Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



« Il y a un Dieu pour les buveurs ... »

CHAPITRE IV
Le marié est ivre pour la noce

 

L'amour d'une femme est chose merveilleuse. Je désire vous parler de Florence, la jeune fille qui eut foi en moi quand cette foi tenait du miracle.

Florence était salutiste. Nous nous connaissions depuis notre enfance et, pour ainsi dire, il avait été toujours entendu que nous étions promis l'un à l'autre.
Quand je me mis à boire, à jouer à l'argent et à faire tout sauf le bien, les gens conseillèrent à Florence de se garder soigneusement de moi : « C'est une canaille», disaient-ils.

Rien n'était plus évident, et pourtant Florence ne m'a pas planté là. Ce n'était pas qu'il n'y 'eût d'autres prétendants. Un jour je me suis trouvé nez à nez avec un galant qui faisait les yeux doux à ma belle. «Écoute-moi bien, mon vieux ! » lui criai-je en l'empoignant par le bras et en le faisant pirouetter, mon poing droit levé en signe de menace : « Florence est à moi, ... pas ? Si je t'attrape à essayer de me la prendre, tu le regretteras ! »
On me craignait tellement qu'on ne me résista plus. En état d'ivresse, j'étais brutal et dangereux. Le bruit se répandit que Harry Bass fréquentait Florence, et cela suffit à décourager les autres soupirants.
Dans les romans, la suite normale de l'histoire aurait voulu que le mauvais sujet soit racheté par l'amour d'une jeune fille vertueuse. Mais dans mon récit, il est question de la vie telle qu'elle est. Je n'ai pas changé du tout.

Au temps de mes fiançailles, je me trouvais un jour dans un cabaret, ivre et d'humeur ombrageuse, quand un jeune casse-cou eut l'audace de me contredire. Ses copains prirent parti pour lui si bien qu'avant longtemps, je me battais contre six adversaires ! Il était périlleux de s'attaquer à moi, car je n'observais aucune règle. Les bouteilles et les verres se mettant à voler en tous sens et les coups de pieds répondant aux coups de poings, les six vidèrent les lieux, me laissant seul au milieu des décombres du café, sous le feu de la colère du Patron.

Je promettais d'aller chercher Florence pour sortir avec elle; mais en rentrant du travail, j'entrais dans les estaminets pour boire un coup et faire une partie de cartes, et j'oubliais complètement le rendez-vous.

Une fois de plus, je perdis mon emploi à cause de mes fréquentes escapades. Malgré cela, je ne voulais pas admettre que mes ennuis étaient dus à ma stupidité; je mettais la faute sur les patrons, les contremaîtres, sur tout le monde sauf moi. Je me mis à nourrir une grande pitié pour moi-même. «Tout le monde est contre moi», me disais-je souvent.

Des agitateurs se servaient de moi pour discourir au coin des rues. Juché sur une caisse à savon, je tempêtais contre les patrons, les pasteurs, l'Armée du Salut, tout et tous.
La réputation d'être un fauteur de troubles me précédait partout. Les entreprises qui m'avaient eu à leur service savaient que non seulement j'avais des embêtements constants, mais que j'en causais aussi de nombreux aux autres.

Bien que jeune encore, je portais déjà des signes de corruption. Il me fut rappelé, et je sais que c'est vrai, que pour me laver le visage je prenais la serpillière à récurer les planchers.
Même alors, bien avant ma conversion, les Salutistes faisaient tous leurs efforts pour me «capturer». Le fait qu'ils voyaient en moi un cas éventuel de conversion en dit long sur leur foi.
Je m'approchais de leurs réunions en plein air, toujours ivre bien sûr, et je chantais n'importe quelle chanson profane ou licencieuse. J'interpellais l'orateur et je troublais beaucoup la réunion.
On allait informer la police : « Harry Bass est de nouveau en fête ! » Et deux solides gardiens de la paix apparaissaient avec le mandat de me «mettre dedans».

