Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



En Canot et en traîneau
À CHIENS
Parmi les Indiens CREE et SALTEAUX


 CHAPITRE IX

 

Ce ne fut qu'à ma seconde visite à Nelson-River que l'oeuvre y commença réellement, car à la première beaucoup de natifs étaient absents. Le rendez-vous est fixé d'avance dans une région où on espère trouver suffisamment de gibier pour alimenter tous ceux qui s'assembleront pour les services religieux. La chasse, de laquelle ces pauvres gens tirent pendant les deux tiers de l'année leur subsistance, est d'ailleurs toujours précaire, même dans les bonnes années. Si les troupeaux de daims et autres animaux sauvages sur lesquels ils comptent prennent une direction imprévue, force est bien de les suivre. Plus d'une fois j'ai été tenté de perdre courage lorsque, arrivé malgré beaucoup d'obstacles à l'endroit désigné, je n'y trouvais qu'un nombre restreint de personnes. Cela avait été le cas, cette fois-là ; cependant ma seconde visite réussit pleinement. Plus de cinquante familles s'étaient réunies, impatientes de voir le missionnaire. Avant moi un chrétien wesleyen était arrivé un jour inopinément avec sa Bible au milieu de cette tribu des Saskatchewan. Grandes avaient été la surprise et l'agitation autour de cet étonnant messager. Vite on avait convoqué un grand conseil et les conjureurs avaient été sommés de découvrir tout ce qui en était. Après force roulements de tambours, songes et conjurations, ils avaient émis la sentence que cet homme étrange avec son livre merveilleux était descendu d'auprès du Grand Esprit dans un arc-en-ciel.

Je reçus de ces braves gens un accueil très cordial ; ils furent plus démonstratifs que ne l'avaient été d'autres peuplades. Ici la coutume du serrement de mains était peu connue, c'était celle du baisement qui prévalait encore. Je fus ébahi de me trouver entouré par deux cent cinquante ou trois cents Peaux-Rouges, hommes, femmes et enfants, dont les figures témoignaient d'une bienheureuse ignorance de l'eau et du savon, attendant tous l'instant de me donner le baiser de paix. J'avoue que mon courage faiblit à la perspective de cette épreuve et je m'arrangeai pour les écarter avec une poignée de main et quelques paroles aimables.

Le lendemain matin, nous les réunîmes de bonne heure pour le service religieux. Mes compagnons m'aidèrent pour la première partie, d'une heure environ : chant de cantiques, lecture de quelques fragments de la Bible, prières ; puis, ayant choisi comme texte la parole : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle, » je les entretins quatre heures durant de ce grand sujet. Ils ne possédaient pas un vestige de connaissance qui pût me servir de base ; aussi devais-je tout dire et tout rendre de la plus grande simplicité possible, depuis la création et la chute, jusqu'à l'appropriation personnelle du grand salut gratuit préparé et offert par Dieu le Père dans le sacrifice de son Fils, notre bien-aimé Sauveur. Je m'efforçai de leur faire saisir cette admirable réalité que, si éloignés de Dieu que nous nous trouvions, nous sommes invités à faire partie de sa famille. Je parlai de l'universalité et de l'impartialité de son amour, de sa volonté de recevoir tous ceux qui viennent à Lui, de remplir leur coeur de joie et de paix pendant cette vie, de les soutenir au moment de la mort, puis de les introduire au séjour de la lumière, de la gloire, de la félicité éternelles. L'Esprit saint appliquait ces enseignements au coeur de mes auditeurs, dont l'attention intense se peignait sur le visage. Leurs grands yeux rivés sur moi, tantôt brillaient, tantôt se voilaient de larmes, et lorsque je me tus, le silence solennel fit place aux exclamations de joie les plus bruyantes.

Après un cantique, nous nous agenouillâmes pour la prière et je leur demandai de répéter à mesure chacune des courtes requêtes que j'adressai en leur nom à « Celui qui entend la prière ». Ce fut un moment très émouvant et j'avais la douce assurance que les simples et ferventes paroles qui sortaient du coeur de ces rudes chasseurs montaient jusqu'au trône de la grâce.

