Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Parcours féminins



À chaque arbre son fruit
(Concerne Melissa, Clémence, Justine et Patricia)

 

Loïc et Melissa marchaient d'un coeur droit devant l'Eternel. Aussi voyait-on naître les oeuvres autour d'eux. Sans doute, ils avaient leurs moments de tiédeur et de révolte, mais quand ils priaient, leur âme parlait le même langage que leurs lèvres, et le Seigneur les comblait de ses dons spirituels. Le Consolateur, le Saint Esprit, les remplissait complètement de joie et de zèle.

Loïc, d'après les conseils de Daniel, avait invité ses voisins à se réunir 45 chez lui le dimanche soir, autour de la Parole de Dieu. Le matin était réservé à un moment d'adoration avec les Martin, et le soir, cet heureux couple ouvrait la Bible à des gens qui n'avaient pas encore ouvert leur coeur à Jésus.

Ces simples entretiens faisaient descendre la lumière dans beaucoup d'âmes; les uns s'inquiétaient de leur avenir, les autres prenaient goût à la lecture de la Bible, plusieurs, ajoutant foi aux promesses de Christ, avaient accepté son pardon. Tous ceux-là, pressés par l'amour de Dieu, s'étaient demandé: « Que faut-il que nous fassions pour servir le Seigneur ? » Et peu à peu, on avait organisé des réunions de prières en semaine, auxquelles Daniel et Anne-Laure assistaient régulièrement, mais aussi de temps à autre la famille Jaquemin, et même Zoé quand elle le pouvait.

En face de la haine, du mépris qu'ils inspiraient au grand nombre, « les exagérés », « les exaltés », comme on les appelait, s'étaient d'abord sentis étonnés, presque scandalisés. Puis ces paroles du Sauveur : « Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi », ces paroles, qui ne prennent tout leur sens qu'au moment de la lutte, avaient éclairci leur position. Maintenant ils restaient paisibles et fermes.

Que de difficultés ! S'il fallait de la force, il fallait de la douceur aussi. S'il fallait, en temps et hors de temps, confesser sa foi, il fallait se garantir du zèle imprudent, de la précipitation charnelle. S'il ne fallait faire aucune concession à l'erreur, il fallait supporter l'homme égaré. S'il fallait éprouver les esprits, il fallait se préserver de la manie de juger et de condamner.

Melissa avait beaucoup à combattre. A mesure que les besoins religieux se manifestaient à Erquelinnes, Loïc voyait des obligations nouvelles se placer devant lui. Les sacrifices de temps, d'argent, d'affection même, allaient se multipliant. Souvent Loïc devait consacrer leurs rares moments de libre à visiter des familles isolées, à leur porter l'Évangile, à le leur expliquer. Pendant ce temps, elle souffrait d'être privée de son mari qui était sa seconde âme. Elle était inquiète s'il tardait à rentrer. D'un autre côté, les absences répétées de Loïc rapprochèrent la belle-mère et la belle-fille.

Melissa était attristée lorsque son mari revenait épuisé de fatigue. Elle éprouvait de la culpabilité à cause de son propre égoïsme, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser parfois que les autres lui volaient son mari.

Dieu bénit ce petit troupeau, et s'ils eurent des luttes, il leur donna aussi de grandes joies comme de voir enfin la maman de Loïc ouvrir son coeur au Seigneur et à ses divines consolations. L'ennemi rôdait autour de ces âmes, mais le bon berger les gardait et les soutenait au travers des vicissitudes de l'existence.

Dieu prémunissait ses enfants contre le relâchement, contre les tromperies de l'imagination, contre le retour à la religion de formes, contre l'entraînement à une indépendance orgueilleuse. Il fallait être vigilant ! Il fallait d'une main tenir la truelle pour édifier, de l'autre saisir l'épée et se défendre contre les adversaires. Mais la victoire n'était-elle pas déjà remportée par le chef et le consommateur de la foi ?

Ces chrétiens d'Erquelinnes le savaient, c'est pour cela qu'ils se montraient joyeux dans l'espérance, paisibles et forts au milieu de la bataille.

Zoé était un des membres les plus fidèles de la petite assemblée, du moins quand son mari la laissait libre de s'y rendre. En lui manifestant sa justice, puis sa miséricorde, en la laissant un instant écrasée sous le poids de ses péchés pour la relever par la main de Christ, Dieu avait transporté loin d'elle beaucoup de montagnes qui lui barraient le chemin. Plus elle renonçait à ses anciennes idoles, à sa volonté, à son indépendance, plus ses devoirs se simplifiaient. Lorsque, plongée dans le sentiment de sa misère, elle disait d'un coeur humble : « Mon Dieu, je ne puis rien faire de moi-même, accomplis ta force dans ma faiblesse ! », elle respirait plus librement, elle se sentait dégagée de ses péchés d'habitude, la joie remplissait son coeur.

Robert Giraud, étonné de trouver en elle prévenance, soumission, humeur égale, ne pouvait s'empêcher de témoigner parfois sa satisfaction. Mais il avait encore trop souvent des réactions inattendues et brutales envers la foi de son épouse.

