Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



En Canot et en traîneau
À CHIENS
Parmi les Indiens CREE et SALTEAUX


 CHAPITRE XVI

 

La prédication du « glorieux Évangile du Fils de Dieu » était à nos yeux la chose essentielle, cela va sans dire, et il nous a été donné, comme à Saint Paul, de constater, avec actions de grâces, qu'il plaît à Dieu de sauver, par la folie de cette prédication, ceux qui croient. Cependant nous ne pouvions nous borner à instruire nos prosélytes du haut de la chaire ; il nous fallait les aider pratiquement à secouer les chaînes du paganisme et les conséquences funestes qu'il entraîne.

Un certain nombre d'entre eux étaient retenus de se déclarer ouvertement pour l'Évangile par la crainte servile des conjureurs. D'autres étaient polygames et ne pouvaient se décider à se conformer aux exigences de Dieu. Posséder plusieurs femmes est considéré, chez quelques tribus, comme un grand honneur. En renvoyer une ou plusieurs, c'est naturellement pour un homme s'exposer aux moqueries de ses compatriotes païens et à l'hostilité, voire aux mauvais traitements de la parenté des épouses répudiées. Quelques-unes des plus grandes perplexités et quelques-uns des devoirs les plus pénibles de ma vie missionnaire me sont venus de cet ordre de choses. Comment réorganiser sur une base chrétienne des familles de polygames qui déclarent vouloir adopter le christianisme et qui viennent demander mes conseils, qui même s'en remettent parfois entièrement à moi du soin d'arranger leurs affaires ? Au début, ma conviction était que la première épouse devait toujours être celle qui seule resterait avec son époux. Mais, de même que tous mes collègues dans le pays, je fus amené à modifier ce principe et à prendre des décisions différentes suivant les cas.
Par exemple, un homme vient me trouver, très impressionné par la prédication et désireux d'être chrétien. Je le serre de près par mes questions et je reconnais qu'il est sincère et vraiment décidé. L'Esprit « besogne » indubitablement dans son coeur et dans sa conscience. Il nous dit qu'il a deux femmes et qu'il est prêt à en renvoyer une, mais il ne sait laquelle. C'est au missionnaire à décider. La première est de beaucoup la plus âgée, mais elle n'a point d'enfants, tandis que la plus jeune est entourée d'une nombreuse famille en bas âge. La vie est dure pour tous dans ce pays déshérité; aussi la condition d'une veuve ou d'une femme privée d'un mari, d'un père ou de fils robustes qui travaillent ou qui chassent pour elle est-elle fort triste. Elle est plus difficile encore, cela va de soi, s'il y a de jeunes enfants à nourrir. Nous en vînmes donc, dans ce cas-là, à laisser auprès du mari la seconde épouse et sa jeune famille et à lui conseiller de renvoyer la première.

Nous faisions notre possible pour venir en aide, en quelque manière, à ces pauvres épouses restées sans soutien ; mais il y avait là un danger dont mes lecteurs comprennent d'eux-mêmes la nature ; aussi, en insistant pour que leur mari leur fît une part aussi large que possible de ses « biens », nous efforcions-nous de rendre la séparation complète et définitive. Aider ceux qui agissaient ainsi par motif de conscience, grevait sérieusement notre modeste budget.

Souvent, c'étaient les femmes elles-mêmes qui réclamaient qu'on mît ordre à leur situation, car elles n'étaient pas longues à reconnaître qu'il y avait là une contradiction avec l'acceptation de l'Évangile.

Il me souvient d'un cas émouvant qui nous causa de la joie malgré ce qu'il avait de poignant. Quelle ne devait pas être la profondeur des convictions religieuses qui contraignaient deux pauvres créatures à s'exposer aux moqueries de leurs compagnes païennes et à la perte d'un époux qui, bien qu'influencé par son milieu païen, était pour elles un bon mari ? Elles vinrent nous rendre visite et demandèrent un entretien avec ma femme et moi. Après avoir causé de différentes choses, elles nous déclarèrent, non sans émotion, qu'elles avaient assisté à nos cultes et que dans leurs coeurs elles sentaient un grand besoin de devenir chrétiennes. Nous comprîmes qu'elles étaient les deux femmes d'un Indien dont le wigwam avait été planté dans notre voisinage quelques semaines auparavant ; que, sans se faire remarquer, elles avaient entendu régulièrement la Parole de Dieu dans notre église et qu'elles en avaient été touchées.