Après la prière, je leur demandai de se rasseoir et de me dire ce qu'ils pensaient de tout cela et s'ils étaient décidés à devenir chrétiens. Tous les yeux se tournèrent alors vers le chef qui, se levant, vint se placer à ma droite et d'une voix douce et impressive, car elle partait du coeur, parla à peu près en ces termes : (je les ai notés peu après, tels que l'interprète me les fit connaître.)
« Missionnaire, dit-il, il y a longtemps que j'ai perdu toute confiance en notre paganisme. » Et m'indiquant dans le cercle extérieur de l'assemblée quelques vieux médecins et conjureurs... « Ceux-là savent que je ne me soucie pas de notre religion. Je l'ai négligée et je vais te dire pourquoi. J'entends Dieu dans le tonnerre et dans la tempête ; je vois sa puissance dans l'éclair qui allume la forêt ; je vois sa bonté dans l'élan, le renne, le castor et l'ours qu'il nous donne en hiver, puis aussi les canards et les oies qui nous arrivent lorsque se lèvent les vents du sud. Quand la neige et la glace ont fondu sur nos lacs et nos rivières, je vois comme il les remplit pour nous de poissons. À chaque lune de l'année, il nous donne quelque chose et si nous sommes laborieux et attentifs, nous ne manquons pas de nourriture. En réfléchissant à ces choses depuis des années, j'ai conclu que le Grand Esprit est bon et qu'il ne se soucie ni des tambours des conjureurs ni de la crécelle des médecins ; ainsi, il y a longtemps que je n'ai plus de religion. »
Puis, se tournant vers moi et me regardant en face, il dit d'un ton qui me fit vibrer : « Missionnaire, ce que tu as dit aujourd'hui remplit mon coeur et satisfait son plus ardent désir ; c'est précisément ce que je m'attendais à apprendre sur le Grand Esprit. Je suis content que tu sois venu nous dire cette magnifique histoire ; reste avec nous aussi longtemps que possible, puis, quand tu seras parti, ne nous oublie pas et reviens aussitôt que tu pourras. »

De bruyantes acclamations saluèrent ces paroles du chef, mais cela ne me suffit pas et je demandai que d'autres s'exprimassent aussi. Plusieurs le firent et, sauf un ou deux des conjureurs dont les intérêts étaient menacés, ils parlèrent tous dans le même sens. Le dernier était un vieillard d'aspect bizarre et fort sauvage qui s'avança en de singuliers sauts et en serpentant de l'arrière-garde jusqu'au front du groupe. Ses cheveux gris et nattés tombaient jusqu'à ses genoux. Arrivé près de moi, il y inséra ses doigts autant que les nattes le lui permirent et s'écria avec beaucoup de sérieux :
« Missionnaire, il y eut un temps où ces cheveux étaient aussi noirs que l'aile du corbeau, maintenant ils sont presque blancs... les cheveux gris et les petits enfants dans le wigwam me disent que je deviens vieux et cependant jamais auparavant je n'ai entendu les choses que tu nous as dites aujourd'hui. Oh ! que je suis content de n'être pas mort avant d'avoir entendu cette belle histoire ! Mais je deviens vieux, les cheveux gris et les petits enfants dans le wigwam le disent. Demeure avec nous, missionnaire, et dis-nous beaucoup de ces choses et, quand tu devras partir, reviens bientôt, car j'ai de petits enfants et mes cheveux sont gris et je ne vivrai peut-être pas beaucoup plus d'hivers ; reviens bientôt ! » Il fit un pas ou deux comme pour retourner à sa place, mais revint aussitôt se dresser devant moi :
« Missionnaire, puis-je parler encore ?
- Dis seulement, je suis ici pour écouter !
- Tu as dit Notawenan ! (Notre Père.)
- Oui, j'ai bien dit : notre Père.
- Voilà qui est bien bon pour nous et bien nouveau. Nous n'avons jamais pensé que le Grand Esprit fût un père. Nous l'entendons dans la tempête et dans l'orage et nous avons peur de lui, mais tu nous dis qu'il est un père, c'est magnifique pour nous. »

Il hésita un instant, et, si grotesque et sauvage qu'il parût, mon coeur allait à lui plein de sympathie et d'amour. Levant ses yeux sur les miens, il demanda de nouveau :
« Puis-je encore parler ?
- Mais oui, parle !
- Tu dis Notawenan (notre Père) : est-il ton père ?
- Oui, il est mon père.
- Alors, cela veut-il dire qu'il est aussi mon père, le père du pauvre Indien ? »

Et ses yeux et le ton de sa voix imploraient une réponse.
« Mais oui, mais oui, m'écriai-je, ton père aussi.
Ton père, répétait-il, le père du missionnaire et le père du pauvre Indien !
- Oui, c'est cela, disais-je.
- Alors nous sommes des frères, s'exclama-t-il.
- C'est bien cela, » répétai-je. L'assemblée était électrisée. À ce point de notre entretien qui mettait en lumière, d'une manière si inattendue et si vivante, non seulement la paternité de Dieu, mais l'unité de la famille humaine, elle eut peine à contenir sa joie.