Il avait longtemps affecté de ne voir dans ce changement que l'effet d'une ruse ou d'un caprice. Les découragements, les fautes fréquentes de Zoé semblaient, au premier abord, justifier une telle opinion. Cependant, malgré ses chutes, on sentait vivre au fond de la conduite de Zoé un principe constant, on pouvait suivre la marche lente mais réelle des progrès. Et il n'y eut bientôt plus moyen de nier l'amélioration.

Lorsque Zoé avait offert à son mari de l'aider dans sa comptabilité, il s'était moqué d'elle. Et surtout, il se méfiait d'un si soudain intérêt. Voulait-elle mettre la main sur son argent, son argent à lui ? Mais, débordé par son travail et pressé par l'échéance de remettre sa déclaration aux impôts en temps voulu, il avait essayé de l'employer. Puis, satisfait de son exactitude, il avait profité de cette aide bienvenue. Enfin, touché de sa persévérance, il s'était à deux ou trois reprises félicité devant elle de posséder une si habile secrétaire !

Durant quelques mois, Robert avait semblé ne pas s'apercevoir des soins que Zoé apportait dans l'arrangement de son ménage. Le jour où, renonçant à ses anciennes habitudes d'indélicatesse, elle était venue lui apporter de l'aide pour le nettoyage du camion, il l'avait regardée d'un oeil surpris. Puis, avec un ironique sourire sur les lèvres, il avait accepté cette aide supplémentaire de sa femme avec une véritable joie d'avare. La charité de Zoé, qui souvent la portait à se priver d'un nouveau vêtement pour aider quelque voisin pauvre ou malade, son zèle chrétien qui lui avait même fait éprouver de la douceur à vendre sa chaîne d'or et ses boucles d'oreilles, afin d'en consacrer le prix à diverses oeuvres évangéliques, tout cela n'avait eu d'autre résultat, il le semblait du moins, que d'exciter les moqueries de son époux. Et pourtant, à son insu, tout cela agissait sur lui. Il se laissait entraîner à causer avec Zoé de ses intérêts, de ses projets. Une fois, il l'avait consultée sur quelques réparations à faire, et il lui arrivait de temps à autre d'appuyer, par un mot ferme, l'influence de sa femme sur les enfants.

Avant de mettre ses enfants au lit, Zoé avait essayé de les faire lire tout haut des histoires de la Bible. Eric s'y était prêté de mauvaise grâce. Jérôme, tout en protestant que cela l'ennuyait fort et qu'il n'obéissait que par contrainte, s'intéressait cependant à cette occupation et y mettait de la bonne volonté. Et Robert qui, naguère, allait se coucher, ou lire un livre dans son bureau, quand son épouse ouvrait la Bible avec leurs enfants, avait peu à peu retardé son départ, puis était resté tout à fait, puis avait fini par donner lui-même le signal de la lecture.

Robert Giraud était en fait un homme fait de contradictions. Il se vantait de lire et de connaître la sagesse humaine tout en se laissant aller à de piètres comportements. Il se targuait de défendre les hautes valeurs humaines de la philosophie tout en volant son prochain. Toutes ces contradictions ne l'avaient jusque là pas trop perturbé, mais peu à peu, à la vue du changement chez sa femme, il se posait des questions, tout en gardant une apparence d'opposition sans faille.

Zoé s'était attachée à faire pénétrer la vérité dans l'âme de ses enfants. Eric ne lui montrait pas plus de confiance qu'auparavant. Il l'écoutait, il se montrait obéissant, mais le coeur restait cuirassé. On sentait qu'entre le fils et la mère un mur s'était élevé. On sentait qu'une domination étrangère avait supplanté la domination naturelle.

Jérôme faisait des efforts inouïs pour échapper à l'action religieuse de sa maman. Cependant, au fond de son coeur, il l'aimait tendrement. Et pour lui plaire, il lisait assidûment l'évangile, il priait à ses côtés et, dans ses bons moments, il écoutait avec une sorte d'attention les affectueuses exhortations de sa tendre maman. La semence était jetée à pleines mains dans cette âme, quelques grains y tombaient, peu y levaient, mais Zoé regardait au Seigneur avec confiance.

Quoiqu'elle eût la paix de la conscience et du coeur, Zoé avait des échardes en sa chair. L'avenir de son mari, de ses enfants, troublait son âme. Le tableau d'une union chrétienne que lui présentaient sans cesse Loïc et Melissa remplissait son coeur de sentiments douloureux. Ses propres misères l'accablaient souvent.

Elle avait, comme tous les chrétiens, des moments où la joie du salut en Christ lui échappait, où elle se voyait de nouveau ballottée entre un vague espoir de bonheur en famille et la crainte que sa situation perdure. Elle avait des heures de sécheresse où elle ne trouvait rien à dire au Seigneur, où la lecture des plus beaux passages de la Bible la laissait froide. Puis l'ancienne Zoé, hautaine, indépendante, reprenait le dessus et venait tout gâter. Ou bien encore, dans l'espoir de gagner l'âme de son mari, la pauvre femme faisait des concessions de principes qui tournaient au détriment de la vérité, et lui causaient plus tard de vifs remords, comme ce dimanche où elle avait elle-même proposé à son mari de l'aider pour le marché, se privant de la bénédiction d'être réunis autour du Seigneur avec d'autres enfants de Dieu. L'orgueil n'était pas absolument dompté chez Zoé, et lorsqu'elle allait porter une portion de son dîner à quelque malheureux, lorsqu'elle passait l'après-midi auprès d'un malade, il murmurait à son oreille des paroles flatteuses qui gonflaient la belle opinion qu'elle avait d'elle-même dans ces moments.