Chaque fois que c'était possible, les Salutistes m'emmenaient dans leur local pour m'épargner une nouvelle arrestation. Bien souvent, ils m'ont lavé, donné du café chaud, puis reconduit chez moi.

Même ainsi, les rapports de police devinrent monotones par leur fréquence : « Ivrognerie et perturbation de l'ordre public»...
Quand j'étais au bar en train de faire une bombe à tout casser et que la police patrouillait dehors, le barman, me prenant en pitié, se hâtait de me hisser sur un siège derrière la porte. Tout allait bien s'il me restait assez de sang-froid pour me maintenir dans cette position. Mais souvent, je ne réussissais qu'à me laisser crouler par terre, ivre mort. Alors, chaque fois que la porte s'ouvrait, elle cognait contre moi. Je me suis retrouvé tout meurtri et endolori le lendemain d'une cuite, sans savoir comment je m'étais fait arranger de la sorte.

C'est alors, croyez-le ou non, que Florence consentit à m'épouser. Pour beaucoup de gens, elle perdait son bon sens. Bien sûr, mais elle savait ce qu'elle faisait. Elle avait confiance en moi et, ce qui est plus important, elle avait foi au Dieu qu'elle priait en ma faveur.
Elle prenait un gros risque, mais le prix en valait la peine : il n'était rien de moins que l'âme d'un homme. Voici sa façon de voir la chose : elle ne m'aimait pas comme j'étais; elle aimait l'homme que je pouvais être. Elle croyait que l'homme que je pouvais être avait besoin de Florence pour l'aider à se trouver soi-même.

La noce eut lieu le jour de Noël. Le matin, je me rendis au match de football et naturellement, je bus quelques verres. L'argent ne manquait pas, et l'atmosphère généreuse de Noël non plus. Les camarades me taquinèrent en prétendant que je devais leur payer une tournée à tous. Bêtes que nous étions, nous avions l'idée que le mariage n'allait pas sans être copieusement arrosé.
La fine pointe de l'affaire fut que j'arrivai à l'église aux trois quarts ivre et très en retard. La mariée avait dû attendre et les invités y étaient allés de leurs « Je vous l'ai toujours dit» au point que la courageuse fille s'était mise à trembler devant un risque décidément trop grand.
Mais je m'entendais à porter ma dose de liqueur, et le pasteur put officier sans autre incident.

À la sortie, le club de football formait une garde d'honneur en élevant des touffes d'herbe au-dessus de nos têtes en un semblant d'hommage. Quelques-uns nous bombardèrent de ce qu'on appelait « des confettis irlandais », c'est-à-dire un mélange de gravier et de cailloux. Voilà quel début de vie à deux j'offris à la merveilleuse fille qui voulait bien m'épouser. Même la réception qui suivit fut une vineuse affaire : l'eau-de-vie et le fruit de la vigne y coulaient généreusement. Et avec cela, le seul logement que moi, Harry Bass, qui avais gagné ma part d'argent, pus offrir à ma femme, consistait en deux pièces très pauvrement meublées.
Sauf pendant l'affaire de quelques jours, le mariage ne fit pas de moi un homme meilleur. Je m'enivrais dès que je trouvais moyen de mendier, d'emprunter ou de voler de l'argent. Il fallait désespérer, semblait-il, de me voir jamais changer de vie.

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CHAPITRE V
Le chapardeur des docks

La passion du jeu m'obligeait à hypothéquer mon salaire avant le jour de paie. Mes gains n'étaient déjà pas très élevés car la boisson faisait de moi un ouvrier peu digne de confiance.

Au milieu de la semaine, il me venait tout-à-coup la conviction absurde que tel cheval, à coup sûr, gagnerait aux courses. Il avait toutes les chances de son côté, et je pensais qu'en pariant sur lui, j'arriverais à payer mes dettes, à calmer ma femme et à continuer de faire la noce.
Mais le plus souvent, « mon» cheval s'en tirait avec la mention « courut aussi ». Et ma jeune femme se trouvait sans argent à la fin de la semaine, elle qui faisait l'impossible pour bien tenir le ménage.

