Parcours féminins
Une tentation
(Concerne
Melissa Stiévenart)
Lors d'une visite que fit Anne-Laure à
Melissa Stiévenart, celle-ci la mit au
courant de leurs projets.
- Tu sais, Anne-Laure, mon mari et
moi nous avons décidé de reprendre la
petite mercerie qui se trouve à
côté de notre magasin. En fait, c'est
une idée de Loïc. Il pense qu'en
prenant une apprentie pour vendre au magasin et en
tenant cette boutique, nous nous en sortirons
mieux.
- Êtes-vous bien sûrs
que c'est la volonté de Dieu à votre
égard ? demanda Anne-Laure.
- Nous aimerions que nos filles
puissent se rendre dans une école
évangélique qui vient d'ouvrir
à Charleroi. Et pour cela, il nous faut une
plus grosse voiture. En ouvrant la mercerie
à 9 h.30', j'ai aussi tout le temps de les
conduire et de revenir, poursuivit Melissa sans
répondre à son amie.
- Tu te rends comptes de ce que tu
dis ! Pour un bien, tu es prête à
te mettre dans de plus grands maux.
- Nous avons visité cette
école. C'est tout ce que nous voulons pour
nos filles. Il s'agit d'un programme comme
ailleurs, mais avec des professeurs
chrétiens qui ont la même vision
évangélique que nous. C'est
inespéré ! continua Melissa
toujours sans répondre aux remarques
d'Anne-Laure.
- Melissa ! Ecoute-moi
maintenant ! Est-ce que vous avez reçu
l'approbation de Dieu pour cette
entreprise ?
- Oui, je pense !
- Tu n'en es pas plus certaine que
cela ?
- Si ! Si ! On a
prié ensemble.
- Et alors ?
- Dieu ne nous a pas fermé la
porte.
- Cela ne suffit pas, Melissa !
Le fait que vous n'ayez pas été
arrêtés ne prouve pas que c'est le bon
chemin. Il faut que l'Esprit Saint vous donne sa
paix. Tu comprends ?
- Pas vraiment.
- Quand Dieu ouvre la voie devant
nous, il place sa paix dans notre coeur. Si elle
est absente, ou s'il y a quelque trouble dans notre
coeur et dans notre esprit, c'est qu'il faut
reconsidérer nos projets. L'Esprit Saint
nous est en aide, non seulement pour prier et
demander comme il convient, mais aussi pour nous
assurer de la bonne direction. Est-ce que tu as
cette paix qui vient de Dieu ?
Réponds-moi franchement !
- Non ! murmura Melissa, tout
timidement.
- Alors attendez avant de vous
lancer dans une telle aventure !
- C'est trop tard, répondit
Melissa rouge de honte.
- Comment ? Vous avez
déjà signé ?
- Oui, hier. Et nous
commençons dès le mois
prochain.
- Ah ! Melissa !
J'espère que vous ne le regretterez pas. Que
Dieu vous garde.
Hélas ! Les craintes
d'Anne-Laure se vérifièrent dans les
mois qui suivirent. Sous prétexte de prendre
soin de leurs enfants, les Stiévenart
s'étaient laissés entraîner
dans la course aux affaires de ce monde 42. Dans l'espoir d'un plus
à apporter à leur foyer, ils avaient
introduit bien des tensions et des
préoccupations qui leur étaient
auparavant étrangères.
Il fallait maintenant faire tourner
deux magasins, avec toutes les charges que cela
occasionnait. Le temps et l'argent qu'ils pensaient
gagner par ce changement de vie n'étaient
que des leurres. Les enfants eux-mêmes
souffraient de cette agitation permanente. La
quiétude avait quitté cette
maison.
Melissa commença à
être sur les nerfs. Souvent, elle
était oppressée et irritable. Ses
filles ne la reconnaissaient plus. Et le bien
qu'elles pouvaient recevoir de cette nouvelle
école était largement
inférieur aux désagréments
causés par cette nouvelle
situation.
Loïc et Melissa
s'étaient placés sous un joug qui les
écrasait petit à petit.
