Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Ténèbres et Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS DE MATHILDA WREDE

Isotalon Antti.


 Déjà tout enfant, Mathilda Wrede avait souvent entendu parler de Isotalon Antti. Cet homme était redouté pour sa force physique et pour tout ce que son caractère présentait d'indompté et d'indomptable aux gens de ce pays, connus pour leur esprit querelleur, leur endurance et leur violence au combat. Härmä est une paroisse de la province de Oesterbotten. Isotalon Antti y était devenu, dans l'imagination populaire, une sorte de héros, par l'incroyable audace de ses hauts faits, dont plusieurs pouvaient, en effet, être réellement qualifiés de grands et de bons.

Lorsqu'il allait à la foire de Wasa, des troubles se produisaient. Le gouverneur Wrede, père de Mathilda, savait que le fait de témoigner de la confiance à un homme pouvait exercer une puissante influence sur ses dispositions, et connaissant la considération dont cet homme jouissait aux yeux du peuple, il décida que, lorsqu'il se rendrait à la foire annuelle, Isotalon Antti serait choisi comme surveillant du marché. Ce titre de « roi de Härmä » n'avait pas manqué son but ; l'ordre devint exemplaire et aucun trouble grave ne se produisait jamais plus.

C'est pendant l'hiver de l'année 1884 que Mathilda, par une journée sombre et froide, rencontra cet homme pour la première fois. Elle était allée faire visite à quelques-uns de ses amis dans la prison de Wasa, où peu de temps auparavant, plusieurs détenus venaient d'être transférés. Comme elle adressait une allocution aux nouveaux arrivés, tout à coup un homme, à la stature gigantesque, se dressa au milieu d'eux. En faisant bruyamment résonner ses chaînes, il se précipita brusquement vers elle et lui cria, en lui mettant presque le doigt sur le visage : « Vous avez les yeux du gouverneur ». Il n'exécuta cet acte que pour éprouver le courage de Mathilda, car il retourna tôt après à sa place. C'était le « roi de Härmä», Antti Isotalon.

À l'occasion d'une rencontre ultérieure, Mathilda promit, si elle se rendait un jour à Härmä, de descendre chez Isotalon, car l'orgueilleux « roi de Härmä » avait conçu pour « l'amie des prisonniers» qui avait « les yeux du gouverneur », une réelle amitié.

Quelques années plus tard, Mathilda dut entreprendre un voyage à travers la province d'Oesterbotten et Isotalon l'invita à accepter l'hospitalité dans sa maison à Härmä. Quand on connut à Kakola ce projet de voyage, un condamné à vie, qui avait été le proche voisin d'Isotalon, lui déclara qu'il n'était pas convenable qu'elle aille habiter une demeure qui avait vu des meurtres et des rixes sanglantes. - « Merci de votre conseil, cher ami, répondit-elle, mais je n'ai pas l'intention de le suivre. je compte bien être l'hôte d'Isotalon, puisque je le lui ai promis ». Le vieux père de Mathilda, d'ordinaire toujours fort inquiet lorsque la plus jeune de ses filles, d'une santé délicate, entreprenait quelqu'une de ses aventureuses expéditions, était, en cette circonstance-ci, pleinement persuadé qu'Isotalon Antti ne manquerait, à l'égard de son enfant, ni aux devoirs de l'hospitalité en honneur à Oesterbotten, ni aux règles chevaleresques.

De Oestermyra, Mathilda télégraphia qu'elle arriverait le matin suivant, qui était un dimanche, à la station de Ala-Härmä (c'est-à-dire de Härmädessous). À l'arrivée du train, une escouade d'hommes se trouvait sur le perron de la gare et, au milieu d'eux, les dominant de toute la tête, le « roi de Hârmâ », en personne. C'étaient autant de physionomies bien connues de Mathilda, qui la considéraient avec amabilité. Elle s'attendait à ce qu'ils accourussent pour l'aider, puisqu'elle portait un lourd bagage et, entre autres objets, cinquante Nouveaux Testaments. Mais aucun d'eux ne bougea; ils ne la saluèrent même pas. Mathilda déposa son bagage dans la neige, puis s'approcha d'Isotalon Antti, la main tendue, en lui disant

« Hyvää, päivää, isäntä » (Bonjour, patron).

