Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



En Canot et en traîneau
À CHIENS
Parmi les Indiens CREE et SALTEAUX


 CHAPITRE III

Plusieurs lettres me furent apportées un jour dans mon cabinet de travail où j'étais occupé au milieu de mes livres. J'étais alors pasteur de l'une des églises de la ville de Hamilton. De grandes bénédictions venaient de nous être accordées : plus de cent quarante nouveaux membres avaient été admis récemment dans l'église. J'avais profité des vacances de Noël pour me marier et je venais de rentrer à mon poste avec ma bien-aimée. Parmi ces lettres, l'une était ainsi conçue :

« Bureau des Missions, Toronto .... 1868
Au Révérend Egerton Young,

CHER FRÈRE,

Dans une importante séance que le Comité des Missions a tenue hier, il a été décidé unanimement de vous adresser un appel comme missionnaire des tribus indiennes à Norway-House et dans les territoires du Nord-Ouest, au delà du lac Winnipeg. Une prompte réponse apportant votre acceptation obligera vos affectionnés E. Wood - L. Tailor. »

Ayant lu cette lettre, je la tendis à travers la table à Madame Young, mon épouse de quelques jours. Elle la lut à son tour attentivement, puis après un instant de recueillement bien naturel, elle demanda :
« Qu'est-ce que cela veut dire ?
- Je le sais à peine, répondis-je, mais il est évident que cela veut dire beaucoup.
- T'es-tu offert comme missionnaire pour ce pays lointain ?
- Mais non, quoique je m'intéresse beaucoup à l'oeuvre missionnaire que poursuit notre église et qu'elle m'ait de tous temps attiré, je n'ai fait aucune démarche dans ce sens. Il y a quelques années j'en ai eu la pensée ; il me semblait que j'aimerais à travailler dans un champ lointain, mais en dernier lieu, comme le Seigneur nous a tellement bénis ici, qu'Il nous a donné un si beau réveil, j'aurais cru manquer à mon devoir en m'offrant ailleurs.
- Eh bien, que vas-tu répondre ?
- Ah ! c'est justement ce que je voudrais savoir.
- Il y a une chose que nous pouvons faire, » dit-elle.

Alors, d'un commun accord, nous nous agenouillâmes ensemble et « déployâmes la lettre devant l'Éternel », - comme jadis Ézéchias - en lui demandant la sagesse dont nous sentions le besoin pour nous guider dans cette affaire importante qui se présentait à nous d'une manière si imprévue et qui, au cas où nous l'accepterions, devait modifier entièrement les plans et projets que, dans la joie de notre lune de miel, nous venions d'élaborer. Après avoir imploré de tout notre coeur la lumière et prié que la volonté divine nous fût si clairement révélée que nous ne puissions nous méprendre sur la voie à suivre, nous nous relevâmes et je demandai à ma femme : « As-tu quelque impression quant à la décision à prendre ? » Ses yeux se remplirent de larmes, mais sa voix presque basse était ferme lorsqu'elle répondit : « Cet appel était bien inattendu, mais je crois qu'il vient de Dieu ; nous irons. »

Mon église et principalement son conseil s'opposèrent fortement à ce que je les quittasse et surtout dans un tel moment lorsque, disaient-ils, tant de nouveaux convertis avaient été ajoutés à l'église par mon moyen. Je consultai mes collègues et tous, sauf un, me répondirent : « Restez où vous êtes et où Dieu a si visiblement béni vos travaux. » Quant à la réponse du frère qui n'était pas d'accord avec les autres, je ne l'ai jamais oubliée et, comme elle peut faire du bien, je la rapporterai ici. Lorsque je lui demandai son avis, je le vis avec surprise devenir très agité et se mettre à pleurer comme un enfant ; puis, quand il put maîtriser son émotion, il me dit :
« Pour répondre à votre question, laissez-moi vous raconter quelque chose de ma propre histoire. Il y a de cela de longues années ; j'avais un ministère très heureux dans ma patrie. J'étais passionnément attaché à mon oeuvre, à mon home, à ma femme. Je jouissais de la confiance et de l'estime de mon église et me disais que j'étais aussi heureux qu'on peut l'être de ce côté-ci de la tombe. Un jour je reçus un appel du bureau des Missions Wesleyennes de Londres me demandant si je serais disposé à partir pour la Mission dans les Indes occidentales. Sans prendre la chose en considération et sans en faire un sujet de prière, je répondis de suite par un refus catégorique.