Ayant déjà quelque expérience en la matière, nous avions appris à être prudents lorsque nous avions affaire à des personnes qui nous étaient entièrement inconnues. Là-bas, aussi bien qu'en pays civilisé, il est parfois dangereux de se mêler des affaires domestiques des gens, aussi ne fut-ce qu'après m'être assuré qu'elles étaient tout à fait déterminées à régler leur situation, que je me montrai disposé à m'en occuper. Je m'informai si elles en avaient parlé au mari ; elles me répondirent que oui et qu'il les laissait libres de décider laquelle d'entre elles s'en irait, car, de son côté, il avait déjà eu l'idée qu'ils devraient vivre comme leurs compatriotes chrétiens. Qu'attendaient-elles donc du missionnaire et de sa femme ? Qu'ils décidassent du sort de chacune. Celle qu'ils désigneraient pour rester dans son état actuel y resterait ; l'autre quitterait le domicile conjugal et s'efforcerait de se tirer d'affaire.
Le cas exposé, elles reprirent le chemin de leur wigwam, et, du consentement de leur seigneur et maître, firent deux parts des objets qui constituaient leurs biens mobiliers : filets, pièges, couvertures, chaudrons, haches ; puis, accompagnées des enfants, elles revinrent auprès de nous. Assises à quelque distance l'une de l'autre et entourées chacune de leur famille, elles attendirent patiemment et en silence notre verdict. Vivement conscients de la responsabilité qui nous incombait, nous ne pouvions cependant nous y soustraire puisque la difficulté provenait de l'éveil de leur conscience et de leur souci d'entrer dans une vie meilleure. Nous avions examiné la chose ensemble et avions demandé à Dieu ses directions. Maintenant que le moment était venu de porter la sentence, nous pûmes le faire sans hésitation. À celle qui était entourée de cinq enfants, nous dîmes ;
Toi, demeure avec ton mari, » et à sa compagne qui n'en avait que quatre nous dîmes : « Toi, ne retourne pas au wigwam ; à partir de cette heure, tu dois y devenir entièrement étrangère. »

La première, les yeux rayonnants, sauta de joie, rassemblant sa progéniture et son butin, elle prit congé rapidement et disparut. L'autre, qui avait ramené sa couverture sur sa figure ne fit d'abord pas un mouvement ; un sanglot contenu secouait son corps. Bien vite pourtant, avec cette prodigieuse force de volonté que possèdent les femmes aussi bien que les hommes de sa race, elle retrouva son empire sur elle-même, découvrit sa tête et fit ses préparatifs de départ. Quand elle tourna vers nous ses grands yeux noirs voilés de larmes, nous n'y vîmes pas trace de colère, mais un désespoir qui nous perça le coeur. Elle semblait voir déployée devant elle la vie de souffrances qui l'attendait, pauvre créature solitaire et méprisée, mais elle avait d'avance « fait le compte de la dépense ». C'était poussée par la conscience qu'elle était allée au-devant de cette éventualité, maintenant elle ne reculerait pas ! N'était-il pas presque cruel que nous, qui venions de lui fermer son home, nous commencions à lui demander où elle irait, ce qu'elle comptait faire désormais ? Hélas ! elle n'en savait rien. Son mari l'avait achetée autrefois à une certaine distance et elle n'était plus dès lors retournée à la maison paternelle. Elle avait appris la mort de son père, mais aucune autre nouvelle de sa parenté ; du reste, en eût-elle su davantage et eût-elle pu retrouver quelqu'un des siens, il était bien probable qu'elle n'aurait eu à en attendre que mépris et persécutions. Que pouvait-elle donc faire ~ Tout le monde me croira quand je dirai que nos coeurs étaient serrés et que, quelles que pussent être nos circonstances personnelles, nous nous sentions tenus de venir au secours de cette femme. N'avions-nous pas lu tout récemment l'histoire du peu d'huile et de la poignée de farine miraculeusement multipliés ?