Ces épines de la route étroite déchiraient Zoé comme elles déchirent tous ses compagnons de voyage. Mais nous l'avons dit, elle avait la paix, parce qu'elle connaissait son Sauveur.

Bernard et Justine, lorsqu'ils arrivèrent à Erquelinnes, trouvèrent de la protection auprès de leurs anciens amis, particulièrement auprès de la famille Stiévenart et de Zoé. Les privations souffertes à Mons, les fatigues de leur triste condition d'alors avaient affaibli la santé de Justine. Elle fut tendrement soignée par ses anciennes compagnes. Bernard, dépaysé, éloigné des séductions de ses anciens compagnons, se sentait plus fort. Loïc Stiévenart entreprit avec lui une étude sérieuse de la Bible, qui, en jetant une vive lumière sur la justice et sur la miséricorde de Dieu, éclaira Bernard sur la corruption de son propre coeur. Loïc lui fit comprendre la nécessité de posséder une foi vivante. Bernard était encore faible, encore variable, et Justine tremblait lorsqu'elle le voyait, fatigué d'un travail assidu, se rapprocher des mauvais sujets du voisinage, mais le Seigneur veillait ! Elle le savait, elle redoublait de prières, d'affection, et Bernard reprenait le dessus.

Quant à Patricia, Anne-Laure essaya d'adoucir ses peines en lui témoignant de la sympathie chrétienne.

- Je suis assez malheureuse dans ce monde pour avoir ma récompense dans l'autre, répondit sèchement Patricia.

- Hélas! Patricia, le malheur n'efface rien. Il n'y a qu'un Sauveur, qui est Christ, qu'une expiation, celle qu'il a faite de nos péchés sur la croix: « C'est moi, c'est moi qui efface tes iniquités pour l'amour de moi ! »

- Jésus a dit : « Heureux ceux qui pleurent ! », répliqua Patricia pleine de dépit.

- Je crois, Patricia, qu'il le dit à ceux qui pleurent leurs fautes, qui ont le coeur brisé à cause de leurs péchés; à ceux qui acceptent les décrets du Seigneur et s'y soumettent, même lorsqu'ils leur paraissent cruels. Patricia, si tu pouvais pleurer ainsi, te courber sous la main de Dieu, chercher les fruits de l'épreuve, il y aurait encore beaucoup de bonheur pour vous ici-bas, et dans le ciel, la vie éternelle.

Mais Patricia offensée rompit l'entretien et garda son orgueil, sa colère, son agitation, toutes les misères attachées à la révolte contre Dieu.

 




L'âme enchaînée, l'âme délivrée
(Concerne Zoé Giraud)

 

Quelques années s'étaient écoulées; Melissa, Zoé et Justine témoignaient souvent à Anne-Laure leur reconnaissance pour ses conseils et son affection. Et Anne-Laure, à qui chaque jour enseignait mieux ce qu'est la sanctification et ce qu'est la malice du coeur de l'homme, leur répondait : « Chères amies, je suis pécheresse comme vous, j'ai comme vous beaucoup à combattre, comme vous j'ai souvent offensé, j'offense souvent encore mon Sauveur, toute force vient de Lui, toute lumière du Saint Esprit, ne vous attachez donc pas aux paroles d'une pauvre servante de Christ, mais allez à Christ ! »

Zoé, chez laquelle la vie évangélique s'était développée à un étonnant degré, remarquait, depuis quelque temps, une amélioration sensible autour d'elle. Son plus jeune fils se montrait très affectueux, et par moments il semblait céder aux appels de Dieu. L'aîné, hélas! se tenait toujours à l'écart. Il avait certains égards pour sa maman, il remplissait régulièrement ses devoirs envers ses parents, cependant ni son frère ni surtout sa mère ne possédaient sa confiance. Eric éprouvait un ardent désir à devenir quelqu'un d'important et de riche, et il s'énervait de l'influence qu'exerçait le christianisme fervent de sa mère. Il s'efforçait donc de se mettre en garde contre l'action de l'évangile.

Robert Giraud avait fait quelques pas. La soumission, l'affection de Zoé le touchaient.... autant qu'un coeur endurci par l'habitude de l'avarice et de l'égoïsme peut se laisser toucher. Les progrès de Zoé, qui chaque année allaient croissant, lui arrachaient, lorsqu'il y pensait, cette exclamation: « Certains chrétiens valent mieux que nous ! », mais il y pensait le moins possible, parce que ces réflexions l'amenaient devant son propre péché, qu'elles le plaçaient en face de la justice, de la grâce divine, et que tout cela le mettait mal à l'aise.

