Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Ténèbres et Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS DE MATHILDA WREDE

La foire annuelle de Rovaniemi.

 

Mathilda Wrede avait entendu raconter que la foire annuelle d'hiver à Rovaniemi avait un caractère très particulier. Des Finnois, des Lapons, des Russes, des Suédois et des Norvégiens y accourent avec les plus précieux produits du Nord, fourrures, viande de renne, peaux, gibier, poisson, etc. En même temps, on disait que les grands troupeaux de rennes que l'on amène à la foire étaient tués par les Lapons de la manière la plus cruelle. On ajoutait encore que les beuveries, le jeu de cartes, le charlatanisme constituaient les distractions les plus appréciées de la foire. Mathilda prit la résolution de se rendre compte de cet état de choses et de faire le voyage de Rovaniemi lors de la foire annuelle.

Lorsque la présidente de la Société protectrice des animaux de Finlande, Mine Constance Ullner, eut connaissance du projet de Mathilda, elle exprima le voeu d'accompagner dans son voyage « l'amie des prisonniers ».

Munies d'abondantes provisions de route et de vêtements chauds, ces dames partirent le 19 janvier 1912, pour se rendre dans ces lointaines régions du Nord. Elles emportaient avec elles, pour les distribuer, des traités religieux, des appels de la Société protectrice des animaux et des brochures de tempérance : en tout sept mille exemplaires. On raconta qu'en même temps que ces sept mille brochures, sept mille litres d'eau-de-vie parvinrent également à Rovaniemi.

Nos deux voyageuses passèrent un jour à Uleaborg par une température de - 37°. À Kemi, où elles furent obligées de s'arrêter la nuit suivante, le thermomètre à alcool marquait -41° ; la femme de l'aubergiste leur dit qu'à Rovaniemi il y avait d'habitude encore 10 degrés de moins qu'à Kemi. Toujours de bonne humeur, Mathilda, considérant ses mains s'écria :

- Ce n'est qu'un tout petit nombre de mes brochures que je pourrai distribuer avant que mes mains aient péri de froid ; le sort de mon nez ne sera certes pas plus enviable. Eh bien ! donc, adieu à mes pauvres mains et à mon long nez !

À ce joyeux propos, toutes les personnes présentes éclatèrent de rire.

Et voilà que, lorsque ces dames arrivèrent à Rovaniemi, il n'y avait que -36°, pas de vent, l'air était sec, bref, le plus magnifique temps que l'on puisse avoir dans le Nord.

C'est le jour après leur arrivée que devait commencer la grande foire annuelle, mais il y avait déjà beaucoup de monde dans toutes les rues. Les gracieux costumes des Lapons, confectionnés avec des peaux de rennes, attiraient tous les regards.

Mme Ullner devait faire des conférences sur la protection due aux animaux ; il y avait longtemps déjà qu'elle désirait porter secours aux rennes ; elle pouvait enfin s'acquitter d'un engagement solennel, pris envers le plus illustre fils de la Finlande, le poète Zacharias Topellus. Lui aussi avait été autrefois témoin, sur la glace, devant Uleaborg, d'un épouvantable massacre de rennes, et, dans la dernière année de sa vie, il avait mis sur le coeur de Mme Ullner le sort misérable des rennes sans défense. Elle avait déjà beaucoup écrit sur ce sujet, mais c'est dans ce voyage qu'elle eut l'occasion d'entreprendre pour la première fois une action directe en faveur de ces pauvres bêtes, et précisément à Rovaniemi, où s'étaient perpétrées déjà tant de cruautés.

Mathilda Wrede, pourvue des vêtements les plus chauds que sa garde-robe avait pu lui fournir, allait de côté et d'autre, un sac suspendu à son cou et un panier au bras, remplis tous deux de publications :

- Bonjour, mon ami ! Désirez-vous posséder un petit livre ? disait-elle à tous ceux qu'elle rencontrait.

La réponse était presque toujours la même

- Je ne veux pas ; ça ne me dit rien.
- Ça ne vous dit rien de recevoir un cadeau ?
- Un cadeau ? Alors vous n'êtes pas de Rovaniemi. Ici on ne donne rien. D'où venez-vous ? etc.

L'entretien se terminait presque toujours par l'acceptation des brochures offertes, quel qu'en fût le contenu. Mathilda était là bien dans son élément : elle pouvait parler à ces gens du Nord de ce qui lui était le plus cher au monde, du Dieu des hommes et des bêtes.

Quelqu'un lui raconta que, sur la grand'place de la foire, sur une rampe d'escalier, était assis un petit homme, tout maigre, qui chantait une chanson. Chaque strophe commençait ainsi : «Reeten Tiltu » et se terminait par ces mots : « ja lasrettiin vietiin » (« Tilda, fille de Wrede », c'est-à-dire Mathilda Wrede... «et fut amené au lazaret »). Le narrateur n'avait assurément pas écouté la chanson du commencement à la fin, mais il avait néanmoins compris qu'il y était question d'un prisonnier, tombé malade à KaKola et qui, grâce à l'intervention de Mathilda (Reeten Tiltu) avait été accueilli au lazaret.

