Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Ténèbres et Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS DE MATHILDA WREDE

En chemin de fer. Conversations pittoresques.

Le matin allait paraître. Mathilda Wrede qui voyageait dans le train de nuit, était assise près de la fenêtre, sa bible ouverte devant elle. Bientôt le train s'arrêta à la station de X. et trois jeunes filles se précipitèrent dans la voiture avec deux jeunes hommes, arrogants et turbulents. Bruyamment, et en plaisantant, ils vinrent s'asseoir auprès de Mathilda. Ils avaient des visages agréables et étaient vêtus avec élégance ; ils appartenaient à la meilleure société et venaient d'assister à un mariage.

Bientôt ils remarquèrent leur compagne de voyage; se poussant du coude, ils se mirent à rire, et à raconter ce que, lors de la bénédiction nuptiale, le pasteur avait dit, à quel point il avait été ridicule et combien les hommes qui croyaient encore aux contes de la bible étaient naïfs, et tinrent d'autres propos du même genre

Mathilda leva les yeux de son livre ; ils se turent. Elle continua sa lecture et pendant un instant tout fut tranquille ; mais tôt après, rires moqueurs et plaisanteries reprirent de plus belle. Mathilda toussa ; tous gardèrent le silence ; mais peu après, le flux de paroles inutiles se remit à couler. Alors, la bible à la main, Mathilda Wrede se leva et, fixant sur eux ses regards profonds et sérieux, elle leur adressa la parole en ces termes : « Contre ma volonté, j'ai été obligée d'entendre longtemps vos propos inconsidérés, quand bien même J'ai cherché à les interrompre de diverses manières. Maintenant, je réclame de vous le silence, pour me laisser le temps de lire quelques lignes du livre dont vous venez de vous moquer et de rire.,, Elle ouvrit alors sa bible et lut: Les jours vont venir, dit le Seigneur, l'Éternel, où j'enverrai la faim dans le pays, non pas une faim de pain, ni une soif d'eau, mais la soif d'entendre la parole de l'Éternel. Alors ils erreront d'une mer à l'autre, et du Nord au Levant ; ils iront çà et là pour chercher la parole de l'Éternel, et ils ne la trouveront point. En ce jour-là les jeunes hommes et les belles vierges... Elle regarda d'abord les jeunes gens, puis les jeunes filles et reprit : En ce jour-là les jeunes hommes et les belles vierges périrent de soif (Amos VIII, v. 11-13). Un silence impressionnant régna bientôt dans la voiture et Mathilda reprit sa place à la fenêtre. Un peu plus tard jeunes gens et jeunes filles disparurent les uns après les autres et allèrent s'installer dans un autre compartiment.

Culte chez les ouvriers.

Plusieurs années après, nous retrouvons de nouveau Mathilda en voyage. Un matin, de très bonne heure, le train de Karelen allait quitter la station de Wiborg. Il avait plu toute la nuit; le temps était mauvais et tous les passagers paraissaient fatigués et de méchante humeur.

« Nous ne saurions continuer ainsi », se dit Mathilda. « Ces pauvres gens doivent penser à autre chose qu'au temps déplorable que nous avons. je vais faire de mon mieux pour les y amener. »

Elle se rendit dans un wagon de troisième classe, rempli de monde ; elle y trouva des hommes, des femmes, des enfants, de toutes les classes de la société. Elle commença par aider aux voyageurs à placer leurs colis, chercha à apaiser un enfant qui pleurait, se mit à jouer avec un autre, distribua d'intéressantes brochures pacifistes qui prêchaient la réconciliation des peuples. La conversation roula ainsi d'une manière toute naturelle sur les plus sérieux problèmes posés aux hommes par la vie.

Des gens, en toujours plus grand nombre, se rassemblaient autour d'elle et écoutaient ses paroles avec une vive attention ; les uns saisissaient et comprenaient ce qui leur était annoncé ; d'autres fermaient leurs coeurs à ce message ou montraient soit de l'émotion, soit du mécontentement.

