Ténèbres et
Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS
DE MATHILDA WREDE
Le subconscient.
Lorsque, après une nuit d'insomnie,
Mathilda éprouvait une certaine
répugnance à entreprendre sa
tâche quotidienne, elle avait coutume de se
tenir à elle-même, en guise
d'encouragement, un langage tel que celui-ci :
« Aujourd'hui j'ai de nouveau le
privilège d'être occupée des
affaires de mon Père. Puis elle se
répétait, tout en montant et en
descendant les escaliers : « 0 mon pauvre
corps, que tu es fatigué ! Nous allons
tâcher de nous remettre sur pied.
jusqu'à présent, tu t'es
montré obéissant et patient, quand la
volonté et l'amour t'incitaient au travail.
je t'en remercie ; je sais qu'aujourd'hui encore tu
te garderas bien de me laisser dans l'embarras.
»
À son lever, en dépit
de ses douleurs et de sa lassitude :
Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu afin
de pouvoir tenir ferme contre les embûches du
diable (Eph. VI, v. 2) se disait-elle, en
commençant à se vêtir; ayant
pour chaussures les bonnes dispositions que donne
l'évangile de paix, chantait-elle ensuite,
en chaussant ses bottes (Eph. VI, v. 15). Lave-moi
et je serai plus blanc que la neige
(Ps. LI,v. 9), telle
était sa prière, tandis qu'elle se
lavait. Et ce qu'elle a voulu réaliser dans
sa vie, c'est cette parole de saint Paul : Quoique
vous fassiez en paroles ou en oeuvres, faites tout
au nom du Seigneur jésus, en rendant par lui
grâces à Dieu, notre Père (Col.
IlI, v. 17).
Un soir, Mathilda n'était pas
satisfaite d'elle-même. Elle trouvait qu'elle
avait agi avec emportement, sans amour et avec
nonchalance. Elle en fit l'aveu au Seigneur en
ajoutant : « Tout le jour n'a
été qu'une série
d'insuccès et maintenant, tandis que mon
esprit et mon coeur sont remplis de tous ces
sentiments et de toutes ces pensées, mon
pauvre corps lassé devrait trouver le repos
et le sommeil. Mais mon âme, la vie
éternelle en moi, n'ont pas besoin de
réconfort. Si tu veux employer cette vie
à ton service, Ô Père, aussi
longtemps que dort mon corps terrestre, je me mets
à ton entière disposition.
»
Quand elle se réveilla le
lendemain matin, elle se sentit extraordinairement
fatiguée et abattue, comme après un
effort accablant. Elle éprouvait une
sensation analogue à celle dont parle le
Psalmiste, lorsqu'il écrivait : Tous les
flots, tous les torrents ont passé sur moi
(Ps. XLI 1, v. 8).
Subitement, de son subconscient,
jaillit un seul mot : « Cedrik ».
Toujours elle répétait ce même
mot, ce seul mot : « Cedrik ». Elle ne
pouvait faire autrement. L'effroi s'empara d'elle.
Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Est-ce
qu'elle avait de la fièvre ?
À cette époque,
Mathilda était en séjour chez
des parents. La fille de la
maison entra dans sa chambre :
- Tante, tu as l'air tout
bouleversé; que t'est-il donc arrivé
?
- Je crains d'avoir perdu la raison,
répondit Mathilda. Je suis si lasse,
incapable de penser et mes lèvres
répètent sans interruption le nom de
« Cedrik ».
La jeune fille éclata de
rire, paraissant très surprise.
- Tante, tu es aujourd'hui si
étrange, dit-elle.
Quelques jours plus tard Mathilda
lut, dans un journal du matin, qu'un canot avait
échoué sur les côtes de la
Suède. L'embarcation était pleine
d'eau ; il s'y trouvait quelques hommes, les uns
morts, les autres fous, d'autres enfin dans un
épuisement complet. Et ces naufragés
appartenaient à l'équipage du navire
« Cedrik » qui avait sombré au
milieu d'un groupe d'îles suédoises
(Schaeren). Elle lisait et relisait toujours encore
cette nouvelle, tremblant devant ce fait
inexplicable qui devenait maintenant clair à
ses yeux : Dieu l'avait prise au mot. Elle avait,
d'une manière surnaturelle,
été employée au service de
Dieu dans un but que lui-même lui avait
assigné. Elle appela sa jeune parente et lui
posa cette question :
- Peux-tu te rappeler cette
matinée, alors que je me sentais si
particulièrement fatiguée
?