Zoé lui parlait avec liberté du bonheur qu'elle éprouvait à se sentir une rachetée de Christ, du calme avec lequel elle envisageait toutes choses, de la confiance avec laquelle elle attendait son dernier jour. Souvent elle le pressait affectueusement de chercher Dieu lui aussi. Il savait qu'elle priait pour ses enfants et pour lui. Et tout cela travaillait sourdement son coeur. C'est ainsi que, tantôt pour obéir à un impérieux besoin de sa conscience, tantôt pour faire plaisir à sa femme, tantôt dans la pensée très fausse, très coupable, mais très commune, de se mettre en règle de tous les côtés, de se faire un peu chrétien pour le cas où la religion qui s'appuie sur la Bible serait la vraie (car il avait bien réalisé que ce que son épouse lui présentait n'était pas une religion de formes, de doctrines humaines, mais ce que Zoé appelait le seul véritable christianisme), Robert permettait à Zoé de lui lire de temps à autre quelques versets de l'Ecriture Sainte.

Dans ses bons jours, dans les jours où la conclusion d'une affaire avantageuse le mettait de bonne humeur, où quelque attention de Zoé le disposait en sa faveur, il allait jusqu'à s'écrier en lui tapant sur l'épaule : « Voyons, voyons, chérie ! Il faut rendre quelque chose au bon Dieu. Fais une prière ! »

Etait-ce alors une boutade avec un fond d'inquiétude ? Toujours était-il que Zoé priait simplement à voix haute, comme elle en avait l'habitude à voix basse. Il ne s'agissait pas de phrases toutes faites, préparées à l'avance, mais des mots qui sortaient autant de son coeur que de ses lèvres. Dès ses premiers pas dans la vie chrétienne, elle avait vite appris qu'il ne fallait pas s'approcher de Dieu avec de vaines redites ! Zoé se recueillait en la présence de son céleste Père, et allant droit à lui, ne s'appuyant pour s'en faire écouter que sur le nom de Christ, elle répandait son coeur devant son Dieu et Père, demandant ce dont elle avait besoin, rendant grâce pour ce qu'elle avait reçu, s'humiliant à cause de ses péchés, se réjouissant en son Sauveur, implorant avec ferveur sur toute sa famille les grâces du Seigneur.

Oh ! Qu'elle se sentait doucement émue quand, après ces courts instants d'union chrétienne, elle apercevait une fugitive trace d'émotion sur les traits de son époux !

Cette joie dura peu. Comme en un de ces matins où l'aube qui blanchit à l'orient voit tout à coup ses clartés naissantes obscurcies par les vapeurs qui s'élèvent de la terre, l'âme du maraîcher, un instant éclairée, s'enveloppa de nouveau de toutes les ténèbres de l'erreur.

Eric, inquiet de la complaisance que mettait son père à lire cette Bible, faisait tout pour éloigner ses parents l'un de l'autre.

Eric, alors que cela ne l'intéressait pas, alla jusqu'à feindre une passion pour la philosophie. Et il montra un intérêt si pressant que son père fut entraîné à nouveau loin des pensées de Dieu. Robert était flatté que son fils veuille apprendre de lui. Et sous un prétexte ou l'autre, il cessa de lire les Saintes Écritures avec sa femme, il évita toutes les conversations qui auraient pu le ramener en face de la vérité.

Il y avait des instants où, poussé par un secret remords, par un secret instinct peut-être, Robert adressait quelques paroles affectueuses à son épouse, mais bientôt la préoccupation des affaires, les soucis, la ruse et les artifices de son fils, faisaient qu'il retournait à sa froideur habituelle.

Par la suite il fit encore un pas, le dernier qui lui restât à franchir, en demandant à sa femme de ne plus prier pour lui, et dès ce moment les relations conjugales redevinrent contraintes, la tristesse rentra dans le coeur de la pauvre Zoé qui continuait à prier en secret pour son mari.

Peu après, Zoé, affaiblie par tant d'années de tristesse et d'efforts, tomba gravement malade. Elle se vit couchée sur un lit de douleur, elle apprit à se détacher de beaucoup de choses à l'égard desquelles elle se croyait libre, mais qui tenaient une trop grande place dans son coeur.

Lorsque le Seigneur l'eut mise dans l'inaction, l'eut exposée à de cruelles souffrances, elle sentit vraiment que Christ nous suffit. L'affection de ses frères et soeurs dans la foi lui fit éprouver des joies inconnues jusqu'alors. Chaque visite de Daniel ou Loïc lui apportait de nouvelles lumières, chaque conversation avec Melissa, avec Justine, lui donnait comme un avant-goût de la communion des élus. L'angoisse lui ôtait-elle jusqu'à la force de prier ? Elle savait que des supplications s'élevaient pour elle jour et nuit. Demeurait-elle dans l'isolement ? Jésus se tenait près d'elle. Parfois le démon s'efforçait de lui arracher sa confiance en entassant devant elle ses péchés d'autrefois, ses péchés de tous les jours, mais le coeur de Zoé était gardé par le vainqueur de Satan, et sa sérénité, un instant troublée, revenait plus parfaite. A mesure qu'elle voyait mieux sa misère spirituelle, elle saisissait avec plus de force la justice de Christ pour s'en couvrir tout entière comme d'un resplendissant manteau.

Autour d'elle, hélas! les ténèbres s'obscurcissaient. Eric, de plus en plus distant, troublé par le voisinage de la mort, ne s'approchait du lit de sa mère qu'avec une certaine contrainte ; chez lui, un sentiment de mal être étouffait presque l'amour.

