Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Ténèbres et Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS DE MATHILDA WREDE

En course dans les régions désertes.
(1)


 Pendant une de ses pérégrinations dans les contrées désertes et infinies de la Finlande orientale, Mathilda parvint un jour à une hutte en ruines. Elle était nichée au milieu des pins et des bouleaux, sur une colline qui descendait, rapide, vers le lac. Au pied de cette colline, sur le rivage et dans un bateau, s'amusaient quelques enfants pâles et à moitié nus. Mathilda se rendit à la hutte ; la porte en était fermée. Elle heurta, mais personne ne répondit. Elle descendit alors au rivage et salua les enfants.

Il y avait là quatre frères et soeurs ; l'aînée des enfants, une jeune fille de petite taille, tenait dans ses bras un petit frère âgé de deux ans. Il avait eu le malheur de tomber dans un four à charbon; aussi ses pieds grièvement brûlés étaient-ils enveloppés dans des chiffons. Un autre des enfants était scrofuleux et sur sa tête couverte de plaies sanguinolentes les mouches s'accumulaient pour sucer ses blessures. Le petit garçon pleurait à fendre l'âme et ne cessait de se gratter la tête.

Mathilda leur demanda où étaient leurs parents. Ils racontaient que ceux-ci avaient dû se rendre dans une propriété assez éloignée, pour la fenaison, et ils ne savaient pas s'ils pourraient être de retour pour la nuit. Durant toute la journée les enfants seraient ainsi abandonnés à eux-mêmes.

Le but de la promenade de Mathilda était précisément, ce jour-là, la terre sur laquelle travaillaient les parents de ces petits ; le chemin qui y menait passait par un grand marais ; il avait plu et les poutres, qui servaient de gué, étaient glissantes, et rendaient la marche difficile. Avant qu'elle se mît en route, les enfants l'avaient avertie: «Quand vous arriverez au marais, vous trouverez, à main gauche, une sorte de petite île, avec des bosquets d'aunes. Tout récemment, on y a aperçu une ourse avec son petit d'un an. Il ne faut pas avoir peur ; en effet, pour autant qu'on peut le savoir, elle n'a encore jamais attaqué un être humain. Mais marchez sans bruit et ne criez pas : la mère pourrait devenir méchante. Les ours se tiennent dans le voisinage des forêts à cause des mûres». Mathilda n'était pas tout à fait rassurée, mais, en même temps, la perspective de rencontrer des ours en liberté ne lui paraissait pas dépourvue de charme. Son guide, un ancien détenu, qui portait son bagage, la précédait ; Mathilda suivait, chargée d'un petit havresac en écorce de bouleau.

Tandis que les deux voyageurs s'approchaient du bosquet d'aunes, Mathilda tressaillit; elle voyait quelque chose d'un brun noirâtre... et ce quelque chose s'agitait. « Naturellement, ce sont les ours », pensa-t-elle. En même temps, dans le bosquet elle perçut un violent bruissement ; il lui sembla que son coeur cessait de battre : « Tiens ! les voilà ! » Mais, au lieu des deux ours qu'elle attendait, ce furent sept coqs de bruyère qui prirent leur vol en faisant ce bruit, qui avait paru si violent dans le calme impressionnant de ce lieu désert. Mathilda fut tout à la fois soulagée et déçue quand elle put se rendre compte qu'elle avait été épouvantée non par les ours, mais bien par d'inoffensifs coqs de bruyère.

Elle arriva dans la grande propriété vers laquelle elle dirigeait ses pas, à l'heure où le travail de la journée était déjà achevé et où les gens, réunis dans la grande chambre de la ferme, prenaient le repas du soir. Elle proposa de conduire, dès le lendemain, la mère, avec les enfants malades, à l'infirmerie de la paroisse. Elle sollicita et obtint des gens qui la recevaient qu'on lui prêtât un cheval; quant aux autres frais, elle y pourvoirait elle-même. La mère fut on ne peut plus heureuse de cette offre aimable. De bonne heure Mathilda se livra au repos, mais elle se leva bientôt précipitamment car le lit fourmillait de vermine. En dépit de son accablante fatigue, elle prit place dans un vieux fauteuil à bascule, pour y passer la nuit sans être dérangée. Tout à coup, un léger bruit attira son attention ; elle aperçut une main qui déposait, sur le bord de la fenêtre, une petite coupe en bois : elle s'approcha et trouva cette coupe à moitié remplie des plus délicieuses mûres et elle vit une femme s'éloigner rapidement; c'était la mère des enfants malades qui devaient être conduits le lendemain à l'infirmerie. Avant de partir, elle avait éprouvé le désir de témoigner sa joie et sa gratitude à sa bienfaitrice. Bien que, sans doute, très fatiguée après le dur labeur d'une longue journée, elle était pourtant retournée, le soir, jusqu'au marais pour y cueillir ces fruits.

