Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



En Canot et en traîneau
À CHIENS
Parmi les Indiens CREE et SALTEAUX


 CHAPITRE XIII

Les devoirs qui nous incombaient au milieu de nos Indiens étaient de natures très diverses. Ce n'étaient pas uniquement ceux qui, sous tous les cieux, se rattachent à une activité pastorale ou à une oeuvre chrétienne. Chez la population que nous évangélisions, le besoin de progrès et d'amélioration temporelle suivait de près l'acceptation du salut et les bénédictions spirituelles. C'est bien là l'ordre normal ; le christianisme doit toujours précéder la civilisation pour que celle-ci soit de bon aloi ; la marche inverse n'a jamais amené que des échecs chez les Indiens du nord de l'Amérique. Je citerai un exemple de cette vérité.

L'un des premiers gouverneurs du Canada, sir Francis Bond Head, portait aux natifs un grand intérêt. Il s'appliqua avec zèle à leur développement. En une certaine occasion, il en réunit un très grand nombre dans l'un de leurs campements et leur fit une large distribution de farine, de thé et de tabac. Les indigènes festoyèrent, fumèrent et écoutèrent ensuite attentivement ce grand personnage qui représentait la reine d'Angleterre et qui, les ayant si copieusement pourvus de nourriture, était digne de toute considération. Le gouverneur leur exposa alors que l'objet qu'il avait eu en vue, en les visitant et en leur faisant fête, était de témoigner de la bienveillance qu'il éprouvait pour eux et du grand désir qu'il avait de les voir prospérer.
Puis, avec beaucoup d'éloquence, il leur expliqua comme quoi le gibier diminuait et comme quoi le poisson lui aussi ne serait tout à l'heure plus assez abondant ; que, dès lors, s'ils ne voulaient s'exposer à la faim et peut-être à la mort par la famine, il leur fallait nécessairement se fixer et cultiver le sol. Il les amena à promettre de commencer ce nouveau mode de vivre. Faisant bonne chère à ses dépens, ils étaient dans les meilleures dispositions et il eût obtenu d'eux n'importe quel engagement.
Le gouverneur, enchanté de leur docilité, promit de son côté de leur envoyer des haches pour déboiser, des charrues et des boeufs pour défricher le sol et, quand le moment serait venu, de la semence. Ces paroles provoquèrent un grand enthousiasme et la session du conseil fut solennellement déclarée close. Quelques jours plus tard, on vit arriver boeufs, charrues et haches. On était au printemps, saison favorable ; cependant, au lieu de se mettre à l'oeuvre en labourant d'abord l'espace libre autour du village puis en l'agrandissant, ainsi qu'il était convenu, les habitants tinrent entre eux un nouveau conseil et voici les conclusions auxquelles ils arrivèrent. « Ces haches sont admirablement polies, elles brillent comme des miroirs ; si nous nous en servons pour abattre des arbres, elles perdront de suite leur belle apparence ; conservons-les plutôt comme ornements. Ces boeufs sont maintenant gras et prospères ; si nous les attelons à ces lourdes charrues et que nous les contraignions à les tirer, ils deviendront chétifs et beaucoup moins propres à servir d'aliments : Faisons une grande fête ! » Ils abattirent donc les boeufs et invitèrent tous leurs congénères des alentours à profiter de la bonne aubaine. On entretint le feu sous les marmites aussi longtemps qu'il resta un morceau de viande. Tel fut le résultat de cet effort pour civiliser les Indiens avant de les christianiser.
Beaucoup d'autres échouèrent de même. Par contre, nous avons fait à maintes reprises cette constatation intéressante que le désir de l'indigène d'améliorer sa situation matérielle est proportionné à la sincérité de son acceptation du salut.

Évidemment, il ne pouvait pas partout cultiver le sol. Nous nous trouvions à plus de six cents kilomètres au nord des prairies fertiles de la partie occidentale du Canada, où peut-être cent millions d'âmes ont une existence relativement heureuse ; tandis que mes ressortissants de Nelson River vivent à environ quatre cents kilomètres plus au nord encore, donc à un millier de kilomètres de cette région favorisée. Ces tribus et celles d'Oxford Mission et en fait presque tous les habitants de ces latitudes élevées sont obligés de demander leur subsistance à la pêche et à la chasse. Mais, partout où il se trouvait du sol propre à la culture, les natifs s'étaient fait des jardins et des petits champs.

