Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



JAROUSSEAU
LE PASTEUR DU DÉSERT

CHAPITRE IX
LE MARÉCHAL DE SENNETERRE

 Lorsque le pasteur Jarousseau vint exercer son ministère en Saintonge, le protestantisme commençait à respirer, non qu'on eût déchiré un seul paragraphe du code de la persécution : on y retrouvait toujours cette profusion d'édits qui n'avaient réussi qu'à prouver une fois de plus la faiblesse de la violence; on ne songeait pas à les abroger, on les laissait sommeiller; l'intolérance avait lassé les persécuteurs plus vite que les victimes.

La persécution n'était plus ce qu'elle avait été autrefois : implacable, méthodique, administrative, et militaire à la fois; elle' était intermittente, capricieuse, ce qui ne l'empêchait pas d'être toujours menaçante, car après de longs moments d'apathie, elle se réveillait à l'improviste pour frapper un coup d'autant plus terrible qu'il était imprévu.

Il y avait à Versailles un ministre qui mettait son amour-propre à effacer du sol jusqu'au souvenir du calvinisme. C'était le comte de Saint-Florentin, depuis duc de la Vrillière, un courtisan accompli renommé pour sa galanterie ; de temps à autre il galvanisait l'ardeur éteinte des intendants et, au sortir du petit lever de Mme de Pompadour, il leur donnait l'ordre de réprimer le brigandage, c'était son mot, des mariages et des baptêmes au désert.

Alors la troupe faisait une battue dans la campagne. Quand elle avait surpris un prédicant en flagrant délit, le malheureux ne faisait que passer de la geôle sur la sellette, et vingt-quatre heures après, pieds nus, tête nue, en chemise, la hart au col, avec un double écriteau dans le dos et sur la poitrine: ministre de la religion prétendue réformée, il allait faire une première station sous le porche de la principale église de la paroisse. Là une torche de cire jaune du poids de six livres à la main, il devait se mettre à genoux pour faire amende honorable, et demander pardon à Dieu, au roi et à la justice, de ses crimes et méfaits; après quoi il montait au gibet, puis son corps flottait au vent, et le lendemain le bourreau le traînait sur la claie à la voirie.

À ces moments de crise ou plutôt de recrudescence de persécution on pouvait voir passer le long des chemins de longues files gémissantes de religionnaires et parmi eux des enfants de huit ans traînés au bagne, le bâton haut, la chaîne au pied, entre deux rangs de fusiliers. Une fois assis sur le banc des galères, ils y restaient toute leur vie, car la chiourme était la mort à brève échéance ; on n'y vivait pas plus de trois ans en moyenne. Le bagne n'étant pas fait pour les femmes, on les envoyait ailleurs.

Il y avait au fond des marais d'Aigues-Mortes, une tour solitaire, sombre, muette, ouverte seulement par le sommet à la pluie. Qui pouvait habiter cette tour de mystère, gardée jour et nuit par une sentinelle ?

On disait vaguement qu'un certain nombre de femmes, surprises au désert, avaient passé autrefois le seuil de cette prison, après avoir été fouettées et rasées. Les vieillards racontaient même qu'ils avaient vu des jeunes filles, du premier âge, parmi les victimes. Mais les prisonnières étaient-elles mortes ou vivantes ?
Aucune voix ne pouvait percer la pierre de la muraille.

