Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



En Canot et en traîneau
À CHIENS
Parmi les Indiens CREE et SALTEAUX


 CHAPITRE XI

 

Si, dans notre ministère au milieu des Indiens Cree, il nous arrivait de traverser des heures sombres où notre foi était mise à l'épreuve, il en était d'autres où nous étions profondément réjouis et encouragés. Je veux raconter ici un de ces encouragements qui illustre la courte parabole rapportée par Saint Marc (IV, 26 à 29) sur la semence qui pousse sans que l'homme le sache et sans qu'il intervienne.

Une après-midi de juin où je travaillais dans ma chambre d'étude à Norway House, absorbé dans mes pensées, un bruyant « Hem ! » prononcé derrière moi me fit tressaillir et bondir sur mes pieds. Je vis alors un natif de belle stature dont la physionomie m'était entièrement étrangère. Il s'était glissé dans ma chambre à la manière de tous ses congénères, c'est-à-dire comme un chat. Les indigènes répugnent à frapper aux portes et, comme ils sont chaussés de mocassins qui ne rendent aucun son, ils pourraient entrer chez vous par vingtaines sans que vous vous en doutiez. Je tendis la main à mon visiteur et, après lui avoir adressé quelques paroles auxquelles je remarquai qu'il ne prêtait nulle attention, je le priai de s'asseoir, mais il n'en fit rien et s'approcha au contraire tout près de moi pour me demander avec un profond sérieux :
Missionnaire, veux-tu m' aider à devenir chrétien ?
- Certainement, répondis-je, c'est pour cela que je suis ici.
- Veux-tu aussi aider ma femme et mes enfants à le devenir ?
- Sans doute, car ma chère femme et moi nous avons quitté notre pays précisément dans ce but. Dis-moi qui tu es et d'où tu viens. »

Il me raconta alors l'histoire que voici. Que ne puis-je mettre dans ce récit le pathétique et la mimique expressive qu'il y mit lui-même.
« J'étais un pauvre enfant orphelin ; mes père et mère étaient morts sans laisser personne qui pût prendre soin de moi. J'avais bien quelques parents, il est vrai, mais, n'étant pas chrétiens, ils n'éprouvaient pas grand attrait pour moi et ne se sentaient pas d'obligation à mon égard. Ce fut le bon missionnaire Evans qui me recueillit dans sa propre maison et m'entoura de son affection. Il me donna des vêtements, de la nourriture ; il m'enseigna l'alphabet qu'il avait composé pour mon peuple et me parla beaucoup du Grand Esprit et de son fils Jésus. Il m'enseigna à prier. Que pouvais-je souhaiter de plus ? Mais je ne sus pas apprécier mon bonheur.
Au bout de deux ou trois ans, je fis la connaissance d'une famille qui venait de loin pour vendre ses fourrures à la Compagnie. Ces gens me parlaient souvent, ils avaient l'air de m'aimer. Ils me disaient qu'ils n'avaient point de petit garçon dans leur wigwam et que, si je voulais partir avec eux, je m'en trouverais beaucoup mieux que de rester auprès de l'homme blanc à qui j'étais obligé d'obéir.
Enfant insensé que j'étais, je les écoutai, et lorsqu'ils furent prêts à partir, je m'évadai dans la nuit et nous nous en fûmes à toute vitesse de rames, car nous savions fort bien que nous agissions mal, et nous avions peur d'être poursuivis. Il nous fallut plusieurs jours pour atteindre leurs chasses et leur campement et là je ne me trouvai pas du tout aussi heureux qu'ils me l'avaient fait espérer. Quelquefois nous avions très peu à manger et souvent ils se montraient cruels envers moi, mais je n'osais me sauver ; où serais-je allé, si ce n'est chez d'autres indiens tout aussi inhumains, ce qui n'aurait fait qu'aggraver ma situation. Cette tribu tout entière était très méchante. Ils craignaient leurs médecins et n'adoraient que le mauvais esprit, car ils le redoutaient et cherchaient à se le rendre propice. Je devins aussi mauvais qu'eux, essayant d'effacer de ma mémoire les prières et tous les enseignements du missionnaire.