J'avais apporté dans mes bagages quatre pommes de terre. Je ne les mis en terre que le 6 août, néanmoins, dans la courte saison qui restait, je réussis à en obtenir quelques petites ; celles-ci furent soigneusement enveloppées dans de la bourre de coton pour les préserver du gel et l'année suivante elles me donnèrent un seau de tubercules. La troisième année la récolte fut de six bushels - deux hectolitres et dix-huit litres - ; la quatrième année de cent vingt-cinq bushels - quarante-cinq hectolitres et demi - et avant mon départ les natifs cultivaient des milliers de bushels du produit de mes quatre premières pommes de terre. Ils en avaient eu précédemment, mais, par suite de quelque négligence, elles s'étaient perdues.

Un été, j'amenai de la Rivière Rouge, dans un petit bateau découvert, une bonne charrue écossaise et, l'hiver suivant, à l'occasion de l'assemblée de district, j'achetai un sac de froment d'un hectolitre environ. Je me procurai aussi trente-deux dents de herse en fer, tout un assortiment de graines potagères et maintes autres choses, et je charriai tout ce butin à Norway flouse sur mes traîneaux à chiens. Au moment propice, j'attelai mes huit quadrupèdes à ma charrue, à ma herse ensuite lorsque je l'eus fabriquée, et mes champs furent ensemencés. La première année Je coupai à la faucille trente-deux bushels - onze à douze hectolitres - de blé magnifique que je battis au fléau. Ma femme cousit plusieurs draps ensemble et un jour de bonne brise nous y étendîmes le grain qui se vanna pour ainsi dire tout seul. De moulin il n'était pas question, si ce n'est à une distance trop considérable. Une partie du blé, moulu dans un moulin à café, fut consommé comme porridge, le reste fut donné à nos gens qui le mangèrent en soupe. C'est ainsi que nous travaillions avec eux et pour eux, très encouragés en voyant, à mesure que les années s'écoulaient, quelle persévérance ils mettaient à améliorer leur condition qui, dans les circonstances les plus favorables, n'était jamais enviable.

Le principal article de nourriture était le poisson, je l'ai dit, aussi les filets étaient-ils dans l'eau dès la fonte de la glace, en mai, jusqu'à ce qu'elle se refermât en octobre ; et souvent même plus tard on les introduisait à travers des trous pratiqués dans la glace. À Norway-House et dans toutes les stations du nord, le poisson pris en octobre ou au commencement de novembre se conserve gelé en bloc jusqu'en avril. On pêche surtout le poisson dit blanc, mais plusieurs autres variétés abondent aussi. Chaque famille tâche de s'en assurer de trois à cinq mille pour sa provision d'hiver ; moi-même je m'efforçais d'en emmagasiner non moins de dix mille pour l'usage de ma famille et surtout pour mes nombreux chiens indispensables à mes expéditions missionnaires. Il est fort heureux que les lacs et les rivières de ces régions soient poissonneuses au point où ils le sont. Providentiellement, ils fournissent à l'homme la pitance que le sol avare lui refuse. Plusieurs variétés de daims abondent. Il en est de même d'autres animaux dont la chair constitue une nourriture substantielle ; mais toute provision de cette nature est insignifiante relativement au poisson. Il va de soi qu'il en est à cet égard du missionnaire comme du natif ; ce qu'on voit le plus habituellement sur sa table, c'est le poisson. Il peut parfois s'y ajouter un lapin, un quartier d'ours ou telle autre venaison, mais il me souvient que, durant la révolte dont j'ai déjà parlé, toute communication étant coupée et nos envois de nourriture ne pouvant nous être faits comme à l'ordinaire de la Rivière Rouge, nous en vécûmes vingt et une fois par semaine durant près de six mois.

Dans le courant de l'été, nous avions la visite de centaines de Peaux Rouges qui arrivaient, soit isolément dans leurs canots, soit embrigadés dans les convois qui, à cette époque, amenaient de fort loin leurs riches cargaisons de fourrures qu'on envoyait à la factorerie d'York sur la Baie d'Hudson où elles étaient embarquées pour l'Angleterre. Ils demeuraient parfois plusieurs semaines entre le lieu désigné pour leur commerce et la station missionnaire, et nous avions très fréquemment l'occasion de nous entretenir avec eux du Grand Esprit et du Grand Livre. Il en était qui, pleins de malveillance et parfois malheureusement pleins de rhum, ne venaient que pour nous troubler et chercher à nous nuire. Un été, une bande d'Athabasca attaqua notre maison de telle sorte que, pendant trois jours et trois nuits, nous avons été en état de siège. Par malheur tous nos hommes vaillants et fidèles étaient absents à ce moment. Le peu de personnes village se trouvaient tout à fait impuissantes à nous secourir. Nos vies furent en péril.

