Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



« Il y a un Dieu pour les buveurs ... »

CHAPITRE VIII
Où le lapin se mange avec la peau

 

S'il me fut épargné de passer le Nouvel an sous les verrous, je le dus à la seule miséricorde d'un gardien des entrepôts. Comme je me servais à un stock de liqueurs, dans les docks, j'entendis se fermer les grandes barrières d'entrée. La police allait faire une enquête, et mon arrestation était inévitable.

Pour m'en sortir, il me fallait la complicité du gardien. Je l'obtins avec une partie de mon butin, et je pus échapper de justesse au danger.

Mon Nouvel an ne fut marqué d'aucune résolution.

Il me restait quelques vestiges de conscience, mais je ne voulais pas laisser parler cette partie de moi-même. À l'ouïe d'une réunion cil plein air de l'Armée du Salut, je faisais un grand détour pour l'éviter, comme si les Salutistes avaient eu la peste !

Après les fêtes de l'An, mon porte-monnaie était à sec et mon crédit nul. Aussi, les liqueurs de ma propre fabrication se trouvèrent-elles bien utiles. Je savais faire une eau-de-vie très forte au moyen de sureau, de cerise et de dent-de-lion. Cette liqueur faisait pâlir d'envie mes soiffards de copains.

Malgré cette ressource, nous avions besoin d'argent pour les cafés : les brasseries fabriquaient une boisson meilleure et surtout plus abondante. Il nous aurait fallu les dents-de-lion de la moitié de l'Angleterre pour marcher de pair avec notre soif ! En outre, ces plantes sont presque introuvables en hiver.

Rien ne nous arrêtait dans notre recherche d'argent. Dans ce temps-là, nous nous entendions à attirer le détective des docks dans un guet-apens. Là, on le tenait en respect; parfois, ou le passait à tabac, pendant que les complices pillaient les dépôts de marchandises.

Ces mauvais tours renflouaient quelque peu nos finances, mais les choses ne tardaient pas à empirer. J'échangeai mon meilleur complet contre un mauvais et je «bus» le bénéfice ainsi réalisé.

Ma déchéance toujours plus évidente me fit perdre place après place. Bientôt je n'eus d'argent que celui que je mendiais. Je pris l'habitude de me rendre dans des endroits où l'on ne me connaissait pas; et là, j'entrais dans un café et me mettais à débiter une histoire de malchance et de déboires. Ce procédé m'a souvent réussi.

C'est dans une semblable entreprise que je rencontrai l'un de mes oncles, à Harlow. Il ne me connaissait pas; mais je 'pensais trouver chez lui l'occasion de boire un coup sur la foi de notre lien de parenté. Cela ne manqua pas. Je le trouvai au milieu de quelques ganaches. Il était un compagnon rêvé pour moi : il buvait comme un chantre. Je me joignis à lui avec délices, puis nous nous mîmes en route pour aller chez lui.
«J'ai un garenne pour dîner; tu verras, ça sera bon !», marmottait-il tandis que nous nous appuyons l'un à l'autre dans notre marche titubante.

Le civet de lièvre ne m'était pas inconnu, mais j'ignorais tout du lapin de garenne apprêté avec la fourrure. Mon oncle avait mis l'animal dans la marmite sans lui ôter la peau. Jusqu'à ce jour, je ne sais même pas s'il l'avait vidé ! Il m'affirma que c'était un magnifique lapin et qu'il l'avait volé. Ce dont je me souviens aussi, c'est que nous l'avons mangé.

À la maison, nous avions un chien. L'expérience lui avait appris que la boisson me rendait morose et quinteux. Dans mes moments de ribote, il observait une prudente réserve à mon égard. Une étonnante intuition lui montrait à quel degré j'étais pris de vin et s'il osait m'approcher. Bien souvent, j'ai mieux traité cette bête que ma femme et mes gosses. Larmoyant, gâteux, je caressais le chien et l'embrassais avec affection. Mais pour ma jeune femme, je n'avais que mauvais traitements et jurons.