Cependant le vieillard n'avait pas fini aussi, modérant du geste les démonstrations et se tournant encore vers moi, il demanda une troisième fois « Puis-je parler encore ?
- Oui, dis tout ce que tu as sur le coeur. » Ce qui lui restait à dire, jamais je ne pourrai l'oublier, mon coeur en fut comme transpercé.
« Eh bien ! je ne veux pas être sévère, mais il me semble que toi, mon frère blanc, tu as été bien longtemps à venir avec ce grand livre et cette précieuse histoire pour la dire à tes frères rouges dans les bois. » Il me fut difficile de répondre ; j'alléguai la lenteur des progrès du règne du Rédempteur et l'apathie de ceux qui, tout en reconnaissant la fraternité des races humaines, oublient si souvent qu'ils sont les gardiens de leurs frères. Et je me disais que cette question se pose à des millions d'âmes fatiguées, désabusées de leurs fausses religions et qui aspirent avec ardeur à la paix qui ne se trouve que dans l'acceptation du glorieux Évangile du Fils de Dieu.
Ici il nous fallut interrompre l'entretien.

Après avoir pris à la hâte un peu de nourriture, nous nous groupâmes de nouveau. Alors commença un second service qui ne dura pas moins de cinq heures et au cours duquel je fus amené, après la lecture du récit de l'Eunuque éthiopien et après avoir répondu à plusieurs questions de l'auditoire, à proposer le baptême à ceux qui se déclareraient décidés à renoncer à leur paganisme, à la polygamie, à la conjuration, au jeu et autres vices. Quarante hommes et femmes s'avancèrent immédiatement et s'assirent à mes pieds. Je choisis pour eux des noms chrétiens qui devaient s'ajouter aux leurs si poétiques et si expressifs. Intérieurement je priais que « Son Nom » fût écrit sur leurs fronts et qu'ils puissent « voir Sa face ». Cependant Satan ne voulait pas se laisser enlever sa proie sans protester : il excita les conjureurs qui essayèrent de faire de l'opposition, mais, vu leur très petit nombre, ils durent se contenter de tempêter et de menacer. Un vieux sauvage d'entre eux s'élança vers moi comme je procédais au baptême de sa femme et, avant que je me rendisse compte de son intention, la saisit et la secoua violemment en me disant dans son impuissante colère et d'un ton insolent « Appelle-la Atim (chien). - je n'en ferai rien, répliquai-je, regardant affectueusement la pauvre vieille, je lui donnerai au contraire le nom le plus doux, celui de la mère du Sauveur. » Et je la baptisai Marie.

Durant plusieurs jours, nous eûmes autant que possible plusieurs services quotidiens, enseignant dans les intervalles les caractères syllabiques tantôt à toute l'assemblée - trois générations d'élèves - en les dessinant sur une paroi de rocher avec un bâton carbonisé, tantôt de wigwam en wigwam, tout en nous entretenant de sujets religieux et en priant. Au bout de peu de semaines, un bon nombre d'entre-eux furent capables de lire très convenablement dans le Saint Livre. Lorsque je dus les quitter, je leur laissai plusieurs douzaines de Nouveaux Testaments, de recueils de cantiques et de catéchismes dans leur langue. Ils étaient si avides d'instruction religieuse, que plusieurs restèrent au campement trois jours après avoir consommé toutes leurs provisions. Quand on me dit cela, j'eus peine à le croire, mais en m'en informant personnellement, je constatai qu'il en était bien ainsi. Les larmes aux yeux, ils me dirent adieu en me faisant comprendre qu'à cause de leurs enfants qui souffraient de la faim ils étaient obligés de partir pour leurs chasses et leurs pêches ordinaires et ils ajoutaient : « Ce que tu nous as enseigné nous rendra heureux et reconnaissants pour toujours. »

Je me transportai alors avec mes hommes à une cinquantaine de kilomètres plus loin. Il nous fallut passer le dimanche dans un misérable wigwam où la neige fondante pénétrait librement et où, malgré tous nos efforts, nous étions tout grelottants et fort mal à l'aise, mais là aussi les pauvres indigènes avaient tellement soif d'entendre l'Évangile que nous éprouvions une vraie joie à le leur annoncer. Dix-neuf d'entre eux reçurent Christ comme leur Sauveur et furent baptisés.