Je ne voulais pas prendre les mesures qu'il aurait fallu pour sortir du pétrin où nous étions. J'étais un habile ouvrier, formé par un long apprentissage, et un travail acharné m'aurait largement tiré d'affaire.
Mais le remède que je préconisais , C'était le jeu, et j'obtins le résultat auquel arrivent la plupart de ceux qui tentent de s'enrichir par ce moyen.

Notre premier enfant naquit : un magnifique garçon. Nous l'appelâmes Harry. Dans mon orgueil de père, je voulus trouver de l'argent par tous les moyens. C'est ce qui me poussa au vol. Ce furent d'abord quelques larcins dans les entrepôts des docks : habits, tabac, bouteilles de vin. Bientôt, je fis main basse sur n'importe quoi, et je vendis mon butin pour payer des dettes contractées au jeu.

La naissance de ce beau garçon fut profanée par un usage en cours chez les amis de la dive bouteille: on se devait d'«arroser» la tête du poupon. J'invitai les poivrots de tout le quartier à venir au café pour célébrer avec moi l'heureux événement. Ainsi, l'arrivée de cet enfant, au lieu de me rapprocher de ma femme, ne fit que me confirmer dans mon intempérance.

La foi de ma femme se mit alors à vaciller. L'officier de l'Armée du Salut lui rendit visite et lui demanda si elle croyait toujours que je me corrigerais. En larmes, le coeur brisé de chagrin, Florence dut répondre qu'elle en avait perdu l'espoir.

Lors d'un derby très mouvementé, je pariai gros sur un cheval qui effectivement gagna. Ne me sentant plus de joie, je me précipitai chez moi pour annoncer la grande nouvelle. En temps normal, j'aurais pris le chemin du café. « Elle» ne fut pas contente ! Je lui offris une nouvelle robe, mais elle ne voulut rien de cet «argent souillé».

L'oreille basse, je partis au café et je payai à boire à toute la clientèle jusqu'à épuisement total de la somme rondelette gagnée aux courses. Ce soir-là, je bus même à crédit. Voilà la vie que je menais en un moment où j'étais criblé de dettes et où le manger, le vêtement et le mobilier faisaient cruellement défaut à la maison.

Avec le temps, un nouvel enfant arriva: une petite Florence. Mes deux bambins grandirent assez pour s'apercevoir et s'effrayer de mes tapageuses débauches et des pénibles scènes qu'elles occasionnaient

Je tiens à le souligner encore, je ne me complais pas dans ces confessions. Leur seul but est d'avertir un enragé de la boisson et du jeu qui brise le coeur de ses bien-aimés, comme je l'ai fait pour ma femme et mes enfants. Maintenant encore, la pensée d'avoir employé un langage malpropre devant ces innocents me fait rougir de honte. Mais dans ces jours-là, ce sentiment m'était absolument étranger.

Alors vint la grande guerre et, avec elle, un travail assuré, même pour un ouvrier aussi irrégulier que moi. Je savais manoeuvrer les grues géantes de Tilbury, et ma qualité d'ouvrier spécialisé m'interdisait d'entrer dans l'armée.

Il y eut une sensible augmentation des salaires qui aurait dû, semble-t-il, apporter des jours meilleurs à ma femme et à mes enfants. Hélas, le statu quo fut maintenu à cause de la hausse considérable du prix de la bière. En outre, la cadence du travail était telle, dans les docks, que ma constitution d'alcoolique réclamait de plus fréquentes doses de «revigorant».

La journée commençait toujours par l'absorption de rhum et de lait, tous deux assez coûteux. La montée en flèche du coût de la vie et de mon goût pour les boissons fortes fit que ma pauvre femme avait grand'peine à équilibrer son budget, même en limitant les dépenses au plus strict nécessaire. De mon côté, j'échappais à la misère et à l'amertume qui régnaient à la maison en passant tous mes loisirs au cabaret.

