Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



En Canot et en traîneau
À CHIENS
Parmi les Indiens CREE et SALTEAUX


 CHAPITRE VI

 

Mon comité m'avait recommandé d'aller, aussitôt que je le pourrais, visiter la mission d'Oxford qui, après une période de prospérité, était alors en souffrance. Un temple et une maison missionnaire avaient été construits à la Baie Jackson, et il y avait eu un certain nombre de conversions mais ce village était trop éloigné du poste de la Compagnie, où les natifs se rassemblaient tout naturellement pour leur commerce. Pendant plusieurs années cette station avait été confiée à un évangéliste indigène, ce qui était devenu à la longue une cause de faiblesse.

Ayant donc pris tous les arrangements nécessaires pour que ma propre station n'eût pas à souffrir de mon absence, je la quittai un beau jour en compagnie de deux hommes dont l'un était mon interprète. Ce fut pour moi la première occasion de faire intime connaissance avec cette merveilleuse petite machine qu'est un canot d'écorce de bouleau. Dans ce pays sauvage, aux vastes lacs, aux rivières rapides, aux ruisseaux sinueux, il est de toutes les embarcations la plus appropriée. Il est, pour le Peau-Rouge de cette région, ce qu'est le cheval pour son frère plus belliqueux des vastes prairies et le chameau pour l'habitant ou le voyageur de l'Arabie. Ici, où il n'existe d'autre route que les cours d'eau enchevêtrés, il est indispensable. Quoique extrêmement frêle, il peut être chargé jusqu'au ras de l'eau et, sous l'habile direction des natifs, qui sont sans contredit des canotiers hors de pair, il répond au moindre mouvement de l'aviron ou de la rame et semble doué de vie et de raison. J'ai souvent été absolument émerveillé du parti qu'ils savent en tirer. Cependant, si nous nous souvenons que tel d'entre ces chasseurs passe dans son canot environ cinq mois de l'année, cela s'explique en partie. Tantôt il porte son homme, tantôt son homme le charge sur sa tête, soit au delà de quelque chute ou rapide, soit à l'emplacement où il lui servira, la nuit, de refuge ou d'abri, car il s'en couvre parfois pendant son sommeil. C'est lui qui m'a permis de porter de lieu en lieu la Bonne Nouvelle aux tribus errantes disséminées dans mon vaste diocèse. Avec lui j'ai franchi des milliers de milles, tantôt sur des rivières étroites et torrentueuses, tantôt sur des lacs à une grande distance de tout rivage. À travers les vagues écumantes ou les vents menaçants et traîtres, mes fidèles bateliers se sont montrés à la hauteur de toutes les situations. La sûreté de leur jugement et la rapidité de leurs mouvements leur faisaient toujours faire, au moment précis, l'acte précis que réclamait l'occurrence, si bien que j'en vins à me sentir aussi à l'aise en canot que n'importe où.

Sa construction exigeant pas mal d'adresse et d'habileté, les bons constructeurs sont peu nombreux et les canots vraiment bien réussis sont très recherchés. Pour dépouiller l'arbre de son écorce, on y pratique premièrement une longue incision verticale, puis une autre horizontale tout autour du tronc à la hauteur où commence la première. Avec un couteau effilé on la détache alors peu à peu d'un seul morceau. Cette délicate opération terminée les plus grandes précautions sont nécessaires pour manier et transporter la plaque d'écorce, car elle est des plus fragiles. Lorsqu'on peut se procurer du cèdre pour la carcasse en bois, on n'y manque pas, mais, dans la région que j'habitais, nous étions au nord de la zone où il croît ; aussi fallait-il se contenter du sapin en le fendant très fin. Pour l'assemblage des feuilles d'écorce et pour les fixer à l'intérieur de cette carcasse, on se sert des radicelles du larix, - variété de pin, - qu'on a préalablement mouillées et frottées jusqu'à ce qu'elles aient atteint la flexibilité de minces lanières de cuir. Une fois le travail de couture achevé, on insère les nombreuses petites pièces de sapin à leurs différentes places, donnant à l'ensemble les proportions et la force requises ; puis les ajoutures et les parties faibles sont enduites d'une poix que les indiens tirent du sapin. Pour s'assurer que l'esquif est parfaitement étanche, on le suspend entre deux arbres et on le remplit d'eau. La moindre fissure est marquée et soigneusement revue.