À l'âge d'homme, j'étais un affreux païen, mais en même temps un bon tireur, et l'un de ces hommes me vendit sa fille pour être ma femme ; j'ai toute une famille que j'aime, et envers laquelle je ne suis pas cruel, car il m'est resté du temps de mon bonheur le souvenir que les indiens chrétiens traitent leurs femmes et leurs enfants beaucoup mieux que les païens. Tu te souviens que, l'hiver passé, la neige est tombée très épaisse. J'avais emmené ma famille dans la région du daim et je m'y établis pour la saison. Nous tendîmes nos pièges, et nous prîmes pas mal de petit gibier à fourrure, mais le gros gibier dont la chair se mange fut très rare, si bien que nous connûmes la disette. Impossible de gagner les lacs pour pêcher ; nous en étions trop éloignés. À la longue, voyant tous mes efforts échouer, je me décourageai complètement et je dis : j'essaierai une seule fois encore, si je ne puis arriver à tuer un daim ou un élan, je me tuerai moi-même ; je pris donc mon fusil et quittai tristement ma pauvre famille.
Le premier jour je ne pus même pas trouver une piste ; je me couchai affamé et transi ; durant tout le jour suivant je ne tirai qu'un lapin que je dévorai à mon campement solitaire.
Le lendemain je chassai encore jusqu'au milieu du jour, puis me sentant très faible et très irrité, je me laissai aller au désespoir. Je mis une double charge dans mon fusil, et le plaçai de telle sorte que je pusse tirer la détente avec mon orteil et recevoir les deux balles à la tempe. À cet instant précis, une voix m'arrêta : « William ! »
Je détournai le canon du fusil, car j'étais effrayé et je regardai tout autour de moi, mais je ne vis personne. Je découvris alors que la voix parlait en moi ; elle venait de mon coeur, et je l'entendis qui me disait : « William, ne te souviens-tu pas de ce que le missionnaire t'enseignait au sujet du Grand Esprit lorsque tu étais un jeune garçon ? Ne disait-il pas qu'il est bon et qu'il pardonne même à ceux qui se sont détournés bien loin de lui, s'ils sont attristés de ce qu'ils ont fait et qu'ils reviennent ?

Ne disait-il pas aussi que, s'il nous arrive des épreuves terribles, le Grand Esprit est le meilleur ami auquel nous puissions nous adresser pour en sortir ? Tu es dans une très grande épreuve, William, ne penses-tu pas que tu ferais mieux de retourner à Lui ? » Mais je tremblais et j'hésitais, car j'avais honte ; je revoyais toute ma vie : comment je m'étais enfui de chez mon bienfaiteur, comment je m'étais efforcé d'oublier tout ce qu'il m'avait enseigné du contenu du bon livre, et comment, lâchement, j'avais affirmé aux païens au milieu desquels j'étais allé vivre, que je ne savais rien de la religion de l'homme blanc. J'avais conscience d'avoir été très coupable, de m 'être égaré bien loin ; pouvais-je rebrousser chemin et revenir à Lui ? Cependant la voix me répondait : « C'est cela qu'il te faut faire. » Je m'assis tout tremblant, sentant la profondeur de ma misère ; et la voix me dit encore : « Si le missionnaire a dit vrai, rester éloigné serait une lâcheté plus grande que les autres. » Tandis que j'étais dans la plus pénible hésitation, il me sembla que j'entendais ma femme et mes enfants pleurant de faim, là-bas dans mon wigwam. Cela me décida ; je m'agenouillai dans la neige, auprès du tronc qui m'avait servi de siège, et je commençai à prier. Comment le fis-je ?
Je m'en souviens à peine ; ce que je sais, c'est que je demandai au Grand Esprit de pardonner au pauvre indien qui avait fui loin de lui. Je lui dis que j'en avais beaucoup de chagrin et que je désirais faire mieux, et je lui promis là même que, s'il me pardonnait, s'il voulait me donner quelque nourriture pour ma famille, j'irais sûrement, aussitôt que la neige et la glace auraient fondu, trouver le missionnaire et lui demander de m'aider à devenir chrétien. Tandis que je priais, je me sentis réconforté, et j'eus l'impression que le secours venait ; lorsque je me relevai, j'étais fortifié comme par de la nourriture, j'oubliai que je n'avais pas mangé et qu'il faisait froid. D'un coeur joyeux je ramassai mon fusil et me remis en route. Je n'avais pas marché longtemps qu'un gros daim fila devant moi ; je fis feu et le tuai. Oh ! que j'étais content ! Vite j'allumai du feu, je l'écorchai ; je cuisis et mangeai un morceau. Puis je ployai un petit arbre et j'attachai à la cime un quartier de ma bête qui, l'arbre reprenant sa position normale, devait planer hors de l'atteinte des loups et des louves jusqu'à ce que je pusse revenir le chercher. Tout ce que je pus charger sur mon dos, je l'emportai aux miens. À partir de cette heure, le succès a couronne mes efforts et nous n'avons plus souffert de la faim.