Un dimanche que je rentrai ivre, je déclenchai une scène en jetant au chat le dîner que ma femme avait mis beaucoup de soin à préparer. C'était une simple variation dans mon habitude de le jeter au feu.

Je m'endormis, accoudé sur la table. En jouant devant la cheminée, mon petit garçon me réveilla. Irrité, je le poussai du pied sans qu'il s'y attendît. Dans sa chute, il se blessa an visage, et le sang se mit à couler.

Alors, toute l'indignation, la révolte et la honte de ces années terribles s'exprimèrent dans l'immédiate réaction de l'amour maternel offensé : ma femme bondit au secours de son enfant. Il y eut des paroles vives. J'en vins aux voies de fait; je lui lançai la boîte à thé et voulus la frapper. Elle se défendit, prit un couteau; en essayant de le lui arracher des mains, je me fis une vilaine entaille au poignet.
«Cette fois, c'est fini. Tu peux t'en aller!» vociférai-je en tâchant d'arrêter le sang. «Si tu n'as pas vidé les lieux avant mon retour, ce soir, je ne réponds pas des conséquences.»

Le souvenir de cette scène, tel qu'il me revient maintenant, me remplit d'un amer dégoût. Penser qu'un homme puisse descendre si bas...

Mais alors, tout me laissait indifférent. Tandis que ma femme emballait ses quelques effets pour partir et que les deux enfants - pâles, silencieux, apeurés, se blottissaient contre elle, je forçai leurs tirelires pour avoir de quoi m'enivrer.
Puis je sortis chercher l'oubli au cabaret...

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CHAPITRE IX
À fond de cale...

Dans cette soirée malheureuse où j'aurais eu le plus besoin d'eux, les copains étaient introuvables. Le sentiment d'avoir agi comme une brute, le désarroi de mes pensées, le souvenir du visage meurtri de mon petit garçon et des larmes de ma femme hantaient mon esprit. Vivement la joyeuse bande ! Mais où donc pouvaient-ils bien être ?

L'argent volé dans les tirelires de mes enfants ne contribuait guère à me tranquilliser. Il fallait bien être un sacripant de la pire espèce pour se soûler avec ces quelques sous, le pauvre trésor de deux bambins...

La bière me montant à la tête, je me mis à marmotter des menaces contre ma femme. Elle ne me quitterait pas, je le savais bien. Je résolus de lui donner une bonne correction, ce que je n'avais jamais fait. Mais moi aussi, je sentais bien que je n'oserais jamais. Au contraire, je redoutais de me retrouver face à face avec elle après l'odieux incident de l'après-midi.

Comme j'étais là à réfléchir, l'estaminet commença à m'apparaître sous son vrai jour, avec ses réclames vulgaires et ses appâts trompeurs. Toute gaîté s'en était allée. Je n'avais plus d'argent, plus d'amis; et cet esclavage de la boisson ne me donnait plus que de l'amertume.

Soudain, la conscience me vint de la ruine irrémédiable, de l'affreuse désolation qui menaçait ma vie. J'avais oublié toutes mes promesses, trompé la confiance de tous mes amis. Personne ne se fiait plus à moi, personne ne me respectait plus. De sombres jours m'attendaient...

Le plus terrible, c'est que je n'avais plus même foi en moi. Quelque chose me disait que jamais je ne renoncerais au vol et à la boisson. Ça ne valait plus la peine de vivre...
La Tamise n'était pas loin, roulant ses eaux profondes et ténébreuses vers la mer. Le clapotis de l'eau contre le quai faisait dans ma tête perdue comme une tranquille invitation : « Viens, et finis-en une fois pour toutes... »

Je sortis dans la nuit. Avais-je l'idée de mettre fin à mes jours ? Je ne puis le dire. J'étais à moitié ivre et fatigué, très fatigué de vivre. J'étais sûr de ne jamais pouvoir me tirer de la situation désespérée où mes égarements m'avaient mis. La force me manquait pour faire machine arrière et personne ne pouvait me la donner.