Le même soir, on apprit que, le jour précédent, deux personnes avaient été frappées de la foudre : elles demeuraient dans une petite maison sise très avant dans une forêt profonde et appartenant au fisc. Comme il n'était pas question de songer au sommeil, cette nuit-là, Mathilda se décida, avec quelques personnes, à faire le chemin de plusieurs kilomètres qui conduisait à la hutte.

C'était une de ces claires nuits d'été, que le Nord seul connaît. On rama d'abord sur un fleuve d'une admirable beauté, puis on prit un chemin à travers une des plus magnifiques forêts que possède le gouvernement de la Finlande. On parvint à la hutte où un spectacle lamentable s'offrit aux regards : sur son lit gisait la maîtresse de la maison, sans connaissance et privée de l'usage de la parole; le domestique, qui avait aussi été frappé de la foudre, s'était déjà un peu remis de la secousse électrique: quant au pauvre chien, il était étendu mort sur le sol. Mathilda adressa quelques paroles d'encouragement à ces pauvres gens et essaya de leur procurer du soulagement jusqu'à l'arrivée du médecin. Le jour était déjà fort avancé quand Mathilda et ses compagnons regagnèrent le logis, très fatigués, mais reconnaissants d'avoir pu réconforter et consoler ceux que venait d'atteindre une si cruelle épreuve.

Le jour suivant, dans l'après-midi, elle entreprit une excursion qui ne devait pas réussir. Elle désirait rendre visite à une famille au sein de laquelle vivait un chantre runique presque centenaire. Le chemin de la ferme qu'il s'agissait de gagner traverse des marais fort étendus ; il faut, de plus, suivre de très pénibles sentiers de forêt. Mathilda résolut de faire la course à cheval et loua, dans ce dessein, une monture soi-disant accoutumée à des terrains comme ceux qu'il fallait parcourir. Elle traversa d'abord un lac dans un bateau que le cheval suivit à la nage. Parvenue sur l'autre bord, Mathilda chercha à se confectionner une espèce de selle avec un vieux sac et un manteau de pluie fixés sur le dos de la bête à l'aide d'une corde. Puis elle se hissa tant bien que mal sur le cheval et la chevauchée commença.

Dans une métairie, sur la colline, elle s'informa du chemin de la forêt ; les habitants qui demeuraient en cet endroit étaient persuadés que cette inconnue, arrivée dans un bateau que suivait un cheval à la nage, ne pouvait être qu'une bohémienne. Mathilda continua sa marche ; tout alla bien jusqu'au grand marais. C'est alors seulement qu'elle s'aperçut que le cheval, contrairement à ce que ses propriétaires avaient prétendu, n'était pas du tout accoutumé à ces contrées désertes ; il n'arrivait pas à marcher sur les poutres qui formaient le sentier, mais cherchait toujours au contraire, dans son effroi, à sauter sur la terre qu'il croyait ferme. Le jeune homme qui le menait finit par avouer que le cheval avait été acheté tout récemment et n'avait sans doute jamais encore traversé un marais. À sa grande déception, Mathilda comprit qu'elle devait revenir sur ses pas. Fatiguée et malade, elle était incapable de faire à pied un trajet aussi long pour arriver jusqu'à la misérable chaumière du chantre runique.

Quelques années plus tard, Mathilda eut encore l'occasion de se rendre bien loin là-bas dans ces régions septentrionales, près de la frontière russe. Elle était logée dans une ferme près du lac Paanajärvis. Elle résolut un jour de suivre son désir et d'aller se promener dans la forêt immense, seule avec Dieu.

Elle indiqua à ses hôtes la direction qu'elle comptait prendre, et se mit en route après un déjeuner particulièrement substantiel. Comme viatique elle emportait avec elle un quignon de pain, un citron et une tablette de chocolat. L'itinéraire qu'elle comptait suivre devait la faire pénétrer jusqu'au fleuve Mäntyjoki ; elle le suivrait jusqu'à son embouchure dans le lac Paanajärvi, puis, longeant son rivage, elle rentrerait à la maison.