Robert n'appréciait que très peu toutes ses visites faites à son épouse, mais il n'osait lui retirer ces derniers plaisirs. Il était sombre, et repoussant la tristesse comme il repoussait tout ce qui pouvait soulever dans son esprit les terribles questions de jugement ou de nouvelle naissance, il redoublait d'activité extérieure. Il n'allait voir sa femme que pour lui dire quelques mots sans importance, et il fuyait plus que jamais les moments cruciaux qui l'auraient mis en présence de l'éternelle vérité.

Que de larmes Zoé avait versées sur ces tristes liens si près de se rompre ! Ce mari, un instant touché, un instant rapproché d'elle, qui maintenant échappait prématurément à l'union bientôt brisée; ce fils, ce fruit de ses entrailles, devenu presque un étranger pour elle. Il n'y avait pas de prières des siens près de son lit, pas la tendre voix d'un époux, d'un enfant bien-aimé qui vînt la fortifier en lui transmettant les réjouissantes promesses du Seigneur. Jérôme seul, angoissé, malheureux, de temps en temps lisait pour lui obéir un Psaume de David, un chapitre de l'évangile. Quelle tristesse ! Et pour ces pauvres âmes, quel avenir !

A cette pensée d'avenir, un trouble indéfinissable agitait le coeur de l'épouse, de la mère. Enfin, le Seigneur triompha de ses doutes comme il avait triomphé de son orgueil, de sa rébellion, de tout ce qui s'opposait au bonheur qu'il lui voulait donner.

Zoé, avec une foi pleine de confiance, déposa tout ce qui lui était cher dans les miséricordieuses mains de Dieu.

Le dernier jour arriva. Une douce conversation avec Anne-Laure avait réjoui le coeur de Zoé. Justine, restée auprès d'elle, la soutenait par son affection et par sa foi. Entraîné, sans se l'avouer peut-être, par le besoin d'échapper à des scènes cruelles, Robert était allé terminer une affaire à Charleroi. Eric, guidé par le même instinct, s'était éloigné de la maison. Il n'y rentrait au reste qu'avec répugnance, depuis que la maladie de sa mère y attirait des chrétiens évangéliques, depuis que les convictions de cette dernière, débarrassées par son départ prochain de leurs dernières entraves, s'exprimaient avec une liberté, avec un amour contre lesquels il avait peine à défendre son coeur. Jérôme, assis, ou plutôt affaissé au pied du lit, regardait sa maman d'un oeil terne. Pauvre adolescent ! Aucun rapport de goûts, de pensées, ne l'unissait à son frère, aucun à son père, que l'étourderie de ce caractère, que son éloignement pour les affaires d'intérêt exaspéraient souvent. Avec sa mère allaient lui échapper toute affection, tout appui, tout bonheur ! La maison paternelle se faisait déserte pour lui, son âme désespérée tantôt s'adressait à Dieu, mais sans amour, tantôt se cramponnait au fol espoir de garder sa maman.

Zoé se souleva un peu...

- Personne, dit-elle en promenant ses regards affaiblis dans la chambre.

Un nuage de tristesse passa sur son front.

- Personne ! Oh! si, toi, Justine. Tu leur diras que je m'en vais vers le Seigneur, que j'ai la paix, qu'ils cherchent Christ...

Épuisée, elle posa le doigt sur un livre entrouvert près d'elle...

- Jérôme, ma bible, elle est pour toi !

Un sourire épanouit ses lèvres, ses deux mains s'élevèrent vers le ciel comme pour répondre à un appel, toute sa figure parut illuminée par un éclair de félicité, et son dernier souffle passa doucement.

Quand Robert rentra le soir, le silence de la maison, les sanglots de Jérôme, la morne tristesse d'Eric assis dans un coin, lui apprirent la vérité. Il pleura, il eut un instant d'épanchement pendant lequel, serrant Jérôme dans ses bras, il promit de remplacer auprès de lui sa tendre mère. Un jour après, Loïc Stiévenart, qui vint dire quelques mots de condoléances, trouva Robert encore ému, et cependant pressé de recommencer le train ordinaire de la vie. Par degrés, tout dans ses activités reprit l'ancienne marche. Eric devint de plus en plus taciturne ; Jérôme, qui, malgré les promesses de son père, avait vite retrouvé chez lui le même désintérêt qu'auparavant, chercha des consolations auprès des joyeux compagnons qui hantaient les cafés d'Erquelinnes. Il se laissa entraîner au jeu, à la boisson, et s'aliéna de plus en plus le coeur de son père. Celui-ci se tourna du côté où l'attiraient ses sympathies naturelles, et mit Eric à la tête de son entreprise. Dès lors, tout alla de mal en pis, jusqu'au moment où Jérôme exaspéré s'engagea dans l'armée et partit, n'emportant de la maison paternelle qu'une valise et la Bible de sa mère, pauvre Bible couverte de poussière qui vint au dernier moment frapper ses regards, et qu'il mit parmi ses vêtements avec un gros soupir.