POUR DÉPOUILLER L'ARBRE DE SON' ÉCORCE...

Le style et les dimensions du canot varient. Chaque tribu a son propre modèle admirablement adapté au caractère de ses eaux. Les plus grands et les plus beaux sont ceux que faisaient autrefois les Indiens du Lac Supérieur. Ces « grands canots du nord », comme on les appelait, portaient facilement une douzaine ou une vingtaine de rameurs avec un chargement d'une couple de tonnes. Aux jours anciens de la rivalité des trafiquants en fourrures et avant que les vapeurs ou même les grands voiliers eussent pénétré sur ces lacs arctiques, ils y jouaient un rôle fort important. Chargés des riches dépouilles des fauves habitants des immenses forêts, ils descendaient dans l'Ottawa et suivaient ce puissant fleuve souvent même jusqu'à Montréal. J'ai déjà fait allusion aux expéditions fantastiques de Sir George Simpson, le gouverneur énergique mais despotique et sans principes de la Compagnie de la Baie d'Hudson. C'est dans ces canots de bouleau que, partant de Montréal, il remontait l'Ottawa, atteignait la Baie Géorgienne par le Lac Nipissing, puis, par le Lac Supérieur, la Baie du Tonnerre. De là, avec un courage indomptable, il s'enfonçait dans l'intérieur, traversant le Lac des Bois, suivant le fleuve tourmenté du Winnipeg et franchissant dans toute sa longueur le lac du même nom. Ainsi faisait-il chaque année pour aller présider le conseil de la plus riche des compagnies de fourrures qui ait jamais existé. Il veillait ses intérêts avec un oeil d'aigle et imprimait à chacun de ses départements le cachet de sa forte personnalité. De merveilleux récits circulent autour des feux de bivouac sur l'endurance et les exploits de son fameux équipage iroquois. Aujourd'hui que de puissants vapeurs sillonnent de toutes parts nos grandes eaux, on a peine à croire que ces expéditions invraisemblables comptent encore des centaines de témoins vivants.

Nous partîmes pour Oxford-Mission le 8 septembre. Nous avions à franchir plus de trois cents kilomètres dans la contrée la plus sauvage qu'on puisse imaginer. Dans tout ce trajet nous n'aperçûmes pas une seule habitation, sauf pourtant celles des castors. Notre pagaie nous conduisait à travers des sites plus pittoresques les uns que les autres. À moins que des vents violents ne vinssent nous contrarier, nous pouvions courir de quatre-vingts à cent kilomètres par jour.

À la tombée de la nuit, nous campions sur le rivage, ce qui était parfois très agréable et point dépourvu de poésie mais lorsque la tempête faisait rage et que la pluie nous trempait de telle sorte que pendant bien des jours nous n'avions plus sur nous un fil de sec, cela nous paraissait moins poétique. Pour peu que le temps fût favorable, nous nous mettions en route de très bonne heure le matin, avançant aussi rapidement que possible, dans la pensée que le vent pouvait d'un instant à l'autre se lever et entraver notre course. Ce voyage n'avait vraiment rien de banal. Parfois, à travers les lacs grands ou petits, les pagayeurs s'aidaient d'une voile improvisée avec l'une de mes couvertures fixée à une paire d'avirons. Tantôt nous suivions de larges et belles rivières, tantôt d'étroits ruisselets tout garnis de roseaux et de joncs.
À neuf reprises il nous fallut contourner des cataractes ou des rapides. Dans ces occurrences, l'un des Indiens chargeait le canot sur sa tête, l'autre faisait un ballot de la literie et des provisions. Ma charge consistait en deux fusils, les munitions, deux chaudrons, mon sac d'effets de rechange et un paquet de livres destinés aux indigènes que j'allais visiter.

J'étais émerveillé de la rapidité de la marche de mes hommes. Souvent le sentier n'était qu'une étroite corniche au flanc d'un énorme rocher ; ailleurs il s'enfonçait dans les marais mouvants. Pesamment chargés comme ils l'étaient, avec leurs grandes enjambées et le balancement propre à leur race, ils ne tardaient pas à me laisser loin en arrière. Dans certaines de mes expéditions, les trajets à faire ainsi étaient de plusieurs milles et à travers des régions ou rien ne pouvait m'orienter lorsque je me trouvais seul. Alors je les suivais aussi longtemps que je savais être dans la bonne voie. S'il m'arrivait de la perdre, je m'arrêtais et attendais patiemment que l'un d'eux, ayant déposé sa charge au but, revînt me chercher. Ramassant vivement la mienne, il reprenait sa course et, même débarrassé de tout fardeau, c'était à peine si je pouvais lui tenir pied.