Désireuse de rendre visible et tangible la plus grande des inspirations de sa vie, elle étendit tout à coup la main, en manière d'illustration, écarta les doigts et dit : « Admettez avec moi que cette main représente l'humanité et chaque doigt une des nations dont elle se compose. Avez-vous jamais ouï dire qu'aucun des doigts d'une main humaine ait cherché à nuire, en quoi que ce soit, à un autre doigt ? Imaginez-vous donc que le pouce voulût chercher à blesser l'annulaire, ou le petit doigt le pouce ! N'est-ce pas la main tout entière qui de viendrait inutilisable ? Eh bien ! les peuples agissent d'une manière tout aussi insensée quand ils se font la guerre les uns aux autres. Il importe donc que nous apprenions à aimer et à estimer nos semblables. Voulez-vous réellement suivre Jésus de Nazareth ? Nous ne devons ni tuer notre prochain, ni lui nuire. Jésus-Christ est venu, non Pour faire périr les hommes, mais pour les sauver. Quand nous songeons à la guerre fratricide qui a désolé la Finlande en 1917-1918, cette guerre dont les ravages ont eu des suites si atroces pour le pays tout entier, nous cherchons à dégager notre responsabilité personnelle de ces événements tragiques et à en charger la conscience des autres. Mais ce n'est pas de cette manière que les choses iront mieux dans le monde. Chacun de nous doit arriver à comprendre que nous avons tous notre part de responsabilité. Dans la mesure où nous avons réservé dans notre coeur une place à la haine, à l'amertume, à la rancune, à la méchanceté, nous sommes coupables de l'épouvantable catastrophe qui s'est abattue sur le monde et a ruiné de nombreuses vies, jeunes, pleines de promesses. Et si nous discernons notre part de responsabilité dans ce grand crime contre l'humanité; si nous sommes décidés à lutter contre l'esprit de vengeance et contre la haine, alors nous nous joignons à la troupe de ceux qui combattent le bon combat, concourant à la victoire de l'amour fraternel au sein de l'humanité. »

À ce moment-là un homme âgé se leva et dit :

« C'est clair, mademoiselle, je comprends maintenant comme jamais encore je n'avais compris. » La conversation devint plus animée. Le nombre de ceux qui se persuadèrent de la vérité de ces affirmations était toujours plus grand. Quelques heures après, Mathilda retourna dans son compartiment de seconde classe, auprès de ses connaissances et, un peu plus tard, elle était engagée dans une vive discussion avec deux dames au sujet du programme de l'Internationale chrétienne.
Tandis qu'elle était ainsi occupée à exposer ses vues pacifistes, un jeune officier très sûr de lui, s'approcha tout à coup d'elle.

- Mademoiselle Wrede, puis-je vous adresser une question ?
- Je vous en prie.
- Avez-vous réellement l'intention, d'influencer les soldats avec les vues que vous exposez ?

Mathilda le regarda bien en face, les yeux dans les yeux.

- Non, répondit-elle, cela n'est pas mon intention. L'Internationale chrétienne et mes vues personnelles tendent plus haut. Nous ne cherchons pas à exercer de l'influence sur les soldats ; notre souhait, c'est d'agir sur l'humanité pour la convaincre que nous sommes tous les enfants d'un même Père et que nous sommes sur la terre pour nous aimer et nous secourir les uns les autres. Quand ces idées auront pénétré la conscience de l'humanité, alors plus personne ne voudra être soldat.

Le jeune officier, tout à l'heure plein d'assurance parut embarrassé, salua et prit congé.

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La petite Astride et une autre histoire.

Un jour, Mathilda Wrede longeait une rue. Tout à coup elle entendit un appel : « Mademoiselle, mademoiselle, » qui bientôt se changea en une interpellation plus personnelle : « Mathilda. » Elle se retourna et vit une de ses anciennes connaissances de Kakola, tenant à la main un grand harmonica et assez mal affermie sur ses pieds.

- Bonjour, que désirez-vous ?
- Je me suis profondément réjoui quand je vous ai vue venir. Il faut absolument que vous m'entendiez jouer mon air d'adieu. Mon cher instrument, il faut que je le porte tout à l'heure au Mont-de-Piété.

Et l'homme baisa son instrument, tandis que de grosses larmes roulaient sur ses joues boursouflées. Malgré toute sa compassion pour ce chagrin, comme aussi pour l'état dans lequel elle retrouvait cet ancien protégé, Mathilda ne put s'empêcher de rire. L'homme joua alors deux mélodies qu'elle écouta avant de continuer sa longue route. Puis elle passa ensuite dans une rue adjacente et entra bientôt dans une cour.