Le Grand Esprit a bien été pour nous tout ce que le missionnaire avait dit qu'il serait. Il a pris soin de nous ; maintenant je n'ai pas oublié la promesse que je lui ai faite dans ma détresse : les lacs et les rivières sont débarrassés de leur glace, j'ai lancé mon canot et je suis là, avec femme et enfants, pour te demander de nous instruire pour que nous puissions être des chrétiens. »

Ce récit me toucha beaucoup. Ma femme et quelques personnes qui nous avaient rejoints dans ma chambre s'en réjouirent avec moi et quand nous apprîmes que la famille du voyageur était là tout près, attendant les événements, nous courûmes la chercher et nous leur offrîmes de bon coeur un repas substantiel prélevé sur nos rares provisions, faisant notre possible pour leur faire comprendre que nous voulions être pour eux des amis et les aider de notre mieux dans la voie nouvelle où ils étaient entrés. Nous constatâmes avec joie que, depuis le jour de sa prière et de son exaucement, cet homme avait fidèlement enseigné aux siens tout ce dont il avait pu se souvenir des vérités apprises dans son enfance. Ils les avaient reçues avec empressement et ne demandaient qu'à en entendre davantage. Je rassemblai quelques hommes du village et leur présentai William et sa famille ; quelques-uns des plus anciens se souvinrent de son adoption par M. Evans, après la mort de ses parents qu'ils n'avaient pas oubliés. joyeux chrétiens eux-mêmes, ils souhaitaient de voir tous leurs compatriotes partager leur foi et leur espérance ; aussi le retour du fugitif dans ces conditions fut-il pour eux une vraie fête ; ils lui firent immédiatement une place dans leur cercle et lui rendirent les services nécessaires au début. Profonds et durables ont été les changements que la grâce de Dieu a opérés dans ces coeurs.

Cependant mon ministère n'était pas toujours aussi désiré et mes exhortations aussi bienvenues. Il me souvient d'une tribu païenne que je visitai sur les berges d'une rivière sauvage à une centaine de kilomètres du lac des Castors et qui semblait déterminée à rester sourde à mon message, à résister à tous nos appels. Ces gens étaient si insensibles, que j'en étais écoeuré. Et pourtant, c'était au prix de rudes efforts que nous étions arrivés jusqu'à eux et je ne pouvais prendre mon parti de les abandonner sans avoir obtenu aucun résultat. L'Esprit de Dieu me suggéra de me servir de la clef dont j'ai parlé plus haut. Qu'on me permette le récit de cette tentative.

C'était la saison de la navigation. La plupart de mes Indiens étant à ce moment-là enrôlés dans les convois qui transportaient les fourrures à la factorerie d'York et ramenaient les provisions pour l'hiver suivant, je n'avais pu trouver aucun pagayeur qui connût dans son entier le trajet que je désirais effectuer. Faute de mieux, je louai les services de deux hommes dont l'un en avait parcouru la plus grande partie. Pendant les huit jours de voyage, nous n'aperçûmes pas un être humain et nous eûmes beaucoup à souffrir, soit de l'absence de gibier qui nous obligea plus d'une fois à nous étendre sans souper sur nos couches de granit, soit de la pluie qui, des jours durant, nous trempa si bien que nous soupirions après le soleil pour nous sécher et nous réchauffer, soit de la nature de la route, car à maintes reprises il nous fallut contourner à pied des rapides ou des chutes en portant notre bagage, canot y compris, sur notre dos ou sur nos épaules, plusieurs fois même à travers des marécages où nous enfoncions jusqu'aux genoux, et cela sur des espaces de plusieurs kilomètres.