Fatigués qu'ils étaient de leur
semaine surchargée, ils ne prenaient plus le
temps d'aller chez les Martin, ce qui
n'était pas pour déplaire à la
belle-mère de Melissa. Ils se
coupèrent ainsi de leurs amis
chrétiens. Ils s'étiolèrent
peu à peu dans le chemin qu'ils avaient
pris.
Après un an d'un tel
éloignement du Seigneur, ils revinrent
à eux. Dieu permit qu'ils se repentent de
leur folie et qu'ils trouvent un repreneur pour la
mercerie.
Dans sa miséricorde, Dieu eut
pitié d'eux. Il les restaura, et la paix
revint dans ce foyer. Les filles
retournèrent à l'école
à Erquelinnes, tristes de quitter leurs
amies, mais très contentes de retrouver
leurs parents comme avant.
Anne-Laure qui avait suivi cela de
près se réjouit de ce retour. Et les
Martin furent heureux de les accueillir de nouveau
chez eux.
On ne les reprendrait plus à
vouloir améliorer leur situation temporelle
pour soi-disant le bien de leur
famille !
Avoir succombé à cette
tentation leur avait coûté si
cher !
Loïc avait été
particulièrement marqué par cette
malheureuse expérience. Il en ressentait
toute la culpabilité. Que de temps il avait
perdu dans cette vaine recherche des biens de cette
terre, en se mentant sous le prétexte de
vouloir le bien de son épouse et de ses
enfants.
Que d'énergie
dépensée aux choses de ce monde
tandis que le royaume de Dieu attend de
s'étendre et de s'affermir ! Que de
soirées perdues dans les comptes alors qu'il
aurait dû s'occuper de l'éducation
spirituelle des siens.
Loïc apprit aux pieds du
Seigneur une grande leçon.
Dès lors, il chercha
l'enrichissement spirituel avant toutes choses. Et
il s'impliqua beaucoup plus dans les
réunions bibliques du dimanche soir,
à la plus grande joie de Philippe Martin qui
tenait jusque-là toute la
responsabilité de leurs
entretiens.
Loïc s'ouvrit aux
réalités du royaume de Dieu 43. Il comprit qu'il devait
avant toutes choses chercher les moyens de son
élargissement, non seulement dans sa maison,
mais aussi en dehors.
Cette chute lui permit de repartir
avec un nouveau zèle, un nouvel élan
de foi que Melissa encourageait de tout son coeur,
de toutes ses forces.
Ce couple se voyait alors comme
missionnaires au sein de leur foyer et en
dehors.
Ce grand changement frappa la
mère de Loïc qui ne put que constater
la beauté renouvelée du mariage de
son fils. Elle en devint moins amère, et
finit par montrer plus de tendresse envers sa
belle-fille.
Une joie qui venait d'En haut
régnait dans cette maison. Les deux
chères petites avançaient en
piété, malgré les combats
qu'elles avaient à soutenir contre leurs
défauts. Loïc et Melissa donnaient
l'exemple d'un couple uni sous le regard et
l'approbation du Seigneur. Tout cela touchait peu
à peu le coeur de la mère,
belle-mère et grand-mère, bien
qu'elle se gardait d'en montrer quoi que ce
soit !
Rapprochements
et éloignement
(Concerne
Zoé Giraud, Patricia Maillard et Melissa
Stiévenart)
Zoé avait totalement changé de
manière d'être avec son mari; autant
elle s'était montrée hautaine et
rebelle, autant elle devint humble et
prévenante. Son époux était
assez intrigué par ce brusque changement
d'attitude. Embarrassé, il cherchait s'il
n'y avait pas là-dessous quelque ruse dont
Zoé se servait pour le duper. Il ne
parvenait pas à deviner que toute l'envie de
sa femme était de lui présenter
l'éternel salut.
Qui sait alors quel miracle ne
produirait pas une telle découverte chez cet
homme qui, jusqu'à cette heure, n'avait
voulu voir partout que calculs, que sentiments
intéressés !
Du côté de Patricia,
c'était la chute vertigineuse ! Un
cautionnement fait à la légère
par Charles Maillard avait précipité
toute sa famille dans la ruine. Leur maison
était un enfer, on n'y entendait que
blasphèmes et querelles. La grâce de
Dieu n'avait aucune entrée dans le coeur
aigri de Patricia. Et Anne-Laure priait de tout son
coeur pour ces infortunés. On ne pouvait,
pour l'instant, qu'intercéder pour ce foyer
déchiré et au bord du
gouffre.