« Hyvää, päivää! » répondit-il et il prit dans ses deux mains la main de Mathilda. «Soyez la bienvenue à Ala-Härmä ». Et, au même moment, les bonnets s'envolèrent de toutes les têtes. « Mais, chers amis, ne m'avez-vous pas reconnue tout de suite ? » - « C'est sur mon ordre formel qu'aucun de ces hommes ne vous a saluée et qu'aucun ne vous a aidée », répondit Isotalon. « Je pensais qu'il vous serait peut-être désagréable que l'on voie du train que vous nous connaissiez tous. Mais vous ne paraissez pas avoir honte de vos anciennes connaissances ».

Tôt après, on se dirigea de la gare, dans les grands traîneaux dont on se sert pour aller à l'église, vers Isotalon (1); il avait été, en effet, décidé que Mathilda Wrede y ferait une étude biblique. Le maître de la maison avait envoyé des messagers dans toute la contrée pour annoncer que Mathilda Wrede serait son hôte.

Quand le traîneau fut arrêté devant l'escalier d'Isotalon, un jeune homme vint à leur rencontre. Le patron lui lança les traits, avec l'ordre de dételer le cheval. Mathilda reconnut le plus jeune des fils qui venait, peu de temps auparavant, de quitter la prison de Sörnäs à Helsingfors pour rentrer à la maison. Le fils aîné était mort de la tuberculose dont il avait contracté les germes dans la prison de Kakola.

« Bonjour, tiens, vous êtes déjà rentré à la maison ? » s'écria-t-elle. Le jeune homme, se rappelant la manière dont il avait été dressé en prison, prit la position raide du soldat au garde-à-vous et répondit : « Que Dieu vous conserve, mademoiselle ! »

Sur le seuil de la maison, elle fut accueillie par l'hôtesse avec la plus grande amabilité et invitée à entrer.

Sans parler des hommes qu'elle avait trouvés à la station, il en vint peu à peu beaucoup d'autres. Il n'y avait pas seulement ses anciennes connaissances de la prison, mais aussi leurs parents et leurs voisins. Isotalon Antti pensait que ce jour-là l'église du village serait déserte.

Bientôt toute la cohorte des amis de Mathilda se trouva réunie ; l'un d'entre eux ne pouvait que rire et pleurer de joie. On offrit le café ; Mathilda, en sa qualité d'hôte d'honneur, dut absorber plusieurs tasses du breuvage fumant. Elle parla de Kakola, de Sörnäs et de Wilmanstrand, comme aussi de ce qu'elle avait entendu raconter de la Sibérie. Tous avaient quelque chose à demander, sauf cependant celui dont nous venons de parler, qui se prenait à sourire toujours à nouveau, tandis que les larmes coulaient le long de ses joues. À la fin, Mathilda se tourna vers lui et lui demanda s'il ne désirait pas, lui aussi, avoir quelques nouvelles. « Non, dit-il. Je ne puis pas parler, quand, en même temps, je ne puis pas fumer ma pipe. je suis ainsi. Mais peut-être me permettrez-vous de l'allumer ? » Il reçut l'autorisation désirée, mais tous envisagèrent que cette autorisation était valable pour eux aussi et allumèrent leurs pipes. Au grand tourment de Mathilda, la chambre se remplit peu à peu d'une épaisse fumée, mais elle ne se sentait pas le courage de leur dire à quel point cet air empesté la faisait souffrir. Aussi, fut-ce pour elle une véritable délivrance, lorsque le patron s'écria: «Eh ! bien, maintenant elle doit manger ; il faut absolument la laisser en repos ».