Nous arrivâmes ainsi au Lac des Castors, à quatre cents kilomètres environ de chez moi. Il nous fallut en franchir une centaine encore avant d'avoir l'espoir de rencontrer aucune créature humaine ; et nous étions dans l'ignorance la plus complète sur la direction à suivre. Nous passâmes la nuit sur le rivage et pûmes goûter un doux repos sur des rochers plats ; le matin de bonne heure, voyant autour de nous quelques collines, nous convînmes d'en gravir chacun une pour voir si nous découvririons quelque lointaine fumée, quelque indice d'un campement. Je partis, armé de mon fusil, et, arrivé au pied de celle qui m'avait été assignée, je m'apprêtais à m'engager dans les broussailles qui en garnissaient les flancs, lorsque je remarquai, au bord d'un ruisseau d'une pureté cristalline, des empreintes de sabots de toutes dimensions. Étourdiment, oubliant la latitude sous laquelle nous nous trouvions, je m'imaginai qu'un troupeau domestique était venu là étancher sa soif et que ses gardiens ne pouvaient être bien éloignés. Je m'empressai de retourner au camp et de faire signe à mes hommes de revenir sur leurs pas, puis de les conduire, non sans quelque fierté, au lieu de ma découverte. Ils avaient souri à mon récit, mais trop polis pour faire part de la certitude où ils étaient de mon erreur, ils me suivirent. Je fus couvert de confusion quand, après avoir jeté un coup d'oeil sur les empreintes, ils articulèrent doucement ce seul mot : « élans ! »

Ne pouvant découvrir aucun indice utile, nous prîmes le parti de nous embarquer, et, au bout de quelques, heures de navigation, de remonter une belle rivière à l'embouchure de laquelle nous nous trouvions, en suivant de près l'une de ses rives sablonneuses. Bientôt, l'un des pagayeurs se leva vivement dans le canot en fixant attentivement quelques petites traces sur le sable. On s'approcha, on mit pied à terre, et après quelques instants mes guides s'écrièrent avec assurance : « Nous y sommes, missionnaire, maintenant nous t'aurons bientôt conduit auprès des Indiens. - Je ne vois là rien qui nous dise où ils sont. - Mais nous le voyons très bien. Tu leur as fait dire que tu les visiterais à cette lune. Ils étaient dispersés pour la chasse, mais maintenant ils se rassemblent au lieu du rendez-vous ; un de leurs canots a remonté cette rivière hier et leur chien les accompagnait en suivant la rive ; ces empreintes sont celles qu'il a laissées. » J'objectai que la contrée était pleine d'animaux sauvages et que ces empreintes pouvaient aussi bien être celles de pattes de loup, par exemple ; mais ils étaient sûrs de leur affaire. Ils me firent reprendre place dans le canot et se remirent allégrement à ramer. Il ne s'écoula pas longtemps avant que je pusse voir de mes yeux l'endroit où des hommes avaient campé la veille ; le feu était à peine éteint. Vers le soir nous les avions rejoints comme mes compagnons l'avaient prédit.