Le lac d'Oxford est l'un des plus beaux que j'aie jamais vus. Il a une cinquantaine de kilomètres de long sur plusieurs de large. Les eaux claires et transparentes sont semées d'îles de toutes les formes. Quand aucun souffle n'en ride la surface, on peut voir ses profondeurs de cristal et les grands poissons qui y circulent avec une sorte de solennité. J'y amenai un jour un de nos directeurs pour visiter la tribu qui pèche dans ses eaux et chasse sur ses rivages. La course avait été pénible. Trempé par la pluie et harcelé par les moustiques qui s'acharnaient contre lui, le pauvre Docteur gémissait sur son malheureux sort avec citations classiques à l'appui. Cependant lorsque nous atteignîmes le lac, l'engeance maudite nous laissa quelque répit, le soleil parut dans sa splendeur et nous pûmes jouir de quelques jours d'une rare beauté. Le bon Docteur retrouva alors sa sérénité coutumière et rit de bon coeur lorsque je le raillai sur les épithètes malsonnantes dont il s'était servi pour qualifier cette contrée. Je m'empressai de tirer la morale qui devait ressortir pour lui de cette expérience de quelques jours, à savoir la sympathie qu'il était de son devoir (comme de celui de tout directeur de mission) d'éprouver pour les missionnaires qui vivent durant des années dans ces lieux infestés.

Notre campement s'installa sur l'un des points les plus ravissants, nous avions deux canots manoeuvrés par quatre ressortissants de la station de Norway-House. Comme le Docteur était un pêcheur émérite, il désira passer là la matinée pour se livrer à cet exercice. Sa première capture fut un brochet de plus de deux pieds de long ; il en fut tout excité ; son éloquence native se donna libre carrière, nous en fûmes comme inondés. Nos hommes le regardaient tout ébahis tandis qu'il célébrait le lac, les îles, le ciel et les flots. - « Attendez, Docteur, je puis ajouter à la sauvage beauté de ce site une scène qui charmera vos yeux d'artiste. » je fis alors partir un canot monté par deux hommes pour une île qui s'élevait abrupte au-dessus de l'onde claire et profonde, couronnée d'un groupe charmant de pins et de baumiers. Là, déployant une longue canne à pêche et prenant une attitude en harmonie avec le cadre, ils se tinrent immobiles jusqu'à ce que toute ride eût disparu de la surface du lac. Nous pûmes alors contempler le tableau le plus idéal. Le canot, les pêcheurs, les îles et les rocs semblaient aussi réels dans l'eau qu'au-dessus.

SOUVENT LE SENTIER N'ÉTAIT QU'UNE ÉTROITE CORNICHE

Aux points où l'air et l'eau se rencontraient, on eût dit qu'un fil seul les séparait. Aucun souffle n'agitait ni l'un ni l'autre. C'était un de ces spectacles d'un charme exceptionnel, tels qu'il est rarement donné à l'homme d'en admirer et dans lesquels Dieu nous donne un aperçu de ce que notre terre a dû être avant que le péché l'ait souillée. Mon coeur était plein de louange et je demandai à mon compagnon ce qu'il pensait de cette vision. Se levant alors sur le grand rocher qui nous portait, il donna libre cours à ses sentiments ; sa voix d'abord émue s'affermit peu à peu : « je connais et j'aime les lacs de mon Écosse, ceux de l'Irlande et de l'Angleterre ; j'ai parcouru longtemps les splendides lacs américains j'ai vu Tahoe dans sa beauté cristalline j'ai ramé sur le Bosphore et remonté le Nil en felucca ; j'ai flâné en gondole sur les canaux de Venise et sillonné la mer de Galilée et l'antique Jourdain ; j'ai pu contempler au cours de mes longs voyages bien des sites d'une rare beauté.... celui-ci les dépasse tous ! »

Jamais plus ce lac ne se présenta ainsi à mes yeux. J'eus parfois à y lutter plus que partout ailleurs contre les éléments déchaînés. Un jour, en fuyant d'une île à l'autre, en nous tenant autant que possible sous le vent, nous perçâmes notre quille sur un roc pointu ; il fallut ramer désespérément vers le rivage ; quand nous l'atteignîmes, il était temps ; le canot était à moitié rempli. Nous nous hâtâmes d'allumer du feu et de faire fondre de la poix pour réparer l'avarie. Provisions et couvertures étaient naturellement submergées.

