Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Ténèbres et Lumières
NOUVEAUX SOUVENIRS DE MATHILDA WREDE

Parmi les bohémiens.

 

Il se trouvait, dans la prison de Kakola, depuis un temps assez prolongé, un bohémien qui souffrait d'une grave affection des yeux. Aussi, Mathilda, dès que l'heure de la libération fut venue, l'invita-t-elle à se rendre à Helsingfors et lui promit-elle de se charger des frais d'une cure dans une clinique ophtalmique. Il y vint ; le médecin déclara qu'une longue cure serait nécessaire à sa guérison.

Le bohémien fut reçu à l'hôpital, mais quatre jours après son entrée, la garde-malade arrivait à la porte de Mathilda et l'invitait à accourir immédiatement auprès du malade ; repris par ses instincts naturels, il voulait partir sur l'heure. Mathilda rassembla sans tarder les menus objets qui, à son avis, étaient de nature à procurer au patient un peu de joie et alla à la clinique en toute hâte.

Elle réussit à le tranquilliser tant et si bien qu'il promit de demeurer à l'hôpital jusqu'à la fin de la cure. Mais dix jours s'étaient à peine écoulés que la passion du vagabondage s'empara de nouveau de lui ; aucune puissance au monde ne pourrait le retenir plus longtemps. Il devait partir, peu importe que ses yeux fussent guéris ou non. Au moment de prendre congé de Mathilda, il lui fit promettre que, si elle venait jamais dans le voisinage de son pays, elle irait lui rendre visite.

Un jour qu'elle était en voyage, Mathilda Wrede s'arrêta dans une ville de la Finlande orientale. Dès le premier soir, elle rencontra dans la rue un vieux bohémien qui conduisait un jeune enfant par la main. Elle s'approcha d'eux et leur de. manda si peut-être ils savaient comment se portait le bohémien aux yeux malades (il était précisément de ce pays-là). « Assurément, je le connais », répondit le plus jeune. « C'est un de mes parents et ce soir même je le rencontrerai. Vous êtes Mathilda Wrede, je le sais. Il m'a beaucoup parlé de vous et n'a pas cessé de vous attendre. Je lui dirai que vous êtes ici. »

Le matin suivant, comme Mathilda était à table et déjeunait avec son compagnon de route, on entendit tout à coup un étrange coup de sonnette. La sommelière annonça qu'un bohémien désirait parler à Mlle Wrede.

« Faites-le entrer » dit Mathilda, qui avait tout de suite devine qui était ce visiteur, « et apportez, je vous prie, encore un couvert, je désire l'inviter à déjeuner avec nous ». La jeune fille parut tout effrayée : « Vous ne pouvez pourtant pas manger avec un pareil individu! » dit-elle. Mais Mathilda persista dans son dessein ; et le bohémien entra.

Ses dents blanches - le seul trait réellement beau dans sa figure extraordinairement foncée - brillaient, quand, en riant et tendant ses deux mains, il accourut auprès de Mathilda. Ses yeux étaient, comme auparavant, toujours malades; néanmoins, il ne regrettait point d'avoir quitté la clinique. Pendant qu'ils déjeunaient ensemble, il raconta que, la veille au soir, il avait été prévenu de l'arrivée de Mathilda et maintenant il était là avec son propre cheval, pour la conduire à sa demeure, distante de douze kilomètres, là où toute la tribu (heimo, en finlandais) s'était assemblée pour l'accueillir. Mathilda considéra son compagnon de voyage et, se tournant vers le bohémien, elle lui dit : « Devons-nous le prendre avec nous, lui aussi, ou bien faut-il le laisser ici à l'hôtel ? » Le bohémien le considéra de ses petits yeux malades et répondit : « Nous pouvons le prendre avec nous lui aussi. »

Si Mathilda Wrede était ravie de l'invitation, il en était tout autrement de l'hôtesse et du personnel de l'hôtel qui envisageaient comme hautement inconvenant pour des personnes de la « bonne société » de traverser la ville dans un char de bohémien. Tout en se préparant à se mettre en route, Mathilda envoya du pain noir pour le cheval, qu'elle considérait de sa fenêtre. D'une désolante maigreur et fort caduc, il portait des oeillères d'une grandeur démesurée et, autour de son cou, un collier muni de clochettes. Un des deux brancards était cassé et raccommodé à l'aide d'un solide noeud d'osier. Plusieurs rayons manquaient aux roues ou avaient été réparés au petit bonheur avec des cordelettes. Lors du départ de la compagnie, des hommes et des femmes, curieux et amusés, observaient de leurs fenêtres, la scène inusitée qui se passait près du perron de l'hôtel. Pour hisser Mathilda sur ce char fort élevé, il fallut apporter une chaise et elle s'y assit, non sans peine, tandis que son compagnon prenait place à ses côtés. Le bohémien fit claquer son fouet et l'équipage traversa les rues de la ville d'une allure nonchalante pour gagner la campagne.