Zoé rendit visite à
Melissa. Elle renouèrent leur amitié
et s'aidèrent l'une l'autre dans leurs
combats.
Un soir, Daniel Vivien,
invité avec son épouse chez Loïc
et Melissa, insista sur l'importance de la mission
au près. Loïc s'était ouvert au
besoin d'évangéliser son prochain, et
il rêvait parfois de lointaines
contrées, de postes missionnaires à
l'étranger. Il aimait à lire les
biographies de serviteurs de Dieu qui avaient tout
quitté pour porter le message de la Bonne
Nouvelle jusqu'aux confins de la
planète.
Daniel crut bon de parler sur ce
sujet, afin d'éclaircir quelque peu les
pensées.
- Il faut prendre garde à ne
pas nous séduire nous-mêmes. Nous
avons parfois le désir de servir Dieu au
loin à cause d'un secret dégoût
pour la vie modeste que Dieu a mise devant nous.
L'orgueil vient alors s'immiscer dans notre souhait
de servir Dieu. Laissons Dieu nous sonder pour voir
si des motifs très humains et fort
éloignés du véritable esprit
de renoncement n'inspirent pas notre volonté
de partir à l'étranger.
- Mais n'est-ce pas une noble et
belle tâche que celle de répondre
à l'invitation du Seigneur de faire des
disciples parmi toutes les nations ? demanda
Melissa gagnée aux aspirations de son
mari.
- Oh ! Oui, elle est bien belle
l'existence des missionnaires qui quittent leur
patrie, leurs parents, tout ce qu'ils connaissent
et tout ce qu'ils aiment, pour s'enfoncer dans le
sud de l'Afrique, pour se perdre dans les neiges de
la Laponie, pour se mêler aux mystiques
populations de l'Inde, aux habitants des îles
de l'Océan pacifique, et ne plus vivre qu'en
vue de la gloire de l'Éternel, du salut de
leurs frères païens! Elle est belle
l'existence de l'évangéliste, du
colporteur, qui, n'ayant pas plus que son
Maître un lieu fixe où reposer sa
tête, parcourt des contrées à
évangéliser, expliquant la Parole de
vie, enseignant les âmes, souffrant tour
à tour la contradiction et les outrages, les
privations et l'incompréhension !
Si le Seigneur vous appelait
à ce genre de dévouement, si cet
appel était bien de Lui, je l'en
bénirais et je vous en féliciterais,
car je suis certain qu'avec la vocation il vous
donnerait les forces. Mais il faut entendre la voix
de Christ, et pas les appels de son propre
coeur.
Loïc, personne ne peut
t'empêcher de répondre à
l'appel de Dieu. Mais, avant de vous engager, car
il s'agit bien d'un choix à faire à
deux, considérez quels sacrifices cela vous
demandera à tous, suppliez le Seigneur de
vous montrer sa direction, attendez-vous à
ce qu'il ouvre lui-même les portes, ne les
forcez pas !
Sachez que pour le missionnaire,
comme pour le colporteur, il s'agit d'un rude
service, d'une abnégation de tous les
instants, de labeurs sans fin. Si le fait
d'être au service des autres en tous temps,
avec tous les désagréments que cela
représente, vous rebute, ne serait-ce qu'un
peu, alors réfléchissez bien si ce
genre de vie est pour vous. Accepterez-vous avec
joie, avec amour, les visites de gens qui entreront
chez vous cent fois le jour, et vous arracheront
à vos occupations les plus importantes, pour
des broutilles ou presque rien?
Il ne faut pas chercher un
dévouement de loin, afin d'échapper
au dévouement de près !
Maintenant, gardez-vous de penser
qu'il n'y a pas de consécration au service
du divin Maître là où nous
avons grandi !
La mission est dans nos maisons et
à nos portes ! 44
En prononçant ces mots,
Daniel se sentit repris lui-même par ses
propres paroles. Il distribuait bien de temps
à autre des traités
d'évangélisation à
Erquelinnes, mais il ne s'était jamais
vraiment impliqué dans le village où
il habitait.