À partir de ce jour, tout changea pour moi ; le sourire du ciel parut me quitter, je perdis l'action que j'avais sur mes gens, sans que je puisse dire comment ; l'influence que j'exerçais s'évanouit ; mon foyer, naguère heureux, fut dévasté et, dans ma peine, je ne trouvai pas même de sympathie auprès de mon église ou de la paroisse. Je dus résilier mes fonctions et quitter l'endroit. Je tombai dans l'obscurité et perdis le contact avec mon Dieu. Il y a quelques années, j'ai émigré dans ce pays, Dieu m'a rendu la lumière de sa face. L'église a été très sympathique et indulgente. Il m'a été donné de travailler pendant plusieurs années dans son sein et j'en suis reconnaissant, mais, ajouta-t-il solennellement, il y a longtemps que j'ai résolu, si nos églises m'appellent aux Indes occidentales ou dans n'importe quel autre champ de mission, de ne pas répondre par un refus précipité. »

Je méditai sur ses paroles et sur son expérience et j'en parlai avec mon excellente femme. Nous décidâmes que nous partirions. Nos amis furent d'abord tout saisis de notre résolution, mais bientôt ils nous donnèrent leur bénédiction en y joignant des marques tangibles de leur affection. Une douce paix remplit nos âmes et il nous tarda d'être à l'oeuvre dans le nouveau champ qui s'était si subitement ouvert à nous.

Le service d'adieu eut lieu à Toronto au commencement de mai. La vieille église de la rue Richmond était comble et l'enthousiasme très grand. Celui qui présidait cette solennité était le modérateur de la conférence de cette année-là, le vénérable pasteur Elliot, des mains duquel j'avais reçu la consécration pastorale quelques mois auparavant. Parmi les nombreux orateurs je nommerai le pasteur G. Mac Dougall qui possédait une grande expérience missionnaire ; ce qu'il avait à dire valait d'être entendu. M. George Young qui prenait congé de l'église dont il était depuis longtemps le pasteur aimé et qui allait partir en même temps que moi parla aussi d'une manière fort intéressante. Le Dr Punshon qui venait d'arriver d'Angleterre prononça une de ses allocutions inimitables ; le souvenir de ses paroles pleines d'affection chrétienne nous soutint durant les jours qui suivirent.

Ce fut aussi pour nous une grande joie d'avoir auprès de nous, sur l'estrade, pendant cette émouvante cérémonie, mon vénéré père, le révérend William Young. Il faisait partie de cette bande héroïque de ministres pionniers du Canada qui en établissant l'église sur une solide base ont contribué pour leur large part au développement spirituel du pays. Sa bénédiction a été une des faveurs bien appréciées de ces heures mémorables au début de notre nouvelle carrière. Mon père avait connu très particulièrement W. Case et J. Evans dont il a déjà été fait mention ; il avait même, par intervalles, partagé leur activité en faveur des Indiens. Il croyait en la puissance de l'Évangile pour sauver cette nation et maintenant il se réjouissait de posséder un fils et une fille consacrés à cette oeuvre.

LE RÉVÉREND MAC-DOUGALL

Comme nous avions en perspective un voyage de bien des centaines de kilomètres dans les États de l'Ouest, au delà des localités desservies par les voitures ou les bateaux à vapeur, il fut décidé que nous prendrions avec nous nos propres chevaux et nos wagons recouverts de toile. Notre départ s'effectua de Hamilton même ; le lundi 11 mai 1868, notre petite troupe quitta cette petite ville, défilant dans la direction de Sainte-Catherine où nous devions prendre passage sur un « propulseur » à destination de Milwaukee. Notre aventureux voyage était commencé.
Notre caravane était composée comme suit :

D'abord le révérend Mac Dougall qui après avoir, durant de longues années, déployé une activité bénie parmi les Indiens du Saskatchewan à quinze cents kilomètres du Territoire de la Rivière Rouge, était revenu au Canada chercher du renfort et avait réussi à en trouver. Comme il possédait une certaine expérience des voyages dans l'Ouest, il était le chef de l'expédition.
Venait ensuite le révérend George Young avec sa femme et son fils. Il avait consenti à aller comme prédicateur pionnier dans les établissements de la Rivière-Rouge où le méthodisme ne s'était pas encore implanté ; il devait y réussir pleinement.

