Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JAROUSSEAU
LE PASTEUR DU DÉSERT

CHAPITRE XXVII
LA SACOCHE RETROUVÉE

Après cette série d'émotions précipitées, coup sur coup, les unes sur les autres, comme autant de péripéties, le pasteur retrouva l'hôtel de la Providence avec cet ineffable soulagement d'un homme ballotté de côté et d'autre qui touche le rivage et qui peut dire :
Enfin, je m'appartiens !

Il tomba de lassitude sur son grabat; il chercha longuement à classer dans sa mémoire et à expliquer les divers épisodes mystérieux de sa journée, mais tout ce qu'il avait vu lui paraissait le monde renversé et flottait dans sa tête à l'état de chaos. Il passait continuellement la main sur son front, et chaque fois il y sentait cette sensation particulière, de délire qu'on éprouve à voir les faits déraisonner autour de soi et à rester seul en plénitude de sa raison. Il pria pour chasser cette vision, et en effet, la vision pâlit peu à peu et disparut comme dans un lointain confus. Le pasteur dormait, tout habillé, comme un soldat sur le champ de bataille.

Le soleil, si rare dans la rue Saint-Avoye qu'il n'y parait qu'au solstice d'été, jouait déjà depuis longtemps dans ses rideaux lorsqu'il se réveilla; il se tâta comme un homme qui se cherche lui-même, il se trouva encore enveloppé des pieds à la tête de sa livrée du tiers état, il se jeta aussitôt à bas de son lit pour se dépouiller de ce costume d'emprunt Il reprit avec une sorte d'orgueil son habit de camelot gris à boutons d'azur; et après l'avoir mis il éprouva un sentiment de coquetterie : pour la première fois de sa vie, il alla se regarder au miroir.
- Maintenant, je suis un homme! dit-il avec fierté. Il sortit de bonne heure pour aller retremper sa pensée à l'air vital du matin; mais à peine avait-il mis le pied dans la rue qu'il eut une seconde hallucination bien autrement dangereuse pour le peu de notion qu'il croyait posséder encore de la réalité. Il voyait devant lui, à la porte de l'hôtel, la débonnaire figure de Misère, sellée et bridée comme le jour où il l'avait perdue. Il crut, au premier abord, à la tentation du mirage, cette raillerie brutale du regard.
C'était cependant sa jument, à n'en pouvoir douter. Elle reconnut à son tour le pasteur, et ses narines alternativement gonflées et contractées soufflaient avec force pour exhaler, à défaut de voix, l'expression de son bonheur. Un exempt de police tenait la bride de Misère, et derrière lui une patrouille du Guet gardait à vue un jeune homme en manchettes, l'épée au côté. Du premier coup d'oeil le pasteur recomposa le signalement du chevalier félon qui avait abusé de sa crédulité.
- Monsieur, lui dit l'exempt, veuillez vérifier votre compte et m'en donner quittance.

Le pasteur ouvrit sa valise et y retrouva exactement sa bible patrimoniale, ses chemises, ses paires de chaussettes, son fromage de bique, son sac de pruneaux, sa botte d'herbes pour la fièvre, son autre botte d'herbes pour la migraine, toutes choses qu'il avait tenues jusque-là dans un profond respect ; le Mémoire seul était absent, mais à la place une main inconnue avait glissé une tabatière en or avec le portrait du roi sur le couvercle et cette inscription autour du portrait : Donné par Malesherbes au pasteur Jarousseau. Il mit la tabatière dans sa poche et referma sa valise.
- Et l'argent? reprit l'officier de police.
- Quel argent?
- L'argent de la sacoche.

Le malheureux avait oublié la sacoche; il la déterra sous le bagage : au volume il la jugea d'abord aux trois quarts vidée, mais après l'avoir ouverte il trouva au fond une centaine de louis dans tout l'éclat immaculé de l'hôtel de la Monnaie.
- Cette somme n'est pas à moi, dit-il en tendant la sacoche à l'exempt.
- Pardon, monsieur, le roi vous la donne pour acquitter les dépenses de votre voyage et distribuer des aumônes en son nom aux pauvres de votre paroisse. Maintenant voici le coupable ; il appartient à une bonne famille qui a obtenu de la clémence royale la faveur de le faire passer aux colonies, mais son père ne veut pas frustrer votre droit à une justice plus immédiate, et il vous l'envoie pour lui appliquer vous-même une peine à votre convenance.

