Ténèbres et
Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS
DE MATHILDA WREDE
Un condamné à
perpétuité.
Un homme d'un certain âge avait
été assassiné de la
manière la plus cruelle. Le coupable fut
arrêté, mais les circonstances de cet
attentat étaient si compliquées que
l'enquête dura fort longtemps. Pendant
l'instruction Mathilda Wrede apprit à
connaître le prévenu. Avec une
surprenante rapidité, celui-ci prit
confiance en elle; un jour, le poids de sa faute
lui parut trop lourd à porter : plein
d'angoisse il fit, devant elle et devant Dieu, une
entière confession de son crime.
Mathilda l'exhorta à
reconnaître, lors de sa prochaine
comparution, son entière culpabilité,
sans rien cacher et sans rien altérer de la
vérité.
- Je serais vraiment disposé
à le faire, déclara-t-il, mais
personne ne voudra me croire : j'ai
déjà dit des mensonges à tant
de reprises.
- Comme J'ai en vous la plus grande
confiance, dit Mathilda, je vais écrire au
juge que le crime a été commis
exactement comme vous l'exposerez. Comprenez-vous
que, par cette déclaration, je donne ma
parole en garantie de la vôtre ?
Le seul
pénitencier de femmes à
Tavestehn.
- Oui, je
le comprends, et c'est justement votre confiance si
grande et si admirable qui me contraint à
faire l'aveu loyal de mon forfait.
Mathilda écrivit au
président du tribunal, ainsi qu'elle l'avait
promis au prévenu ; elle n'en attendait pas,
pour autant, avec moins de frayeur, le
développement ultérieur de toute
cette affaire.
Elle apprit ensuite que le
détenu avait fait l'aveu complet de son
forfait et c'est d'un coeur joyeux qu'elle
reçut cette nouvelle qui la rendait presque
fière de son nouvel ami.
Lorsqu'ils se rencontrèrent
après sa pénible confession, ils se
serrèrent la main avec une profonde
émotion. Le malheureux fut condamné
à la détention perpétuelle,
mais Dieu, dans sa miséricorde, lui accorda
son secours durant cette douloureuse période
de sa vie. Peu à peu, au cours des
années, il se mit à faire à
Mathilda le récit de toutes les
circonstances de son existence. Un jour, comme la
conversation roulait sur sa mère, Mathilda
lui demanda s'il n'éprouvait pas le
désir qu'elle-même allât lui
rendre visite comme une lettre vivante : il accepta
cette offre avec une vive gratitude et la pria de
saluer aussi de sa part plusieurs autres
personnes.
Quelque temps après, pendant
un voyage en chemin de fer, Mathilda rencontra le
gouverneur général des chemins de fer
de l'État de Finlande. Au cours de la
conversation, elle en vint à parler du but
de son voyage : faire visite à la
mère du détenu.
Le directeur qui connaissait par
hasard l'endroit où vivait cette pauvre
femme, demanda à «
l'amie des prisonniers » comment elle pensait
s'y rendre par ces chemins détrempés,
emportés en certains endroits par les hautes
eaux du printemps.
Mathilda répondit:
- Avec un char ou un traîneau,
à cheval ou à pied, mais d'une
manière ou d'une autre, il faut que j'y
arrive.
- C'est impossible, lui dit le
directeur, en souriant, mais permettez-moi de vous
faciliter la chose dans la mesure de mon
pouvoir.
Mathilda Wrede fut amusée et
heureuse d'entendre le directeur
général donner l'ordre à Kervo
(une station du chemin de fer de Helsingfors
à Saint-Pétersbourg, où
débouche l'embranchement de la ligne de
Borgä), de faire stopper le train, à
une place déterminée, recommandant au
conducteur d'aider Mlle Wrede à descendre de
wagon. Et c'est ainsi que cela se passa.
Lorsque les travailleurs des champs,
occupés à ensemencer la terre,
s'aperçurent que le train s'arrêtait
en pleine campagne, ils crurent à quelque
malheur ; ils s'apprêtaient à se
précipiter au secours du convoi en
détresse lorsque celui-ci se remit en
marche. Mathilda était debout sur le
remblai, et, en face d'elle, de l'autre
côté de la large tranchée
pleine d'eau, se dressait la maisonnette de la
vieille femme vers laquelle elle dirigeait ses
pas.
Un ouvrier prévenant accourut
à son aide et la voilà bientôt,
les pieds mouillés, mais saine et sauve,
devant la pauvre femme si profondément
affligée, et à laquelle elle
apportait les salutations de son fils.
Quelques heures plus tard, sur
l'ordre du directeur général, elle
fut ramenée à Kervo sur une draisine
munie d'une couverture de voyage. Ce fut une grande
joie et une précieuse consolation pour la
vieille mère que de recevoir cet aimable
message de son fils qui devait mourir peu
après des suites d'une grave maladie.
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