Tout à coup j'entendis chanter. On pouvait suivre la mélodie et les paroles :

«Jésus a dit : venez à moi,
Coeurs travaillés, chargés ! »

... Tout ce dont je me souviens ensuite, c'est que je me suis trouvé dans la salle de l'Armée du Salut. Les Salutistes connaissaient bien ma femme et ils avaient souvent prié avec elle pour mon salut. Aussi, ils étaient au comble de la joie de me voir à leur réunion. J'étais précisément le type d'individus auxquels ils s'intéressaient. Sur-le-champ, ils se mirent à prier pour moi.

Aussitôt, je me levai et sortis. J'errai quelques instants dans la rue, étourdi, chancelant, misérable. Puis, mécaniquement, je rentrai dans la salle.

La réunion de prière et d'appel était en cours et je devins immédiatement le point de mire de l'intercession de la foi.

La raison de tant de prières pénétra peu à peu mon esprit. Il me devint évident que le moment décisif de ma vie était arrivé.

L'officier s'adressait tantôt à Dieu tantôt à moi: « Donnez au Seigneur l'occasion de vous sauver. Vous qui avez si bien servi le mal, essayez de servir Dieu aussi bien. »

Cet effort de persuasion se poursuivit longtemps. Le chant était émouvant, la prière intense et persistante. Mon corps tremblait sous la marée montante d'une émotion qu'en vain je cherchais à contenir. Des flots de regret passaient sur moi à la pensée de mon terrible train de vie; du gaspillage énorme de temps, de forces, d'affections qu'il avait causé, la lutte héroïque de ma brave femme; le genre de vie conjugale et de foyer que je lui offrais; mon ignoble conduite envers mes enfants - tout cela traversait mon esprit avec la lucidité de l'éclair, pendant que je me tenais collé à ma chaise et que se livrait la bataille de mon salut.

Il passa en moi comme la vision d'une haute montagne infranchissable. C'étaient tous les péchés de Harry Bass, toutes les habitudes, toutes les chaînes qui le retenaient captif. Jamais, il ne pourrait passer cette montagne et arriver à une vie nouvelle. Et alors il me sembla voir une ouverture se dessiner à travers la montagne, un passage qui menait de l'autre côté - le chemin, c'était Jésus-Christ.

La tension devint insupportable. Il fallait ou bien sortir du milieu de ces gens, ou bien aller au banc des pénitents. Je me dirigeai vers ce banc, devant l'estrade, et là je me mis à genoux.

On forma autour de moi un cordon de prière. Il y avait ici Harry Bass, le plus grand ivrogne de la ville, l'un des pires garnements du comté d'Essex. Et s'il se produisait le pire des pires...

Mais les Salutistes ne s'inquiétaient pas du degré de ma dépravation. Pour eux, la question ne devait pas se poser. Ils croient que personne n'est trop mauvais pour être converti, changé, sauvé du mal.

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CHAPITRE X
Le converti ne tiendra pas !

Se convertir dans une ambiance de prière, d'amour et de chaude sympathie était une chose; et se maintenir dans cet état béni et bienheureux en était une autre.

Les Salutistes avaient remarqué la blessure de mon poignet; le sang coulait encore tandis que je priais au banc des pénitents. Je leur dis assez de mes circonstances pour donner l'impression que quelque chose n'allait pas à la maison. Quelques-uns s'offrirent à m'accompagner, mais je leur assurai que tout irait bien.

Je me sentais comme au septième ciel. Les émotions éprouvées dans cette réunion me laissaient débordant de joie. Je rentrai chez moi dégrisé - c'était en soi un événement ! - et le coeur léger.

Mais comme beaucoup de convertis, je dus m'apercevoir qu'à un énorme flux de sentiments et de ferveur succède souvent un reflux qui laisse le coeur sec et vide de bonnes dispositions.