Le pasteur plongea la main dans la sacoche, et tirant une poignée de louis il la donna au prisonnier.
- Que faites-vous? dit l'exempt révolté de ce procédé immoral qui lui semblait un encouragement à un nouveau délit.
- Eh ! parbleu! mon ami, reprit le pasteur, voulez-vous donc que ce jeune homme recommence à voler?
- En conscience, dit le prisonnier à son tour, vous me devez ce dédommagement.
- Pourquoi cela, mon ami?
- Pour être allé à votre place en prison.
- En prison, à ma place?
- Lorsque vous m'avez prêté votre cheval...
- Je vous ai prêté ma jument?
- Vous êtes trop généreux pour me démentir. Je croyais avoir affaire à un cheval bien pensant et nullement à un cheval suspect d'hérésie, appartenant à un maître encore plus suspect. Je descends à l'hôtel dans cette confiance. À mon arrivée, j'aperçois autour de moi un certain mouvement, et un instant après l'exempt de police que voilà jette un coup d'oeil à l'écurie, et me prenant au collet : Monsieur Jarousseau, dit-il, je vous arrête ! J'ai beau protester que je n'ai jamais porté le nom de Jarousseau, il ouvre votre valise pour toute réponse, prend votre mémoire, le lit rapidement, regarde la signature et me dit: C'est bien, suivez-moi; et il me mène à la Bastille. Il paraît, Monsieur, que vous étiez recommandé à la police.

Le pasteur regarda l'exempt.
- Ce jeune homme dit-il la vérité?
- Oui, Monsieur; l'intendant de votre province vous avait signalé comme un prédicant dangereux, et le lieutenant de police avait donné votre nom à tous les hôtels pour vous faire arrêter à votre arrivée à Paris, mais on a reconnu plus tard, à ce qu'il faut croire, l'erreur de cette dénonciation, puisqu'on m'a donné l'ordre, au contraire, de vous traiter avec respect et de vous prêter assistance au besoin.
- Dieu est deux fois bon, dit le pasteur en joignant les mains. Si ce jeune homme ne m'avait emprunté ma jument, emprunt un peu forcé à la vérité, je serais à l'heure qu'il est et peut-être pour le reste de la vie au fond d'un cachot.

Le pasteur Jarousseau avait vu Louis XVI, Gamin, Malesherbes, Franklin, la royauté, le peuple, l'aristocratie, la révolution; il avait retrouvé sa jument, sa valise, son viatique doublé de valeur et enrichi encore d'une tabatière. Il pouvait en conscience regarder son oeuvre comme accomplie et retourner à Saint-Georges-de-Didonne. Mais pour partir de Paris aussi intact qu'il y était arrivé, il voulut rentrer en possession de la montre qu'il avait vendue dans une minute de détresse. Heureusement la montre payait trop peu de mine pour avoir trouvé un acquéreur de passage. Elle était restée dans la boutique de l'horloger, il faut bien en convenir, à l'état de disgrâce. Il la racheta sans difficulté.
- Je n'ai plus rien à faire ici, dit-il.

Au moment où il bouclait sa valise, il entendit un pas pesant monter l'escalier.
Le pas s'arrêta devant sa porte, un coup de sonnette lui succéda ; le pasteur alla ouvrir et aperçut un homme plié en deux sous le poids d'un sac tout bosselé.
- Monsieur Jarousseau? demanda-t-il d'une voix essoufflée.
- C'est moi, répliqua le pasteur.
- Voilà votre sac.
- Mon sac? répliqua le pasteur, je n'en possède aucun.
- Votre sac de pommes de terre; je vous l'apporte de la part de M. Parmentier.
- Et où voulez-vous que je loge tout cela ? ajouta le pasteur d'un air consterné.