Avant leur départ en Suisse,
et depuis leur retour, ils se rendaient tous les
dimanches matin dans une assemblée
chrétienne à Charleroi. Et, chaque
jeudi soir, ils y retournaient pour la
réunion de prière. Jamais, Daniel
n'avait pensé à essayer
d'établir un témoignage là
où ils habitaient. Et pourtant la mission
à Erquelinnes était aussi pour
lui.
- Par quoi commencer ? demanda
Loïc en sortant Daniel de ses
pensées.
- Et si tu arrêtais de
travailler le dimanche ? répondit du
tac au tac Daniel.
- Mais c'est notre meilleur jour de
vente, reprit Melissa tout étonnée de
cette invitation.
- Peut-être, poursuivit
Anne-Laure, mais Dieu saura vous le rendre. Il faut
préparer le terrain avant d'y semer. Et si
on vous demande pourquoi vous fermez, alors vous
saisirez l'occasion pour parler de l'amour du
Seigneur Jésus Christ.
- De plus, ne vous êtes-vous
pas demandé pourquoi les Martin se
réunissaient le dimanche soir et pas en
matinée ? dit Daniel en se posant aussi
à lui-même la question.
- Tu as peut-être raison,
répondit Loïc. Je vais leur en
parler.
- Moi aussi, je vais prendre contact
avec eux. Il y a trop longtemps que nous aurions
dû le faire, s'excusa Daniel.
- Pourquoi ne viendriez-vous pas
à notre prochaine rencontre du dimanche
soir, demanda Melissa. Je dirai aux Martin qu'elle
aura lieu chez nous, et vous ferez ainsi
connaissance. De plus, ma belle-mère sera
là, elle n'en sera que bénie à
l'écoute de vos entretiens autour de la
Parole de Dieu.
- C'est une bonne idée, ma
chérie, encouragea Loïc. On a trop
souvent reculé devant le fait de les
inviter. On a eu trop peur de la réaction de
maman. Il faut faire ce pas en avant. Il faut avoir
la foi !
- C'est entendu, nous viendrons,
conclut Daniel en souriant à son
épouse.
Chute et
relèvement
(Concerne
Justine Jaquemin)
Pendant quatre ou cinq semaines, le
ménage de Justine offrit l'aspect du
bonheur. Bernard se levait de grand matin pour se
rendre au travail. Justine lui préparait une
soupe chaude ou du café, quelque chose enfin
qui le restaurait et qui lui ôtait l'envie ou
le prétexte d'aller au bar-tabac du coin
boire une bière dès le matin avec ses
camarades. Il commençait ses journées
sobrement, il les finissait de même. Ses
compagnons qui, en arrivant, le trouvaient à
l'ouvrage, essayaient, il est vrai, de le
détourner, tantôt en se moquant de son
obéissance envers sa femme, tantôt en
lui proposant une virée après le
travail, mais plus rien de tout cela ne mordait sur
Bernard. A son retour, il trouvait un repas
très simple mais très soigné,
des enfants qui sautaient joyeusement à son
cou, une femme heureuse de le revoir,
reconnaissante de ses efforts. Tout lui souriait,
et son coeur le ramenait naturellement là
où l'attendaient tant de joies et tant de
paix.
Il continuait à lire la
Bible, à prier avec sa femme et ses enfants.
Le dimanche, il se rendait maintenant au culte dans
une assemblée proche de chez eux. Et parfois
une visite d'un frère en Christ venait le
fortifier.
La légèreté de
son caractère faisait que les grandes
vérités du christianisme n'avaient
pas encore pénétré dans son
âme. Son coeur n'était pas converti.
Il ne sentait pas assez l'amertume du
péché. Il ne s'inquiétait pas
assez sérieusement de son salut, bien des
questions de première importance restaient
obscures à son esprit sans qu'il se
souciât beaucoup de les éclaircir.
Cependant, il goûtait la Parole de Dieu. Il
subissait quelque peu son influence
bénie.