Tandis que ma femme prenait soin d'elle et des siens, moi j'allai trouver quelques-uns de mes professants, et je leur exposai le cas. Sans retard, nous nous débarrassâmes de nos vestes et pardessus et nous nous mîmes en devoir de lui construire un wigwam ; on lui trouva un canot et ses filets furent jetés en un endroit propice pour se remplir de poisson blanc.
Elle était travailleuse et intelligente, désireuse de se tirer d'affaire. Avec notre appui et la sympathie effective de ses compatriotes chrétiens, elle en vint à bout et se montra une fidèle chrétienne.

Dans d'autres cas beaucoup plus compliqués, l'élasticité des liens du mariage avait amené des situations vraiment inextricables ; y toucher risquait de nous entraîner dans des difficultés sans issue ; refuser d'intervenir, c'était encourir le blâme de personnes plus pharisaïques que sages, je le crains. Voici un exemple :

Deux jeunes gens s'étaient mariés depuis un certain nombre d'années et avaient eu trois enfants ; puis le chef de famille était parti comme pagayeur au service de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Quelque temps écoulé, il avait épousé une seconde femme dans un village très éloigné, s'y était fixé pour ne revenir au sein de son propre clan, avec sa seconde famille, qu'au moment à peu près où j'y arrivais moi-même. Sa première épouse n'entendant plus parler de lui avait de son côté fondé un autre ménage. À la prédication fidèle de l'Évangile, ces deux familles se convertirent ; chacun sentait douloureusement l'irrégularité de sa situation, mais comment y remédier. Après avoir retourné la chose dans tous les sens et écouté mainte suggestion, je dus y renoncer. Chaque famille vivant heureuse de son côté, je les laissai comme je les avais trouvées. En définitive, c'était le paganisme, non le christianisme, qui était responsable.

À Nelson River, je fus accosté un jour par un homme âgé qui me fit savoir qu'il avait attentivement écouté mes enseignements et qu'il désirait recevoir le baptême. J'en fus réjoui ; mais n'était-il pas polygame ? À ma question, il répondit qu'il possédait en effet quatre femmes. J'eus alors un long entretien avec lui sur ce point et lui fis comprendre que, pour se conformer aux instructions du « Livre », il fallait qu'il en renvoyât trois ; que je ne pourrais le baptiser qu'à ce prix. Il en fut très peiné, soit lui, soit elles n'étaient plus jeunes ; ils avaient vécu ensemble de longues années dans une paix relative ; si maintenant il allait leur dire qu'il fallait se séparer, cela n'irait pas tout seul, il le craignait ; cependant il désirait vivre en chrétien. Le voyant sincère et manifestement travaillé par l'Esprit de Dieu, je l'encourageai à tenter cet effort, lui disant que tout s'arrangerait sûrement mieux qu'il ne le pensait. Il se rendit alors à sa vaste tente et y rassembla sa nombreuse famille - trois de ses femmes avaient des fils adultes. - Il leur dit qu'il voudrait être chrétien et à quelle condition seulement il pourrait obtenir le baptême.

L'émotion fut vive, les femmes commencèrent à gémir, les fils, qui généralement traitaient leurs mères avec indifférence, déclarèrent avec emphase qu'ils ne souffriraient pas qu'elles fussent renvoyées et ainsi dégradées aux yeux de leur peuple. À ce que j'appris plus tard, le père eut à subir un rude assaut. À la fin l'un d'entre eux dit : « Qui est-ce qui nous cause tout cet ennui ? Hé ! c'est le missionnaire que nous avons tous entendu qui refuse de baptiser notre père s'il ne répudie pas nos mères. » Et plusieurs s'écrièrent : « Allons trouver le missionnaire ! » et, saisissant leurs armes, ils partirent à ma recherche.
Heureusement pour moi je me trouvais hors de ma demeure sur la prairie ; je les vis venir ; leurs mouvements me parurent suspects, j'en devinai la cause et compris de suite la ligne de conduite que je devais suivre. J'appelai un de mes fidèles chrétiens qui se trouvait à proximité et m'avançai au-devant d'eux. Sans paraître m'apercevoir de leurs regards courroucés, je m'adressai à eux comme si nous eussions été de bons amis. Voici à peu près mon discours :
« Mes braves, vous m'avez entendu parler d'après le Grand Livre et vous y avez été attentifs. Vous êtes en train d'y réfléchir. Je souhaite que nous puissions trouver quelque moyen qui vous permette à tous, pères, mères, fils, de quitter l'ancienne mauvaise vie et de vous décider à accepter la nouvelle, à devenir tous ensemble des chrétiens. J'y ai pensé depuis que j'ai eu un petit entretien avec votre père et j'ai un plan que je crois bon. »