Seulement, de temps à autre, il sortait de là un cercueil, voilà tout ce qu'on savait. L'Europe protestante apprit un jour l'existence de ce charnier. Le grand Frédéric demanda la grâce des malheureuses condamnées au supplice de ces gémonies. Cette grâce lui fut refusée.
Longtemps après - combien moururent dans l'intervalle! - le maréchal de Beauveau, nommé commandant de la province, voulut voir cette prison l'État. Il en fit ouvrir le guichet..
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Ce qui se passa alors dans son âme, Dieu seul pourrait le dire; car en voyant des choses humaines qui n'ont plus de nom dans aucune langue, cet homme de fer, trempé au feu, n'eut plus la force de parler aux ombres dressées devant lui, il ne put que leur faire signe de sortir..
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Elles virent enfin la lumière du soleil, mais à peine eurent-elles jeté un regard effaré sur la campagne, qu'elles tombèrent aux genoux du maréchal et le prièrent de les rejeter sur la paille de leur cachot..
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Elles n'avaient plus de famille, une porte où frapper. Quelques-unes étaient enfermées depuis soixante ans au fond de ce tombeau. Il fallut qu'au premier moment le prince de Beauveau les nourrit sur sa cassette..
Le duc de la Vrillière lui ordonna depuis de réintégrer les victimes dans leur prison..
Il répondit :.
- J'ai fait murer l'infâme cachot, et personne au monde ne le rouvrira tant que je commanderai dans la province...

Cependant l'esprit de tolérance prêché par l'école de l'Encyclopédie pénétrait déjà partout, à la cour, dans l'armée, dans la magistrature elle-même qui commençait à comprendre que la conscience échappait au bourreau. Après le supplice de Calas qui fut le dernier coup de queue du requin sur le pont, comme disait Voltaire, il y eut en France pour le protestantisme une sorte de trêve de Dieu ou pour mieux dire de détente.

Le maréchal de Senneterre, marquis de Pisani et baron de Didonne, gouvernait alors la Saintonge. C'était un vieillard aveugle, âgé de près de quatre-vingts ans, qui faisait tous les soirs sa partie de piquet et reconnaissait parfaitement les cartes au toucher. Malgré sa cécité il avait l'âme en équilibre, ce qui suppose un grain de philosophie.

Né en 1685, déjà colonel en 1705, il avait fait la guerre en. Flandre sous Villars, en Italie sous Vendôme, en Espagne sous Berwick, en Allemagne sous Bellisle, et véritablement gagné son bâton de maréchal à la pointe de l'épée. Il avait résidé quelque temps à Turin en qualité d'ambassadeur, il avait donc beaucoup vu, beaucoup voyagé, et beaucoup appris par conséquent, et contracté, dans l'étude comparée des hommes et des moeurs, cette largeur de pensée, cette indulgence de jugement qui est une des vertus de l'esprit

Il avait épousé une demoiselle de Saint-Pierre qui lui avait apporte en dot une partie de l'île de la Guadeloupe. Après la mort de sa femme, il avait fait reconstruire dans la Champagne de Cozes le château de Semussac dont il ne reste plus guère aujourd'hui que les communs. Il l'avait meublé magnifiquement et il y vivait en philosophe désabusé des grandeurs qui n'aspire qu'au repos.

Sitôt qu'il apprit l'arrivée du pasteur il le fit venir à son château et, le tutoyant du premier mot avec la familiarité du grand seigneur:
- Comment te nommes-tu ?
- Jarousseau.
- D'où viens-tu?
- De Lausanne.
- Hein ! fit le maréchal. J'ai cette oreille malade; le n'ai pas entendu. Passe de l'autre côté.

Le pasteur passa de l'autre côté et répéta sa réponse.
- Je me suis trompé, répondit le maréchal, ce n'est pas cette oreille-ci qui est la bonne, c'est décidément l'autre; mais n'importe, tu viens de quelque part, tu n'as à Saint-Georges aucun parent?
- Aucun, monseigneur.
- Ni aucun ami.
- Peut-être.
- Pourquoi, peut-être?
- Parce qu'on peut avoir un ami sans le savoir. - Tu n'es pas venu ici pour recueillir un héritage? - Non, si par héritage on entend un bien de la terre.
- Ni pour labourer ?
- Non, monseigneur. - Ni pour cultiver.
- Pas davantage.
- Que viens-tu faire alors?
- Tout cela, monsieur le maréchal. - Comment tout cela?
- Oui, labourer le champ et cultiver la vigne du Seigneur.
- En bon français tu viens prêcher; tu sais que c'est un métier défendu par les édits.
- Mais ordonné par le Tout-Puissant. - Pourrais-tu me montrer ta patente ?