Il faut plus que du penchant pour la
vérité, plus que des impressions
religieuses pour défendre l'âme contre
les envahissements du mal. « Lorsqu'un esprit
immonde est sorti d'un homme, dit
l'Écriture, il va par des lieux arides,
cherchant du repos, et il n'en trouve point, et il
dit : Je retournerai dans ma maison
d'où je suis sorti. Et quand il y vient, il
la trouve balayée et ornée. Alors il
s'en va et prend avec lui sept autres esprits pires
que lui; et ils y entrent et y demeurent; et le
dernier état de cet homme devient pire que
le premier. »
Patrick Leblanc, que le désir
de se venger contre Justine animait et que le
bonheur de ce ménage offensait comme une
injure, Patrick Leblanc usa d'habileté pour
se rapprocher encore plus de Bernard.
Repoussé plus d'une fois, il
feignit de se ranger lui-même à des
habitudes d'ordre. Il revint alors à
Bernard, lui rendit quelques services, et fit appel
à sa complaisance. Un dimanche
après-midi, Bernard accepta, à l'insu
de sa femme, d'exécuter quelques ouvrages de
menuiserie. Il se disait que l'argent de ce travail
serait le bienvenu et que sa femme lui pardonnerait
ce petit écart pour le bien de toute la
famille. Patrick Leblanc s'était
arrangé pour que ce travail soit dans un
bistrot dont il connaissait bien le tenancier. Ils
avaient préparé un véritable
guet-apens auquel Bernard ne pu résister. Et
voilà comme il replongea dans les griffes de
l'alcool, avec tout son cortège de
misères !
Justine devina dès la fin de
l'après-midi ce qui se passait. Pauvre femme
! Son coeur se déchirait. Ce bonheur qu'elle
avait un instant entrevu et qui fuyait pour la
livrer au malheur, lui brisait le coeur. Tout la
navrait, mais ce qui formait pour elle un plus
constant et plus amer sujet de douleur,
c'était l'avenir de Bernard. Tant de
prières, tant d'efforts, et ce
résultat !
Elle avait aussi ses tentations.
Lorsque, seule, durant les journées que son
mari passait dans la dissipation, elle travaillait
au-delà de ses forces afin d'acheter quelque
nourriture pour ses enfants, l'image de Bernard,
s'amusant et buvant avec des hommes et des femmes
de mauvaise vie, remplissait son âme
d'indignation.
- Je respecterais un tel homme ! se
disait-elle à voix haute. Je lui
obéirais ! Je l'aimerais ! Moi qui ai
déjà tant supporté, je serais
donc éternellement dupe de ma patience
!
Alors, une invisible main
déroulait devant elle le tableau de ses
propres égarements. Elle se revoyait vivant
avec Bernard dans l'impureté. Elle se
revoyait près de devenir adultère.
Elle voyait son Sauveur qui venait la chercher dans
son abjection. Et, laissant tomber son ouvrage,
joignant les mains, levant vers le ciel un front
couvert de confusion : « Mon Dieu,
s'écriait-elle, mon Dieu, pardonne-moi,
pardonne-lui, pardonne-nous !
»
Dès l'instant où
Justine s'était aperçue de
l'influence diabolique à laquelle
cédait son mari, elle l'avait averti avec
tendresse. Daniel s'était efforcé,
lui aussi, d'arracher Bernard à l'empire de
Leblanc. Mais Bernard, qui d'abord avait nié
sa rechute, qui avait répondu aux craintes
qu'on lui manifestait par des protestations de
vertu, s'était bientôt soustrait
à toute conversation sérieuse, soit
avec Justine, soit avec Daniel ou Anne-Laure, soit
avec quelque chrétien que ce
fût.
La lecture du soir et la
prière en commun avaient totalement disparu.
Bernard, quand il rentrait tard, ivre, s'affalait
sur le divan et ne voulait rien entendre. Le matin,
il ne prenait pas même le temps de manger
avec sa femme et ses enfants. Il sortait et souvent
ne revenait pas de quelques jours. Depuis longtemps
il n'apportait plus d'argent. Anne-Laure, ayant
quelques difficultés financières
à son tour, ne pouvait plus aider Justine
comme à son habitude. Les morsures de la
pauvreté faisaient couler encore bien des
larmes dans ce foyer !
Un soir, Bernard, dont l'humeur
devenait de plus en plus farouche, entra
brusquement et déclara qu'à l'heure
même, il lui fallait de l'argent, tout
l'argent que possédait sa femme !