J'ai dit que l'accueil que je reçus de leur part ne fut pas très cordial. Ils étaient attristés par la mort de bon nombre d'entre eux, surtout des enfants emportés par la scarlatine, inconnue jusqu'alors dans ces contrées, mais que des trafiquants y avaient apportée l'année précédente. Sauf un ou deux conjureurs, personne ne m'était ouvertement hostile, mais je ne parvenais pas à éveiller l'intérêt ; cependant nous étions les premiers à leur apporter la bonne nouvelle de l'amour rédempteur et nous nous sentions tenus de la proclamer fidèlement devant eux. Un matin qu'il pleuvait, nous nous étions réunis, aussi nombreux que possible, dans le plus grand de leurs wigwams, et mes deux compagnons chrétiens m'aidaient en ajoutant leur témoignage personnel aux enseignements et aux appels du Saint Livre. Impassibles, les auditeurs continuaient à fumer, sans que rien semblât pouvoir les tirer de leur morne indifférence. À une question que je leur adressai, ils me répondirent seulement :
« Comme nos pères ont vécu et sont morts, ainsi voulons-nous vivre et mourir. » Épuisé de fatigue et de tristesse, j'étais néanmoins en communion avec le Saint-Esprit et je priais intérieurement. Dans cette extrémité, le secours nécessaire et imploré m'arriva d'une manière si distincte, que j'eus subitement l'assurance du succès. Je me levai et m'écriai joyeusement : « je sais où sont les enfants que vous avez perdus, la mort les a saisis de sa froide étreinte et ils ne sont plus au milieu de vous, mais je sais avec certitude où sont les enfants des bons et des méchants, des Blancs et des Indiens ! » Ah ! cette fois j'avais touché juste ! quelque chose remuait en eux. Ceux qui n'ayant pas la place de s'asseoir se tenaient debout, la figure, enveloppée de leur couverture, telles des momies alignées, les rejetèrent brusquement et fixèrent leurs yeux sur moi avec une intense attention et je poursuivis :
« Oui, vos enfants ont quitté les feux de bivouac et les wigwams ; leurs hamacs sont vides, leurs petits arcs et leurs flèches gisent abandonnés. Vos coeurs mènent deuil sur ces bébés dont vous n'entendez plus la voix et qui ne répondent plus à votre appel. Ah ! combien je suis heureux que le Grand Esprit m'autorise à vous dire que vous pouvez les revoir, ces petits bien-aimés, et être pour toujours heureux avec eux. Mais pour cela il vous faut écouter les paroles qu'il a dites ; elles se trouvent dans le livre que je vous apporte. Il faut apprendre à l'aimer et à le servir. Il n'y a qu'un chemin qui conduise à ce beau pays où Jésus, le Fils du Grand Esprit, est allé et où il conduit tous les jeunes enfants qui meurent. Maintenant que vous avez entendu son message, il vous faut suivre ce chemin si vous voulez entrer, vous aussi, dans ce beau pays. »

Tandis que je parlais, un robuste gaillard s'élança tout près de moi et me dit en se frappant la poitrine : « Missionnaire, mon coeur est vide, je mène deuil car aucun de mes enfants n'est demeuré parmi les vivants ; mon wigwam est bien solitaire. J'ai soif de les revoir et de les serrer dans mes bras. Dis-moi, missionnaire, que dois-je faire pour plaire au Grand Esprit et pour qu'Il me permette d'aller dans le beau pays où ils sont ? » Et il s'affaissa à mes pieds sur le sol, les yeux pleins de larmes. Plusieurs de ses compagnons firent de même, brisés par le chagrin et anxieux d'entendre les enseignements évangéliques. Alors j'ouvris de nouveau le Saint Livre et je lus ce que Jésus a dit des petits enfants. Nous répétâmes avec autant d'amour et de simplicité que possible la vieille histoire toujours nouvelle. Ce fut le commencement d'une oeuvre bénie dans ces coeurs tout à l'heure fermés. Peu à peu la grande majorité se donna sincèrement à Dieu. Ils ont dès lors persévéré.


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 CHAPITRE XII

 En décembre 1877, j'allai rendre visite aux Indiens de Sandy Bar. Les expériences que je fis au cours de ce voyage, différent assez de celles que j'ai faites ailleurs pour que je les raconte. Dans ce temps-là, nous étions domiciliés à Berens River et l'endroit où nous devions nous rendre se trouvait à cent cinquante kilomètres au sud. Comme la tribu que j'allais voir n'était pas encore entièrement des nôtres au point de vue spirituel et que, d'ailleurs, elle était pauvre, nous voulions lui être à charge le moins possible et ma chère femme nous avait pourvus de nourriture pour un mois. Bien heureusement c'était à un moment où elle possédait le nécessaire, ce qui à cette époque n'était pas toujours le cas. En effet, il me souvient d'un matin où nous n'avions eu pour toute ressource qu'un gigot de chat sauvage, rôti aussi insipide que coriace et tandis que nous le dégustions, ma femme m'avait dit : « Mon cher ami, si tu ne tues quelque gibier ce matin, je crains que nous n'ayons rien à dîner. » Sur quoi j'avais endossé mon vêtement de cuir et m'étais mis en devoir de fournir de la venaison.