Ils étaient tout oreille et quand je mentionnai un plan qui devait aplanir la difficulté, leurs mauvais regards s'adoucirent, car au fond ils ne tenaient pas à me tuer si on pouvait arranger les affaires autrement. Ils étaient anxieux de savoir ce que j'avais à leur proposer, d'autant plus que cela ne serait humiliant pour personne, leur assurai-je. Je leur dis alors combien j'étais réjoui de voir de jeunes hommes prendre le parti de leurs mères comme ils le faisaient tandis que, dans leur pays, le plus grand nombre les traitaient moins bien que leurs chiens. Ma proposition était donc que les fils de chacune des mères formassent un wigwam pour leur compte et y prissent soin d'elles : robustes gaillards et habiles chasseurs, ils ne risquaient pas d'échouer. Et j'ajoutai : « Que votre père demeure avec celle qui est privée d'enfants, qui n'a ni fils ni filles pour la soutenir. Faites cela et le Grand Esprit satisfait, et quand vous serez plus instruits, rien ne vous empêchera de prendre rang vous aussi parmi les chrétiens et de recevoir le baptême. »
Ma suggestion leur sourit et ils me quittèrent apaisés pour s'en entretenir en famille. Cependant je ne réussis pas à la faire exécuter tout de suite ; ce fut mon successeur, l'excellent John Semmens, qui eut cette satisfaction.

Ma chère femme et moi-même nous avions adopté quantité d'expédients pour amener nos convertis à mener une vie plus élevée et plus heureuse que celle qu'ils avaient connue auparavant. Les femmes, par exemple, n'avaient jamais eu le souci de tenir propre leur intérieur, leur personne et celle de leurs enfants. Toujours rebutées, méprisées et battues, elles avaient perdu courage et n'avaient aucune ambition de faire quoi que ce soit pour satisfaire leurs seigneurs et maîtres et s'épargner leurs mauvais traitements. En conséquence, lorsqu'elles se convertissaient, elles avaient beaucoup à apprendre dans l'art de tenir leurs simples habitations décemment et proprement. Bien heureusement que, chez la plupart, il y avait le désir de l'apprendre. Une de nos idées ingénieuses et qui produisit d'excellents résultats, ce fut d'aller à l'occasion dîner avec telles d'entre elles. Voici comment nous procédions. Le dimanche j'annonçais du haut de la chaire que si tout allait bien nous nous proposions, Mme Young et moi, d'aller dîner le lundi dans telle famille, le mardi dans telle autre, le mercredi avec une troisième, et ainsi de suite. La première fois, on n'en crut pas ses oreilles et on m'attendit à l'issue du service pour me demander si vraiment j'avais dit pareille chose. « Certainement, répondis-je. - Mais nous n'avons rien du tout à vous offrir que du poisson. - Ne vous préoccupez pas de cela, nous apporterons la nourriture. Tout ce que nous attendons de vous, c'est que votre demeure soit aussi propre que possible, que vous-mêmes et vos enfants soyez aussi soignés que vous pouvez l'être. » Et les pauvres femmes qui avaient été positivement alarmées à la perspective d'avoir à nous recevoir s'en allaient rassurées et ravies.