Puis c'était le génial révérend Peter Campbell qui, avec sa brave femme et deux petites filles, échangeait une paroisse agréable contre une station perdue des prairies. Deux frères de Mme Campbell qui se destinaient à l'enseignement dans la même contrée étaient encore des nôtres, ainsi que plusieurs autres jeunes gens, et dans le Dacotah nous fûmes rejoints par deux jeunes Indiens, Job et Joe. Avec ma femme et moi cela faisait quinze ou vingt personnes.

MADAME YOUNG

À Sainte-Catherine nous embarquâmes nos effets et prîmes passage sur l'Empire pour Milwaukee, un port important sur le lac Michigan que nous devions atteindre en traversant successivement sur presque toute leur longueur les trois lacs Erié, Huron et Michigan. Nous y arrivâmes en effet le dimanche 17, après une traversée fatigante par le fait de la cohue des passagers et du mauvais temps que nous essuyâmes sur ce dernier grand lac. Milwaukee était alors une ville américo-allemande très éveillée et remuante. Parmi les foules que nous rencontrâmes, il ne semblait pas y avoir un grand respect pour le jour du Seigneur. Les « affaires » battaient leur plein dans la plupart des rues comme si c'eût été un jour ouvrier. Sans doute il y avait un certain nombre d'habitants qui « n'avaient pas souillé leurs vêtements » et qui ne profanaient pas ce jour de repos, mais, voyageurs fatigués, nous n'avions pas le loisir de les rechercher.

Malgré que nous eussions pris la précaution d'expédier tous nos colis en transit et qu'un certificat du consul américain déclarât que nous avions accompli toutes les formalités exigées, nous fûmes soumis à quantité de vexations et de dépenses. si bien que nous dûmes télégraphier aux employés supérieurs à Washington. La réponse ne tarda pas à arriver, donnant l'ordre aux subalternes trop zélés de nous laisser sans délai poursuivre notre voyage. Nous n'en avions pas moins perdu deux jours précieux.

Nous quittâmes cette ville malencontreuse pour La Crosse sur le haut Mississipi. Là nous reprîmes un steamer pour St-Paul. Les grands steamers à fond plat que l'on a lancés sur ces rivières de l'Ouest sont une vraie trouvaille. N'ayant que quelques centimètres de tirant d'eau, ils glissent sur les bancs de sable presque à fleur d'eau et, se balançant contre le rivage, ils abordent et reçoivent sans peine passagers ou cargaison là où les quais sont inconnus et où, du reste, s'ils existaient, ils seraient sujets à être emportés par les grandes crues du printemps.

Dans bien des endroits, le paysage est magnifique le long des rives du Mississipi supérieur ; de hautes éminences se dressent dans une étonnante variété de formes et de pittoresque. Parfois elles se composent de rocs dénudés, tandis qu'ailleurs elles se revêtent jusqu'au sommet d'une riche verdure. Il n'y a que peu d'années que le cri de guerre des Peaux-Rouges résonnait seul ici et que les troupeaux de buffles se jouaient autour de ces escarpements et étanchaient leur soif dans ces eaux. Maintenant le sifflet strident du vapeur trouble la solitude et se répercute d'écho en écho, avec une singulière netteté, des falaises abruptes aux fertiles vallées.

Le jeudi, au matin, nous abordâmes à Saint-Paul, ville très affairée, elle aussi, admirablement située sur la rive orientale.
Ici nous eûmes à nous démener pendant des heures pour organiser notre caravane, nous fournir de provisions et prendre les derniers arrangements en vue du long voyage que nous avions maintenant à faire dans d'autres conditions, car le « cheval de fer » n'avait pas encore pénétré plus avant, et la grande vague houleuse d'immigration qui, si tôt après, devait couvrir tous ces fertiles territoires, ne s'annonçait encore, pour ainsi dire, que par des gouttes d'eau isolées.