Jarousseau mit la main sur son coeur :
- La voilà, monseigneur.
- Parlons sérieusement. Lavrillière m'a signalé ta présence à Saint-Georges; je devais la connaître pour l'acquit de ma charge; mais il me plaît maintenant de l'ignorer. Puisque tu tiens absolument à posséder un troupeau, mène-le paître, où il te plaira, l'herbe que tu voudras, pourvu que ce ne soit pas en public et sur le grand chemin. Mais pas de scandale, entends-tu bien? je ne le souffrirais pas; quand un des vôtres aura un enfant, il le mènera baptiser au curé, et quand il mariera sa fille, il la mariera à l'église. Et si jamais je dois te rechercher, j'aurai toujours soin de ne pas te trouver; mais il faudra aussi m'aider de ton côté.
- Monseigneur voudrait-il dans cette hypothèse me tracer une ligne de conduite ?
- Que diable, mon garçon, je ne puis t'indiquer moi-même le moyen d'échapper à ma justice ; fais-toi une retraite dans ta maison ou ailleurs, peu m'importe, cela ne me regarde pas, pourvu que tu sois caché; seulement, toutes les fois que je donnerai l'ordre de t'arrêter, je ferai battre le tambour à l'entrée du village.

Et congédiant le pasteur d'un geste de commandement, il ajouta :
- Va, dit-il, ceci est mon dernier mot : J'entends maintenir la discipline dans la province aussi exactement que dans mon armée, mais je n'entends pas non plus servir de recors à Lavrillière; n'a-t-il pas eu l'impertinence de m'envoyer l'autre jour un sous-lieutenant du Royal-Berry me porter une lettre de cache? - Lisez-la vous-même, dis-je à l'officier.

La lettre contenait l'ordre d'arrêter le porteur séance tenante et de l'expédier à l'Ile-de-Rhé sous bonne escorte.

- Vous vous appelez Pierre Buffière? lui dis-je.

L'officier releva la tête avec fierté.
- Oui, de mon nom de guerre, mais de mon vrai nom, je m'appelle Mirabeau.
- Savez-vous le crime qu'avait commis ce pauvre diable? il avait voulu épouser la fille d'un archer.
- Monsieur Pierre Buffière? lui dis-je.
- Comte Mirabeau, reprit-il ; on m'ôte mes droits, je reprends mes titres.
- Je ne veux pas vous infliger l'humiliation d'une escorte, vous vous rendrez à l'Ile-de-Rhé sur parole.
- Quand c'est votre bonté qui parle, c'est pour moi plus qu'un ordre, c'est une obligation de conscience, et puisque monsieur le gouverneur est en veine d'indulgence veut-il me permettre une réflexion?
- Parlez.
- Voici la première lettre de cachet que j'aie à subir.
- Et la dernière, il faut l'espérer.
- Je l'ignore, mais ce que le sais ou plutôt ce que je sens, c'est que le dernier soleil de ce siècle-ci ne sera pas couché sans que la dernière lettre de cachet ne soit déchirée dans la main de la royauté.
- Et quel sera le sujet assez hardi pour la déchirer?
- Moi, peut-être.
Voilà ce que ce jeune fou m'a répondu; au lieu de l'expédier à l'Ile de Rhé j'aurais dû l'envoyer à Charenton. Adieu, monsieur Jarousseau ; vous avez bien retenu mon dernier mot, n'est-ce pas?


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CHAPITRE X
LE PRÊCHE EN MER

Le pasteur comprit que le dernier mot du maréchal était un permis implicite de prêcher l'Évangile. Restait, il est vrai, la question du baptême et du mariage à l'église. La difficulté était prévue et résolue depuis longtemps.

Le clergé tenait avant la révolution, comme chacun sait, les registres de l'état civil. Lorsqu'un enfant naissait dans une famille protestante, le père le portait d'abord à la paroisse, où le curé administrait le baptême et rédigeait l'acte de naissance ; mais de la paroisse, il le reportait aussitôt à la maison du pasteur, qui, sur le baptême encore frais de l'Église romaine, en versait un second : de sorte que la jeune âme, à son premier vagissement, passait en un quart d'heure, avec une goutte d'eau, du catholicisme au protestantisme. Quant au mariage, la question était insoluble; il fallait aller à confesse pour épouser à l'église; le protestant aimait mieux épouser au désert, dût-il avoir de par la loi des enfants bâtards. Enfin lorsqu'un protestant venait à décéder, la famille l'enterrait dans son jardin ou dans le jardin d'un parent.