Le portefaix déchargea son fardeau sur le parquet.
- Vous les logerez où vous voudrez.

Et tirant de sa poche un morceau de papier:
- Veuillez me signer ce reçu, dit-il.

Le pasteur signa, il prit dans le sac trois ou quatre pommes de terre.
- Vous pouvez remporter les autres, dit-il au porteur.
- Les remporter? répliqua l'autre, deux cents livres pesant ! c'est bien assez d'une fois, ma commission est faite. Bonjour, monsieur.
- La commission est faite, mais elle n'est pas payée, dit le pasteur.
- Pardon. elle l'est par M. Parmentier. Si pourtant vous voulez y ajouter un pourboire...

Le pasteur lui glissa dans la main un petit écu.
Le portefaix sortit. Le pasteur rouvrit sa valise; elle était bourrée; impossible d'y intercaler un nouvel ingrédient. Il commença par retirer le fromage de bique, il mit à la place une première pomme de terre; il élimina ensuite la botte d'herbes destinée à guérir toutes les maladies, deux pommes de terre purent remplir la vacance; le sac de pruneaux se cachait dans un coin, le pasteur l'arracha de sa retraite et y substitua deux nouvelles bienfaitrices de l'humanité, Il allait refermer sa valise lorsque sa passion du bien l'emportant sur toute autre considération, il retira une première chemise, puis une seconde, puis une troisième, il attaqua ensuite les mouchoirs, les chaussettes, et les jetant sur le plancher :
- À quoi bon tout cela? dit-il, je n'avais pas tant de linge quand j'allais de Lausanne à Saint-Georges.

Un quart d'heure après il n'y avait plus dans la valise qu'un assortiment de pommes de terre assez opulent pour ensemencer un carré de jardin.


.

CHAPITRE XXVIII
LE RETOUR

Cette dernière opération terminée, le, pasteur retourna à l'hôtel de Malesherbes pour lui faire ses adieux.
- Monsieur Jarousseau, lui dit l'ancien ministre, j'ai reçu la réponse du roi à votre demande. Elle est évasive, comme je l'avais prévu. Sa Majesté réserve la question de principe. Seulement elle vous accorde, à vous personnellement, la permission de prêcher, mais à l'ombre, en secret, en lieu écarté et en maison fermée; permission tacite, sans doute, conditionnelle, précaire, révocable, au moindre soupçon de ce qu'on voudra bien appeler le scandale. C'est peu de chose, mais c'est déjà quelque chose, c'est un premier pas dans la voie de l'avenir, c'est la liberté de conscience à l'état d'intention, à l'état d'attente. Si le roi vous accorde dès aujourd'hui le droit de prêcher, la logique, cette providence terrestre de l'humanité, le forcera tôt ou tard à reconnaître le même droit aux autres pasteurs. Votre passage ici aura eu un heureux résultat : il aura créé un précédent. Or, un précédent est tout avec un roi qui a besoin de vouloir peu à peu, en détail, à plusieurs reprises, et qui voudra d'autant mieux accomplir un acte de justice, qu'il croira avoir voulu déjà l'accomplir. Vous pouvez donc repartir en toute tranquillité d'esprit. Je suivrai ici votre instance, et avec l'aide du temps, ce complice divin de toute vérité, j'espère gagner votre procès, car j'ai mis la gloire de mon nom à remporter un jour ou l'autre la signature du roi au bas d'un édit de tolérance.
- Alors votre nom comptera parmi les noms des saints de l'humanité.
- Je ne porte pas l'ambition si haut que cela, monsieur Jarousseau. Le mot de saint ne va guère avec une perruque comme celle que vous me voyez en ce moment. Laissez-moi être simplement ce que je suis, un philosophe. Ce titre est encore assez beau à mon avis quand on est digne de le porter. Mon aïeul Basville vous a fait tant de mal autrefois, que je dois en bonne justice chercher le plus tôt possible à le réparer, car la loi de l'histoire, qui est la loi du talion, la loi de la réversibilité du crime de la tête du père sur la tête de l'enfant, pourrait bien reprendre dans mes veines le sang que Basville a versé.

