Ténèbres et
Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS
DE MATHILDA WREDE
Quelques pages de mon
journal.
(Souvenirs d'un séjour
à la campagne avec Mathilda Wrede à
Punkaharju en 1906).
Ascension, 25 mai.
De bonne heure, le matin, nous nous
rendîmes à Willmansstrand et
montâmes à bord du bateau à
vapeur qui se dirige vers Nyslott. La
traversée du lac Saima était d'une
impressionnante beauté. Un voile gris-bleu
recouvrait le ciel et la terre, voile à
travers lequel le soleil, comme un grand oeil
baigné de larmes, nous regardait. Le lac,
parsemé d'îles couvertes de pins et de
bouleaux, était uni comme un miroir. Peu
à peu les nuées légères
se dissipèrent et la vue s'élargit
toujours davantage.
C'était jour de fête
religieuse ; les ondes étaient
sillonnées de grandes barques, sur
lesquelles ramaient des hommes et des femmes, se
rendant à l'église. À tous les
débarcadères montaient des gens, avec
lesquels Mathilda, fidèle à ses
habitudes, engagea bientôt des conversations
animées. Le même
jour, nous arrivâmes à Nyslott, puis
nous continuâmes notre voyage vers
Punkaharju.
La cloche du vapeur avait
déjà annoncé le départ
pour la seconde fois, quand un grand cortège
s'approcha du débarcadère, drapeau
flottant. C'était l'association
ouvrière de Punkaharju qui s'en revenait
d'une excursion à Nyslott.
- ça va être
intéressant, s'écria Mathilda, les
yeux brillants de joie.
À peine la foule avait-elle
envahi le bateau que déjà la
conversation était engagée avec
beaucoup d'animation.
- Je connais plusieurs associations
ouvrières, nous disait Mathilda, et je me
réjouis de faire la connaissance de
celle-ci. Tiens ! un si grand nombre d'hommes,
jeunes et forts, en excursion de plaisir et sans
eau-de-vie ! Et tout se passe avec ordre et
tranquillité ; c'est un vrai plaisir que de
voyager avec eux !
Un peu plus tard, ils se mirent
à chanter. Un jeune homme, doué d'une
très belle voix, était assis tout
près de nous ; à vrai dire, il
était seul à chanter, les autres ne
faisant guère que l'accompagner. Lorsqu'il
eut achevé, Mathilda Wrede lui
dit:
- J'aime les mélodies
populaires, que vous chantez, puis elle continua :
Vous avez reçu de Dieu un don merveilleux.
Pensez donc si cette voix était
consacrée à son honneur !
Il y avait là un homme trapu,
à la barbe noire, aux grands yeux
fanatiques. Il tendit la main à Mathilda et
lui dit :
- Ne me reconnaissez-vous pas
?
- Je ne puis en ce moment, me
rappeler votre nom; mais les
traits de votre visage ne me semblent pas inconnus,
répondit-elle.
- Eh ! bien, moi, je vous ai
reconnue tout de suite, reprit-il. je suis K. ;
nous nous sommes rencontrés à la
prison de Sörnäs.
Dès lors la conversation ne
tarit pas et l'homme avait plus d'une question
à poser au sujet de ses compagnons de
captivité.
- Voyez-vous, là-bas, cette
haute montagne avec l'édifice qui la
surmonte, dit-il, après un bref silence, en
montrant la maison de l'évêque de
Nyslott. Les serviteurs de Dieu devraient
être modestes et sans prétention. Mais
en Finlande, les ministres de l'évangile du
rang le plus élevé habitent sur les
plus hautes montagnes. En outre, cet
évêque s'est procuré une paire
de chevaux blancs avec lesquels il gravit la
montagne et en descend, croyant appartenir
déjà aux armées
célestes, avec les chevaux blancs, dont
parle la Bible.
- Vous êtes méchant, K.
; vous ne devriez pas vous moquer et faire un
mauvais usage des paroles de la Bible. Vous savez
bien que de tels propos me peinent
profondément et ne peuvent que vous nuire
à vous-même, dit Mathilda. Je puis, en
outre, vous rassurer au sujet de ces chevaux
blancs. Quand l'évêque en a fait
l'acquisition, il y a quelques années, ils
étaient gris, c'est l'âge qui a fait
blanchir leurs poils.