C'est là qu'habitait une jeune femme de dix-neuf ans, devenue mère. Le père de l'enfant, un ancien détenu, avait abandonné la pauvre fille, la laissant dans une douleur et un désespoir immenses. De quel côté devait-elle se tourner, seule au monde comme elle l'était, avec le petit être auquel elle avait donné le jour ?

Mathilda essaya de la consoler. «Vous ne devez plus penser au misérable qui vous a si odieusement abandonnée », lui dit-elle. « je pourvoirai aux besoins de votre enfant, jusqu'à ce que votre santé et vos forces vous permettent de le soigner vous-même.» Après le départ de Mathilda, la jeune mère s'était calmée, comme si elle avait oublié, pour un moment, son grand chagrin et sa honte.

La petite Astride fut soignée convenablement dans un asile où Mathilda eut fréquemment l'occasion de la visiter. Quand la mère eut recouvré ses forces et fut de nouveau capable de travailler, elle reprit sa petite fille auprès d'elle. Un jour, l'enfant qui avait alors trois ans, vit sa mère assise auprès de la fenêtre, pleurant amèrement.

- Pourquoi pleures-tu, maman ? demanda la petite, tout en se serrant étroitement contre elle.
- Parce que nous n'avons pas de papa.
- Mais nous avons un papa, dit l'enfant.
- Que dis-tu là ?
- Mais, est-ce que tante Wrede n'est pas notre papa ? Les papas ont coutume d'apporter de l'argent et des paquets et c'est ce que tante Wrede fait pour nous. Naturellement, c'est elle qui est notre papa.

En racontant ces propos, la mère ne pouvait s'empêcher de rire et de pleurer en même temps.

Un des « amis » de Mathilda avait un fils de douze ans qui était très retardé pour son âge. De bonne heure, il avait perdu sa mère et, aussi longtemps que son père fut en prison, c'était une tante qui s'était occupée de lui tout en soignant le ménage.

Un jour que Mathilda lui faisait visite, cette femme raconta qu'à tous ses instants de liberté le jeune garçon disparaissait mystérieusement et qu'elle ignorait complètement où il pouvait bien passer son temps. Toutes les deux décidèrent de suivre cette affaire de près.

Elles interrogèrent le jeune garçon qui fut quelque peu embarrassé, tout d'abord, puis finit par avouer que, depuis que son père avait été emmené en prison, il se rendait chaque jour sur le rivage du fleuve pour y chercher des perles. Il avait entendu dire qu'elles étaient très précieuses et il était persuadé qu'il finirait bien un jour par en trouver une qu'il vendrait pour pouvoir racheter la liberté de son père.

Lorsque Mathilda raconta au père cette preuve de l'amour et de la sollicitude de son enfant, les plus nobles sentiments se réveillèrent dans l'âme du prisonnier pour son fils qu'il avait négligé jusqu'alors. Il avait désormais quelqu'un à aimer et un but à sa vie. La recherche de la perle, si patiemment poursuivie par le petit, avait porté des fruits : dans un coeur humain, l'amour paternel avait pris naissance.

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Quelques tableaux de la vie de prison.

 

Mathilda avait son jour de réception pour les détenus de la prison de Kakola ; les uns après les autres, ils se rendaient auprès d'elle. Un jour, entra un jeune homme d'Oesterbotten, extraordinairement sympathique. Mathilda se montra fort réjouie en le voyant arriver ; elle se figurait en effet, que ce fier jeune homme était venu pour s'entretenir avec elle des choses de la vie spirituelle. Aussi fut-elle très surprise, lorsqu'il lui dit :

- Maintenant, mademoiselle doit apprendre comment les détenus introduisent, par contrebande, du tabac dans la prison. Et il fit suivre ce propos d'une description très exacte des procédés dont les prisonniers usaient pour se procurer le fruit défendu.

Mathilda était fort déçue. À plus d'une reprise elle chercha à l'interrompre, mais en vain. Elle dut apprendre jusque dans les détails les plus minutieux, toutes les roueries des prisonniers. À la fin, elle s'écria en frappant du pied

- Taisez-vous ! le ne veux plus entendre parler de cela. Je trouve que vous faites mal de vous livrer à cette contrebande. Ne voyez-vous donc pas que vous pourriez vous attirer les plus pénibles désagréments si j'allais raconter aux fonctionnaires de la prison ce que vous venez de me confier ?