Nos splendides chevaux qui avaient été emprisonnés dans la cale du vaisseau, puis serrés comme des ballots dans des wagons, allaient désormais avoir l'occasion d'exercer leurs membres et de montrer leur valeur. Vers le soir nous sortîmes de la ville en procession. Cette première chevauchée dans la prairie reste vivante dans mon souvenir. C'était une de ces journées glorieuses qui ne nous sont que rarement accordées pour nous montrer ce que devait être la terre avant la chute. Le ciel, l'air, le paysage, tout semblait dans une telle harmonie et si splendide, que je m'écriai involontairement : « Si le marchepied de Dieu est si beau, que doit être son trône ? »

MAINTENANT LE SIFFLET DU VAPEUR TROUBLE LA SOLITUDE .....

Au bout de quelques milles nous campâmes pour la nuit, tous dans les meilleures dispositions, nous réjouissant de ce que nous tournions le dos à la civilisation et nous enfoncions dans le désert. Cependant, les premiers jours, nous devions passer dans le voisinage de villages et d'établissements de frontière, mais, à mesure que nous avancions, ils diminuaient rapidement en nombre.

Après bien des jours de marche, nous fîmes halte sur la rive droite du Mississipi, près de l'emplacement où s'élève aujourd'hui la ville florissante de Clear-Water. Comme quelques-uns de nos véhicules et certaines parties de notre train de campagne commençaient à montrer des signes de faiblesse, nous trouvâmes prudent de passer le tout sérieusement en revue avant de pousser plus loin, puisque désormais nous n'avions plus à espérer aucun secours de nos semblables.

Notre campement se composait de huit tentes, quatorze chevaux, quinze à vingt personnes en comptant petits et grands, blancs et indiens. À chaque fois que nous nous arrêtions pour la nuit, nous lâchions les chevaux dans la prairie luxuriante, après avoir pris soin de les entraver en liant ensemble leurs deux jambes de devant. Au premier abord cela paraissait cruel et quelques-uns des plus vifs y furent très sensibles et se débattirent tant qu'ils purent contre cette atteinte portée à leur liberté. Cependant ils s'y accoutumèrent bientôt et nous atteignîmes notre but qui était de les empêcher de s'éloigner par trop de nous pendant la nuit.
À un endroit où nous fûmes obligés de stationner plusieurs jours pour réparer des essieux, j'eus une aventure mémorable. Quelques braves colons étaient venus à nous et nous avaient donné l'avis désagréable qu'une bande de voleurs de chevaux rôdait dans le pays et que nous ferions bien de ne pas perdre de vue nos splendides canadiens.

Comme il y avait à quelque distance une grange isolée, construite par l'un des colons qui ne s'en servait pas avant la moisson, il nous autorisa à y enfermer pour la nuit nos montures tant que nous resterions là. Deux d'entre nous y étaient détachés chaque soir pour monter la garde. J'y allai à mon tour avec le fils de mon homonyme. Comme nous partions, j'entendis notre chef dire d'un ton plaisant : « Voilà de fameux gardes ! Mes gamins indiens pourraient aller dérober leurs chevaux jusqu'au dernier sans courir le moindre risque. » Piqué au vif par cette remarque, je rétorquai : « Je crois, M. Mac Dougall, que j'ai la meilleure bête de toutes ; si vous-même ou l'un de vos indiens réussissez à la prendre entre le coucher et le lever du soleil, je vous en fais hommage. »