Quant à Robert, nul ne put dire ce qui se passa dans son âme. Quelquefois, lorsqu'une affaire à conclure appelait Eric hors de la maison, on le voyait s'asseoir dans la chambre de sa femme, et feuilleter un Nouveau Testament que son épouse lui avait jadis donné. Il l'ouvrait, tournait quelques pages, semblait méditer, secouait la tête, puis fermait précipitamment le volume et s'en allait.

Il faut le dire, à mesure que les années affaiblissaient le corps et l'esprit de l'homme vigoureux et vif qu'il était, Eric en profitait pour prendre un plus grand empire sur lui.

Eric essaya d'expulser le Nouveau Testament qui lui rappelait d'une manière douloureuse la foi de sa mère, mais son père s'entêta, et le Nouveau Testament garda sa place dans la bibliothèque.

Le maraîcher dépérissait à vue d'oeil. Ainsi, l'heure de la mort arriva soudainement comme elle était arrivée pour Zoé. Il la vit s'approcher avec épouvante, ses pensées se brouillèrent, tandis que ses lèvres répétaient le prénom de son épouse.

L'effroi se lisait sur son visage. Et, juste avant de mourir, il prononça le mot de Jésus, comme une supplique. Etait-ce la réponse aux prières de Zoé ? Seul Dieu connaît ce qu'il en a été dans son esprit et son coeur.

Eric retrouva sous l'oreiller de son père le Nouveau Testament, si obstinément conservé. Il s'empressa de le jeter et de chasser le souvenir des dernières paroles de son père mourant parlant de sa femme regrettée et de ce Jésus !

Tout cela lui donnait de sourdes inquiétudes, mais il les étouffa en effaçant dans la maison toutes les traces de la foi de sa mère.

 




Une mère chrétienne
(Concerne Melissa Stiévenart)

 

Les deux petites filles de Melissa étaient devenues de grandes et douces jeunes personnes. Le moment arriva pour l'aînée, Sarah, de se laisser conduire par le Seigneur vers un époux véritablement chrétien.

Plusieurs jeunes hommes s'étaient déjà approchés d'elle, mais elle ne voulait pas agir dans la précipitation. Il fallait qu'elle soit certaine de la volonté de Dieu. Elle ne voulait pas se décider sous l'effet des seuls mouvements de son coeur.

Si les principes chrétiens de Loïc et de sa femme paraissaient exagérés à la plupart des habitants d'Erquelinnes, si leur vie semblait austère jusqu'à la tristesse, cependant on ne pouvait s'empêcher de remarquer la paix qui respirait sur les traits des époux, l'union parfaite qui régnait dans leur famille, surtout l'obéissance, les manières aimables et simples de Sarah et de Naomi.

Les jeunes hommes étaient touchés par la grâce réservée de Sarah, et, tout en se divertissant avec d'autres jeunes filles moins sérieuses et plus désireuses de leur plaire, ils se disaient que Sarah, au bout du compte, devait être le meilleur parti à épouser.

Loïc et Melissa priaient pour que Dieu dirige tout, et que leur fille soit gardée d'un mauvais choix. Ils priaient d'ailleurs à ce sujet depuis bien des années, et ils n'avaient pas manqué d'enseigner leurs filles sur toute l'importance de se laisser conduire par Dieu quant au choix d'un conjoint.

Chaque fois qu'un jeune homme s'était approché de Sarah, ses parents examinaient l'affaire devant Dieu. Ils priaient le Seigneur de les dépouiller de toute illusion, de toute volonté propre, de leur montrer le chemin, mais aussi et surtout de montrer la bonne et sûre voie à leur chère fille. Et le Seigneur les guidait tous trois fidèlement.

Ils avaient bien instruit leurs enfants, et Sarah était bien déterminée à ne choisir qu'un chrétien fidèle. Toutefois, le fait que le jeune homme soit un véritable enfant de Dieu ne suffisait pas. Loïc et Melissa le savaient très bien ! C'est pourquoi ils redoublaient de prières pour que leur aînée épouse celui que Dieu avait en réserve pour elle.

Cinq ans s'écoulèrent ainsi !

Sarah touchait à sa vingt-sixième année, et Melissa parfois s'inquiétait.

- Dieu y pourvoira ! répondait Loïc. Lui-même choisira pour nous, et s'il ne nous envoie pas l'époux qu'il faut à notre fille, eh bien, Sarah restera célibataire et servira pleinement le Seigneur. Le mariage est une grande bénédiction, c'est vrai, mais Dieu a un plan pour chacun de ses enfants.

Vers ce temps-là, un instituteur vint s'établir à Erquelinnes. Il n'avait rien de brillant dans son extérieur. Il ne touchait qu'un salaire très modeste, mais il aimait de tout son coeur le Seigneur Jésus. Il se dévouait à son travail avec joie. Il avait un caractère ferme et doux qui rappelait à Melissa celui de son mari bien-aimé.

Loïc remarqua bientôt l'intérêt avec lequel Marc Cardon observait Sarah, et s'aperçut vite que la crainte d'un refus empêchait seule l'instituteur de se déclarer à sa fille. Après avoir imploré, avec son épouse, toutes les lumières de leur Père céleste pour être assurés de son approbation, après s'être informés des sentiments de Sarah, Loïc s'arrangea pour donner une occasion à Marc d'ouvrir son coeur à celle qu'il désirait pour épouse à ses côtés.