Pendant que Malesherbes parlait ainsi, la pendule de son cabinet sonna midi. À cette heure, le pasteur Jarousseau remontait invariablement sa montre avec la régularité physique d'une habitude passée dans le système nerveux par plus de vingt années d'exercice. Depuis la vente de sa montre il avait toujours éprouvé une sorte de malaise vers le milieu du jour, et il portait involontairement la main à son gousset ; mais il sentait la maison vide et il poussait un soupir.

Cette fois-ci cependant il tenait la malheureuse transfuge ; il fit glisser du doigt les deux aiguilles sur l'heure de midi et regarda ensuite le cadran d'un air recueilli.
- Voici l'heure que j'ai rêvée toute ma vie. Elle est maintenant marquée. Le temps ne marchera plus désormais sur ce cadran, car c'est une heure de Dieu qui vient de sonner. Et tenez, puisqu'une idée en attire une autre, monsieur le ministre, je vais peut-être dire une inconvenance, mais vous la pardonnerez à ma bonne intention. Le coeur a besoin de réciprocité. Quand il a reçu, il veut donner. Vous m'avez donné une tabatière, permettez-moi de vous offrir cette montre en souvenir de cette entrevue, la dernière probablement que nous aurons sur la terre des vivants... Elle est certes indigne de vous et même de votre laquais. Mais depuis que je vis de la vraie vie, j'ai dépensé en elle mon âme tout entière, j'ai veillé, médité, prié, gémi en participation avec elle, au sympathique battement de son invisible balancier. Elle m'a parlé de ce qui naît de ce qui meurt, de ce qui passe, de ce qui vient, de ce qui doit venir. Toutes les fois que j'ai espéré, je l'ai mise dans la confidence, et j'ai dit en regardant les signes écrits là, autour de ce rond de faïence : Quand donc cette aiguille indiquera-t-elle sur un de ces points le moment sublime où une idée méconnue éclate en une immense voix à travers l'espace et crie à tous les siens, prosternés dans l'affliction : Debout, vous êtes libres? Vous devez me comprendre, monsieur Malesherbes, car vous êtes philosophe. Cette montre est plus qu'une matière de cuivre ou d'argent. Elle est la pensée d'un homme, et par cette pensée une chose vivante. C'est à ce titre que j'ose vous l'offrir.
- C'est à ce titre que je l'accepte, dit Malesherbes en tendant la main. Je la suspendrai à ma cheminée comme la relique d'un homme de bien, destinée à porter bonheur à mon foyer. Puisque vous l'avez voulu, l'aiguille restera toujours posée à l'heure où vous l'avez fixée, afin qu'en la voyant je me dise : Cette heure a marqué la première espérance de liberté; achève maintenant ce qu'elle a promis. Mais je ne veux pas vous retenir plus longtemps. Adieu, monsieur le pasteur, écrivez-moi et comptez toujours sur mon affection.

Ils se serrèrent encore une fois la main et ils se séparèrent pour retourner chacun à son travail, ou plutôt au travail commun, car l'un en haut, l'autre en bas, ils travaillaient également à la même oeuvre et avec la même gloire aux yeux de Celui qui pèse l'âme non à la mesure du rôle, mais à la sainteté de la pensée.

Le pasteur reprit à son retour la direction du voyage. Misère essaya bien encore de faire une station à chaque auberge ; mais à la moindre velléité de temps d'arrêt, l'apôtre la réprimanda du talon, et malgré sa passion invétérée pour la flânerie, l'honnête créature finit par comprendre que le temps était précieux, et que son maître, porteur sans doute de quelque nouvelle importante, avait hâte d'arriver. Grâce à cette vitesse accélérée, le pasteur mit quinze jours seulement, au lieu de trois semaines, à franchir la distance de Paris à Saint-Georges-de-Didonne; c'était une notable économie de temps pour un semblable voyage. Aussi cette marche forcée fit-elle à cette époque infiniment d'honneur à l'intrépidité de Misère.