Pour ce voyage, elle avait fait cuire abondance de viande et préparé tout un sac d'une espèce de pâtisserie aussi grasse que possible. Une fois les préparatifs terminés, on fixa le départ à une heure du matin ; les traîneaux furent chargés en temps utile, mais il s'éleva une si violente tempête de neige que force nous fut d'attendre ; aussi le jour commençait-il à poindre quand il devint possible de s'aventurer dehors et d'atteler les chiens. En route ! Mais la tempête ne s'était calmée que momentanément. À peine avions-nous franchi une trentaine de kilomètres, qu'elle se déchaîna de nouveau, balayant la neige, récemment tombée sur la surface gelée du Winnipeg, avec une telle violence et nous aveuglant si bien qu'il nous fallut renoncer à la lutte et nous enfuir vers la forêt pour y camper. J'ai dit plus haut comment cette opération se pratiquait et la manière de préparer les repas pour hommes et bêtes. Le culte terminé, il était encore de bonne heure, mais, comme nous ne nous étions guère reposés la nuit précédente, nous n'étions pas fâchés de nous étendre et de nous laisser bercer par les mugissements du vent. Vers dix heures, je m'éveillai et, découvrant ma tête, je constatai que la tempête était apaisée. En un clin d'oeil, je fus sur pieds et j'allumai un beau feu.

Pendant que la neige fondait dans le chaudron, j'appelai mes deux compagnons et quelques jeunes gens qui nous avaient rejoints avec leurs attelages de chiens. Mes hommes cherchèrent immédiatement des yeux la grande ourse qui est l'horloge nocturne des natifs et je vis bien à leur mine qu'ils avaient envie de me dire que je m'étais grossièrement trompé si je croyais que le matin fût proche, mais je ne leur en donnai pas l'occasion et j'activai le déjeuner et le chargement des traîneaux. Après le culte on attela, puis je jetai sur le feu les branches qui nous avaient servi de lit ; la lumière qu'elles répandaient devait nous permettre de sortir de l'obscurité de la forêt et de gagner le lac où régnait une clarté suffisante. Je pris la tête de la colonne avec mes excellents coursiers qui adoptèrent une si bonne allure que, lorsque le soleil vint nous réconforter, nous étions à soixante kilomètres de notre bivouac. Après une halte à Dog's Head où se trouvaient quelques indigènes avec leur excentrique chef Pied épais, nous pointâmes sur Bull's Head, qui est situé sur l'autre rive du lac, pour y passer la seconde nuit. De ce côté, le rocher est si escarpé qu'il était impossible de l'escalader avec nos lourdes charges ; il fallut établir nos couches et notre feu dans l'amoncellement de neige qui se trouvait à sa base : pauvre dortoir ! Nous n'avions aucun abri contre le vent, qui, par surcroît, changea tout à coup de direction. Lorsque semblable contre temps nous arrivait dans la forêt, nous nous empressions de déplacer le feu ; ici, pas moyen ; tout ce que nous pouvions faire, c'était de l'élever, mais cet expédient était inefficace, si bien que nous dûmes choisir entre la fumée suffocante et le vent glacial.

Pendant que nous installions notre literie, c'est-à-dire nos fourrures, dans la neige, (pas question là de branches vertes pour augmenter le confort) nous vîmes arriver plusieurs natifs qui, en descendant le lac, avaient aperçu notre feu. Ils me firent grande fête, ce qui dans ces circonstances signifiait : donne-nous du thé et de la nourriture. Une bande de chiens efflanqués, affamés, semblables à une horde de loups les escortait. J'accueillis ces gens avec bienveillance, mais je n'étais pas sans crainte pour nos provisions et même pour nos harnais et autres effets pour lesquels je connaissais l'appétit des chiens esquimaux, aussi engageai-je nos visiteurs à camper un peu plus loin où ils pourraient, leur dis-je, s'arranger plus commodément. Cette insinuation ne rencontra que de bruyantes protestations : En aucun cas ils ne sauraient se refuser le plaisir de passer au moins une nuit dans le camp du missionnaire dont ils avaient tant entendu parler ; n'était-il pas le grand ami des Peaux-Rouges. Il était malaisé de démentir une réputation si favorable et de résister à une telle diplomatie, mais je voyais des ennuis à l'horizon, et effectivement ils ne manquèrent point. Dans la pensée de sauver quelque chose, je sacrifiai aux chiens loups tout notre poisson, qui aurait suffi à sustenter les huit nôtres pendant plusieurs jours. Il fut vite dévoré. Je commandai à mes hommes de réunir les harnais tout auprès de nous et d'échafauder les traîneaux pour en faire une sorte de petite barricade et protéger ainsi les courroies, si possible. Outre la provision de route, j'avais un sac de viande et un autre de pâtisserie préparée par ma femme que je devais consommer pendant mon séjour auprès de la tribu que j'allais évangéliser. Je mis le sac de viande (gelée et dure comme de la pierre, cela va sans dire) sous ma tête en guise d'oreiller ; l'autre fut confié à mes hommes avec maintes recommandations.