Le détenu s'arrêta et se plaçant droit devant elle, avec une sorte de noblesse dans l'attitude, il lui dit :

- Mais, ne comprenez-vous donc pas, mademoiselle, pourquoi je vous raconte tout cela ? Depuis de nombreuses années, vous veillez sur nous autres prisonniers, comme aussi sur nos familles. Vous nous aidez de mille manières et vous nous appelez vos amis. Aussi avons-nous résolu de vous donner une preuve de notre affection, de notre respect et de notre confiance ; en vous racontant nos mauvais tours, nous nous remettons, pieds et poings liés entre vos mains, mais nous sommes pleinement persuadés que jamais vous n'abuserez de notre confiance. Personne ne sera jamais puni à cause de vous. Ça, nous le savons tous.

Il prit la main de Mathilda, la serra fortement et ajouta :

- Eh ! bien, voilà, maintenant vous connaissez tous nos secrets.

Quand Mathilda se retrouva seule, elle tressaillit d'allégresse : «Vos actions, chers jeunes amis, je ne puis les approuver, mais la confiance que vous avez mise en moi me transporte de joie. Et dût-on me mettre en pièces, je ne la trahirai jamais. »

Après avoir achevé sa réception, Mathilda se rendit dans une cellule pour faire visite à un détenu à vie. Au moment de lui ouvrir la porte, le gardien lui donna cet avertissement :

- Aujourd'hui, il est terriblement de mauvaise humeur ! Mademoiselle ne devrait pas entrer. Il a décidé, dès qu'il entendrait la clef tourner dans la serrure, de prendre sa cruche de bière légère et d'en répandre le contenu sur la tête de celui qui entrerait. Nous sommes habitués aux mauvais tours qu'il a coutume de nous jouer.
- C'est bon que vous y soyez habitués. Ouvrez-moi seulement la porte et montrez-vous, vous-même, d'abord ; quand la cruche sera vidée, alors j'entrerai à mon tour.

La porte s'ouvrit ; mais il ne s'ensuivit aucun baptême par aspersion, pour une raison bien simple: c'est que la cruche était déjà vide. Mathilda entra, l'homme ne la salua même pas et ne prit pas non plus la main qu'elle lui tendait.

- Qu'est-ce que cela signifie ?
- Je suis très méchant. Aujourd'hui, je ne veux pas m'entretenir avec mademoiselle. Je veux qu'on me laisse en paix et, d'un brusque mouvement, il saisit le bras de Mathilda et la jeta à la porte. Elle eut juste encore le temps de lui crier :
- Demain, je reviendrai. Peut-être ma visite vous sera-t-elle alors plus agréable.

Le lendemain, quand Mathilda entra auprès de lui, il était occupé à enlever la poussière de sa chaise ; il l'invita à s'y asseoir et lui dit poliment :

- Il y a des années que je vous connais ; mais aujourd'hui je dois avouer que je vous trouve une vraie chrétienne.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que vous êtes revenue aujourd'hui après que je vous aie brutalement chassée hier et vous vous montrez tout de même aimable envers moi. je n'étais pas aussi méchant que j'en avais l'air. Mais je voulais voir si vous iriez vous plaindre de ma mauvaise conduite et si je serais puni. Mais c'est tout le contraire qui arrive : vous paraissez être pour moi plus aimable que jamais.

Un jour, un prisonnier, assis dans sa cellule, préparait un cadeau pour son amie, Mathilda Wrede. Il avait taillé dans de la corne un sabot et y avait introduit un petit canif. Il venait de graver fort joliment sur la lame les deux initiales M. W., quand un surveillant entra. Les travaux à la lime sont sévèrement interdits : le coupable aurait dû être puni.

Mais, quand on vit que le travail était destiné à Mathilda Wrede, on décida de fermer les yeux sur cette infraction au règlement.

Plus tard, le détenu raconta « Il s'en est fallu de peu que l'affaire ne prit pour moi une mauvaise tournure, quand le surveillant entra et me vit à l'ouvrage. Mais, dès qu'il aperçut les initiales M. W. sur la lame du canif, il se borna à sourire. Sûrement ces deux lettres M. W. sont les plus belles du monde, au moins pour nous à Kakola; sans elles, je serais mis aujourd'hui au pain et à l'eau ».