La maison me hantait comme un fantôme. Ma conscience, ou ce qui en restait, me mettait mal à l'aise devant la souffrance des miens. Au café, mon esprit troublé se laissait endormir par le dicton selon lequel «plus on est, plus on s'amuse». Je me dérobais à mes responsabilités.

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CHAPITRE VI
Combats de coqs et porcs en ribote

La clique à laquelle je m'associais dans mes équipées trouva le moyen de corrompre de respectables pourceaux ! On ouvrait la gueule à un de ces malheureux animaux et lui vidait de la bière « en bas la cheminée », comme on disait. Puis les paris allaient bon train sur les effets probables de l'alcool dans le comportement de la bête. Au fond, il y avait autant de valeur morale dans cet innocent spécimen de l'espèce porcine que chez certains d'entre nous, ornements supérieurs de la création !

En secret, nous apportions des coqs au café et les faisions se battre. Gageurs perpétuels, nous engagions des paris sur l'issue de ces combats. Sur un terrain vague, à côté d'un bar, nous faisions des courses avec une chope de bière à la main. Il s'agissait de ne pas renverser le précieux liquide, ce qui, bien sûr, ne manquait pas d'arriver. Tant pis pour la boisson qui se perdait : nous avions le plaisir du jeu et une bonne provision de bière en tonneaux!

Ces extravagances se faisaient aux dépens du bien-être de nos familles, mais nous nous appliquions à l'oublier. Je me mis à patronner fidèlement ce qui est la malédiction de l'ivrogne et du joueur invétéré - le mont-de-piété. Bien avant le jour de paie, mon meilleur complet, ma montre et d'autres objets de valeur qu'il m'était possible de mendier, emprunter ou subtiliser, passaient sous le comptoir du prêteur-sur-gage.

Parfois mes deux enfants venaient me rejoindre au café dans l'espoir que je reviendrais à la maison. Ils ont été bien rares, les moments où nous avons joué ensemble et où je me suis prêté à leurs caprices. Dans leur candeur enfantine, ils priaient pour que ces beaux moments reviennent. Malheureusement pour leur foi, je refusais de me laisser fléchir par leurs muettes supplications; je les renvoyais à la maison avec un biscuit ou une autre gâterie, puis me remettais à boire en les oubliant complètement.

Le dimanche, je prenais part à des courses attelées. On mettait à l'épreuve la force du cheval en attachant les roues du sulky et en forçant le coursier à traîner le véhicule freiné. De nouveau, c'étaient paris sur paris. D'autres fois, j'allais faire un tour à bicyclette en m'arrêtant aussi souvent que possible pour boire un coup.

Si la circulation avait été ce qu'elle est aujourd'hui, on ne m'aurait sûrement jamais vu revenir sain et sauf. Tant de fois j'ai roulé - quand je n'étais pas transporté - en état d'ivresse. À la maison, mon dîner attendait. Mais une fois de retour, je me trouvais incapable de manger, ce qui provoquait une fâcherie. Ah ! ces dimanches après-midi!...

D'avoir survécu à certaines de mes frasques me paraît extraordinaire, il fallait bien que je sois «un dur» ! Un soir, comme je rentrais en titubant, je m'écroulai à quelques mètres de chez moi. Il était tard. Personne ne prit garde à ma chute, ni ne voulut faire attention à mes cris. Je dus rester là jusqu'au matin. Il neigea pendant la nuit. Le jour me trouva grelottant de froid, à moitié blanc et à moitié mouillé. De nouveau, ma première réaction fut de réclamer à boire !

À Southend-sur-mer, je m'endormis pesamment sur la grève pour cuver mon vin. Les gens me croyaient seulement assoupi et ils s'amusèrent beaucoup de voir la marée me submerger lentement.

Une autre fois, aussi dans le sommeil de l'ivresse, je me fis littéralement piller; mon argent, ma montre et même les boutons de mon veston prirent la poudre d'escampette.

