armes contre
la conviction de mon esprit et de mon coeur.
L'Accord du Christianisme avec la Raison,
par Locke, et la Défense de la
Religion Chrétienne, par le même
auteur, devinrent à cette époque mes
ouvrages favoris. J'étudiai plusieurs autres
écrits de ce philosophe avec une attention
extrême, et avec une sorte d'engouement, le
prenant aveuglément pour mon maître,
adoptant implicitement ses principes et ses
conclusions, empruntant ses
argumens, et montrant une, sorte d'antipathie
contre tous ceux qui n'embrassaient pas ses
opinions avec la même partialité que
moi. Mais l'étude de Locke me nuisit
beaucoup ; car, au lieu d'avancer dans la recherche
de la vérité, je puisai dans cet
auteur des argumens plus subtils et plus
ingénieux pour la défense de mes
erreurs
(2).
Je lus à cette époque les
Devoirs Pastoraux de l'Évêque
Burnet, ouvrage que Locke cite avec
éloge ; J'y trouvai peu de choses qui
blessassent mes préjugés, mais
beaucoup de conseils excellens
touchant les obligations du ministre. Plusieurs
parlèrent à ma conscience, et c'est
ce qui m'engage à faire part au lecteur de
quelques-uns des passages qui firent sur moi le
plus d'impression.
Il parle ainsi d'un faux ministre de
l'Évangile :
« Toute sa vie n'a
été qu'une carrière
d'hypocrisie, dans le sens le plus strict de ce
mot. Ses péchés réunissent
tout ce qui peut les aggraver il les commet contre
sa connaissance ses voeux, contre le
caractère dont il est revêtu; il
prouve un mépris, réfléchi de
toutes les vérités, et de toutes les
obligations religieuses. S'il périt, il ne
périt pas seul, mais il entraîne dans
sa ruine les âmes qu'il a laissées
croupir dans l'ignorance, et celles que son mauvais
exemple a endurcies dans le péché !
»
Après avoir parlé des
études nécessaires
nécessaires aux ministres
de la parole de Dieu, et surtout de celle de la
Bible, il ajoute :
« Mais, afin de donner à
toutes ces études leur plein effet, un
ministre doit employer une grande partie de son
temps à des prières secrètes
et ferventes, pour implorer la direction et la
bénédiction de Dieu, solliciter
constamment les secours du Saint-Esprit, et
conserver un vif sentiment des
vérités divines. C'est ainsi
seulement qu'il pourra continuer ses travaux sans
ennui, et les poursuivre toujours avec joie et avec
succès. »
La lecture de cet ouvrage dirigea mon attention
vers les passages des Écritures, qui
établissent les devoirs et les obligations
du pasteur. L'importance de la direction des
âmes qui m'étaient confiées, et
le compte redoutable que je devais en rendre
à Dieu, me frappèrent
particulièrement quand je lus ces paroles
d'Ezéchiel (XXXIII. 7-9-):
« Toi donc, ô fils de
l'homme ! Je t'ai établi
pour sentinelle sur la maison d'Israël ; tu
écouteras donc la parole de ma bouche, et tu
les avertiras de ma part. Quand j'aurai dit au
méchant: méchant tu mourras
certainement, et que tu ne lui auras point
parlé, pour l'avertir de se détourner
de sa voie, il mourra dans son iniquité, et
je le redemanderai son sang. Mais, si tu l'as
averti de se détourner de sa voie, et qu'il
ne s'en soit point détourné, il
mourra dans son iniquité, mais tu auras
délivré ton âme. »
Je fus pleinement convaincu, avec
l'Évêque Burnet, que cet avis
regarde tous les ministres, aussi bien que le
Prophète lui-même.