J'avais eu la précaution d'amonceler près de moi un tas de gros morceaux de bois ramassés sur la grève dans ce que la vague avait déposé avant l'hiver. Ainsi muni d'armes défensives, je m'étendis avec mes compagnons pour dormir. Vain espoir ! Les chiens ne tardèrent pas à se disputer l'honneur de nettoyer notre chaudron puis à se mettre en quête de quelque autre chose. Ils se promenaient sur nos corps et bientôt se rassemblèrent autour de ma tête d'une manière significative. Je me levai d'un bond et leur envoyai mes projectiles si vigoureusement qu'ils prirent le large, mais pas pour longtemps. Dix minutes plus tard, alors que je m'étais de nouveau enseveli sous mes multiples enveloppes, je dus renouveler la manoeuvre, et cela plusieurs fois ; jusqu'à ce que, mes projectiles épuisés, je me figurai qu'ils en avaient reçu suffisamment pour se tenir cois désormais. Je me recouchai et m'endormis vite cette fois, car j'étais harassé de fatigue. Hélas ! Le matin je constatai qu'il ne restait pas une once de viande sous ma tête, ni une miette de pitance dans le sac que l'Indien avait ordre de garder comme un trésor. Triste moment dans ce lieu inhospitalier, avec un misérable feu qui persistait à brûler à l'envers et à nous envoyer toute sa fumée dans les yeux, si bien que nos joues étaient sillonnées de larmes et, par surcroît, nos exécrables voleurs postés autour de nous dans la neige, l'estomac bien garni, surveillaient tous nos mouvements de l'air le plus innocent du monde.
Par bonheur, un de mes compagnons avait par devers lui un petit sac d'une espèce de biscuit de mer qu'il destinait à un ami. Il les exhiba et nous pûmes ainsi en y ajoutant du thé et du sucre - tout ce qui nous restait - tromper la faim et le froid. Récriminer, nous n'en avions pas le loisir, il s'agissait de faire diligence, car nous savions que nous n'avions aucune chance de trouver quoi que ce soit à manger avant d'avoir descendu une centaine de kilomètres plus au sud et nous savions aussi, par d'autres expériences, qu'il nous fallait lutter de vitesse avec la faim qui, dans peu d'heures, nous attraperait sûrement après notre léger déjeuner. Nous nous agenouillâmes dans la neige, remettant au Seigneur notre journée, puis, fouette cocher ! Mes braves chiens se montrèrent à la hauteur des circonstances car, avant que cette courte journée de décembre fût achevée, et que le lac fût enveloppé d'obscurité, les étincelles qui s'échappaient des toits des huttes amies nous avertirent que la bataille était gagnée, mais elle n'avait pas été exempte de dangers et de blessures.