Chez moi, pas de lumière; aucune parole de bienvenue, d'encouragement, de louange à Dieu. La pensée ne me vint pas tout de suite que ma femme ne pouvait guère me faire un tel accueil, ne sachant rien de ce qui s'était passé. Je me ressouvins avec le pénible sentiment de retomber sur la terre que ma femme était sur le point de m'abandonner. La conversion ne défait pas le mal commis aux jours de débauche. Il me restait à débrouiller les circonstances désastreuses de ma vie de famille.

J'appelai. Pas de réponse. J'allai dans la chambre à coucher et j'annonçai la nouvelle comme si elle devait tout arranger : « Tout va bien, maintenant; je me suis converti ce soir à l'Armée du Salut».

Ma femme n'en voulut rien croire. Elle avait pourtant prié longtemps, elle avait cru qu'il y avait du bon en moi et que je m'amenderais un jour. Mais ce soir-là, elle avait abandonné son dernier espoir dans les heures cruelles qu'elle venait de vivre.
« J'ai déjà entendu ces histoires-là - tu as bu ! »

Non seulement je revins sur terre, mais je m'effondrai. Un sentiment bien connu de dépit réapparut et lutta furieusement pour s'affirmer. Une folle envie me vint d'aller de ce pas trouver les copains et de prendre une cuite carabinée.

Ma plus grande victoire n'a pas été remportée au banc des pénitents, mais là, auprès du lit de ma femme que j'avais fait tant souffrir.

Je m'agenouillai et dans un langage bien nouveau pour moi, je cherchai les mots qui devaient marquer mes premiers pas sur la voie difficile de la réhabilitation : « Florence, ça te paraît incroyable, mais c'est vrai. Je suis allé au banc des pénitents de l'Armée du Salut. J'ai prié, j'ai cru ce qu'on m'a dit. Je suis pardonné; je ne veux plus rien avoir à faire avec la boisson. Je regrette de t'avoir maltraitée. Bien sûr, on ne peut pas défaire son passé avec des paroles. Mais tu verras, je veux te prouver ma sincérité par des actes. Tu crois en Dieu, tu as prié pour moi ! Il faut que tu me donnes une occasion de mieux faire, maintenant!»

Pendant quelques jours, ma femme ne sut pas au juste si elle devait me prendre au sérieux. Mais les actes finirent par la convaincre de ma décision d'en finir avec ma vie de pochard.

Les buveurs ont souvent besoin de médecins, de cliniques et de psychiatres pour les aider à rompre avec l'alcool. J'admets que pour moi, ce fut terriblement dur; je n'avais ni médecin ni psychologue pour me porter secours, à moins que vous ne comptiez les Salutistes comme psychologues. Pour sûr, ils m'appuyèrent, ils me donnèrent au bon moment les encouragements qu'il me fallait: ils veillèrent aussi à ne pas me laisser seul trop longtemps et à bien occuper mon esprit.

L'ivrognerie m'avait amené à l'extrême degré d'intoxication. Jusque là, j'avais pratiquement vécu de bière. Ce fut un changement d'importance que de passer brusquement d'un régime de malt, d'orge et d'alcool, sous forme entièrement liquide, à la diète solide et orthodoxe des trois repas par jour. Je tombai malade. Mon esprit s'accommodait fort bien de cela, mais mon être physique regimbait contre ce revirement soudain.

C'est alors que je débutai dans mon apprentissage de la prière. Je découvris une puissance merveilleuse, supérieure à celle des docteurs et des psychiatres, et accessible à l'homme humble et sincère dans sa recherche de Dieu.

Au travail, on misa sur la durée de ma conversion. Cela s'est produit pour beaucoup de convertis avant et après moi. Mais là-bas, dans les docks, je vous assure que ce n'était pas drôle. On savait mes chances de tenir bien précaires et on me fit la vie dure pendant longtemps.