Chants et propos enjoués
firent passer rapidement les heures et c'est avec
le plus grand intérêt que toute
l'association ouvrière prêtait
l'oreille aux paroles de Mathilda Wrede.
Bientôt nous abordâmes au
débarcadère de Punkaharju ; devant
nous se dressait l'arête
d'une montagne couverte de puis hauts et
élancés.
Animée d'un profond respect
pour Mathilda, la foule attendit qu'elle fût
descendue à terre. K. portait son lourd sac
de voyage et il l'accompagna, en poursuivant une
conversation fort animée. Tous deux
ouvraient le cortège. J'étais
amusée et surprise tout à la fois de
voir, les suivant de près, un homme robuste
et de haute taille qui portait la bannière
de l'association avec une expression fière
et solennelle. Au sommet de la montagne nous
prîmes congé de nos nouveaux amis,
avec l'espoir de nous revoir
bientôt.
Encore un dernier coup d'oeil sur le
soleil couchant et sur les eaux, puis nous nous
retirâmes dans nos chambres, fatiguées
des diverses impressions de cette journée.
Vendredi, 26 mai.
Premier matin à Punkaharju.
Ployez les genoux et adorez ! c'est là ce
que nous crie la nature tout entière. Quelle
chose merveilleuse, que de vivre en communion avec
le Dieu vivant !... Nous étions assises sur
la colline du Runeberg et lisions ensemble un
émouvant récit : « Les
prisonniers de la forteresse ». Nulle part
ailleurs on ne peut le comprendre aussi bien
qu'ici, sur la hauteur.
Après notre lecture, nous
sommes allés au « Parc des
mélèzes ». Le chemin qui y
mène, est coupé
par la vole ferrée de
Nyslott, en construction au moment où nous
parcourions ces régions. Là, nous
rencontrâmes quelques-uns de nos amis de la
ville. L'un d'eux nous raconta que lui aussi avait
été en prison ; on voyait clairement
à quel point il était sûr de
trouver en se présentant ainsi à
nous, affection et compréhension
auprès de Mathilda.
Les ouvriers nous indiquèrent
le chemin qui conduit à une échelle
branlante qu'il nous fallut gravir pour arriver au
sommet d'une pente sablonneuse, puis, nous
continuâmes notre excursion.
Deux femmes ratissaient les feuilles
qui jonchaient le chemin. Mathilda naturellement
s'arrêta pour causer avec elles. Toutes deux
avaient déjà entendu parler de ces
dames étrangères qui avaient
montré, hier, sur le bateau à vapeur,
une si cordiale intelligence des
intérêts ouvriers. Une de ces femmes
était d'Oesterbotten. Quand Mathilda lui
raconta qu'elle était de Wasa, elle dit
:
- Alors vous vous appelez
Wasastjerna.
- Pourquoi donc ?
- Vous êtes de Wasa et Stjerna
signifie bien, en suédois, quelque chose de
très beau.
(1)
Après avoir
échangé quelques agréables
propos, nous quittâmes les deux femmes, sur
la promesse de leur rendre bientôt
visite.
Puis, nous continuâmes notre
route, pour arriver à une hutte petite et
misérable, tout au fond de la forêt.
Là, vivait une femme, entourée de
nombreux enfants, Un d'entre eux était
malade des suites d'une forte
atteinte de rougeole. Avec cette famille et dans la
même chambre, qui, certes, n'était pas
grande, vivaient encore un homme avec sa femme et
une jeune femme, avec un enfant nouveau-né.
Cette dernière n'avait pas de domicile fixe;
le père de son enfant l'avait
abandonnée ; ce vieux ménage l'avait
recueillie et l'entretenait.
Nous passâmes tout
l'après-midi sur l'arête de la
montagne ; il y avait là une place que
Mathilda Wrede affectionnait tout
particulièrement, parce que le sentier qui
la traversait était si étroit
qu'aucun voyageur ne pouvait le suivre sans que
Mathilda lui adressât quelque parole aimable.
Ce sentier nous faisait songer au chemin de la vie
éternelle, dont la Bible dit : Il y aura
là une route et un chemin qui s'appellera le
chemin de la sainteté... Ceux qui marcheront
dans ce chemin, les simples même ne
s'égareront point. (Es. XXXV, V. 8). il n'y
avait, à la lettre, qu'un chemin, qu'un seul
chemin ; à s'en écarter, l'homme
courait le risque de faire une chute grave, la
pente de la montagne étant très
rapide et, tout en bas, c'était le lac aux
eaux profondes comme l'abîme.