On vient d'enlever un mouchoir à un prisonnier. Il prétend qu'il vous appartient, mais nous ne pouvons le croire, disait un jour le directeur de la prison à Mathilda Wrede, tandis qu'il lui montrait un mouchoir de poche, d'étoffe grossière et très sale, avec les lettres M. W. brodées en rouge.

- Certes oui, c'est un des mouchoirs que j'emporte toujours dans ma poche, pour les donner aux prisonniers quand ils ont pris froid ou qu'ils pleurent, répondit Mathilda. Quand une dame compatissante de Saint-Pétersbourg entendit dire combien la condition des prisonniers était misérable, elle me fit présent de plusieurs douzaines de mouchoirs et je pense que mon nom épargnera tout soupçon aux détenus ; en voyant mes initiales, nul ne pourra croire qu'ils en ont fait l'acquisition par des moyens illicites. Puisque l'administration ne leur fournit pas des mouchoirs, qui sont des objets indispensables, il faut bien que je le fasse moi.
- Combien en avez-vous de semblables ?
- Il doit y en avoir à peu près cinq douzaines.

Le directeur fronça le sourcil. Mais, tôt après, on prépara des morceaux de toile dont les détenus purent se servir en guise de mouchoirs.
Les prisonniers, enfermés à Kakola, avaient trouvé bon, pour remercier Mathilda Wrede de ses visites, de lui procurer un plaisir au moins chaque semaine régulièrement ; c'est pourquoi ils l'avaient priée de se rendre chaque dimanche dans la « Chambre de la musique », où se réunissaient dix-huit d'entre eux, qui avaient coutume de chanter à l'église, lors des services funèbres et à d'autres occasions. Quand elle entrait dans la salle, les dix-huit chanteurs étaient déjà en place sur deux rangs. Elle distribuait des saluts à droite et à gauche, leur tendait la main et avait une parole aimable pour chacun d'eux. Puis on l'invitait à prendre place au milieu de la salle.

On étendait sur la vieille chaise un mouchoir propre que chaque homme donnait à tour de rôle. Puis ils exécutaient leurs chants l'un après l'autre ; ces chants étaient choisis au goût de Mathilda. Tandis qu'elle prêtait l'oreille à leurs accents, dans son âme se mêlaient des sentiments divers; en effet, elle n'ignorait pas, elle savait même trop bien combien les coeurs des chanteurs étaient remplis d'inexprimable douleur et de profonde angoisse. Avant de quitter la salle, Mathilda cherchait toujours à détourner les pensées de ses amis de la monotonie de leur vie de chaque jour.

C'est ainsi, qu'un jour, un des chanteurs raconta comment dans les années de lamine (1867-1868) il était resté, lui tout seul, en vie dans une ferme en Oesterbotten. On en vint tout naturellement à parler de ces temps terribles. Mathilda se mit à décrire ses voyages dans ces contrées désolées du Nord-Est de la Finlande, puis l'angoisse et les souffrances des familles affamées. On lui avait offert là du « pain de guerre » de toute sorte, Mêlé d'écorce d'arbre, de paille et de cette racine nommée Calla palustris.

« Vous savez tous ce qu'est cette plante : elle pousse dans les fossés et dans les endroits marécageux », dit-elle. «Cette plante, je l'aime plus que toutes les autres. En général, ses fleurs sont composées de plusieurs pétales, ou bien arrondis, ou bien pointus, ou bien dentelés. Seule la calla forme, pour ainsi dire, une coupe qui s'ouvre pour recueillir la chaleur du soleil ! Combien je désire ardemment ressembler à cette fleur qui, pure et blanche, se tourne vers la lumière. Nous autres êtres humains, nous sommes comparables à des fleurs aux nombreux pétales : égoïsme, fausseté, paresse, etc. Mais il y a aussi les pétales de la bonté, de l'affection et des hautes aspirations. Ces derniers sont plus ou moins partagés : ils ne sont jamais entiers. Souvenez-vous de ce qui est écrit de la robe de jésus : Elle était sans couture depuis le haut jusqu'en bas. (Jean XIX, v. 23). Tel était le caractère de Jésus : il était achevé, parfait en lui-même. Nous sommes tout différents : déchirés et en morceaux. Ne devrions-nous pas aspirer à l'unité, à la pureté, à la perfection ? Jésus, mon Libérateur, peut nous aider à atteindre ce but, de façon à ce que nous lui ressemblions, à ce que nous devenions conformes à lui par l'action de son Saint-Esprit ».


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