Le premier moment fut doux pour Melissa. Elle était sûre de l'avenir de sa fille, Sarah éprouvait pour son fiancé du respect et de l'amour, celui-ci la chérissait de cette paisible affection, pleine de tendresse et de vérité, qui n'a ni l'aveuglement ni les faiblesses de la passion émotionnelle, qui n'en a ni les variations ni la fragilité.

Melissa donnait son enfant avec joie. Cependant, lorsqu'elle songeait que bientôt un autre s'emparerait de la confiance de sa fille, que bientôt la maison ne retentirait plus, dès le matin, des accents de cette voix joyeuse et pure, que bientôt Naomi aussi s'éloignerait comme sa soeur, un nuage de tristesse passait sur son âme.

Au jour des noces, Melissa éprouva quelques-uns des déchirements de la séparation. Sa fille ne quittait pas Erquelinnes, et pourtant un lien se rompait. Les rapports, tout en restant affectueux, intimes, allaient se modifier. Le devoir de Melissa n'était-il pas de préparer elle-même ce changement ? Ne devait-elle pas avoir du courage et pour elle-même et pour sa fille ?

Il fallait non seulement mettre la main de Sarah dans celle de Marc, mais il fallait lui remettre son coeur, ses pensées. Il fallait se placer au second rang !

- Ma chérie, disait Loïc qui devinait quel combat se livrait dans le coeur de sa femme, ma Melissa, faisons notre sacrifice complet ! Demandons au Seigneur de nous donner une véritable tendresse pour notre enfant, cette tendresse qui ne fait souffrir ni ceux qui la ressentent ni ceux qui l'inspirent ! Et puis, rappelons-nous le passé...

Melissa pria, elle fut puissamment secourue. Sa douleur lui fit connaître qu'à son amour maternel s'était mêlé, se mêlait encore beaucoup de recherche d'elle-même. Elle ne se cacha pas ce trait humiliant, elle exposa sa blessure aux yeux de Dieu, et Dieu y répandit le baume de ses consolations.

Lorsqu'au début de l'union, étonnée des relations étroites qui la rapprochaient d'un homme qu'elle ne connaissait pas encore à fond, troublée par ces petits froissements que nous cause toujours le premier choc avec la vie réelle, Sarah revenait vers sa mère, le coeur oppressé, celle-ci l'arrêtait avec tendresse, mais avec fermeté. Lorsqu'elle cherchait à provoquer de la part de sa maman des questions qui lui auraient permis de verser dans son sein les idées, les émotions qu'elle n'osait raconter à Marc, lorsque surprise, blessée même de la réserve de sa mère, elle allait au devant d'interrogations qui ne venaient pas, Melissa coupait court et lui expliquait qu'elle devait apprendre ce qu'était la vie en couple sans chercher les apitoiements de sa maman. Elle lui disait qu'elle était toute disposée à l'aider, mais pas à entendre ce qui les concernait au premier degré.

- Ma chère Sarah, lui disait-elle, la connaissance de ces détails n'appartient qu'à ton mari. Je ne te refuse pas mes conseils, je prie pour toi ; toutefois, dans le mariage, il ne doit y avoir que deux personnes : l'époux et l'épouse. Il te serait doux de t'ouvrir à ta maman qui te connaît, dont tu n'as pas peur, qui mettrait, elle aussi, sa joie à t'entendre, mais ce que tu me dirais, vois-tu, Sarah, tu n'éprouverais plus le besoin de le dire à ton mari. Tu lui ôterais ainsi ce qu'il a le droit de recevoir. Tu me donnerais ce que je n'ai pas le droit d'accepter. Tu ravirais à votre union ce qui, après la foi chrétienne, en fait la force, l'intimité. Va, ma fille, répands ton coeur dans les prières que Marc et toi vous adressez à Dieu. Prenez ensemble l'habitude de la confiance, des entretiens faciles, expansifs sous les yeux de Dieu; là est le bonheur.

Sarah s'en retournait un peu désappointée et Melissa se jetant à genoux, pleurant de ce sacrifice qu'elle sentait devoir faire, mais éprouvant malgré tout la joie que nous apporte toute oeuvre de foi et d'abnégation. Elle implorait les bénédictions du Seigneur sur les relations des deux jeunes époux.

Vers cette époque, Loïc, Melissa et Naomi firent une absence de trois semaines. Au retour, Sarah reçut sa mère avec une vive joie, Marc avec un tendre respect, mais Melissa s'aperçut vite que quelques semaines de tête-à-tête en avaient plus appris à Sarah sur l'intimité conjugale que toutes les leçons passées, que toutes les leçons à venir.

Si Sarah répondait aux questions de sa mère, elle ne les provoquait plus. A chaque instant son cher Marc revenait sur ses lèvres, et quelques mots souvent échangés à mi-voix entre les deux époux révélaient à Melissa l'existence d'une vie cachée, et d'une unité qui réjouissait son coeur. Sarah se montrait fille dévouée et affectueuse, mais la transformation s'était opérée. Au serrement de coeur qu'elle éprouvait toutes les fois que se manifestait le fait de ce changement, Melissa comprenait que le renoncement chez elle n'avait pas atteint la perfection.