Le passage des
Actes XX. 18. - 36. parla aussi
fortement à ma conscience. Je remarquai
surtout les versets
26, 27 et 28, qui semblent faire
allusion au passage d'Ezéchiel :
« C'est pourquoi je vous prends
aujourd'hui à témoin que je suis net
du sang de vous tous ; car je n'ai
point évité de vous
annoncer tout le conseil de Dieu. Prenez donc garde
à vous-mêmes et à tout le
troupeau, sur lequel le Saint-Esprit vous a
établis Évêques, pour
paître l'Eglise de Dieu, qu'il s'est acquise
par son propre sang. »
Les conseils de l'Évêque
Burnet m'engagèrent à lire
attentivement, et à plusieurs reprises, les
Épîtres à Tite et à
Timothée, qui contiennent
l'abrégé des devoirs d'un ministre de
Jésus-Christ. En examinant les
différens passages de l'Écriture qui
se rapportent à ce sujet, celui-ci laissa
dans mon coeur une impression profonde (
I. Cor.IX. 16.)
« Car la
nécessité. m'en est imposée,
et malheur à moi si je ne prêche pas
l'Évangile. »
Je ne fus pas moins frappé de
celui-ci (
Colos. IV. 17. ) :
« Recommande à Archippe
qu'il sente bien l'importance du ministère
qu'il a reçu du Seigneur, afin qu'il
l'accomplisse. »
Ces paroles
atteignirent aussi efficacement ma conscience que
si l'Apôtre me les eût
adressées. Je trouvai à la fois de
l'instruction et de l'encouragement dans cette
exhortation de l'Apôtre
( I. Pierre V. 2. -5.) :
« Paissez le troupeau de Dieu
dont vous êtes chargés, veillant sur
lui, non par contrainte, mais de bon gré ;
non en vue d'un gain sordide, mais par affection ;
non en dominant sur les héritages du
Seigneur, mais en vous rendant les modèles
du troupeau ; et lorsque le Souverain Pasteur
paraîtra, vous recevrez la couronne
incorruptible de gloire. »
J'espère que le lecteur excusera
ces détails, en considération de la
grande importance de ce sujet. La lecture des
Devoirs Pastoraux ne me donna pas, il est vrai, de
nouvelles vues sur les vérités de
l'Évangile ; mais elle me
pénétra de la difficulté et de
l'importance du ministère dans lequel je
m'étais légèrement
engagé, et du danger
auquel mon âme était exposée,
si je négligeais de m'y dévouer
entièrement. Ces pensées servirent
à préparer et à amener les
changemens qui survinrent ensuite dans mes
opinions. Je me rendis coupable, il est vrai, d'un
délai très-criminel ; et trop
livré à des occupations
étrangères à ma vocation, je
négligeai, quelque temps, de céder
aux sommations de ma conscience. Mais je ne perdis
jamais de vue l'instruction que j'avais recueillie
de cette lecture, et ne pus goûter de repos
que lorsque, renonçant à toute autre
occupation, je m'adonnai uniquement aux
études et aux devoirs du saint
ministère.
Cependant la confiance que j'avais en
moi-même n'avait que très-peu
diminué, et mes premiers pas dans la
connaissance de la vérité n'avaient
pas été accompagnés de
progrès ultérieurs. Je lus les
sermons de Tillotson et les ouvrages de
Jortin ; et, comme les occupations
étrangères aux
quelles je me livrais absorbaient
tout mon temps, je me permis de transcrire leurs
discours et de les prêcher à mon
troupeau. avec quelques modifications. Cette
habitude de paresse m'empêchait de
méditer l'Écriture sainte, et
m'accoutumait à régler mes opinions
sur l'autorité des hommes, plutôt que
sur la parole de Dieu. Ma prédication
était, en général, un
mélange de la loi et de l'Évangile ;
et je corrompais l'un et l'autre, en faisant de
l'Évangile une loi radoucie qui se contente
d'une obéissance imparfaite pourvu qu'elle
soit sincère. Ce système, en
caressant l'orgueil et les préjugés,
et flattant la conscience, plaît au
pécheur indolent, et au formaliste qui se
repose sur sa justice personnelle ; mais il ne
produit aucun bien véritable, et n'est en
réalité qu'un Antinomianisme
(3)
spécieux et déguisé.
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