Je m'employais à récupérer des bouteilles à bière pour avoir de quoi pinter. Chaque sou empoché servait au même but. À la maison, le mobilier, la literie, les habits des enfants avaient grand besoin d'être renouvelés. La nourriture était maigre.

Souvent je ne me donnais pas la peine d'aller au travail, comme un gamin qui fait l'école buissonnière. Je prenais la direction du café et là, il m'arrivait de payer une «sentinelle» pour veiller à ce que mes patrons ne me trouvent pas en train de chopiner. S'il m'attrapait, le contremaître me faisait sortir rapidement du café car, en mon absence, il ne pouvait faire d'importants ouvrages, faute d'un ouvrier sur grue.

Un soir que j'étais responsable de cet engin, je m'attendais un peu à une rafle de la police. Les vols ne se comptaient plus et j'en avais pris ma bonne part. Un des trésors dérobés était une bouteille de rhum et je ne tenais pas à me faire prendre avec ce flacon. Or, la meilleure manière de le cacher, c'était d'en sabler le contenu. Mais une bouteille à la fois, ça dépassait la mesure, même pour moi. Je tombai bientôt dans l'inconscience.

J'avais rechargé la chaudière - c'était une grue à vapeur - et oublié de recouvrir le feu. Des fumées nocives emplirent la cabine. Sans l'intervention d'un camarade qui se hâta de me traîner à l'air libre, je serais mort d'asphyxie.

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CHAPITRE VII
Delirium tremens

À la longue, la boisson cessa tout à fait d'être un plaisir, pour devenir une sorte de rite terne et sinistre. Mes exploits de pochard, loin de me procurer le réconfort de l'amitié et l'apaisement d'une insatiable soif, avaient fait de moi le fléau de la région.

Pendant des années, il fut rare de me voir rentrer à la maison à l'heure du repas de midi, le dimanche. Semaine après semaine, ma pauvre femme faisait de son mieux pour me préparer quelque chose de bon. Mais dans la longue attente de mon retour, mon repas perdait son aspect appétissant et mon humeur s'en trouvait pire que jamais. J'ai pu éprouver dans toute sa misère le sort affreux de l'alcoolique.

Cependant l'Armée du Salut, dans l'ardeur merveilleuse de sa foi, essayait toujours de me sauver d'une totale dégradation. Souvent on entend les Salutistes chanter : « Jésus est fort pour délivrer ! ». C'est, je pense, ce qui les empêchait de désespérer de moi. Mais à ce moment-là, je ne leur témoignais guère d'estime pour leurs bonnes intentions.

La veille de Noël, je me rendis à Tottenham et j'y dépensai dans la plus parfaite insouciance une gratification de fin d'année qui aurait pu servir à gâter un peu ma femme et mes enfants. Ce soir-là, je rentrai chez moi dans mon habituel état d'ébriété. Dormant d'un sommeil agité, j'entendis la fanfare de l'Armée du Salut qui jouait des mélodies de Noël sous ma fenêtre, tout à mon intention. Il ne s'agissait pas d'une collecte, mais d'un nouvel effort pour me convaincre de la possibilité de mon salut.

Mais tout cela ne m'intéressait pas. Ces chants ne me disaient rien. De ma voix de rogomme, je profanai la « Sainte nuit» de la naissance du Sauveur en mettant des paroles malpropres et blasphématoires à cette belle mélodie. Ma femme en éprouva une honte intense et douloureuse.

Le matin de Noël, je me réveillai avec la vague impression qu'il s'était passé quelque chose de spécial. Ma femme me reprocha mon ignoble conduite et dans mon embarras, je ne vis pas d'autre issue que d'aller « noyer » l'affaire dans la boisson. Je ne prononçai aucune parole de regret.

Mais je ne trouvai personne, ce matin-là, qui voulût boire avec moi et m'offrir un instant de camaraderie. La vérité, c'est qu'au train où allaient les choses à la maison, au travail et au-dedans de moi, il devenait clair, même à mon esprit embué d'alcool, que ma vie allait à la ruine.