Au matin, je partais de chez moi, de suite après le déjeuner et faisais plusieurs visites pastorales ou vaquais à d'autres affaires en calculant mes courses de manière à me trouver aux environs de midi à la chaumière que j'avais désignée. Ma femme avait son propre attelage qu'on harnachait vers dix heures. Elle chargeait son véhicule de plats, de linge de table, des provisions dont elle pouvait disposer pour constituer un repas substantiel. Un jeune homme de confiance lui servait de conducteur et, en temps utile, elle abordait avec son chargement au lieu du rendez-vous où la famille, tout excitée par l'attente de l'événement annoncé, la recevait avec un joyeux empressement.
La petite hutte et ses habitants avaient bon air ; chaque objet avait été passé en revue ; le parquet (!) avait été gratté et frotté à plaisir.

Comme à cette époque bien peu de personnes possédaient une table, le plancher en tenait lieu. On y étalait la nappe, sur laquelle on disposait en ordre les plats, les couteaux et fourchettes, puis on apprêtait le repas. Si la famille était à l'aise et pouvait offrir du poisson et des pommes de terre, on en faisait cuire, car nous jugions préférable de la laisser contribuer en quelque mesure au repas ; sinon on trouvait tout le nécessaire dans les paniers de ma femme. À mon arrivée, tout était prêt et, après l'échange de bonnes paroles et des salutations avec chacun jusqu'au gras poupon qui reposait dans son berceau de planches, nous prenions place en style de pique-nique et faisions honneur au menu, menu très simple, à vrai dire, mais qui constituait, soit pour eux, soit. pour nous, un festin ; nous l'assaisonnions d'aimables causeries et passions ainsi une heure très heureuse. Ensuite, on apportait la Bible et les recueils d'hymnes ; nous chantions, nous lisions ; nous nous entretenions ensemble des vérités bénies contenues dans le Saint Livre, puis nous nous agenouillions et, « par des prières et des supplications avec des actions de grâces », nous présentions nos requêtes à Dieu et « sa Paix, qui surpasse toute intelligence », remplissait nos coeurs.
Mme Young présidait au relavage, après quoi elle aidait la maîtresse de maison dans quelque travail pour lequel celle-ci avait réclamé ses conseils ; tantôt une pièce de vêtement à tailler pour elle-même, tantôt une petite robe à ajuster à l'une des fillettes, ou autres choses de cette nature, beaucoup trop délicates et compliquées pour que mon esprit obtus pût les saisir. Pendant ce temps je me hâtais vers d'autres devoirs.

Nous allions ainsi, de maison en maison, autant que les circonstances nous le permettaient. Ceux que nous avions ainsi visités n'oubliaient jamais ces moments que nous avions passés familièrement réunis ; pour la plupart d'entre eux, ils marquaient un changement durable dans la tenue du ménage et parfois aussi un progrès réel dans la vie religieuse.

Cette coutume que j'avais introduite me servit à illustrer le beau passage sur lequel j'aimais à prêcher « Voici, je me tiens à la Porte et je frappe, si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je souperai avec lui et lui avec moi. »
J'essayais de décrire le Rédempteur s'approchant de notre coeur et en sollicitant l'entrée ; ne réclamant rien autre qu'une parole d'acquiescement et de bienvenue. De même qu'ils appropriaient leurs petites demeures pour y accueillir leur missionnaire avec sa compagne, de même le Seigneur nous demande d'expulser tout péché et de lui céder toute la place. « Quelques-uns d'entre vous se sont écriés : mais nous ne saurions préparer de repas au missionnaire, nous n'en avons pas les moyens, il n'y aura donc rien à manger. Cependant lui et sa femme ont apporté l'abondance, en sorte qu'il y a eu un bon repas. Il en va de même et mille fois mieux encore quand Jésus entre dans un coeur ; c'est lui qui « dresse la table », puis il nous invite à nous y asseoir avec lui. Ah ! laissez-Le donc entrer ! »
De tels entretiens, illustrés par la pratique, ont ouvert beaucoup de coeurs à l'Hôte divin.