Elle marcha, enivrée de solitude, à travers des contrées désertes d'une étendue infinie. Elle se sentait libre de toute attache humaine et tout à fait sous la dépendance de son Père céleste. Après avoir marché pendant plusieurs heures, elle se rendit compte qu'elle s'était trompée de chemin. Subitement, elle discerna un bruit de pas ; elle s'attendait à trouver des «jätkia » (2). Mais à leur place ce fut un monstre épouvantablement laid qui s'offrit à ses regards : un élan, errant seul dans la forêt et qui, perdant son pelage d'hiver, portait encore, çà et là, de grosses touffes de poils ; il était rendu plus horrible encore par des plaies suppurantes et les mouches innombrables qu'avaient attirées ses blessures. Elle s'arrêta net, hésitant sur le parti à prendre; elle avait en effet entendu raconter que ces bêtes-là étaient, très souvent, fort méchantes. Mais, après que ces deux êtres se furent considérés quelques instants, chacun d'eux reprit une direction différente.

Enfin, Mathilda parvint au fleuve qu'elle désirait atteindre, en suivit le cours, admira une de ses cascades et rentra fort tard à la maison, après avoir pris un bain rafraîchissant dans l'eau limpide du Paanajärvi. L'hôtesse s'avança à sa rencontre:

J'étais sur le point d'aller vous chercher. Je savais fort bien quel chemin vous aviez pris. J'avais l'ennui de vous, j'étais en outre un peu inquiète, vous m'êtes plus chère que ma propre soeur. » Puis elle raconta qu'environ trente bûcherons étaient arrivés ; on les avait logés dans des granges et dans des huttes faites de branchages secs. Le jour suivant viendrait le géomètre pour leur donner ses ordres : il s'agissait de procéder au lotissement de la forêt.

On décida que tous se rassembleraient dans la grande chambre et que Mathilda ferait une étude biblique. Au bout de la table, à côté de l'hôtesse, sourde et accablée par les ans, Mathilda prit place, la bible ouverte devant elle. Elle lut : Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu'il ait la vie éternelle. Elle raconta que c'était ce verset même qui, en l'an 1883, avait fait luire dans son coeur la grande lumière de l'amour divin. «Ce que moi-même j'ai vu, ce que moi-même j'ai vécu, c'est cela que je vous annonce. » Tous écoutaient dans le recueillement. Tout à coup la vieille hôtesse sourde plaça sa main flétrie sur le bras de Mathilda et dit à haute voix :

- Es-tu d'Helsingfors ?
- Oui, répondit Mathilda, puis elle continua son allocution.
- C'est sûrement une très grande ville ? ajouta la petite mère, poursuivant le cours de ses pensées.
- Oui, Helsingfors est grand, mais nous parlons de choses plus grandes encore. Est-ce que une bonne hôtesse ne veut pas chercher à les entendre ? Elle le fit en effet.

Et ces hommes accueillirent avec empressement la prédication de l'amour divin; Mathilda eut la joie, de répandre dans ces lieux écartés, la parole éternelle du Dieu vivant.

De là, Mathilda se rendit, par bateau, plus loin dans la direction de l'Est, aux puissantes cataractes du fleuve Kivakkakoski. Ses rameurs et elle-même furent accueillis avec une hospitalité tout particulièrement cordiale, mais il était malaisé de comprendre le langage très spécial que l'on parle dans ces contrées. Au retour elle resta, pendant des heures entières, près de la cataracte, et, au sein de cette immense solitude, en admira la majesté impressionnante. Sauvage et écumant, le Kivakkakoski se précipite, en trois bras séparés, par-dessus les rochers. À côté du fleuve le mont Kivakkatunturi semble escalader les nuages. Ravie de ce spectacle, Mathilda se tenait devant le géant de ces régions désertes : la montagne lui paraissait symboliser le silence de la plus profonde paix intérieure, la cataracte, au contraire, l'activité incessante, l'agitation du labeur jamais achevé, la recherche constante de la vérité jamais satisfaite. Le peuple raconte, dans ses légendes, que la montagne et la cataracte ont leur esprit. L'esprit de la montagne est une femme pure, dont personne ne peut s'approcher et, dans la cataracte, vit un autre esprit, puissance immense, débordante d'amour et qui ne cesse de chercher toujours de nouveaux sujets d'assouvir sa passion. Mathilda eut beaucoup de peine à atteindre le sommet de la montagne, mais, parvenue au point culminant, sur ces rochers peu visités par l'homme, il lui Sembla s'être rapprochée du Dieu de l'éternité...