Parfois des mouvements injustes l'agitaient. Elle s'étonnait, elle se scandalisait presque de la tendresse de sa fille pour un homme qui, six mois auparavant, était encore inconnu à la jeune femme. Lorsqu'elle s'abandonnait à cette disposition d'esprit, les manières de Marc, sa voix, ses idées exprimées, ses façons d'agir avec Sarah, tout lui déplaisait. Triste, mal disposée, elle se refusait à jouir de l'affection de son mari, des attentions de Naomi, de l'amour filial de Sarah elle-même. Ou bien elle se froissait d'un mot, croyait voir une intention de la blesser dans un acte indifférent, et se montrait près de devenir irritable, exigeante. Ces tentations, qui séduisaient son coeur pour un instant, n'avaient pas le pouvoir de la dominer; elle en triomphait avec l'aide du Seigneur. Sarah ne s'apercevait de rien, et Loïc seul, accoutumé depuis vingt-sept ans à lire dans le coeur de son épouse, Loïc, vers lequel elle allait chercher l'appui d'une affection pleine de miséricorde, savait par quels combats elle passait.

Marc et sa femme, bien que sincèrement chrétiens, avaient des progrès à faire. Melissa éprouvait trop souvent l'envie de conseiller, de blâmer, d'exercer sur eux une influence directe, mais Loïc l'arrêtait.

- Soyons sobres de paroles, disait-il, laissons la vie donner ses leçons. Il y a des fautes qui, pour les chrétiens, sont un enseignement. Prions, chérie, disons à Dieu ce que nous voudrions dire à nos enfants. Dieu leur transmettra nos directions. Il les leur transmettra plus pures et plus saines, tu peux me croire.

Il ne faut cependant pas penser qu'ils poussaient cette réserve jusqu'à l'excès. Quand il le fallait, Loïc faisait ses observations, donnait son avis, mais là encore on le retrouvait avec sa fermeté, sa prudence, sa mesure habituelles. Parler à Marc des défauts de Sarah, à Sarah des défauts de Marc, aurait altéré l'unité conjugale. Loïc mettait la vérité sous les yeux du jeune couple, puis il les laissait libres de juger.

Le péché prend, pour séduire notre coeur, des formes très diverses et souvent très opposées. Melissa, qui devait combattre un fort penchant à donner des avis hors de propos, avait à lutter contre une tentation bien différente : celle d'acheter la conservation de son influence sur Sarah par des concessions de principe, et par de la faiblesse. Son coeur l'aurait naturellement portée à regagner les confidences de Sarah au moyen d'une indulgence exagérée, d'une indulgence que Sarah ne trouvait pas, ne devait pas trouver chez son mari. Avec la grâce de Dieu, Melissa résista et tint ferme le flambeau de la vérité.

Melissa avait un peu souffert par l'excès, faut-il le dire, de l'égoïsme de son amour maternel. Elle finit néanmoins par trouver d'immenses joies, ces joies cachées que le chrétien connaît seul, dans un renoncement absolu. Elle en trouva aussi de douces consolations dans son union avec Loïc. Alors elle sentit mieux que jamais le prix de l'intimité conjugale. Alors elle comprit quelle folie il y a à détruire l'ordre que Dieu lui-même a établi dans nos relations de famille, à transporter sur la tête des enfants l'affection exclusive, première, qu'on doit à son mari.

Après le mariage de leurs filles ou de leurs fils, les femmes qui s'abandonnent à l'idolâtrie maternelle rentrent le coeur navré dans une maison déserte pour elles, malgré la présence d'un époux. Elles se sont déshabituées des devoirs, des félicités du mariage. Leur mari s'est déshabitué, lui aussi, de leur confiance et de leur dévouement. Au lieu de se tourner l'un vers l'autre pour se demander, pour se donner le bonheur, chacun reste dans sa triste indépendance.

Mais Melissa et Loïc n'avaient pas un instant cessé de chercher leur joie dans leur union. Leurs liens se fortifièrent des peines passagères de Melissa, leur foi s'en accrut, leur félicité conjugale en doubla.

Et puis Marc et Sarah, qui au début s'étaient, eux aussi, laissés aller à de l'insatisfaction, à de l'égoïsme, apprirent à y renoncer pour l'amour l'un de l'autre et à y trouver du plaisir.

L'abnégation de Loïc et de Melissa aurait peut-être excité l'ingratitude d'enfants mondains. Peut-être ceux-ci en auraient-ils pris prétexte pour ne se gêner en rien. Mais le désintéressement enseigne le désintéressement, et ce n'est pas un sûr moyen d'obtenir l'affection que de l'exiger. Sarah et Marc avaient la crainte de Dieu, ils cherchaient à se connaître eux-mêmes, et le dévouement généreux de leurs parents leur fit toucher du doigt leur personnalité. Ils se donnèrent donc à Loïc et à Melissa plus que ne l'exigeait le devoir, plus même que ne le demandaient ceux-ci, qui parfois repoussaient doucement leur attachement et les renvoyaient chez eux en disant : « Mes enfants, nous aussi nous sommes jaloux de notre intimité. Allez, allez laissez les vieux mariés jouir en paix de leur bonheur ! »


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