La curiosité de Mathilda fut éveillée et elle se hâta de se rendre à la place indiquée. À sa grande surprise, elle se trouva en présence d'un détenu condamné à la détention perpétuelle, et qui avait été jadis envisagé comme «aliéné incurable ». En prison même, il avait commis un assassinat, ce qui lui avait valu de nombreuses années de captivité, jusqu'à ce qu'il ait été transféré à la fin dans l'asile des aliénés de Pitkäniemi, où il fut traité avec tant d'intelligence et de dévouement qu'il avait été rendu à la santé et à la liberté. Il chantait sa chanson à tous ceux qui venaient à la foire. Quel spectacle émouvant que la multitude, réunie sur la place, qui regardait et entourait le chanteur et la distributrice de brochures. Tous ceux qui furent témoins de cette scène en demeurèrent profondément impressionnés. Mathilda aurait voulu connaître la chanson de « Reeten Tiltu » tout entière, mais, à sa grande déception, elle ne réussit pas à l'entendre: le chanteur ne pouvait que sourire, pleurer, remercier des heures lumineuses qu'elle lui avait accordées durant sa détention. Les brochures qu'elle avait apportées furent bientôt toutes distribuées et elle dut retourner à l'hôtel pour s'en procurer de nouvelles.

Tandis qu'elle se réchauffait en buvant un peu de café, la sonnerie du téléphone retentit et quelqu'un l'appela à l'appareil. C'était un autre ancien détenu de Kakola qui avait entendu dire que Mathilda Wrede était à Rovaniemi ; on lui avait même indiqué l'hôtel où elle logeait. Dès qu'il eut entendu la voix de son ancienne amie, il s'écria dans un transport d'allégresse :

- Vous, ici ? Me permettez-vous d'accourir sans retard vous faire visite ?
- Certainement, vous serez le bienvenu
- Je viens tout de suite.

Ce qu'il fit aussitôt.

Partout en Finlande, au Nord comme au Sud, à l'Est comme à l'Ouest, Mathilda avait des amis dignes de ce nom, de fidèles amis.

Un soir, Mme Ullner et Mathilda purent admirer une aurore boréale d'une rare beauté, qui les remplit d'admiration. Mathilda aurait aimé être autorisée à se coucher, enveloppée de sa fourrure, dans un des traîneaux de la cour afin de pouvoir contempler tout à son aise l'aurore boréale dans le ciel étincelant d'étoiles. On lui refusa cependant la permission demandée, de la manière la plus formelle, tant à cause du froid que des personnes de tout genre venues à la foire.

Le jour suivant, Mathilda Wrede et Mme Ullner désiraient vivement assister à un des bals de la foire de Rovaniemi ; dans sa jeunesse, Mathilda n'avait eu l'occasion de voir que trois bals. Le prix d'entrée dans la grande salle de conversation était de un demi-penni par heure. Les pauvres gens, engourdis par la température très basse, en dépit de leurs vêtements épais, avaient besoin de chaleur et de mouvement, aussi étaient-ils accourus nombreux pour danser. Mathilda raconta plus tard que jamais elle n'aurait pu se figurer un bal aussi sérieux et aussi convenable. Tous les danseurs portaient leur pelisse et leur bonnet de fourrure. Pendant le jour, ils dansaient lentement, sans manifester aucune joie quelconque.

« Il est probable que le soir les choses se passent autrement, pensa Mathilda.

Grâce aux mesures prises par le gouverneur et aux efforts faits par plusieurs autres personnes, la foire de cette année-là se passa avec une dignité extraordinaire ; les hommes se conduisirent décemment et les bêtes n'eurent pas à souffrir de cruautés. Aussi est-ce enrichies de beaucoup d'expériences nouvelles et conscientes d'avoir agi de leur mieux, que nos deux voyageuses purent prendre le chemin du retour.

À la gare, au moment de monter dans le train regorgeant de voyageurs qui se dirigeaient vers le Sud, Mathilda Wrede avait peine à trouver une place pour elle et tous ses bagages. Quand elle s'approchait d'un compartiment, on lui criait, des fenêtres comme des marchepieds des voitures

- Ici, c'est complet !
- Il faut pourtant que je parte, répondait Mathilda, je sais bien que c'est complet, mais je vois aussi qu'il y a ici assez de gens aimables, qui, en dépit de cet encombrement, prendront soin de mon bagage et me trouveront un siège pour m'asseoir.

Ces simples paroles produisirent un effet merveilleux. Tous voulant être rangés dans la catégorie de ces « gens aimables », se mettaient à sourire et se serraient un peu plus, si bien que Mathilda ne tarda pas à avoir une bonne place, tant pour elle-même que pour tous les colis qu'elle emportait.

Quels fruits magnifiques peut produire un appel sans prétention, fait à la bienveillance des hommes! Le 1er mars, nos amies des animaux étaient de retour dans leurs demeures, sans avoir gelé en route et, de plus, fort satisfaites de leur voyage à la foire annuelle de Rovaniemi.


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