L'après-midi une étude biblique eut lieu au milieu d'une grande affluence. Puis la foule se retira. Déjà à 7 heures on se souhaita une bonne nuit et Mathilda fut conduite dans la petite chambre à côté de la grande salle. C'est là qu'elle devait dormir, là où, à ce que l'on racontait, s'étaient passé tant d'événements à faire frémir. En dépit de l'abondant dîner qu'on lui avait offert, elle reçut encore, pour compléter le repas, un pot de crème.

La ferme d'Isotalon est située près de la grande route nationale ; des batteries y étaient des faits courants le soir du samedi et du dimanche. Quand du dehors des voix se firent entendre, Mathilda ne se trouva pas à l'aise. Quelques instants plus tard on entendit un impérieux: «Silence, jeunes gens P C'était la voix d'Isotalon Antti, qui rappelait son monde à l'ordre.

Mathilda était dans de singulières dispositions, quand elle alla se livrer au repos. Que pouvaient bien avoir vu ces murs ?

Petit à petit le calme se répandit dans la maison tout entière. Tout à coup elle entendit que l'on posait quelque chose de lourd devant la porte. Qu'est-ce que cela signifiait ? Qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir derrière la porte ? je me couche et je m'endors en paix, car toi, ô Éternel ! tu me donnes la sécurité dans ma demeure. (Ps. 4, v. 9.) Telle fut la dernière pensée de Mathilda avant de s'endormir.

Vers 4 heures, on commença à entendre du bruit dans la maison; Mathilda se leva aussi. Bientôt après, le patron lui-même apporta le café; c'est une distinction toute particulière que l'on réserve en Oesterbotten aux seuls hôtes que l'on veut honorer. Il s'informa comment elle avait dormi et lui raconta qu'il avait monté la garde d'honneur et passé la nuit couché devant sa porte. C'était là l'hommage que « le roi de Härmä » avait voulu rendre à la fille de l'ancien capitaine de la province, devenue «l'amie des prisonniers».

Après le déjeuner, on partit. Isotalon Antti n'avait pas commandé de cheval, bien que Mathilda l'eût prié de le faire. Il voulait la conduire lui-même par le long chemin qui mène au presbytère de Yli-Härmä (Härmä-dessus). C'est ainsi que tous deux prirent place dans le petit traîneau, garni de paille et dépourvu de dossier. L'allure de la course était vertigineuse, malgré la route fort mauvaise, inégale et qui se déroulait tortueuse à travers la forêt. Il fallait un art consommé pour ne pas perdre l'équilibre, et cela d'autant plus que Mathilda était enveloppée d'une fourrure sans manches. Isotalon Antti considéra sa compagne de route et, d'un coup d'oeil, comprit la situation. « Je suis déjà un vieil homme » lui dit-il, « presque du même âge que monsieur votre père. je désirais que votre voyage fût aussi agréable que possible et je constate que, contrairement à mes voeux, il est aussi désagréable que possible. C'est pourquoi je vais étendre mon bras gauche qui vous tiendra lieu de dossier et vous pourrez vous appuyer. » Mathilda refusa d'abord... mais elle n'en fut pas moins contrainte de finir par s'appuyer sur le bras d'Isotalon qui lui donna l'assurance qu'elle pouvait être tout à fait tranquille, il avait bien assez de force pour la soutenir.

Lorsque le traîneau pénétra à Yli-Härmä dans la cour du presbytère, une petite vieille toute tremblotante qui se trouvait là à cet instant, se précipita dans la maison, s'écriant épouvantée: «Isotalon Antti est dans la cour et il amène avec lui un être humain aussi long que lui.» Le pasteur vint à leur rencontre et souhaita la bienvenue à ses hôtes.