Jusqu'à l'époque de son mariage, le pasteur Jarousseau n'avait pris aucune précaution contre l'éventualité d'une visite domiciliaire ; son modeste presbytère, d'ailleurs, ne lui offrait aucun endroit où il pût en cas d'invasion trouver un refuge. Dieu est bon, disait-il ; il saura bien me protéger, et s'il m'abandonne, c'est qu'il n'aura plus besoin de son serviteur. Un jour même qu'il entendit le tambour à l'entrée du village il prit tranquillement sa canne et alla au-devant de la force armée; sa témérité le sauva d'une arrestation certaine. L'officier qui commandait le détachement ne put croire en le voyant venir à sa rencontre que c'était l'homme qu'il cherchait : il le laissa passer, mais lorsque le pasteur eut abandonné son premier gîte pour habiter la maison d'Anne Lavocat il reconnut que sa vie ne lui appartenait plus à lui seul, qu'elle appartenait aussi à sa femme.
- La prudence n'est pas la lâcheté, lui disait-elle, et de son autorité privée elle avait fait pratiquer une cachette assez habilement dissimulée pour mettre en défaut le flair le plus exercé d'un agent de police.

Le pasteur pouvait donc évangéliser à peu près librement sous la protection tacite du maréchal de Senneterre, à la condition d'y mettre de la retenue et de respecter la lettre du traité contracté à mi-mot avec le maréchal. Tous les dimanches lé pasteur prêchait en plein air, quand le temps lé permettait, et à la fin du prône il donnait rendez-vous à son troupeau pour le dimanche suivant, ici ou là, dans un trou de falaise, au coin d'un bois, temple d'autant plus saint qu'il représentait ce qu'il y a de plus près du Christ : une idée persécutée.

Les fidèles accouraient à la réunion de six lieues à la ronde, par des sentiers écartés, les hommes armés de longs bâtons terrés, les femmes cachées sous leur cape gauloise. Ils remettaient en arrivant aux anciens de l'Église leur merreau, signe de reconnaissance entre eux, et prenaient place en silence, à côté les uns des autres, tête nue, les mains appuyées sur leurs bâtons.

À ce moment le pasteur, monté sur un tertre à défaut de chaire, ou adossé à un arbre éploré, penché sur lui du haut de je ne sais combien de siècles d'existence, commençait le service divin en lisant et en commentant un chapitre de l'Évangile.

Pendant qu'il parlait, Misère, postée en sentinelle avancée sur la hauteur voisine, immobile et l'oreille dressée, regardait l'horizon, flairait l'atmosphère, et, au moindre bruit suspect, au moindre uniforme errant dans le lointain, descendait de son poste et donnait le signal de la retraite.

Lorsque la troupe battait l'estrade et que le pasteur Jarousseau jugeait le prêche en terre ferme impossible pour un dimanche; ce dimanche-là, de bonne heure, avant le lever du jour, trois ou quatre chaloupes pontées de pilotes, sortaient mystérieusement du port de Saint-Georges, filaient à toutes voiles en pleine mer, jusqu'à ce qu'elles eussent perdu la vue de la côte ; alors elles laissaient arriver bord à bord ; les écoutilles sautaient, les fidèles cachés à fond de cale montaient sur le pont, et là, debout sur l'habitacle de la barque du milieu, perdu dans l'immensité de l'horizon vide, la tête nue, le pasteur entonnait un psaume et faisait un sermon. Il trempait ensuite sa main dans un seau d'eau de mer et baptisait les enfants nouveau-nés, pour les initier d'avance, par ce baptême d'amertume, à une vie d'épreuves.