En arrivant à Saint-Georges-de-Didonne, le pasteur trouva la population rangée sur son chemin. Avertie sans doute par quelque voix de l'air ou quelque vigie postée sur la dune, elle était accourue au-devant de lui, des branches d'arbres à la main, en habits de dimanche.
- Mes amis, leur dit-il, jetez ces branches d'arbres qui rappellent un souvenir qu'on ne doit appliquer à aucun homme vivant, mettez-vous à genoux et chantons en choeur un cantique de délivrance, car je vous apporte une première promesse de tolérance.

Il descendit de cheval, et mettant le genou en terre, sur la poussière, au milieu de la foule prosternée sur la route et de la campagne couverte de moissons, il entonna sous l'oeil de Dieu et par un soleil splendide le psaume cent trois :

« O mon âme, bénissez le Seigneur notre Dieu, et n'oubliez jamais les précieuses faveurs dont il vous a comblée.
Bénissez le Seigneur, qui a bien voulu pardonner VOS iniquités, qui guérit vos afflictions et soulage à VOS souffrances;
Qui vous rachète de la mort et couronne votre existence d'une bonté pleine d'amour, d'une miséricorde pleine de tendresse. »

Anne Lavocat attendait son mari sur le pas de sa porte, entourée de ses enfants.
Elle pleurait et ses enfants pleuraient avec elle; seule Bénigne, toujours triste, souriait d'un sourire à part, sa joue pâle avait pris je ne sais quelle teinte rose comme si l'aube de la liberté de conscience avait choisi cette figure enfantine pour y répandre son premier reflet.
- Femme, dit le pasteur, prions Dieu pour le roi, qui nous permet de prier désormais en commun.

Tous croisèrent les mains, ils prièrent en esprit.
Puis il serra Anne Lavocat sur son coeur, mais l'émotion était trop forte, elle pâlit et chancela; et, l'oeil fixe et toute frémissante:
- Ils ne l'ont donc pas tué, ni emprisonné comme on disait. Le voilà ! il est là! Mes enfants, embrassez votre père; embrassez-le pour votre mère qui n'a plus la force de l'embrasser.

Pendant ce temps Madeleine avait pris la bride de Misère et la conduisait à l'écurie. Mais quand elle voulut enlever la valise elle la trouva si lourde qu'elle dut renoncer à l'entreprise ; elle appela sa maîtresse à son secours. Elles parvinrent à elles deux à décharger la valise. Anne Lavocat l'ouvrit et en apercevant ces pommes d'une forme étrange, inconnue dans la contrée, qu'elle prit pour des racines d'une mauvaise herbe, elle crut que son mari avait été victime en route de quelque mauvaise plaisanterie. Elle les retira précipitamment une à une et les jeta sous la crèche de l'écurie; mais quand arrivée au fond de la valise elle n'y trouva ni une chemise, ni un mouchoir, ni un bas, elle poussa un cri de désespoir.
Et se retournant aussitôt vers son mari:
- Mon ami, lui dit-elle, on t'a volé.

Le pasteur sourit.
- Explique ta pensée, Il n'y a dans ta valise que des navets.
Il y a dans chacun de ces navets du pain sur la planche pour tous les paysans.

Anne Lavocat leva sur son mari un regard indéfinissable qui flottait entre le doute et le respect.
- Ainsi soit-il, dit-elle.

Le printemps suivant le pasteur sema les pommes de terre dans son jardin. La récolte prospéra d'année en année; le paysan regarda d'un oeil défiant la nouvelle culture, mais peu à peu il finit par l'adopter, timidement d'abord, mais avec le temps la contagion gagna de proche en proche les campagnes voisines.
Et depuis lors chaque fois que le pasteur passait à côté d'un champ de pommes de terre en fleurs, il souriait intérieurement
- J'aurai toujours rapporté cela de mon voyage à Paris, pensait-il.


Table des matières

Page suivante:
 

- haut de page -