Nous les attachâmes tous en une ligne et assujettîmes toutes les ouvertures de la grange, sauf la grande porte de devant, puis nous disposâmes nos sièges de telle sorte que, sans être en vue nous-mêmes, nous pouvions surveiller soit les chevaux soit chacune des portes, les ayant à portée de nos fusils. Sans élever la voix nous bavardâmes jusque vers une heure puis tout devint silencieux. La nouveauté de ma situation m'impressionnait et, assis là en pleine nuit, je la comparais avec celle que j'avais occupée peu de semaines seulement auparavant : alors pasteur d'une église de ville, au milieu d'un beau réveil, entouré de tout le confort de la civilisation ; aujourd'hui près de cette grange dans le Minnesota, siégeant sur un tas d'herbe des grandes prairies à travers les longues heures de la nuit, une carabine sur les genoux, protégeant de fougueux coursiers contre une bande de voleurs.
Mais, chut ! qu'est ceci ? Certainement une main cherche à tâtons le loquet de bois de la porte de derrière et nous nous disons mentalement : « monsieur le voleur, tu as fait trop de bruit, tu t'es trahi ! » La porte s'entr'ouvre et, la nuit étant tout éclairée par les étoiles, nous distinguons nettement un homme de haute stature. Je le couche en joue, mais au moment de presser la détente, la pensée me vient rapide comme l'éclair : « Avant de tirer, assure-toi que cet homme a de mauvaises intentions, car c'est une chose sérieuse que d'envoyer une âme dans l'éternité. » Toujours épaulant mon fusil, je crie :
« Qui va là ?
- Eh ! c'est votre ami Mathieu, dit le grand homme qui s'approche alors dans l'obscurité ; c'est drôle que vous ne me connaissiez pas encore. »

À la pensée de ce que j'avais été si près défaire, un étrange malaise m'envahit et, jetant loin mon arme, je m'affaissai, tremblant comme une feuille au vent. Cependant le brave homme se doutant peu du danger auquel il venait d'échapper et ne se rendant pas compte de l'effet que son étourderie produisait sur moi, expliquait qu'il faisait si chaud là-bas dans les tentes et si étouffant que, ne pouvant dormir, il avait trouvé bon de venir nous rejoindre pour finir la nuit dans la grange. Au matin il y eut grande agitation au camp et des paroles sévères à l'adresse de celui qui n'avait pas tenu compte de l'ordre très précis qui avait été donné, portant que, sous aucun prétexte, personne n'approcherait de la grange tandis qu'on y veillait.

Ailleurs, toujours dans le Minnesota, nous tombâmes sur une colonie en train de « restaurer ses lieux désolés », disons : de reconstruire ses demeures détruites par la terrible guerre des Sioux. Ayant presque tous soufferts de cette effroyable lutte, ils nourrissaient des sentiments très amers à l'égard des Indiens, ignorant complètement ce fait que les blancs seuls étaient responsables de cette révolte sanguinaire, où neuf cents vies avaient été perdues et où un territoire plus étendu que quelques-uns des états de la Nouvelle-Angleterre avait été entièrement dévasté. C'est maintenant un fait reconnu et incontesté que c'est la cupidité et la déloyauté des agents du gouvernement des États-Unis qui ont causé cette guerre. L'agent principal du gouvernement avait reçu six cent mille dollars en or, appartenant aux Indiens et qui devaient être versés entre les mains de « la petite Corneille » et d'autres chefs ou membres de sa tribu. L'or faisant très forte prime à ce moment-là, l'agent en profita : il l'échangea contre du papier et, mettant la différence dans sa poche, prétendit payer les Sioux avec des billets de banque.
Lorsque les paiements commencèrent, « la petite Corneille » connaissant les droits que lui donnaient le traité, déclara : « Dollars or valoir plus que dollars papier ; toi payer or ! » L'agent refusant, la révolte éclata. Ce n'est là qu'un exemple entre des vingtaines, où l'égoïsme et l'ambition de quelques individus ont amené des soulèvements dont les résultats se chiffrent par des centaines de morts et des millions, perdus pour le Trésor. En outre, ces mêmes fonctionnaires sans scrupule, désireux de cacher l'énormité de leurs crimes et de distraire l'attention d'eux-mêmes et de leurs malversations, subornent la presse et d'autres complices pour discréditer systématiquement leurs victimes et représenter cette race sous un faux jour.
« Demeurez avec nous et soyez notre pasteur, me dirent un jour un groupe de colons, nous vous procurerons un bon emplacement ; nous vous aiderons à faire quelques récoltes, et ferons tout notre possible pour que vous vous trouviez bien au milieu de nous. » Voyant que leurs instances ne nous ébranlaient pas, ils changèrent de tactique et l'un d'eux se mit à dire : « Vous ne franchirez jamais le territoire des Indiens du nord avec ces jolis chevaux et tout votre bel attirail. - Oh que si ! répliqua M. Mac Dougall ; nous avons un petit drapeau qui nous fera traverser sûrement n'importe quelle tribu de l'Amérique. » Ils mirent fortement en doute cette assertion. Cependant elle se réalisa littéralement, en tout cas en ce qui concerne les Sioux, car lorsque, quelques jours après, nous les rencontrâmes, notre bannière étoilée fixée à un manche de fouet leur fit jeter leurs fusils dans l'herbe et accourir vers nous les mains étendues, nous faisant savoir par le moyen de ceux qui comprenaient leur langage qu'ils étaient heureux de nous voir et de fraterniser avec des sujets de leur « grande mère » au delà des eaux.