Peu après le départ de ces hommes mal intentionnés, je vis arriver dans la direction de notre station, traversant le lac, une troupe d'hommes. Les croyant animés, eux aussi, de dispositions hostiles, je rassemblai à la hâte tous les vieillards pour descendre vers le rivage et empêcher si possible le débarquement. Mais, joyeuse surprise, c'étaient au contraire des hommes sérieux qui venaient de franchir une grande distance - quatre cent cinquante kilomètres - pour me voir et s'enquérir auprès de moi de la grande Lumière dont ils avaient entendu parler. Ils avaient rencontré dans leurs expéditions quelques-uns de nos chrétiens qui, ne se séparant jamais de leur Bible, avaient lu et prié avec eux et leur avaient inspiré l'ardent désir du salut. Tout heureux, je les amenai sous mon toit et je leur annonçai Jésus. Lorsqu'ils repartirent pour leur lointain district, ils étaient tous baptisés. Ils m'adressèrent avec instance la même requête que nombre d'autres : « Viens chez nous et enseigne davantage à nous et à nos familles de ces vérités bénies. »
Une autre fois ce fut une députation de onze Peaux-Rouges venant de God's Lake - quatre cent vingt kilomètres - entendre la prédication de l'Évangile et chercher des Bibles, des recueils de cantiques et des catéchismes. L'un d'entre eux avait été instruit et baptisé des années auparavant par le missionnaire Brooking. Sa conduite et ses paroles avaient éveillé chez ses camarades le désir d'en entendre davantage et de recevoir eux aussi le baptême. Brebis affamées dans ce désert, ils s'étaient mis en route sous sa conduite dans ce but. Ils me répétèrent bien des fois ce même refrain poignant : « Viens nous visiter, nous et les nôtres, dans nos lointaines demeures. »

Quelques semaines plus tard, une autre troupe vint, elle aussi, dans l'intention de s'entretenir avec moi. Ces hommes s'assirent sur l'herbe devant la maison missionnaire et eurent l'air d'attendre que je commençasse l'entretien. Je compris bientôt qu'ils appartenaient aux Salteaux et venaient de Beren's-River, - deux cent vingt-cinq kilomètres. - Après que nous eûmes échangé quelques mots sur leurs santés et leurs familles, un vieillard qui paraissait être leur porte-parole me dit :
« Ayurneaookemou ! »
- Maître qui pries, c'est-à-dire missionnaire ! Te souviens-tu de ce que tu as dit il y a trois étés ?
- Qu'est-ce donc que j'ai dit il y a trois étés ? - Tu disais que tu écrirais aux grands maîtres qui prient - les secrétaires des Missions - qu'ils nous envoient un missionnaire. »

En effet, lorsque j'avais traversé leur pays pour la première fois ils m'avaient demandé, les larmes aux yeux, de leur donner un missionnaire. J'avais été très ému de cette requête et j'avais écrit à la Société des Missions à leur sujet et en leur nom, mais en vain. Pour toute réponse je leur traduisis la lettre dans laquelle je plaidais leur cause et qui avait été publiée. Tous l'écoutèrent attentivement et quand j'eus fini, le vieillard se leva vivement en disant : « Nous te remercions tous de ce que tu as écrit, mais où est le missionnaire ? »

Que répondre ? je sentais que cette âme avide m'adressait la question la plus grave que puisse entendre l'église chrétienne à laquelle Dieu a confié la grande tâche de l'évangélisation du monde. OU EST LE MISSIONNAIRE ? Ces mots me faisaient vibrer et je ployais devant eux comme le roseau devant la tempête je ne pouvais que pleurer et m'écrier « Seigneur, aie pitié de moi et de la chrétienté dans son apathie. » C'est la question la plus pénible qu'âme qui vive m'ait jamais posée. Parler à cet homme de la disette d'argent et du manque de chrétiens consacrés pour porter la Bonne Nouvelle à lui-même et à son peuple, aurait pu que remplir son esprit de doute sur la valeur d'une religion professée par un peuple aussi nombreux et aussi riche qu'il savait être les blancs. Aussi essayai-je plutôt de lui donner une idée de la population du globe et de l'immense nombre de ses habitants non encore convertis au christianisme. Je lui dis que les églises sont à l'oeuvre dans bien des lieux et parmi beaucoup de nations, mais que des années s'écouleraient encore avant que le monde entier fût pourvu de missionnaires. « Combien d'hivers s'écouleront-ils avant que vienne ce moment, demanda-t-il encore. - Un grand nombre, je le crains. »
Il passa sa main dans ses longs cheveux argentés et reprit : « Ces cheveux blancs montrent que j'ai vécu plusieurs hivers et que je me fais vieux. Mes compatriotes de la Rivière Rouge, au sud de chez nous, ont des missionnaires, des églises, des écoles, et nous n'en avons point ; je ne voudrais pas mourir avant que nous eussions une église et une école. »