Samedi, 27 mai.
Ce matin, nous nous sommes de nouveau rendues
dans le temple de Dieu. Pendant la nuit, il avait
plu ; aux premières heures du 1 jour, un
brillant soleil nous éclairait de ses
rayons. je descendis sur le rivage pour jeter un
coup d'oeil sur les pentes du Punkaharju, aux pins
élevés. Devant moi, le lac brillait
comme un miroir. Sur le rivage un grand
nombre de femmes étaient
occupées à la fenaison. Elles me
regardaient avec curiosité et me faisaient
des révérences en me saluant.
J'étais fort heureuse que Mathilda Wrede ne
fût pas avec moi ; car elle aurait eu
à parler avec tant de monde que, selon
toutes probabilités, nous aurions dû
demeurer tout le jour dans ces régions et ne
serions jamais parvenues sur la hauteur.
C'est seulement quand la
journée était déjà fort
avancée que nous nous rencontrâmes sur
la montagne. Des hommes, des femmes, des enfants
nous croisèrent en chemin, et, comme
toujours, Mathilda s'arrêta pour causer avec
eux.
Un homme aux habits
extrêmement râpés vint à
nous. Quand elle l'aperçut, tout le visage
de Mathilda rayonna de joie. De loin, elle se
précipita vers lui, lui prît les mains
et, du ton le plus familier qui se puisse
concevoir, elle lui dit :
- Bonjour, mon vieil ami
!
Et celui qu'elle interpellait ainsi
était tout aussi heureux qu'elle.
C'était N. qui, huit ans auparavant, avait
quitté Kakola. Et les habits qui lui avaient
été donnés, lors de sa sortie
de prison, il les portait encore, bien qu'ils
tombassent en lambeaux. Il raconta que son petit
enfant était mort et qu'il allait commander
le cercueil : car le pauvre petit devait être
enseveli le dimanche suivant. Ils avaient tant de
choses à se raconter, ces deux bons vieux
amis! Il allait de soi que Mathilda lui remit
l'argent destiné à payer le cercueil
; puis Ils se séparèrent. Quand nous
revînmes à l'hôtel, le soleil
disparaissait derrière les îles
couvertes de forêts.
Dimanche, 28 mai.
Impressions dominicales à
Punkaharju.
Le matin était lumineux, le coeur plein
d'allégresse et de reconnaissance. Mon
âme, bénis l'Éternel et
n'oublie aucun de ses bienfaits. (Ps. CIII, v. 2).
Sans échanger le moindre propos, nous
traversâmes la forêt. Mathilda avait
tant de choses à demander à son
Père céleste ! Ne devait-elle pas,
aujourd'hui même, parler de Dieu aux ouvriers
de la voie ferrée ? Nous arrivâmes
à ce qu'on appelait la «Caserne»
où ils étaient logés et
où l'on nous reçut de la façon
la plus cordiale. Le bâtiment ressemblait
à une grange, longue et vaste ; à
chacune des deux extrémités
était une porte flanquée de deux
petites fenêtres. Le long des murs couraient
de larges bancs qui servaient aussi de couchettes.
Au centre, se trouvait un puissant foyer.
Là, vivaient quatorze familles avec quelques
ouvriers célibataires : en tout soixante
personnes.
Parmi ces malheureux, il y avait des
vieillards paralysés et aussi de tout petits
enfants atteints d'éruptions
fébriles. Plus tard Mathilda mit le
médecin de Nyslott au courant de ce
déplorable état de choses. La maison
fourmillait de vermine et l'on disait que les
conditions d'existence y étaient
navrantes.
K. et sa femme nous offrirent du
café. C'était un breuvage
écoeurant ; Mathilda ne l'absorba pas, pour
autant, avec moins de vaillance, sans cesser de
s'entretenir joyeusement avec l'hôte et sa
femme. Profitant d'un moment
où nous étions seules, elle me dit
:
- Il est écrit dans la Bible
: Quand ils auront bu quelque breuvage mortel, il
ne leur fera point de mal (Marc XVI, V.
18).