Une certaine année, les demandes de visites furent si nombreuses et si instantes que je ne pus entreprendre mon expédition en canot, à destination de Oxford House Mission, que lorsque l'été touchait à sa fin, mais mes camarades étaient des hommes particulièrement robustes, et nous partîmes pleins d'entrain, escomptant une visite réussie. Nous ne devions pas être désappointés. Je pus prêcher plusieurs fois aux indigènes, baptiser un grand nombre d'enfants, marier quelques jeunes couples et célébrer un service de communion solennel et béni. Le repas sacré est extrêmement apprécié par les Indiens et ils y apportent toujours le plus grand recueillement. La réunion fraternelle fut aussi très bonne et quelques-uns des témoignages rendus par hommes ou femmes présentèrent un grand intérêt.

À cette saison, quand le temps était favorable, nous nous levions généralement aux premières heures de l'aurore, de telle sorte que nous avions souvent démarré à quatre heures, Parfois, notre itinéraire nous faisait traverser des lacs ravissants ou suivre des rivières majestueuses ; ailleurs, c'étaient des fleuves étroits et paresseux, dénués de beauté ou d'intérêt.

Un matin, nous descendions un cours d'eau dont les rives nous étaient entièrement cachées par le brouillard ; l'air vif nous stimulait ; maniant nos rames avec vigueur et en cadence, nous avancions rapidement. Depuis plusieurs jours, nous n'avions vu trace d'aucun être humain ; aussi ne fûmes-nous pas peu surpris d'entendre tout à coup sur notre droite plusieurs coups de feu qui se succédèrent à de courts intervalles comme un appel. Immédiatement, je virai de bord dans la direction de ce que j'appellerai cette « salve de joie ». C'était cela, en effet, car en approchant, à mesure que les ombres grotesques qui se mouvaient dans le brouillard prenaient forme humaine, nous pouvions distinguer une troupe de natifs des plus réjouis. Ils venaient d'une centaine de kilomètres dans l'intérieur et se tenaient aux aguets depuis plusieurs jours. Ils avaient campé sur une sorte de promontoire, comptant nous arrêter au passage. À ce moment-là, il était tout à fait impossible qu'ils pussent nous voir, mais le bruit régulier de nos rames nous avait trahis à leurs oreilles exercées, malgré la distance. relativement considérable. Ils étaient abondamment pourvus de gibier et nous, offrirent une large hospitalité. Je célébrai un culte, bénis un mariage, baptisai plusieurs enfants ; bref, ce furent d'heureux moments, mais nous ne pouvions les prolonger, car la saison de la navigation approchait de son terme et nous tenions à éviter d'être pris dans les glaces et obligés de marcher, qui sait combien de kilomètres, en charriant sur notre dos literie, provisions, chaudrons, haches et le reste.
Tout marcha à souhait durant la première partie du trajet de retour ; nous entrions dans le Lac Harry de bonne heure dans l'après-midi, lorsque de nouvelles détonations se firent entendre. Que faire ?
La voix de la froide prudence disait :
« Poursuivez votre course sans vous soucier de cet appel ; la saison est plus avancée qu'en d'autres années, il y a déjà eu des tempêtes et la glace a commencé à se former sur le lac. » Nous redoutions aussi un vent violent qui viendrait transformer en vagues écumantes et menaçantes sa surface maintenant unie comme celle d'un étang et des plus engageantes. Le charme du mouvement ne se goûte nulle part comme dans un canot indien lorsque l'onde est calme et le soleil lumineux. À ce moment, le spectacle que nous avions sous les yeux était merveilleusement beau. Cependant, nos meilleures natures nous criaient : « Arrêtez ! Peut-être ces Indiens sont-ils en détresse ; ils peuvent avoir des motifs sérieux pour interrompre votre course ; peut-être pourrez-vous leur faire quelque bien » Nous pointâmes sur le rivage et fûmes bientôt au pied du rocher sur lequel ils se tenaient. C'étaient cinq chasseurs. Sans sortir de l'embarcation, je leur demandai pourquoi ils nous avaient appelés. Leur réponse, je l'avais entendue plus d'une fois : ils avaient faim, ils avaient besoin de secours. Apprenant qu'il ne s'était écoulé que peu de jours depuis leur départ du Fort où ils s'étaient sûrement munis de pitance, je ne m'expliquais pas leur disette. Mais voici ce qui était arrivé. Ils avaient eu l'imprudence, quelques nuits auparavant, de laisser sur un rocher le sac de toile dans lequel ils transportaient leur poudre et, pendant leur sommeil, la pluie l'avait mise hors d'usage. Je m'enquis alors de ce qui nous restait de nourriture. On me dit qu'il y avait juste pour un repas à nous trois.