Comme à Nelson-River, je tins une réunion où ils eurent l'occasion d'exprimer leurs impressions et leurs désirs. Parmi beaucoup de réflexions intéressantes, je noterai celle que me fit un homme d'aspect doux et agréable. « Voici, dit-il, ce qui m'a décidé à m'efforcer d'être toute ma vie un fidèle chrétien. Le missionnaire nous a dit plusieurs raisons dont chacune serait suffisante ; celle qui m'a touché, c'est que nos petits enfants qui sont morts ont été transportés dans ce pays meilleur où demeure le Sauveur qui nous aime. Mes petits enfants sont partis, laissant mon coeur triste et saignant, je soupire après eux, j'ai besoin de les revoir, c'est pourquoi je veux vivre de telle sorte que, lorsque je mourrai, Jésus me permette de les embrasser et de ne plus les quitter. »
Cette pensée devint pour moi une précieuse clef qui me permit dans la suite d'ouvrir des coeurs fermés. J'en donnerai plus loin un exemple.

Au cours de cette tournée, je trouvai dans un autre campement une petite fille qui se mourait de consomption. Je lui parlai de Jésus et du ciel et priai plusieurs fois avec elle. Lorsque la fin approcha, elle dit à sa mère : « Je suis heureuse que l'homme qui prie m'ait dit ces choses qui consolent. Maintenant je n'ai plus peur de mourir, je crois que mon cher Jésus me recevra dans le meilleur pays ; mais quand tu y viendras, mère, tu me chercheras, car je voudrais te revoir. »

Est-il étonnant que je me sois profondément attaché à ces Indiens de Nelson-River ? Je les visitai deux fois l'an, jusqu'à ce que je fusse parvenu, à force d'instances, à leur procurer un missionnaire qui se fixât au milieu d'eux. Ce fut le révérend John Semmens qui, renonçant à un poste confortable à Ontario, vint m'aider à poursuivre l'oeuvre parmi ces tribus. Quelle joie pour nous de voir arriver un beau matin ce cher collègue. Ceux-là seuls qui ont été longtemps privés de toute société peuvent se faire une idée de la bénédiction que fut pour nous la présence de cet excellent jeune frère. Nous devions passer d'abord quelques mois ensemble, puis souvent dans la suite des espaces de temps plus ou moins longs. Nous étions un dans le désir de faire le plus de bien possible à nos indigènes et bien heureusement un aussi dans notre manière de voir sur les voies et moyens. Son amour pour Christ lui fit surmonter les très grandes difficultés qu'il rencontra dans son activité toute d'abnégation et il obtint à la longue de beaux résultats. Je n'entreprendrai pas le récit de son ministère, espérant qu'il le fera lui-même un jour, mais je puis dire quelques mots des tournées que nous finies à nous deux.

Ensemble nous avons franchi, au prix des plus grands efforts, des centaines et des centaines de kilomètres ; ensemble nous avons exhorté les Peaux-Rouges dans plus d'un wigwam et autour de plus d'un feu de tribu ; ensemble, après le souper et le culte en plein air, nous nous sommes ensevelis pour la nuit sous la toison étouffante, essayant de dormir. Nous nous souviendrons toujours en particulier de notre expédition pour nous rendre à l'assemblée de district à Winnipeg où notre cher président nous accueillit dans sa confortable demeure avec une cordialité bien propre à nous faire oublier la peine que nous avions eue à l'atteindre. Le retour devait être émouvant. Quittant Winnipeg un samedi en traîneau, nous passâmes un paisible dimanche chez un collègue près de Salkirk ; puis, au coup de minuit, échangeant nos vêtements noirs contre nos accoutrements de peau, nous attelâmes nos chiens et, après avoir encore pris un repas avec nos amis, nous leur fîmes nos adieux et poursuivîmes à la clarté des étoiles notre voyage vers le nord. Notre hôte me raconta quelques années plus tard qu'après notre départ, sa femme et lui s'étaient mis à pleurer de tout leur coeur et qu'à partir de cette nuit, leur intérêt pour les missions avait été plus personnel et plus effectif.