Les ouvriers étaient assis
à quelque distance de là; quand nous
eûmes bu le café, Mathilda se tourna
vers eux et leur dit :
- Aujourd'hui., c'est dimanche. Je
pense que pour nous, la meilleure manière de
le passer, c'est de lire ensemble quelques versets
du Nouveau Testament. Je ne veux pas vous fatiguer,
je réclame votre attention pendant dix
minutes seulement.
Elle posa sa montre sur la
table.
- Me permettez-vous de mettre mon
projet à exécution, ou quelqu'un
a-t-il une objection à présenter
?
Non, personne ne songeait à
s'opposer à son dessein. Elle demanda si
quelqu'un voulait bien lui prêter un Nouveau
Testament ; fort embarrassés, ils se
regardèrent les uns les autres. Il se trouva
que, dans toute cette « Caserne », il n'y
en avait qu'un seul.
Mathilda Wrede en exprima son
étonnement :
- Est-ce que chaque ouvrier ne
devrait pas posséder le livre qui traite du
grand ouvrier, fils d'un ouvrier charpentier,
jésus de Nazareth ? N'était-il pas
l'ami de tous les pauvres et de tous les malades
?
N'allait-il pas de lieu en lieu
faisant du bien. Sa belle vie et son exemple
magnifique ne valaient-ils pas la peine
d'être connus, pour que nous nous efforcions
de les imiter
Puis elle prit le Nouveau Testament
et lut ces paroles, lentement et avec conviction :
Pour moi, frères, quand je suis venu chez
vous, je n'y suis pas Venu pour vous annoncer le
témoignage de Dieu avec le prestige du
langage ou de la sagesse. Car je n'ai pas
jugé que je dusse savoir autre chose parmi
vous que Jésus-Christ et Jésus-Christ
crucifié(1 Cor. Il, v. 1-2). Ensuite elle
leur raconta comment ce Jésus-Christ
était devenu pour elle-même un
libérateur vivant et personnel ; elle
raconta comment elle l'avait trouvé et les
impressions qu'elle avait éprouvées
quand, pour la première fois, elle avait
connu Dieu. Tandis qu'elle parlait, un jeune homme
entra :
- C'est mon jeune fils, dit K. en le
lui présentant. Elle lui tendit la main, et
continua son allocution.
J'observais les auditeurs : un jeune
homme paraissait lire un journal, mais il demeurait
tout à fait immobile, sans tourner jamais la
page ; un autre écrivait, il avait tout au
moins l'air de le faire, mais j'avais beau le
regarder très attentivement, pas une seule
fois sa plume ne toucha le papier. Plusieurs
avaient déclaré d'avance qu'ils ne
croyaient pas à ce que les pasteurs disent,
et pourtant nous avions l'impression qu'ils
buvaient avec avidité chacune des paroles
que leur adressait Mathilda, bien que quelques-uns
d'entre eux affectassent une complète
indifférence.
Ils voulaient nous offrir une place
à leur table, nous invitant à
partager leur repas ; quand ils entendirent que le
dîner nous attendait à l'hôtel,
plusieurs de nos sympathiques auditeurs nous
accompagnèrent un bout de chemin.
Après le dîner, nous
sortîmes de nouveau et de nombreux ouvriers
revinrent s'entretenir avec Mathilda ; la
soirée se passa en causant jusqu'à ce
que le moment vînt d'aller nous livrer au
repos.
Lundi, 29 mai.
Quant à vous, demeurez dans
la ville jusqu'à ce que vous soyez
revêtus de la puissance d'En-Haut (Luc XXIV,
v. 49). Une grande inquiétude remplissait le
coeur de Mathilda : des lettres qu'elle attendait
avec la plus grande impatience n'arrivaient pas,
déjà elle parlait de retourner
à la maison. Toutefois, ce matin de bonne
heure, elle entra dans ma chambre.
- As-tu vu quel est le texte
d'aujourd'hui ? Quant à vous, demeurez dans
la ville jusqu'à ce que vous soyez
revêtus de la puissance d'En-Haut. Nous
devons demeurer ici, cela va sans dire, et attendre
la force qui nous est promise.