Quelques jours plus tard, nous trouvons notre voyageuse dans un bateau sur le lac Tavajärvi ; c'est une femme qui rame et qui doit la conduire jusqu'au Nuorunen, haute montagne de la Finlande orientale, d'où Mathilda voulait admirer le lever du soleil. Sur le rivage se trouvaient plusieurs bâtiments délabrés; la femme raconta qu'une soixantaine d'années auparavant, quelques savants russes, très cultivés y avaient vécu et, parmi eux, un éminent médecin. Les autorités les avaient bannis dans ces déserts à cause de leurs opinions politiques. Les gens âgés racontaient toute sorte de bonnes choses de ces étrangers-là. Pendant cette excursion, il arriva à plus d'une reprise que la femme qui lui servait de guide, la devançait avec une telle hâte, pour éprouver son courage, qu'il lui C'était tout à fait impossible de la suivre. Et, en effet, c'était effrayant de marcher seule à travers la forêt, raconta plus tard Mathilda. Mais la course se poursuivit et s'acheva dans les meilleures conditions, et, du sommet du Nuorunen, elle put contempler et admirer le lever du soleil!

Mais, à ce moment, un trouble, une inquiétude étrange s'empara de Mathilda : elle se sentait poussée vers la paroisse de Kuusamo d'une manière irrésistible. Elle ne sut jamais si elle avait eu une vision ou un rêve, mais elle était pleinement persuadée qu'un message d'une certaine gravité l'y attendait. Après d'indicibles fatigues et une orageuse traversée en bateau à rames sur le lac Kuusamo, elle atteignit enfin le but de son voyage. Elle y trouva une lettre lui annonçant que son beau-frère, le professeur de droit R.-A. Wrede, avait été emmené à Saint-Pétersbourg par des gendarmes et des détectives. De quoi était-il accusé ? Où avait-il été déporté ? Tout cela était complètement obscur pour elle. Cette nouvelle l'émut fortement. Le dimanche suivant, devaient être célébrées les noces d'argent de sa soeur et de son beau-frère et l'on avait fixé, pour ce jour-là, le mariage de leur fille unique. Après toutes les excursions qu'elle venait de faire, excursions qui avaient grandement mis à contribution ses propres forces, Mathilda se sentait très fatiguée ; mais elle n'en résolut pas moins de se rendre à Uleaborg, et de là, par chemin de fer à Helsingfors où elle espérait apprendre la vérité tout entière.

Mathilda se coucha de très bonne heure, pour être de nouveau sur pied vers 2 heures du matin et, vers 3 heures, après avoir absorbé une tasse de café noir très fort, elle était en route pour Uleaborg. Pendant tout ce long et pénible voyage, elle ne put dormir que quelques heures au bureau de poste de Kostonpyhitysvaara (3). Quand elle parvint à Uleaborg, le train d'Helsingfors était déjà parti depuis une heure et elle apprit que le baron Wrede, était à Reval. Mathilda, qui avait toujours redouté les grandes festivités et toujours cherché aussi à les éviter, résolut alors de faire tout son possible pour rejoindre son beau-frère, cet homme au noble coeur, qui allait passer dans la solitude l'anniversaire de ses noces. Et elle arriva vraiment à Reval au jour fixé.

Après avoir longuement cherché la maison, elle la trouva et put enfin sonner à la porte de son beau-frère; ce fut sa soeur arrivée elle-même la veille qui l'accueillit avec joie.

- Mathilda !... Mais nous te croyions en Laponie ! s'écria-t-elle toute surprise.
- Oui, j'y étais, en effet, il y a quatre jours !

Mais maintenant me voici pour célébrer avec vous ce joyeux anniversaire.

Grande fut la joie de tous en voyant arriver un hôte que l'on n'attendait certes pas. Mathilda put ainsi apporter à son beau-frère, le gardien des lois de la Finlande, un témoignage de sympathie de la part des habitants des régions les plus septentrionales du pays.


Table des matières

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(1) Dans ce chapitre se trouvent réunis plusieurs épisodes des divers voyages de Mathilda.
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(2) Bûcherons.
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(3) La montagne du sanctuaire de la vengeance.

 

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