Un orage s'éleva dans le
coeur de Justine ! Retirer à sa famille le
secours de son travail n'était donc pas
assez pour Bernard ! Ce n'était donc pas
assez pour elle-même, que de subvenir seule
à la subsistance de ses enfants ! Il lui
fallait encore se dépouiller du peu d'argent
qu'elle avait si péniblement gagné,
et dont elle avait tant besoin pour elle et ses
enfants ! Tout cela pour le jeter à
quelque créature perdue, pour s'enivrer avec
un Patrick Leblanc !
Justine exaspérée se
leva comme une lionne qui défend ses
petits... mais ces mots de Jésus :
« A celui qui te frappe sur une joue,
présente-lui aussi l'autre; et si quelqu'un
t'ôte ton manteau, ne l'empêche point
de prendre aussi la tunique ! », ces
mots l'arrêtèrent tout à
coup.
- Non, s'écria-t-elle
intérieurement, je ne ferai pas le mal pour
qu'il en arrive du bien, je ne manquerai pas
à la soumission conjugale par amour pour mes
enfants !
Puis elle s'avança vers la
commode, ouvrit un tiroir et prenant un billet dans
une enveloppe :
- Tiens, Bernard, dit-elle d'une
voix émue et sans le regarder, parce que ses
yeux étaient pleins de larmes, tiens, voici
mon gain de deux semaines... prends tout... si tu
en as besoin.
Bernard hésita, se troubla
... un instant il fut sur le point de jeter
l'argent loin de lui, de serrer Justine dans ses
bras, de lui demander pardon, mais Patrick Leblanc
l'attendait. Il détourna alors la
tête, saisit le billet et sortit sans jeter
un regard à Justine qui tomba sur une
chaise, pâle, anéantie.
La misère alla croissant.
Justine avait introduit un dossier à
l'Entraide Protestante. Son coeur était dans
le creuset, mais il s'y épurait, et au
travers de ses souffrances, elle éprouvait
une sérénité que ne peuvent
comprendre ceux qui ne savent ce que c'est que de
posséder un Sauveur, que de souffrir sous
les yeux de cet ami, que d'avoir cette certitude
qu'Il a porté nos langueurs et s'est
chargé de nos douleurs.
Plus la pauvreté
s'accroissait, plus Justine travaillait. Elle ne
dormait que quatre heures par nuit et ne mangeait
que ce qui lui était indispensable pour
conserver des forces. Daniel et Anne-Laure la
secouraient selon ce qu'ils pouvaient. Et les colis
qu'elle recevait de l'Entraide l'aidaient à
tenir la tête hors de l'eau.
À la fin d'un beau jour de
printemps, Justine revint chez elle après
avoir terminé son ouvrage chez une dame
où elle faisait le ménage. Elle monta
lentement l'escalier, car elle était faible,
lorsqu'un homme, Patrick Leblanc, la renversa
presque en descendant sans la voir, tandis qu'un
autre, Bernard, à l'arrivée
inattendue de sa femme, rentra brusquement dans
leur appartement.
La porte avait été
forcée. Bernard debout, immobile, un gros
volume sous le bras, restait comme frappé de
stupeur. Justine tremblante avait jeté un
regard étonné sur la serrure
arrachée, sur son mari, sur le
volume....
- Ma Bible ! s'écria-t-elle
en s'élançant vers lui.
Puis elle reprit plus doucement,
quoique d'une voix
altérée.
- Bernard, notre Bible de mariage
!
Bernard laissa tomber le livre.
Justine le prit avec respect, le serra contre son
coeur, l'ouvrit, et, presque sans le savoir, lut
tout haut ces mots écrits par le pasteur sur
la première page blanche : « Comme donc
l'Eglise est soumise à Christ, que les
femmes le soient de même à leurs
maris, en toutes choses. Et vous, maris, aimez vos
femmes comme Christ a aimé l'Eglise et s'est
donné Lui-même pour elle
(Ephésiens 5 :24-25) » -
« Car que sais-tu, femme, si tu ne
sauveras point ton mari ? Ou que sais-tu, mari, si
tu ne sauveras point ta femme ? » (1
Corinthiens 7 :16).