Ces hommes étaient païens. Je les avais rencontrés précédemment et leur avais parlé du Sauveur, mais tout ce que j'avais obtenu d'eux, c'était le haussement d'épaules caractéristiques de leur race avec ces mots : « Comme nos pères ont vécu, ainsi voulons-nous vivre ! »

Notre dîner était le dernier morceau d'un ours que nous avions tué quelques jours auparavant. Pendant qu'il cuisait, la tempête redoutée s'approcha et, avant la fin du repas, le lac présentait un aspect tout différent de celui qu'il avait eu tout à l'heure. Sans arrêt, nous eussions pu aisément atteindre l'autre rive ; maintenant c'eût été folie que de le tenter. Nous n'avions pas autre chose à faire qu'à hisser notre canot sur la berge et à attendre, avec autant de sérénité que possible, que le temps changeât de nouveau. Ce jour-là et tout le suivant, il fut épouvantable ; le troisième jour seulement le vent se calma un peu. Ce qui rendait notre situation critique, c'était la rareté ou, pour mieux dire, l'absence de vivres. Cette partie de la contrée était des moins propices à la chasse : les canards et les oies avaient déjà pris leur vol vers le sud, les castors et les rats musqués étaient blottis dans leurs terriers ; nous ne parvenions pas à trouver quoi que ce fût. Dans telles de nos expéditions antérieures, nous nous étions munis d'un attirail de pêche, cette fois nous en étions dépourvus. Heureusement nous avions un reste de sucre et de thé. Il fallut vivre sans déjeuner, ni dîner, ni souper. Avant de nous coucher, le soir, il s'agissait de serrer ferme nos ceintures sans quoi les morsures de la faim ne nous eussent pas laissé fermer l'oeil ; je trouvai qu'il m'était utile de glisser encore dans ma ceinture, sur mon estomac creux, ma serviette de toilette dont je faisais un rouleau très serré. Près de trois jours sans nourriture, c'est un régime pénible, même dans la vie missionnaire.
Cependant, malgré l'exiguïté de l'auditoire, nous eûmes plusieurs services religieux. Nous fîmes là l'expérience qu'il n'est pas du tout favorable à la piété d'essayer d'adorer avec un estomac vide et dès lors je me sens en grande sympathie avec ceux qui ont à coeur de nourrir les pauvres avant de leur faire entendre des prédications.

Le troisième jour, un des étrangers trouva sur le rivage l'omoplate desséchée d'un ours. Avec son couteau, il en tailla une sorte de harpon ; avec les courroies de ses mocassins et de ceux de ces compagnons, il fit une ligne ; un morceau de flanelle rouge servit d'appât, une petite pierre faisait plonger cet engin primitif. Debout sur un rocher, le pêcheur jetait le harpon aussi loin que possible, puis le ramenait à lui rapidement. Chose incroyable, il réussit ! Avant peu nous vîmes apparaître un brochet de six à huit livres. On peut croire qu'il ne fallut pas longtemps pour l'écailler, le nettoyer, et le mettre au pot. Sitôt qu'il fut cuit, on en posa le tiers environ sur mon assiette d'étain en disant : « Missionnaire, mange maintenant. - Ah ! non, fis-je, en regardant autour de moi ces hommes affamés, ce n'est pas cela ! » Et remettant mon tiers sur le plat avec le reste, je tirai mon couteau de chasse, comptai les convives et fis huit parts du tout, puis je me servis comme tous les autres. C'était là un procédé d'une justice bien élémentaire, cependant pour ces cinq hommes ce fut une prédication qui devait les amener au Sauveur. Dès qu'ils eurent mangé, ils allumèrent leurs pipes et se mirent à causer entre eux. Autant que nous pûmes les comprendre, voici ce qu'ils disaient : « Il nous faut écouter le missionnaire des deux oreilles. Il est ici privé de nourriture, souffrant de la faim parce qu'il s'est arrêté dans sa route pour partager avec nous son dernier repas. Nous attrapons un poisson et, quand nous lui en offrons un gros morceau, il le refuse pour que nous en ayons chacun une part égale. Il a à coeur de nous faire du bien et il tient à ce que nous écoutions ce qu'il a à nous dire. Il ne nous a pas grondés une fois de ce que nous l'avons retenu ici ; sans nous il avait le temps de traverser le lac avant la tempête et comme le reste de son trajet est sur la rivière et à la descente, il pouvait rentrer chez lui. Il s'est montré notre ami, écoutons donc ce qu'il a à nous dire. »