- Comment pourrais-je ne pas me
souvenir de cette journée, tante, tu avais
un air si étrange et tu
répétais sans cesse le mot «
Cedrik » ?
Mathilda lui montra l'article du
journal et lui dit
- Lis !
La jeune fille parut glacée
d'effroi.
- C'était au moment
précis où le naufrage avait lieu,
dit-elle, enfin.
Mathilda Wrede s'était mise en route pour
se rendre à Sörnäs, un des
quartiers d'Helsingfors, habité surtout par
des ouvriers, pour faire visite à la famille
d'un détenu, quand elle reçut, par
une subite et forte impulsion intérieure,
l'ordre de retourner sur ses pas. Comme toujours
elle obéit à ce sentiment intime.
Rentrée dans sa demeure, elle apprit avec
étonnement que personne n'avait
désiré à la voir, et elle se
demandait pourquoi son Père céleste
l'invitait, sans nécessité, à
interrompre son travail quotidien.
Lorsqu'elle fut rentrée dans
sa chambre, pour se reposer dans son fauteuil
à bascules, une visite peu ordinaire
s'annonça. Un monsieur, de haute stature et
de forte complexion, se présenta à
elle.
- J'ai déjà
cherché en beaucoup d'endroits à
mettre de la clarté dans ma vie intime.
C'est pour moi une urgente nécessité
de trouver ici du secours.
Mathilda fut
épouvantée de cette
déclaration, comme aussi de l'aspect de cet
homme : ses grands yeux sombres avaient un
éclat fébrile et la sueur de
l'angoisse perlait sur son front.
- Je sais que vous êtes un
savant et je doute fort de pouvoir vous aider. Ne
feriez-vous pas mieux de vous adresser à Z.
ou à H. et de vous entretenir avec eux ? (Et
elle indiqua les noms de personnalités bien
connues).
- Ne voulez-vous pas me lire quelque
chose dans le Nouveau Testament ?
répondit-il.
Mathilda fit monter vers son
Père céleste une muette et fervente
prière, pour qu'il lui accordât la
sagesse nécessaire, pour assister cette
âme en détresse. Là-dessus,
elle ouvrit sa Bible et dit :
- Je ne puis pas, guérir la
maladie dont votre âme est atteinte, mais mon
Libérateur le peut. Vous n'êtes pas le
premier qui fera l'expérience bénie
de sa puissance. je veux vous faire connaître
comment pendant sa vie terrestre, Jésus a
guéri un malade.
Et elle lut : Il y avait là
un homme qui était malade depuis trente-huit
ans. Jésus, le voyant couché et
sachant qu'il était malade depuis longtemps,
lui dit: Veux-tu être guéri ? »
(Jean V, v. 5-6).
Le visage de son hôte devint
d'une pâleur cadavérique ; il se leva
de son siège :
- Comment en êtes-vous venue
à choisir précisément ce
passage ? C'est aujourd'hui mon anniversaire et
j'ai aujourd'hui trente-huit ans !
Mathilda continua : Jésus lui
dit : Lève-toi, prends ton lit et marche. Et
aussitôt cet homme fut guéri ; il prit
son lit et se mit à marcher. (Jean V, v.
8-9).
Elle considéra son
hôte, dont l'âme avait soif de
libération.
- Ne voulons-nous pas, tous les deux
et avec une entière franchise, faire au
Seigneur l'aveu de votre désir de
guérison ?
Il répondit par un oui
discret, mais décidé. Ils
ployèrent les genoux devant Celui qui «
est le même hier, aujourd'hui,
éternellement». De toute son
âme, Mathilda supplia Dieu
de donner à ce coeur tourmenté par la
recherche de la vérité, la force et
la délivrance, dont il avait besoin. Quand
ils se relevèrent, tous deux furent saisis
d'effroi : le visage de Mathilda, son bras et la
main sur laquelle elle avait appuyé son
front, étaient baignés de sang. Une
forte hémorragie nasale s'était
produite, et, plongée comme elle
l'était dans l'angoisse, elle ne s'en
était pas aperçue.
Épouvanté et profondément
ému, l'homme, pour lequel elle avait prie,
se tenait là et la contemplait : il ne
comprenait pas que l'hémorragie nasale ne
provenait pas d'autre chose que de surmenage et de
faiblesse physique : il croyait qu'elle avait
combattu pour lui jusqu'au sang. Enfin, il dit
:
- Cette heure a fait sur moi la plus
profonde impression ; elle est devenue, sur ma
route, une pierre milliaire.
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