J'étais sur la montagne,
plongée dans mes pensées et le
considérais un pin qui
s'élançait vers les nuages. J'avais
entendu dire que cet arbre a une racine principale
qui descend droite et profonde dans le sol, mais
aussi d'autres racines qui s'étendent
à droite et à gauche dans toutes les
directions. Ce pin me paraissait être l'image
d'une âme grande et noble qui, plongeant ses
racines dans la terre, trouve ainsi la force de
s'élever plus haut, toujours plus haut, et
dont les intérêts s'étendent
toujours plus loin. Sous
l'arbre, un vrai tapis de mousse,
éclairé des rayons d'un clair soleil,
offrait au regard le jeu chatoyant de ses nuances
variées. La terre produisit des
végétaux, des herbes selon leur
espèce (Gen. 1, v. 12). je compris alors,
mieux que jamais, que Dieu ne voulait pas que
fussent semblables ni la mousse, ni le pin, mais
que chacun, à sa manière et selon son
espèce, devait se développer,
à la seule condition que la force d'En-Haut
lui fût donnée.
L'après-midi, nous
entreprîmes une longue promenade sur
l'arête du Punkaharju. À l'endroit
même où, entre deux lacs, la montagne
s'abaisse comme un immense pont, nous nous
assîmes pour nous reposer. De petites vagues
heurtaient le rivage ; je croyais les entendre
chanter : « Hélas ! je ne suis qu'une
petite, toute petite vague sur le Saima
!
Ah ! si seulement j'étais une
vague sur l'océan immense ! »
Voilà que, tout à coup, la petite
vague commença à trembler ;
peut-être se mettait-elle à redouter
l'ouragan, les profondeurs infinies, puis elle
devint merveilleusement calme, d'un calme
idéal.
Nous rentrions à la maison,
quand, poussé par le désir de
s'entretenir avec Mathilda, un homme sortit de la
« Caserne » et vint à notre
rencontre ; Mathilda resta en arrière avec
lui, tandis que je poursuivais ma route, seule avec
mes pensées.
Le soir, Mathilda raconta que, tout
en cheminant avec cet homme, elle lui avait
parlé de Celui qui est le chemin, la
vérité et la vie. La lumière
s'était levée sur cette âme, il
avait trouvé le secret de la
délivrance. Quand ils s'étaient
séparés, il avait pris
la ferme résolution de
marcher sur la route qui mène au but de la
vie, cette route que chaque être humain doit
trouver à sa manière, et suivre en
prêtant l'oreille à la voix de son
Père céleste. La force d'En-Haut
était descendue dans un coeur d'homme qui
s'était mis à sa recherche et l'avait
trouvée.
Mardi, 30 mai.
Adieu ! Punkaharju.
Le dernier Jour de nos vacances était
arrivé. Dès le lendemain il nous
faudrait partir. Avec beaucoup de regrets nous
prîmes congé de nos amis de la «
Caserne ». Ils nous tendirent leurs mains
rugueuses, touchants d'amabilité. De la
« Caserne » nous allâmes à
la hutte que nous avions visitée quelques
jours auparavant. Le petit garçon qui
n'avait pas encore été baptisé
lors de notre première rencontre, l'avait
été dès lors et se nommait
« Matti », parce qu'il ressemblait d'une
manière frappante à mademoiselle
Wrede qui s'appelait Mathilda. On nous invita
à prendre le café qui fut servi sur
le gazon. Sur le chemin du retour, nous
passâmes près d'un endroit
marécageux où croissaient ces fleurs
exquises que les botanistes nomment Calla
palustris. Mathilda m'en tendit quelques-unes.
Quand je lui fis observer que le désirais
d'abord jouir de leur fraîcheur, puis les
faire sécher en souvenir de Punkaharju, elle
me répondit:
- Mets-les plutôt sans retard
à la presse : il est
préférable de
passer de la pleine vie à la mort
plutôt que de s'étioler
lentement.
Le soir, très tard, quelques
ouvriers vinrent encore prendre congé de
nous une dernière fois.
Mercredi, 31 mai.
Alors nous partîmes.
Notre dernier matin sur le Punkaharju ! Encore
un regard d'adieu sur le chemin et sur les pins ;
puis, nous descendîmes sur le rivage.
Quelques amis étaient venus nous dire adieu.
Bientôt le bateau à vapeur partit et
nous glissâmes lentement, lentement, taudis
que les sommets s'évanouissaient de plus en
plus dans le bleu du lointain horizon Mais les
souvenirs, lumineux et profonds tout à la
fois, ne s'évanouissent pas : nous les
emportions avec nous à la maison.
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