L'appel de ce vieillard réveilla l'intérêt des bonnes gens des églises en pays chrétiens et quelque chose fut fait pour y répondre. À partir de ce moment, je les visitai deux fois l'an et les trouvai avides d'instruction religieuse et de progrès. J'envoyai pour demeurer au milieu d'eux Timothée Bear, mon excellent interprète, qui y travailla de tout son coeur et avec bénédiction. Il n'était pas fort physiquement et ne pouvait comme d'autres affronter impunément toutes les intempéries. J'eus un jour le chagrin d'apprendre que, par suite d'un accident, il était gravement atteint dans sa santé.

Une grande tente en peau de buffle lui servait d'habitation. Or, une nuit, une tornade avait balayé la contrée et l'avait emportée. Il s'était trouvé sans abri contre une pluie torrentielle, ce qui amena un refroidissement fatal. Il s'efforçait néanmoins de continuer son oeuvre. Lorsque j'en reçus la nouvelle, plusieurs semaines plus tard, j'eus naturellement à coeur de me porter aussi rapidement que possible à son secours et je partis en traîneau au moment où l'hiver commençait seulement, saison dangereuse, si bien qu'il s'en fallut de peu que cette expédition fût ma dernière. William Cochran, un homme d'âge et d'expérience, et Félix, splendide spécimen de robustesse, m'accompagnaient. Nous devions traverser le lac Winnipeg dans toute sa longueur. Il arrive fréquemment que la glace, qui commence à se former au nord, est coupée à différentes reprises par les vents du sud, l'extrémité méridionale, distante de quatre à cinq cents kilomètres, restant libre de glace plusieurs jours de plus que la partie septentrionale. Lorsque nous atteignîmes le lac, il nous parut que la glace avait dû être rompue trois fois de suite par la tempête. Les blocs brisés étaient amoncelés sur les bords en chaînes pittoresques ou bien regelés ensemble en champs couvrant de très vastes espaces. Il nous fallut, pendant deux jours, avancer au milieu de ces champs de glace où, à tout moment, des blocs de deux à sept mètres de haut étaient jetés en travers. Soit les hommes, soit les chiens eurent beaucoup à souffrir de chutes et de contusions.

Le troisième jour, à l'aube, comme nous arrivions à bonne distance du rivage où nous avions passé la nuit sous bois, Félix qui guidait alors fut très réjoui de trouver une surface unie ; il mit ses patins et s'élança à la course, suivi de près par les chiens, ravis eux aussi de cet heureux changement. Comme je me félicitais à la pensée que nous arriverions ainsi plus tôt auprès de mon pauvre frère malade, William, qui conduisait le traîneau des provisions derrière moi, poussa un cri de terreur. « La glace est mauvaise, nous enfonçons ! » Pensant que le plus sûr était de m'arrêter, je retins mon attelage ; immédiatement je me sentis enfoncer. « Ne cesse pas d'avancer, me cria cet homme d'expérience, mais dirige-toi vers le rivage. » Les chiens repartirent aussitôt dans cette direction ; par bonheur, la glace qui cédait et craquait sous le poids du traîneau suffisait à les porter eux-mêmes. Nous pûmes regagner la glace ferme et accidentée du bord ; là nous élevâmes nos coeurs pleins de gratitude au grand Protecteur, puis nous reprîmes notre course laborieuse. Cette nuit-là, auprès du feu de bivouac, j'entendis William dire à Félix : « J'ai honte de nous, de ce que nous n'avons pas même pris soin de notre missionnaire. »

À notre arrivée nous trouvâmes Timothée fort malade. Les braves Salteaux qui l'entouraient ce réjouirent de ce que, soit lui, soit eux-mêmes n'allaient pas être négligés plus longtemps. En effet, nous fîmes ce qui était en notre pouvoir pour améliorer sa situation et assurer la continuation de son ministère.
Comme je constatai qu'il avait fait de grands progrès dans la vie spirituelle, j'eus la joie de le baptiser ; je pus même baptiser aussi les siens.


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