En hiver, sur sa surface gelée, les souffrances soit des hommes soit des chiens étaient terribles. Une fois, en dépit de tout ce dont j'avais pu m'envelopper qui n'entravât pas ma marche - car le gel intense rendait impossible tout moyen de locomotion - toutes les parties de mon visage que je ne pouvais garantir furent piteusement gelées ; mon nez, mes joues, mes sourcils, mes lèvres elles-mêmes, me firent souffrir ensuite pendant des jours. Cuffy, le meilleur de mes terre-neuve, eut les quatre pattes gelées et même Jack, que je présenterai plus tard au lecteur, en fut estropié pour plusieurs jours. Mes fidèles guides souffraient également et nous fûmes d'accord pour affirmer que le vent glacé est autrement éprouvant que les moustiques de l'été, si pénibles soient-ils.

Malgré ces inconvénients très sérieux, c'était pour moi une joie que de visiter deux fois par an - l'été en canot, l'hiver avec le concours de mes chiens - les habitants de cette région. Dieu bénissait ces visites. Les anciens membres de la communauté étaient fortifiés et réjouis par la prédication de l'Évangile et la participation aux sacrements et quelques païens renonçaient à leur mauvaise vie. Après moi deux de mes collègues ont exerce là leur ministère et maintenant c'est Edouard Papanekis, un indigène, qui y remplit les fonctions de missionnaire. Je l'avais connu adolescent, insouciant et adonné au péché. Un jour, sous l'action d'une liqueur enivrante, il s'était élancé chez moi, menaçant de me frapper. Ensuite il s'était ouvert à l'influence de l'Évangile et j'avais eu la joie de le voir venir humilié au pied de la croix. Plus tard le souhait de mon coeur se réalisa : il annonce aujourd'hui fidèlement cet Évangile béni à ses compatriotes.

À mesure que je répondais aux cris de Macédoniens qui retentissaient autour de moi, mon district s'agrandissait et bien souvent en voyage. Il m'arriva de lancer mon canot au printemps, avant que les glaçons flottants eussent disparu ; nous cheminions alors dans les passages qu'ils laissaient libres, ce qui présentait souvent un grand danger. Ainsi, dans l'une de ces expéditions, les champs mouvants de glace s'étendaient devant nous sur des milles de longueur, un étroit canal nous permettant seul la circulation : nous nous y engageâmes hardiment, désireux que nous étions de poursuivre notre route. J'étais sans crainte, connaissant la grande expérience de mes mariniers, mais je m'attendais à voir du nouveau et j'en vis effectivement !

Nous avions compté que le vent élargirait notre canal, mais, après avoir franchi quelque distance, force nous fut, malgré notre désappointement, de constater que la voie libre se rétrécissait au contraire, d'une manière lente et sûre la glace se refermait autour de nous. Comme elle mesurait un mètre cinquante ou deux mètres d'épaisseur et qu'elle eût facilement écrase un vaisseau de fort tonnage, notre frêle canot d'écorce semblait voué à une perte certaine. Je me disais qu'au moment critique nous pourrions sauter sur l'îlot de glace, mais ensuite qu'adviendrait-il ? Mes Indiens demeurant parfaitement calmes, je gardai pour moi mes réflexions et continuai de ramer en attendant la suite des événements. Bientôt le canal eut à peine une douzaine de mètres de large ; derrière nous il s'était refermé et nous entendions dans différentes directions le frottement et le craquement des énormes masses qui se heurtaient. Peu après il était réduit à six ou sept mètres et mes hommes ramaient toujours sans se troubler et je ramais à l'unisson. Quand les parois qui nous enserraient se furent assez rapprochées pour que nous puissions les toucher de l'extrémité de nos deux rames, l'un deux me dit : « Missionnaire, donne-moi ta rame, je te prie. » je la lui tendis vivement et il s'empressa de la glisser avec la sienne sous le canot tenant leur poignée dans l'eau de telle sorte que leurs extrémités plates se trouvassent en l'air du côté opposé. Son camarade fit la même manoeuvre de l'autre côté du canot. Presque aussitôt la glace les toucha mais, comme elles s'élevaient plus haut que sa surface, elles s'y appliquèrent naturellement ; c'est ce qu'avaient prévu mes hommes, ils trouvaient un point d'appui ; retirant lentement à eux les poignées qu'ils tenaient submergées, ils soulevèrent le canot au-dessus des glaçons qui bientôt après se rejoignirent au-dessous de nous avec un craquement significatif. Nous nous trouvâmes ainsi trônant sur l'élément solide sans avoir quitté nos sièges et sans que notre esquif eût éprouvé la moindre avarie. J'exprimai chaleureusement à mon équipage mon admiration pour ce haut fait. Cependant il fallait nous hâter de sortir du canot et de l'emporter loin de ces parages dangereux. Non sans peine, nous gagnâmes un rivage où nous dûmes attendre patiemment pour poursuivre notre voyage que le vent et le soleil eussent ou raison de la glace.