On me donna une semaine, puis un mois. Enfin, nous devions avoir trois jours de congé consécutifs et les copains s'attendaient à me voir flancher pendant ces jours où le souvenir des bonnes bombances d'autrefois se ferait plus insidieux. Mais je tins bon, grâce au soutien de ma femme et aux encouragements reçus de mes nouveaux camarades salutistes.

Dès ce moment, les spéculateurs renoncèrent à parier sur mes chances de fausser compagnie aux abstinents. L'impossible était devenu possible : Harry Bass s'enrôlait bel et bien sous le drapeau des buveurs d'eau. Ainsi, les brasseurs perdaient une source de revenu, la police se trouvait déchargée d'un de ses grands soucis et l'Armée du Salut renforcée d'un soldat.

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CHAPITRE XI
Vers un plus bel intérieur

Même les athées du moins ils se disaient tels - me complimentèrent sur ma conversion. « Nous ne croyons pas à l'existence d'un soi-disant Dieu », dit l'un d'eux. «Mais si cette idée d'entrer dans l'Armée du Salut et de cesser votre vie de patachon persiste, ce sera une bonne affaire pour votre femme et vos gosses. »

D'une manière encore vague et mal assurée, je me disais au-dedans de moi que seul un Dieu merveilleux avait pu faire le miracle qui m'était arrivé. Bien des fois, j'avais essayé de m'améliorer; en pleurant, je prenais en pitié mon sort misérable; en voyant la débâcle de ma vie, je décidais fermement d'arrêter de boire, de voler, de jouer à l'argent. Rien à faire. C'est allé ainsi jusqu'à ce que je reconnaisse ma totale faiblesse.

J'étais un fripon, je le savais bien. La maîtrise de soi, le renoncement à soi-même, le commencement d'une page blanche, tout cela me laissait aussi froid qu'un glaçon. Chez moi, ça ne répondait pas.

Ainsi, le miracle qui m'est arrivé en cherchant Dieu est d'autant plus étonnant. Car il est bien arrivé à moi, Harry Bass, une caricature d'homme, un gars brûlé d'alcool, un drôle au nom taché d'infamie ! A mon avis, cette chose merveilleuse rend inutile et oiseuse, dès maintenant et à jamais, la question de savoir s'il se passe, oui ou non, des miracles.

Il fallait bien une force au-dessus de moi pour me permettre de passer devant un cabaret ou de regarder une chope en face sans désirer boire la moindre goutte de bière. Et que cette force puisse être donnée à Harry Bass, un homme sans caractère - ça, c'est un miracle, et un miracle prodigieux!

Peu après ma conversion, je suis allé au café pour solder un arriéré. Ç'avait été ma pinte préférée. On m'offrit un bock. Quelques clients me regardaient d'un air moqueur : j'allais peut-être me laisser faire au moins pour « une bière »... Je payai ma dette et déclarai au patron ma résolution d'en finir avec tout cela. Il en eut du plaisir et pourtant, comme il me le fit remarquer, ma nouvelle ligne de conduite tendait à réduire ses profits.

Il était un homme très correct; en général, les cafetiers le sont. Après avoir commencé d'écrire ce récit, je reçus une lettre de l'un d'eux : « Ce sont, disait-il, des soûlards comme vous qui font le mauvais renom des cafés et des cafetiers». Rien n'est plus vrai. Mais le pire, c'est qu'il y en a tant dans le même cas que moi. L'honnête tenancier, qu'il s'en rende compte ou non, participe souvent à l'avilissement de gens qui, sans la boisson, seraient tout à fait honorables. Les ménages s'en vont à vau-l'eau, les enfants souffrent, les femmes sont maltraitées par 'des maris qui, de sang-froid, peuvent être pleins d'égards et de gentillesse.

Mais trêve de sermons ! Des années d'heureuse abstinence parlent mieux que tous les discours.

Quelques semaines après avoir cessé de boire, je fus ébloui de constater l'augmentation très considérable de mes moyens pécuniaires. J'avais de l'argent en poche et peu à peu les miens purent avoir la vie un peu plus belle que pendant les années où même le nécessaire leur faisait souvent défaut.