NOUS ÉCHANGEÂMES NOS VÊTEMENTS NOIRS CONTRE NOS ACCOUTREMENTS DE PEAU

Mon compagnon allait se rapprocher d'un millier de kilomètres du pôle, tandis que moi-même j'allais me retrouver sous peu à mon foyer, car j'étais alors stationné parmi les Salteaux. La nuit nous atteignit que nous étions encore à une bonne distance de chez moi, mais, malgré ma grande fatigue, je ne pouvais supporter l'idée de passer la nuit ailleurs que sous mon toit. Je dis donc au frère Semmens et aux d'eux hommes qui nous accompagnaient : « Courage, mes braves ! nous ne pouvons songer à camper ici, nos demeures n'étant plus très éloignées. » Les Indiens ne demandaient pas mieux que de faire cet effort, mais le pauvre Semmens n'était pas de cet avis. « Allez, dit-il en se laissant tomber sur la glace ; vous avez femmes et enfants qui vous attirent, moi je n'ai personne et je suis à bout de forces. Mes pieds sont si écorchés que je n'ai plus de courage. Donnez-moi une couverture et un morceau de viande et ne vous inquiétez pas de moi. » Il ne pouvait être question de cela, mais je trouvai un expédient. En route, un de mes chiens, Muff, un magnifique Saint-Bernard, don de Mme A. de Montréal, s'était cassé la clavicule et au lieu de l'abattre, comme on fait généralement d'un chien auquel il arrive quelque accident en voyage, afin de ne pas s'embarrasser d'un poids inutile, je m'étais arrangé, en raison de la valeur qu'il avait pour moi, à lui céder ma place sur le traîneau qu'il ne pouvait plus tirer et à l'établir là, à sa satisfaction.

En présence du désespoir de mon ami, j'eus l'inspiration de le substituer au pauvre animal. À coups de hache, nous fîmes un grand trou dans la neige gelée sur le rivage, nous y étendîmes l'une de nos toisons pour y placer la bête. Tout autour d'elle nous déposâmes le reste du chargement du traîneau. Je lui recommandai de faire bonne garde autour de ces provisions, puis le tout fut recouvert d'une autre grande peau. Plusieurs traces furent faites tout autour pour dérouter les fauves et nous l'abandonnâmes là jusqu'à ce que nous pussions revenir la quérir. Ensuite nous nous mîmes en devoir d'installer mon collègue le mieux possible sur le traîneau. Il y fut attaché si bien qu'il put dormir pendant une bonne partie du trajet. Nous étions tous si las, qu'il était près de minuit quand enfin nous atteignîmes le home. Un bain chaud, un bon souper et un paisible sommeil jusqu'au milieu du jour suivant le remirent à souhait ; aussi s'écria il en quittant sa chambre. « Oh ! Egerton, que je suis content que vous ne m'ayez pas abandonné là-bas sur la glace pour y périr ! » - À l'heure qu'il est, encore dans la force de l'âge, soutenu par sa noble femme et entouré d'une charmante famille, il est toujours à l'oeuvre dans ce pays ou il est très aimé ; ses capacités intellectuelles et sa consécration entière permettent d'espérer les meilleurs résultats de son ministère.


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 CHAPITRE X

 

Un des premiers natifs qui attira notre attention lorsque avec ma famille je m'établis à Norway-House, fut un vénérable vieillard de haute stature à l'air patriarcal. La salutation qu'il nous adressa résonna à nos oreilles comme une bénédiction. Il nous appelait ses enfants et nous souhaitait la bienvenue dans notre demeure et dans notre ministère au nom du Seigneur Jésus. Comme il avait franchi une grande distance pour assister au service divin du matin, nous l'invitâmes à dîner avec nous. Il s'en montra très reconnaissant ; cela lui permettrait, disait-il, d'assister au service religieux de l'après-midi, ce qu'il considérait comme un grand privilège, aussi cela se renouvela-t-il chaque dimanche. Chrétien avancé, il se comportait aussi en vrai gentleman et il nous devint de plus en plus sympathique. On ne connaissait pas exactement son âge (il en est de même pour tous les vieux Indiens), mais le fait que des hommes ayant dépassé la cinquantaine nous disaient que, dans leur enfance déjà, on l'appelait « le vieillard » et le fait aussi que les registres de la Compagnie de la Baie d'Hudson portaient son nom depuis quatre-vingts ans parmi ceux des chasseurs d'élite, nous donnaient l'assurance qu'il était plus que centenaire.