Cela ne me rendait que plus profondément malheureux; mais j'eus soin de n'en rien montrer. Je me fis un visage plein d'assurance et m'efforçai de faire croire que je me moquais de tout.

Le chant étant une manière de se donner du courage, j'infligeai à tout le quartier de puissants braillements. Tout mon répertoire, ou ce que j'en savais encore, y passa.
« Si vraiment, vous avez besoin de chanter, Harry, allez à l'église et donnez-vous en à coeur joie ! » avança mon propriétaire avec diplomatie. Mais ces propos, dans mon état de trouble intérieur, ne firent qu'attiser mon ardeur : je chantai de plus belle et plus fort que jamais. Quiconque en voulait un échantillon pouvait se servir !

Obligé de m'éloigner, j'entrai dans le café le plus proche, seulement pour découvrir que la nouvelle de ma mauvaise lune m'avait devancé.
« On ne veut pas te servir à boire parce que tu finiras par nous faire enlever notre concession ! » me lança le tenancier. « Si tu savais t'asseoir gentiment et boire ta bière sans faire de pétard, ça irait mieux... »

À mon retour chez moi, les miens faillirent tomber en pâmoison de me voir arriver à l'heure pour le dîner. La remarque du propriétaire - « Allez chanter à l'église ! » - me rongeait sourdement. Je lui avais mis pas mal d'argent dans la poche, à celui-là.

Il serait bon de pouvoir dire ici que cette remontrance me donna à penser et m'amena à changer de vie, comme on le lit parfois dans les livres. Hélas aucune pensée sérieuse ne m'affectait.

Durant la matinée, j'avais pris la résolution de tenir compagnie à ma femme et à mes gosses, au moins pendant ce jour de Noël. Mais ces bons sentiments s'évaporèrent. Il me fallait les copains des beaux jours, une bonne lampée et la «vraie» ambiance de guinguette. Impossible de soutenir le regard de reproche de ma femme et de mes enfants. Aucun repos pour moi. Je ressortis. En allant assez loin, je trouvai un estaminet où on voulut bien me servir à boire.

Ce fut à ce moment-là, aux environs de Noël, que j'eus mon premier accès de delirium tremens, cette terrible maladie du cerveau due à des excès prolongés de boisson. C'est souvent le commencement de la fin, la porte ouverte à de graves troubles cérébraux et même à la folie sous différentes formes.

Je me réveillais la nuit pour me trouver face à face avec une souris qui me fixait du regard dans un trou de la paroi. Je clignais des yeux, secouais la tête pour essayer d'échapper à cette apparition. Mais elle revenait. Parfois c'était un rat. Ces « animaux » avaient un aspect étrange, spectral; un air sinistre et moqueur. Je sentais bien que leur regard fixe et accusateur allait me rendre fou.

Mon lit tremblait et craquait, tant je me tordais d'horreur devant les images qui se dessinaient sur la paroi. Je glapissais les plus affreux blasphèmes en criant à Dieu de me foudroyer sur-le-champ, quand ces fantômes d'animaux me hantaient de leur regard hallucinant. La vision cessait pendant de courts moments, mais ce temps de répit était suivi d'un pénible réveil : un mal de tête effroyable, un corps tremblant, une soif dévorante et des nausées obsédantes. Je me murmurais à moi-même : « Il faudra que ça finisse, il faudra que ça finisse... » Mais quelques minutes plus tard, je tendais la main vers le « revigorant » pour inaugurer un nouveau jour de morne folie.

Il m'arrivait de n'avoir rien à portée pour étancher ma soif matinale. La veille, j'avais été trop ivre pour m'assurer une gorgée de rhum au réveil. Le dimanche, je partais dans la campagne et frappais à la porte d'un débit. J'exhibais un billet de chemin de fer en affirmant être un voyageur en quête d'un rafraîchissement. Le tenancier ne pouvait distinguer un ticket périmé d'un valable, et il me donnait à boire. Voilà à quelles manigances m'a poussé ma soif d'alcool.


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