Après que l'on eut bu le café, Isotalon exprima le désir de voir les bêtes à l'écurie. Il s'y trouvait de petits cochons de la race du Yorkshire, encore inconnue à cette époque en Oesterbotten. Isotalon s'informa de ce qu'ils coûtaient et déclara que vingt marcs finlandais étaient un prix trop élevé, ces animaux n'ayant pas plus de deux semaines. Mathilda eut alors l'idée de faire présent d'un petit cochon à son hôte, pour le remercier de l'hospitalité qu'elle en avait reçue; ce dont Isotalon se montra fort touché. Mais, quelques semaines plus tard, l'animal se cassa une jambe; Isotalon le prit et le rapporta au presbytère pour l'échanger contre un animal intact ; personne n'osa faire la moindre objection à cette proposition.

Après sa visite au presbytère, Mathilda continua sa route pour aller voir ses amis à Yli-Härmä. Sur le chemin du retour, on était convenu que Mathilda devait retrouver à Isotalon quelques-unes des familles des détenus. Au moment de prendre congé ni d'Isotalon, Mathilda lui avait donné un billet de banque d'une valeur considérable et l'avait prié de le changer contre de plus petites coupures de 5 et de 10 marcs. Il en parut fort étonné et lui demanda comment il se pouvait faire qu'elle lui confiât une aussi forte somme d'argent ; elle répondit qu'elle savait l'argent bien gardé en ses mains : elle-même, en effet, dans ses multiples pérégrinations, ne pouvait-elle pas fort aisément le perdre ? Le « roi de Härmä » ne trompa pas la confiance mise en lui, et, lorsque Mathilda revint, le billet était changé. Ce jour-là nombreux furent les mères et les enfants qui reçurent des secours spirituels et matériels de leurs pères et de leurs maris en prison.

L'année suivante, Mathilda Wrede retourna faire visite au foyer d'Isotalon. C'était un jour d'été, par une chaleur torride. Beaucoup de gens s'étaient rassemblés dans la chambre étouffante pour la saluer et aussi pour chercher auprès d'elle le secours et l'appui qui leur étaient nécessaires dans leurs diverses épreuves. L'hôte, qui voyait à quel point Mathilda souffrait de la chaleur, lui proposa de se rafraîchir par un bain dans le petit fleuve, coulant dans le voisinage immédiat de la ferme. Mais Mathilda, en regardant par la fenêtre, se rendit compte que, sur le rivage sans arbre, se trouvaient plusieurs personnes et elle refusa l'offre aimable qui lui était faite.

Isotalon comprit immédiatement la situation. « Allez seulement, dit-il, je vous suivrai et je veillerai, aussi longtemps que vous serez au bain, à ce que personne ne vienne vous déranger. » Mathilda le remercia, mais n'en préféra pas moins rester dans la chambre avec ceux qui s'y trouvaient.

Plus tard, Mathilda Wrede eut encore l'occasion de faire quelques visites à son ami Isotalon. Elle eut de nombreux entretiens profonds avec cet homme autrefois redouté de tous et qui lui témoignait maintenant une confiance toujours plus absolue. Ces entretiens étaient de nature si intime qu'ils ne sauraient être rapportés ici. Pendant plusieurs années, Mathilda Wrede et le « roi de Härmä» correspondirent l'un avec l'autre.

Durant l'année 1921, Mathilda rencontra une vieille demoiselle dans un asile d'incurables. « je vous connais bien, mademoiselle», lui dit celle-ci. «Lorsque vous êtes venue, pour la première fois, chez Isotalon à Härmä, j'étais moi-même là-bas, employée dans un petit magasin et je vous ai vue passer devant ma fenêtre. J'ai été extraordinairement étonnée de ce que vous ayez eu le courage de séjourner à ce foyer où tant de choses effroyables se sont produites. Vous savez sans doute, mademoiselle, qu'avant sa Mort, il est devenu croyant, qu'il avait gagné la considération de tous et que c'est à vous que l'on attribue la transformation profonde qui s'était opérée en lui ».


Table des matières

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(1) En Finlande, les paysans portent souvent le nom de la propriété qu'ils habitent; Isotalon avait reçu son nom du domaine qu'il habitait. Isotalon signifie « la grande ferme ».

 

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