CAMPEMENT D'INDIENS

Lorsque, continuant notre route vers le Nord, nous atteignîmes leur domaine et que nous les vîmes descendre sur nous, nous conformant aux ordres de notre chef, nous cachâmes nos armes dans les wagons et nous allâmes à leur rencontre comme des amis sans défiance. Ils fumèrent le calumet - pipe - de paix avec ceux d'entre nous qui pouvaient faire usage de l'herbe détestable qu'ils y consomment et burent du thé en compagnie des autres. Avec ma femme et moi qui ignorions aussi complètement leur langue qu'ils ignoraient eux-mêmes la nôtre, Ils ne purent s'entretenir que par quelques signes, mais, par M. Mac Dougall et par les Indiens qui faisaient partie de notre troupe, ils nous assurèrent de leur amitié. Ce soir-là nous dressâmes nos tentes, entravâmes nos chevaux et les lâchâmes comme de coutume, puis nous nous mimes à faire cuire notre repas, à dire nos prières, à dérouler nos lits de camp et à nous coucher sans aucune sentinelle, ni aucune protection humaine quoique nous pussions voir à peu de distance les feux de bivouac de cette tribu « traîtresse et altérée de sang » et que leurs yeux perçants fussent sur nous. Telles furent nos relations avec un peuple qui, s'il est prompt à ressentir l'offense, est non moins sensible aux bons procédés et qui se montre aussi fidèle que n'importe quelle race à ses promesses et aux obligations que lui imposent les traités.

Nous mîmes trente jours à franchir la distance qui sépare St-Paul des établissements de la Rivière-Rouge. Il fallait passer à gué nombre de rivières naturellement veuves de ponts. Plus d'une fois, trois ou quatre jours s'étaient écoulés avant que nous eussions, pu faire passer à l'autre rive toute la caravane. Parfois tel des wagons restait pris dans le sable mouvant ou bien dans une fondrière et il ne fallait rien moins que les forces combinées de toute la partie masculine de notre petite armée pour le tirer de ce mauvais pas. Souvent les dames se déchaussaient et pataugeaient bravement à travers de larges cours d'eau là où les voyageurs filent maintenant à toute vapeur, faisant soixante kilomètres à l'heure, dans des wagons-salons et des coupés-lits.

Somme toute, le temps fut agréable, toutefois nous eûmes à essuyer plus d'une fameuse averse. Dans ces moments-là l'entrain de quelques-uns d'entre nous subissait une éclipse et ils se demandaient ce qui avait jamais pu les inciter à quitter leurs foyers, asiles de la joie et du confort, pour un tel exil et de telles misères. Un soir que nous campions sur la berge occidentale de la Rivière-Rouge, nous fûmes assaillis par une effroyable tempête, une sorte de cyclone. Les tentes furent instantanément renversées, les lourds wagons poussés au large et pendant un temps il régna une confusion extrême. Par bonheur personne ne fut blessé et la plupart des objets qui avaient été emportés par le vent purent être retrouvés le lendemain.

Nos dimanches étaient des journées de paisible repos et de délicieuse communion avec Dieu. Ensemble nous adorions Celui qui ne demeure pas dans des temples bâtis par la main des hommes. Nombreuses furent les heures d'intimité bénie avec Celui qui, dans d'autres circonstances, avait été notre Consolateur et notre Refuge et qui, nous appelant à une vie toute différente de celle que nous avions connue jusque là et à une nouvelle activité, accomplissait envers nous avec amour sa promesse : « Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. »


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