Le premier pas dans ce mouvement ascendant fut de déménager dans un logement plus spacieux et plus convenable. Dans ce temps-là, on trouvait des appartements à louer dans n'importe quel quartier, pourvu qu'on en ait les moyens.

Quitter notre ancienne demeure, le taudis des mauvais jours, c'était comme sortir de quarantaine pour s'en aller vers le Nouveau-Monde. L'atmosphère du foyer n'y avait jamais régné; au contraire, je m'étais efforcé d'en faire un lieu de tourments. Même en vivant jusqu'à cent ans, je ne pourrais jamais réparer la somme de souffrance dont fut témoin le misérable logis où j'ai conduit ma fiancée le soir de nos noces. En y entrant, j'avais été à moitié ivre. Maintenant, c'était un homme nouveau en Christ qui en sortait, laissant derrière lui une odeur de bière et de honte.

Tout ce qu'il me fallait pour posséder un intérieur agréable, c'était de l'argent et du bon sens. Maintenant, par bonheur, j'avais un peu des deux. Une harmonie toute nouvelle s'établit entre ma femme et moi. Ensemble, nous allions faire des emplettes; nous choisissions telle ou telle pièce de mobilier pour la maison - et il n'était pas question de crédit, je vous prie ! Notre foyer commençait enfin à mériter ce nom.

Je me joignais à l'Armée du Salut dans ses réunions en plein air, vêtu d'un complet neuf, payé comptant de mon propre argent. Les gens sortaient dans la rue pour me voir, comme s'il y avait eu là un clown de cirque ou la fanfare municipale ! Pensez donc, Harry Bass, le fameux Harry Bass, qui chantait des hymnes avec les Salutistes, en pleine rue ! Et puis il y avait mieux : Harry Bass n'avait plus touché une goutte d'alcool depuis des semaines. Tout cela était connu loin à la ronde; mais on voulait voir ce phénomène de ses yeux, comme si on avait douté de la rumeur publique et des facultés de son esprit.

De bonnes gens redoutaient l'approche de Noël pour ma foi encore mal affermie. Effectivement, mes anciens copains m'avaient gardé, j'ignore dans quelle intention, sur la liste des membres de leur club. Cela me donnait part aux bénéfices de la société qui se distribuaient peu avant Noël. Le quartier général du club était installé pour l'occasion à l'«Hôtel des Bateaux» où j'avais pris des cuites retentissantes.

Les bombardiers allemands ne m'ont jamais effrayé autant que cette visite aux lieux témoins de ma mauvaise conduite. Mais le miracle durait toujours! Je souhaitai un joyeux Noël à toute la compagnie, mis l'argent dans ma poche et sortis. Les camarades ouvrirent de grands yeux, comme devant le fantôme de Hamlet. Après ça, ils rayèrent mon nom de la liste. Harry Bass était exclu.

Il doit y avoir quelque chose de vrai dans les paroles que les Salutistes chantent parfois en plein air : « Les jours des larmes sont passés; je ne suis plus esclave ! » - Quel beau Noël nous avons eu ! Mes enfants n'en croyaient pas leurs yeux et ma femme devait se pincer pour s'assurer que ce n'était pas un rêve. Je l'aidai à préparer le dîner; puis, à table, je lui fis des éloges sur son talent de cordon bleu. Elle en est sûrement tombée des nues !

Comme nous avions un peu plus d'argent qu'il nous en fallait, nous convînmes, ma femme et moi, de préparer de petits dons d'épicerie pour quelques personnes que nous savions dans la difficulté. Était-ce possible ? Le ci-devant fêtard, Harry Bass toujours sans le sou (en tout cas pour le bien !) transformé en Père Noël !

Tout ce que je puis ajouter, c'est que le bonhomme qui ne croit pas aux miracles après ça aurait grand besoin de se faire examiner la tête !


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