- Je suis un monstre, s'écria
Bernard, en se frappant la poitrine avec violence.
Je suis un monstre!
Puis saisissant Justine par le bras
:
- Écoute, lui dit-il hors de
lui, ce que tu as de mieux à faire pour
m'empêcher d'aller jusqu'au bout, c'est
d'appeler la police ! Tiens... vois-tu... j'ai
forcé ta porte avec ce damné
Leblanc.... j'avais perdu mes clés.
Vois-tu... je te prenais ta Bible pour la vendre,
ainsi que quelques autres babioles. Vois-tu... je
t'ai dépouillée de tout, je suis un
pauvre type ! Je te le dis :
« Appelle la police, il n'y a que ce
moyen pour en finir ! »
- Bernard, Bernard ! Le pardon de
Dieu n'est-il pas aussi pour toi ?
- Pour moi ? Cela sera plutôt
l'enfer ! Ce l'est déjà
d'ailleurs !
- Bernard ! Viens à
Jésus, repentant de tout ton coeur, il
ne te repoussera pas !
Bernard haussa les
épaules.
- N'a-t-il pas donné sa vie
sur la croix pour toi ?
- C'est trop tard ! J'ai connu la
vérité et je l'ai rejetée. A
présent je chercherais Dieu mille ans que je
ne le trouverais pas.
- Oh! Tu le trouveras, mon pauvre
Bernard ! Sa main ne se montre-t-elle pas ici,
n'est-ce pas le Seigneur qui m'a ramenée au
moment...
- Au moment où je faisais
sauter ta porte, où je volais,
s'écria Bernard avec un rire
farouche.
- Eh bien oui, Bernard, au moment
où tu volais, comme avait volé le
brigand qui sur la croix s'écriait : «
Seigneur, souviens-toi de moi quand tu viendras
dans ton règne ! », le brigand auquel
Jésus répondit : « En
vérité je te dis qu'aujourd'hui tu
seras avec moi en paradis. »
- Justine, plus tard, oui, plus tard
tu me parleras de miséricorde, je pourrai
peut-être t'entendre, mais à
présent... à présent
sauve-moi. Si je reste ici, je suis un homme perdu
! J'avais un rendez-vous ce soir avec Patrick. Si
je ne vais pas, il reviendra demain. Si tu savais
dans quel traquenard je me suis fourré !
- Mon Dieu, mon Dieu ! cria Justine
en tombant à genoux.
Après une secrète
prière :
- Bernard, dit-elle plus calme, il
nous reste un moyen; partons, fuyons la tentation,
retournons vivre à Erquelinnes.
Allons-y ! Nous n'aurons plus à
rencontrer ce Patrick, et nous redémarrerons
à zéro une nouvelle vie.
- Oui, il le faut, soupira
Bernard.
Ils s'agenouillèrent et
s'humilièrent. Ils supplièrent le
Seigneur de les garder des agissements de Leblanc,
de permettre qu'il ne revienne pas le lendemain et
les jours suivants. Il se passa ainsi quatre mois
sans qu'ils voient cet homme de Bélial, sans
connaître les raisons de ce silence, mais en
sachant que cela venait de Dieu pour leur
bien.
Daniel et Anne-Laure les
fortifièrent dans leur bonne
résolution. Et Dieu arrangea tout pour leur
déménagement. Les Jaquemin
envoyèrent une lettre de renoncement de leur
bail, trouvèrent de nouveaux locataires pour
les remplacer, signèrent un nouveau contrat
de location non loin de leurs amis Vivien, et
emménagèrent en quatre mois de temps.
Si on ajoute à cela le fait que Bernard
trouva un autre travail à quelques
kilomètres de son nouveau lieu d'habitation,
on ne peut qu'y voir l'intervention de Dieu, que la
main divine sur tous ces changements.
A l'entrée de leur nouvel
appartement, un beau verset du psaume 27
accueillait les gens par ces mots : «
L'Eternel est ma lumière et ma
délivrance; de qui aurais-je peur ?
L'Eternel est la force de ma vie : de qui
aurais-je frayeur ? »
Bernard, qui pour la première
fois de sa vie mesurait un peu l'étendue de
son iniquité, était
ébranlé devant ce brusque revirement
de situation.
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