Mais je ne prêtai que peu d'attention à ces discours, la tempête diminuait graduellement, si bien qu'au bout de peu d'heures nous pouvions nous rembarquer et reprendre le soir même notre voyage. Le lendemain nous atteignions le village missionnaire de Rossville et faisions notre dernier portage (transport de bateau) aux chutes de Sea River près de Norway House. En voyant le poisson et les quartiers de venaison suspendus à des perches aux abords des huttes, mes patients compagnons s'exclamèrent : « Ah ! nous aimerions bien rire à la vue de ces provisions, mais nous sommes pourtant trop « dégarnis » pour le faire ! »

Le dernier mille fut ramé aussi rapidement que tous les autres et notre courage nous soutint jusqu'à la maison, mais là une étrange faiblesse m'envahit et la seule salutation que je pus faire à mes bien-aimés fut celle-ci ; « Bien chers, nous mourons de faim ; de grâce, donnez-nous quelque chose à manger, » et je m'affaissai épuisé. Toutefois les tendres soins de la meilleure et de la plus courageuse des femmes me remirent, et bientôt je fus prêt à repartir pour une nouvelle tournée.

Les longs mois d'hiver s'écoulèrent et l'été fut là de nouveau si bienvenu, car sous ces latitudes la transition est très rapide. le printemps n'existe pour ainsi dire pas. Sitôt la glace disparue, les Indiens arrivèrent en canot, comme à leur ordinaire, des diverses contrées où ils avaient traqué les fauves. Comme de coutume, la maison missionnaire reçut de nombreux visiteurs. Parmi ceux qui nous firent cet honneur, se trouvaient cinq robustes gaillards dont l'un s'écria en me saluant : « Je pense que tu n'as pas oublié le poisson ? en tout cas, nous nous en souvenons, et nous sommes venus pour avoir un entretien avec toi. - Quel poisson ? Nous en mangeons quatre-vingt-dix fois par mois, bouilli, cuit au four, salé, séché, bon, mauvais et médiocre. J'en ai tant vu que je ne saurais penser à aucun en particulier. » Alors ils me rappelèrent le séjour que j'avais dû faire malgré moi au bord du lac Harry pour leur porter secours quand ils n'avaient pas su tenir leur poudre au sec et l'histoire du brochet que je viens de conter. Il m'arrivait tant d'étranges aventures que celle-là s'était un peu effacée déjà, cependant elle me revint vite. « Nous n'avons jamais oublié ta conduite et tout le long des mois d'hiver nous en avons causé ensemble et aussi des enseignements que tu lisais pour nous de ton Grand Livre. Jusqu'alors nous étions déterminés à ne pas devenir chrétiens, à mourir comme sont morts nos pères, mais maintenant nous avons changé d'idée et nous désirons que tu nous instruises mieux dans cette nouvelle voie qui est bonne. » Leur décision était arrêtée ; ils s'étaient tournés vers Christ. Cinq nouvelles familles vinrent donc s'établir dans le village chrétien. Leur vie et leurs conversations témoignent qu'il s'est produit en elles un changement profond et durable. Ces conversions nous réjouirent naturellement beaucoup ; elles furent pour moi un encouragement à annoncer le salut « en temps et hors de temps ».


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