Mon plan était de passer au moins une semaine dans chaque village ou campement indigène, prêchant trois fois le jour, tenant école pour les enfants et suppliant hommes et femmes dans des entretiens particuliers d'être réconciliés avec Dieu. Cette tournée fut bénie. Au retour nous eûmes mille peines à nous frayer notre voie sur les lames écumeuses, glissant de l'une à l'autre, tantôt sur une crête élevée, tantôt entre deux murailles mobiles. À un moment donné le choc du canot contre la vague fut si violent que la quille se fendit ; naturellement l'eau pénétra rapidement et d'autant plus que nous ramions vigoureusement ; à chaque effort la fente s'ouvrait et lui donnait passage. J'étendis une couverture à l'intérieur et m'agenouillai dessus pour parer à cet inconvénient dans la mesure du possible et l'un des hommes quittant la rame se mit à puiser avec la bouilloire d'un mouvement rapide et régulier pendant que nous ramions de toutes nos forces pour notre précieuse vie dans la direction des îles des Araignées dont nous nous trouvions à 1.500 mètres environ. Grâce à Dieu, nous parvînmes à y aborder et là nous pûmes nous associer aux paroles du roi David exprimées au Psaume CVII, V. 26 à 28, mais ce ne fut qu'après avoir tiré le canot sur le rivage et que, y ayant péché tout ce qui s'y trouvait et l'ayant retourné nous eûmes vu la grande fente béante, que nous réalisâmes l'étendue du danger que nous avions couru et la portée de la délivrance dont nous avions été les objets. Alors mieux encore il nous appartint de « célébrer la bonté de l'Éternel et ses merveilles parmi les fils des hommes ».

Nous eûmes vite fait d'allumer du feu, de faire fondre la poix dont les indigènes ont toujours soin de se munir pour de telles éventualités, d'y tremper un morceau de drap qui fut étendu sur la déchirure. On en versa encore par-dessus, en séchant elle durcit rapidement. Après avoir pris un peu de nourriture, nous le lançâmes de nouveau et notre voyage s'acheva sans autre incident sérieux. À la joie d'avoir été des hérauts de la croix dans des lieux si reculés, s'ajouta la reconnaissance de nous retrouver sains et saufs dans nos foyers.

Dans l'une de mes excursions en quête de tribus païennes dans le district de la rivière Nelson, j'en appris long sur les intenses aspirations de leurs coeurs enténébrés. Après dix ou douze jours de voyage, au campement du soir, pendant que mes hommes très affairés cherchaient du bois et préparaient le souper, j'escaladai une colline boisée que je voyais à une certaine distance. Arrivé au sommet, je fus tout saisi de me trouver en présence des preuves évidentes d'un grossier paganisme.