Mon plus grand chien Jack était tombé dans une fissure de la glace et après lui deux indigènes qui nous suivaient. Ces fissures sont choses très dangereuses, on le comprend. Elles se produisent inopinément ; la glace épaisse de plusieurs pieds craque tout d'un coup avec une très forte détonation, l'eau jaillit alors et remplit immédiatement la crevasse, la surface gèle rapidement et on n'y aperçoit rien d'anormal, mais il faut un certain temps pour que le gel solidifie toute la couche d'eau et, si l'on y passe avant que la partie solide soit assez résistante, on enfonce. J'ai vu plus d'une fois mon guide disparaître ainsi, quoique jamais d'une manière fatale. Souvent aussi je me suis vu moi-même tout près d'y tomber. Cette fois-ci, j'étais sur mon traîneau ; le premier chien, puis le second passèrent, ce fut le troisième, Jack, qui sombra. Les deux premiers et le quatrième firent si bien leur devoir, que nous le sauvâmes, mais la pauvre bête en peu de minutes fut recouverte d'une épaisse carapace de glace. Elle comprit si bien le danger de sa situation, qu'à peine avais-je fait franchir la crevasse au traîneau, elle repartait comme un trait dans la direction de la forêt encore éloignée. Elle entraînait ses compagnons et moi-même. Ce fut l'affaire d'une heure, pour toucher terre. Il y avait là abondance de bois sec. Un bon feu flamba vite, devant lequel la bonne bête étendue sur une peau de buffle put se dégeler, puis se sécher. Elle se retournait d'elle-même de moment en moment pour exposer à la chaleur tantôt une partie, tantôt une autre de son être. Quand les indigènes qui avaient partagé le même sort arrivèrent à leur tour, elle était revenue à son état normal. Nous suspendîmes le chaudron à thé avant de reprendre notre course. Ce fut la seule halte ce jour-là ; et je m'en tirai avec le nez et quatre doigts gelés.

Les braves gens chez qui nous allions nous reçurent à bras ouverts. J'en connaissais la plus grande partie, plusieurs étaient de Norway-House. A cause de l'accroissement rapide de cette station, le gibier et le poisson y étaient devenus insuffisants ; sur la foi de récits séduisants, ils avaient émigré en assez grand nombre dans cette nouvelle contrée. Arrivés de l'été précédent, ils s'étaient construit des cabanes qui n'étaient ni spacieuses ni chaudes. Il y en avait une douzaine outre un grand nombre de wigwams. Je trouvai là avec les chrétiens une foule de païens, attirés eux aussi par la réputation de ce coin de pays. Toutefois, la pêche n'avait pas donné ce qu'ils en attendaient ; aussi avaient-ils beaucoup de misères à me conter. Je demeurai huit jours au milieu d'eux, et, vu mon dénuement, ils me fournirent généreusement de leur disette. Par bonheur, les lapins pris au piège s'ajoutaient aux rares poissons. Ce fut là mon menu pour les trois repas quotidiens et je n'eus pas à en souffrir.

Selon mon habitude, je prêchais trois fois par jour et tenais école entre les services. J'organisai une « classe » de trente-cinq membres dont dix nouveaux convertis. Ce fut pour moi une grande joie, car je voyais en eux des fruits de la semence répandue les années précédentes parmi beaucoup de déboires. Le dimanche je célébrai la sainte Cène ; ce fut un service mémorable ; nous sentions la présence du Sauveur et tous nous renouvelions notre alliance avec Lui.

Comme conducteur spirituel de ce petit troupeau perdu dans la solitude, j'eus le bonheur de trouver en Benjamin Cameron un homme très qualifié. Autrefois cannibale, il avait été touché par la grâce divine et tiré de son abjection. Ses pieds étaient affermis sur le Roc, sa bouche pleine de louanges. On pouvait dire de lui comme d'Étienne, qu'il était un homme de foi plein du Saint-Esprit.
Les heures que je passai là avec les enfants me laissent un excellent souvenir. Les aînés lisaient déjà pas mal et je fus très content de leur connaissance du catéchisme en Cree et en Anglais. Je distribuai de nouveaux livres. J'eus aussi la satisfaction de laisser aux familles les plus pauvres quelques vêtements chauds fournis par des amis de Montréal, qui auraient été bien récompensés s'ils avaient pu voir à quel besoin ils répondaient et quelle reconnaissance ils provoquaient.

Je fêtais Noël au milieu de ces pauvres gens et comme l'un d'entre eux avait eu la chance de prendre dans son piège quelques bêtes à fourrure précieuse et qu'il les avait échangées à un trafiquant de passage contre de la farine et des fruits secs, il confectionna en mon honneur un Plum pudding ! Hélas ! mon souvenir est encore hanté par ce chef-d'oeuvre culinaire aussi n'entrerai-je dans aucun détail à son sujet.

Le retour au logis ne nous prit que deux jours, favorisé qu'il fut par un temps de choix.


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