Il rendait à l'excellence de l'Évangile un témoignage non équivoque. Il pouvait dire « Je sais en qui j'ai cru » et se réjouissait dans la certitude que la grâce de Dieu lui serait accordée jusqu'à la fin. Converti dès le début de la mission, il avait toujours tenu bon et dirigeait même depuis nombre d'années une classe biblique, remplissant fidèlement les devoirs de cette charge. Un membre de sa classe manquait-il à la réunion, la journée du lendemain ne s'écoulait pas, pour peu qu'il ne demeurât pas à une trop grande distance, sans que Papanekis - c'était son nom - n'en connût la raison. Il vécut encore quelques années sous notre ministère ; aussi étions-nous très familiers et c'était pour nous un réconfort de l'entendre parler de sujets religieux.

Comme j'avais des preuves très certaines qu'il avait absolument répudié ses pratiques et sa vie païenne, je me dis qu'avec son excellente mémoire il devait être la première autorité du pays en ce qui concerne les anciennes religions et superstitions indigènes. Un jour donc qu'en nous entretenant de choses et d'autres nous en étions venus à parler des différentes croyances, je tirai de ma poche un carnet et un crayon et l'apostrophai : « Mismis », - grand-père - j'aimerais que tu me racontes quelque chose de ton ancienne religion et de l'art des conjureurs. Peut-être un jour écrirai-je un livre et j'y mettrais quelque chose sur ce sujet. » La figure du vieillard s'assombrit, il branla la tête sans rien dire. J'insistai, lui disant qu'en raison de son grand âge j'étais sûr qu'il connaissait beaucoup de choses. Pour toute réponse il appuya ses coudes sur ses genoux, se prit la tête dans les deux mains et se perdit dans une rêverie silencieuse. Sa famille qui était présente et avait entendu ma question était vivement intéressée et attendait aussi, si bien que, le silence devenant pénible, je dis d'un ton encourageant : « Allons, grand-père, je suis prêt à noter ce que tu vas me dire. » Alors, bondissant sur ses pieds si brusquement qu'il nous fit tous tressaillir et étendant la main comme un orateur, il s'écria « Missionnaire ! notre ancienne mauvaise vie est comme un cauchemar, comme une terrible maladie qui nous faisait crier ; j'essaie de l'oublier, de l'effacer de ma mémoire, ne me demande pas de l'évoquer, je ne pourrais plus dormir, je serais malheureux. » Il va de soi que je rengainai carnet et crayon et renonçai à mon enquête.

Le dimanche suivant, nous avions dans l'église une réunion fraternelle ; un des premiers à prendre la parole fut mon bon vieillard. « Mon missionnaire a désiré que je lui parle de ma vieille religion, je n'ai pas pu le faire, elle a été mon ennemie, elle n'a su que me faire souffrir ; plus je l'ai suivie, plus j'ai été malheureux, aussi je l'ai jetée hors de ma vie et hors de mon coeur, que ne puis-je la bannir de ma mémoire ! » et après un instant... « mais peut-être que son souvenir m'aide à aimer mon Sauveur davantage. J'étais si loin de Lui, si noir, si plein de péché ! Il a étendu son bras fort et m'a tiré d'un lieu sombre pour me mettre dans la lumière. Oh ! je suis si reconnaissant que Jésus m'ait sauvé et j'aime à parler de cela ! » Il en parla et nos coeurs se réjouirent avec lui.