Une épaisse forêt avait recouvert cette éminence, mais environ le tiers des arbres avaient été coupés à un mètre cinquante, deux mètres ou trois mètres du sol et ces fûts avaient été grossièrement taillés en formes humaines. Des fours à chiens étaient disséminés entre eux - simples trous creusés dans le sol et garnis de pierres dans lesquels, à certaines saisons et d'après certains rites religieux, les natifs faisaient rôtir quelques-uns de leurs chiens favoris, les blancs de préférence, puis ils les dévoraient au milieu de beaucoup d'excitation. Çà et là s'élevaient les tentes des vieux conjureurs et « médecins », lesquels, en combinant quelque connaissance des maladies et de tel ou tel moyen curatif avec une grande dose d'abominables superstitions, maintenaient le peuple dans une grande crainte. C'étaient pour la plupart de vieux paresseux qui s'entendaient, par la terreur qu'ils inspiraient à leurs compatriotes, à faire affluer de leur côté les cadeaux en poisson et en gibier de choix. Ils possèdent l'art, qui est un secret professionnel, de composer quelques poisons si meurtriers qu'il suffit d'une quantité des plus minimes, introduite dans les aliments de la personne qui a encouru leur déplaisir, pour causer sa mort aussi rapidement qu'avec une dose de strychnine.
D'autres de leurs drogues, au lieu de causer la mort immédiate de leurs victimes, les affectent et les défigurent à tel point que, jusqu'à ce que la mort vienne les délivrer, leurs souffrances sont atroces et leur aspect terrifiant. Tous les tristes indices de la condition déplorable de ce peuple étaient là épars autour de moi. J'allais d'une idole à l'autre, constatant que la plupart avaient, soit devant elles, soit sur leurs têtes plates, des offrandes de tabac, de nourriture, de coton rouge, etc. Mon coeur était douloureusement impressionné et je sentais profondément à quel point j'avais besoin de la sagesse et du secours d'en haut pour pouvoir, lorsque je rencontrerais les gens de la tribu qui adorait là ses idoles, leur présenter Christ de telle sorte qu'ils fussent pour ainsi dire contraints de l'accepter comme leur Sauveur. Tandis que j'étais là, absorbé dans mes réflexions et dans ma prière, les ombres de la nuit tombèrent sur moi et m'enveloppèrent puis la pleine lune se leva à l'orient et ses rayons d'argent brillant à travers les arbres sur ces figures grotesques, la scène revêtit un aspect plus étrange encore. Lorsque je retournai à notre bivouac, mes amis indiens, alarmés de ma longue absence, vu que la contrée était infestée de bêtes féroces, étaient venus à ma recherche. Peu après nous prenions notre repas, puis, après avoir chanté un cantique et uni nos prières, nous nous enveloppions dans, nos couvertures et nous étendions sur le roc pour passer la nuit. Malgré que la couche fût dure et qu'aucun toit ne nous abritât, notre sommeil fut doux, car la journée avait été fatigante et point dépourvue d'émotions.

LA SCÈNE REVÊTÎT UN ASPECT PLUS ÉTRANGE ENCORE

Le jour suivant, à soixante-cinq kilomètres de là, nous rencontrâmes les habitants de cette partie du pays et nous nous établîmes au milieu d'eux pour plusieurs semaines. Ils me reçurent tous avec beaucoup de cordialité, à l'exception des vieux conjureurs qui nourrissaient à mon égard des sentiments analogues à ceux des fabricants des petits temples d'Éphèse. Ils tremblaient pour leur métier, car ils n'ignoraient pas que, si je réussissais à persuader leurs compatriotes de devenir chrétiens, c'en serait fait de leur prestige et que, s'ils ne voulaient mourir de faim, ils seraient réduits à se mettre au travail.

Je les visitai comme les autres habitants du camp, mais leur coeur était plein d'inimitié bien que je n'eusse pas connaissance de tous leurs efforts pour me nuire et même pour se débarrasser de ma personne, je comprenais bien qu'ils étaient menaçants. Cependant celui qui a dit : « Voici je suis avec vous tous les jours, » veillait miséricordieusement sur moi et me protégea contre leurs mauvais desseins. Mes deux fidèles compagnons montaient la garde et priaient avec une vigilance inlassable. Leur loyauté et leur dévouement pendant ces longs voyages n'auraient pu être plus complets et me laissent un précieux souvenir. Tout ce qui pouvait être fait pour ma sécurité ou pour ma satisfaction, ils le faisaient de bon coeur et gracieusement.
Nous avions chaque jour trois services religieux et entre temps nous apprenions aux gens à lire les caractères syllabiques.
Un jour, en conversant avec un vieillard à la figure intelligente et sympathique, je lui demandai :
« Quelle est ta religion ? Si tu en as quelque idée claire, dis-moi quelle est ta croyance.
- Nous croyons en un bon Esprit et en un mauvais.
- Et pourquoi donc, repris-je, n'adorez-vous pas le bon Esprit ? J'ai traversé vos lieux sacrés et j'ai vu les arbres que vous avez coupés. Vous en avez employé une partie pour cuire votre viande d'ours ou de daim, et du reste vous avez fait une idole que vous adorez. Comment une partie de l'arbre est-elle plus sacrée que l'autre, et pourquoi d'ailleurs fabriquez-vous et adorez-vous des idoles ? » Je n'oublierai jamais sa réponse ni le ton impressif, presque passionné dont il la fit :