C'était un dimanche matin. Un repos sabbatique planait sur la contrée. Tout à coup, à la lisière de la forêt, on aperçut une forme noire. Quand on s'approcha de cet être bizarre, il lança quelques mots au cocher dans une langue étrangère, puis disparut dans la forêt.

« Qui était-ce ? » demanda Mathilda. « C'était l'un des nôtres, qui a été dépêché, pour voir si la demoiselle venait réellement. Maintenant, il regagne notre campement avec l'ordre de tenir la cafetière toute prête ». Bientôt après ils atteignirent le campement qui servait aux bohémiens de résidence d'été.

Les invités furent reçus avec une grande joie et une cordiale hospitalité leur fut offerte. Les hommes et les femmes de la tribu - il y en avait de tous les âges - se pressaient vers les nouveaux venus ; des mères, leurs tout petits sur les bras, venaient montrer leurs trésors. Puis, on invita les voyageurs à entrer dans une grande pièce. Un homme âge avait pris place à table, la bible ouverte devant lui. Lire, il ne le pouvait assurément pas ; mais c'était sa manière de prouver son respect à ceux qui s'étaient rendus à l'invitation des bohémiens. La table était proprement dressée. De fort jolies tasses furent bientôt remplies d'un café fort et parfumé et les hôtes invités à en goûter. Un jeune garçon entra dans la salle - la fidèle image de celui qui les recevait - Mathilda se souvenait que le père, tandis qu'il était encore enfermé dans la prison de Kakola, lui avait parlé de son fils, Nestor-Alexandre ; à la stupéfaction générale, joyeuse, elle lui cria : «Bonjour, Nestor-Alexandre! » Elle connaissait donc le nom de l'enfant. Le père en prit un air important et rayonnait de joie.

Rapide, le temps s'écoula en conversations familières qui se terminèrent par une méditation biblique. Puis, les étrangers furent conviés au dîner qui consista en pain beurre, oeufs, riz au lait et en lait. Les Bohémiens n'ignoraient pas que Mathilda Wrede ne mangeait ni viande, ni poisson. Après le repas, les visiteurs reprirent le chemin de la ville.

Au moment du départ, Nestor-Alexandre demanda la faveur de faire la course avec les visiteurs. Le père se tourna vers Mathilda et s'informa si elle ne voyait pas d'inconvénient à ce que l'enfant prit place à l'arrière du char. Vraiment, le cheval lui faisait pitié d'avoir une charge de plus à traîner, mais, toute réflexion faite, elle n'eut pas le courage de refuser une si grande joie au jeune garçon qui désirait vivement faire la course avec les étrangers.

En chemin, Mathilda leur demanda s'ils ne savaient pas chanter : elle avait entendu dire que les bohémiens étaient doués de réels talents musicaux. S'ils savaient ! Le cocher commença à chanter de toutes ses forces : « Mustalaiseks olen syntynyt », c'est-à-dire je suis un Tzigane. Nestor, de son siège, à 10 arrière, chantait à gorge déployée et les montagnes renvoyaient les échos de leurs voix.

Ils sortirent de la forêt. À une certaine distance, ils aperçurent un long cortège, qui venait à leur rencontre : c'étaient les fidèles qui, au sortir de l'église, quittaient la ville, pour rentrer dans leurs demeures. Les deux voyageurs sentirent tout ce qu'il y avait de désagréable, mais en même temps de comique à leur situation. « Chers amis », dit Mathilda, « c'est pour nous fort plaisant de vous entendre chanter. Mais ces gens-là viennent de l'église et il se pourrait que vos chansons profanes leur causent quelque trouble. Cessez donc jusqu'à ce que nous les ayons dépassés ».

À l'instant même les deux chanteurs se turent et le cheval continua à trotter doucement. C'est avec curiosité et même avec un certain effroi, que les gens qui sortaient de l'église considéraient cette singulière compagnie et le véhicule qui la portait. D'une allure grave, le cortège des fidèles passa à côté des voyageurs et, au moment même où la dernière voiture les eut dépassés, le père et le fils reprirent de toutes leurs forces le chant interrompu.

Fatigués de toutes les diverses impressions qu'ils venaient d'éprouver, nos amis arrivèrent sains et saufs devant le perron de l'hôtel.


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