A MAINTES REPRISES NOUS AVONS ENSEMBLE VU LA MORT DE PRÈS

Et puisque j'évoque ces précieux souvenirs, je ne saurais mieux faire que de raconter ici les dernières scènes de la vie de ce patriarche. Il était entouré d'une belle. famille, j'aurai dans la suite à parler de plusieurs de ses fils, hommes excellents. J'eus le privilège d'assister dans la crise de sa conversion le plus jeune, Edouard, qui en 1889 fut consacré au saint ministère à Winnipeg. Un autre, Martin, fut l'un de mes guides les plus chers. À maintes reprises, nous avons ensemble vu la mort de près et lorsque moi-même je me prenais à douter de la sagesse de ces dangereuses expéditions, il citait une parole frappante des saints livres ou entonnait avec ses camarades un cantique tel que

« Confie au plus tendre des Pères,
Au Tout-Puissant, au Roi des saints,
Tes alarmes et tes misères,
Tes douleurs, tes voeux, tes desseins.
Sa main sous la céleste voûte
Conduit et la nue et le vent
Il saura tracer une route
Où ton pied marche sûrement.
 
Laisse agir la Toute Sagesse,
En ton Sauveur assure-toi ;
S'il semble oublier ta détresse,
Il ne veut qu'éprouver ta foi.
Attends : demeure-lui fidèle,
Sache souffrir sans murmurer
Car déjà sa main paternelle
Est là qui va te délivrer. »

Ensemble aussi nous expérimentions la vérité des promesses divines.
Nous verrons comment un troisième de ses fils, Samuel, lui aussi guide vaillant et chrétien modeste, paya de sa vie sa fidélité. Mais revenons au père.

Un jour qu'il présidait sa classe biblique, il annonça à ses élèves qu'il s'attendait à entrer sous peu dans la patrie céleste ; il en avait le pressentiment lors même qu'il ne fût ni souffrant ni plus faible que dans le courant des derniers mois, et il les pressa avec une ferveur particulière et un amour pénétrant de rester fidèles jusqu'à la fin. Le lendemain, il me fit chercher et me pria de confier sa charge à l'un de ses fils si je l'en estimais digne. « Mais pourquoi te retirer ? dis-je ; tous les membres de ta classe t'aiment. » Une expression nouvelle sur ses traits me fit comprendre autant que ses paroles qu'il était tout rempli du désir de rejoindre la « grande nuée de témoins » et que, si je puis ainsi dire, il ne retardait son départ que jusqu'à ce qu'il eût mis ordre à ses petites affaires sur la terre. « Je vais partir bientôt, il faut que tout soit en règle. Mets William à ma place, si tu le veux bien. » je ne pus qu'accéder à ce désir.

Le jour suivant, il réunit tous ceux de ses frères en la foi qui avaient renoncé au paganisme en même temps que lui trente ans auparavant. Ils étaient assez nombreux pour remplir sa maison ; on chanta, on pria, puis il se leva, et durant une heure il déroula devant leurs yeux en paroles émouvantes le passé, faisant ressortir l'infinie miséricorde que Dieu avait déployée envers eux en les tirant de l'abîme où ils gisaient et en les comblant de ses grâces. Témoin de cette scène, je pensais à Josué mourant exhortant les anciens de Sichem. À la demande de mon vénérable ami, je distribuai la Sainte Cène à cette assemblée de vieillards et à tous ceux de sa famille qui étaient dans les conditions voulues pour la recevoir. Ce fut un moment inoubliable ; l'Esprit de Celui dont nous commémorions la mort planait sur nous. Une heure se passa encore à prier et à chanter les cantiques favoris de notre ami ; il s'y associait d'une manière vivante et plusieurs des assistants dirent ensuite : « Le ciel semblait si près de nous ! » Nous nous serrâmes la main et je rentrai chez moi en me disant qu'il n'y avait aucune raison pour qu'il ne vécût pas un certain temps encore. À part un peu de lassitude due à l'émotion, sa voix était aussi gaie, son regard aussi vif, son étreinte aussi ferme qu'à l'ordinaire. Environ une heure plus tard, comme je racontais à ma femme les incidents remarquables de cet émouvant service, un Indien entra en courant. « Viens vite, s'écria-t-il, grand-père est mort ! » En effet, peu après mon départ, ayant encore donné quelques conseils aux siens, il s'était étendu sur sa couche et enveloppé de sa couverture comme pour goûter quelque repos. Au bout d'un moment, ne l'entendant pas respirer, on s'était approché et on avait constaté qu'il s'était endormi pour toujours. « Il ne parut plus, car Dieu le prit. » - Ce fut avec joie plutôt qu'avec des pleurs que nous déposâmes sa dépouille dans le petit cimetière. Il nous manqua beaucoup, car sa présence était comme un rayon de soleil, et ses prières appelaient la bénédiction sur nous tous.


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