« Missionnaire, l'esprit de l'Indien est obscur : il ne peut saisir l'invisible. Il entend la voix du grand Esprit dans le tonnerre et dans la tempête. Il voit tout autour de lui les preuves de son existence, mais ni lui ni ses pères ne l'ont jamais vu ; ils n'ont jamais rencontré non plus quelqu'un qui l'eût vu, ainsi il ne peut savoir à quoi il ressemble ; mais l'homme étant de toutes les créatures celle qui est la plus élevée, il donne à ses idoles l'apparence humaine. Nous ne les adorons que parce que nous ne savons pas comment nous représenter le grand Esprit. »

Soudain la requête de Philippe au Seigneur Jésus se présenta à ma mémoire : « Montre-nous le Père et cela nous suffit », et la merveilleuse réponse qu'il reçut : « Il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne m'as pas connu ! Philippe, celui qui m'a vu a vu mon Père ; comment montre-nous le Père ? » J'ouvris ma Bible indienne à ce magnifique aperçu d'amour désintéressé (le XIVe chapitre de St-Jean) et leur annonçai Jésus dans sa double nature divine et humaine. Tout en proclamant l'oeuvre rédemptrice du Fils de Dieu, je parlai de Lui comme de notre frère aîné intimement uni à nous, qui ne demande qu'à nous délivrer de nos perplexités et de nos doutes aussi bien que de notre péché, et qui conserve sa forme humaine pour intervenir maintenant en notre faveur devant le trône de son Père. J'insistai sur ces vérités bénies et montrai comment l'amour du Christ l'a tellement rapproché de nous qu'avec le regard de la foi nous pouvons le voir et en Lui Dieu le Père dont notre coeur est altéré... « Lequel vous aimez quoi que vous ne l'ayez point vu, est-il dit ; en qui vous croyez quoique vous ne le voyiez point encore et, en croyant, vous vous réjouissez, d'une joie ineffable et glorieuse. »

Durant bien des jours je ne cherchai pas d'autre texte. Ils m'écoutaient attentivement et le Saint-Esprit appliquait ces enseignements à leurs coeurs et à leurs consciences de telle sorte qu'ils les reçurent. Quelques visites subséquentes les enracinèrent dans la vérité. Ils ont dès lors abattu leurs idoles, comblé les fours à chiens, déchiré les tentes des conjureurs, nettoyé la forêt de tout vestige de leur ancienne vie. Et là même où ils célébraient leurs rites païens au milieu d'horribles orgies et de hurlements, où les crécelles et le roulement des tambours des conjureurs retentissaient jour et nuit, s'élève aujourd'hui un petit temple où ces mêmes hommes, transformés par le glorieux Évangile du Fils de Dieu, sont assis a ses pieds « habillés et dans leur bon sens ».

Je me convainquis bientôt de la nécessité d'envoyer là un missionnaire qui pût y séjourner, et en réponse à mes appels Dieu mit au coeur du révérend Semmens, qui était venu m'aider à Norway-House, d'aller se fixer au milieu d'eux. Il était animé d'un zèle ardent et parfaitement qualifié pour ce ministère ardu, mais mes paroles sont impuissantes à décrire les souffrances qu'il eut à endurer ; elles sont inscrites là haut, le Maître qui les connaît se chargera de lui donner la récompense, C'est à ses efforts personnels qu'est due l'érection du temple dont je viens de parler. La dernière lettre que j'ai reçue de ce pays contient les nouvelles les plus réjouissantes. « Le désert et le lieu aride se réjouiront, la solitude s'égaiera et fleurira comme un narcisse. » Cette prophétie s'est magnifiquement réalisée et rend insignifiantes les privations et les souffrances que j'ai pu endurer moi-même dans mon travail de pionnier au début de cette oeuvre. D'un coeur joyeux, je dis avec l'apôtre Paul : « C'est à moi, le moindre de tous les saints, qu'a été donnée cette grâce d'annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ. »


Table des matières

Page précédente:
Page suivante:
 

- haut de page -