C'était le prêche en pleine mer, La voûte du temple était là voûte du ciel, le temple était l'infini. Le parvis était une planche flottante sur le gouffre, et agitée à la houle, image saisissante de l'Église sous la croix, sans repos et sans patrie. On était là loin de l'homme, en présence de Dieu seul, comme au jour du jugement dernier.

À la tombée de la nuit, les chaloupes regagnaient isolément le port de Saint-Georges, pour dérouter les soupçons. Bien souvent, lorsqu'un navire breton entrait en rivière; l'homme de quart assis à la barre du gouvernail entendait au loin, à travers l'obscurité, des chants graves et tristes de voix d'hommes et de femmes, et croyant sans doute que les voix montaient du fond de la mer, faisait le signe de croix pour conjurer les spectres de l'abîme.

Cependant, si bien gardé que fût le secret de ce culte tantôt célébré en mer, tantôt sur la dune, la prédication nomade du pasteur Jarousseau transpirait au dehors. Il y avait alors à Saint-Georges un récollet nommé Labole ; c'était un petit homme maigre, la tête ronde, le nez effilé, l'oeil gris, le front chauve et bosselé, comme s'il avait été repoussé à coups de marteau. Fanatique de bonne foi, espèce de saint égaré dans un siècle d'incrédulité, il vivait seul, tête à tête avec son crucifix, pratiquant toutes les austérités d'un frère du moyen âge. L'évêque de Saintes avait cru devoir envoyer à Saint-Georges, alors le foyer le plus ardent du calvinisme dans toute la province, un prêtre irréprochable et inexorable, qui ne discutât pas avec l'hérésie, mais qui la signalât en toute occasion à la rigueur des ordonnances; il avait choisi le récollet.

Lors de son arrivée, le pasteur alla lui rendre visite, pour donner l'exemple de la conciliation.
Le récollet le reçut debout.
- Que venez-vous faire ici? que peut-il y avoir entre nous de commun?
- La charité.
- Il n'y a pas de charité pour l'erreur.

Et il rentra au presbytère.

Le récollet Labole croyait le salut du monde et son propre salut attachés à l'extinction du protestantisme. Il y travaillait consciencieusement. Chaque fois qu'il avait connaissance d'une assemblée dans le désert, il regardait comme un devoir de conscience d'en avertir l'évêque de Saintes; l'évêque transmettait l'avis au duc de Lavrillière, et le crime d'État revenait au château de Semussac avec injonction de sévir.

Au bas de l'avis, le maréchal de Senneterre écrivait plaisamment, en sa qualité d'aveugle
- Je n'ai rien vu.

Et il retournait la dénonciation ainsi annotée au ministère.
Quand on le pressait trop vivement, il envoyait un bataillon tambour battant faire une visite domiciliaire chez le pasteur ; le pasteur, averti par le bruit du tambour, remontait dans sa cachette et laissait passer l'orage.

La duchesse de Crussol habitait le château de Semussac depuis le mariage de sa fille avec le comte de Senneterre, fils aîné du maréchal; de temps à autre elle entreprenait le maréchal sur ce qu'elle appelait une débauche de tolérance.
- Madame, lui répondait le gouverneur, je vais avoir bientôt quatre-vingt-six ans, je crois en Dieu, je ne veux pas paraître devant lui une tache de sang sur les mains. Quand on offense le Seigneur, je ne peux reconnaître d'autre juge que le Seigneur lui-même.

Or, un jour que le pasteur était allé trouver le maréchal pour lui demander la grâce d'un malheureux bouvier qui avait salé son pain avec de l'eau dé mer:
- Jarousseau, lui dit lé maréchal, je suis content de toi, tu es un homme de Parole. Je remarque avec plaisir que depuis que tu es au Pays il y a moins de maraude et de contrebande; voyons, que pourrai-je faire pour reconnaître ce service ?
- Me permettre dé bâtir une grange.
- Pour ton troupeau, n'est-ce pas ?
- Puisque monseigneur m'a deviné, je rétablis la vérité : pour bâtir un temple.
- Tu aurais dû le bâtit sans en demander là permission; je ne peux té la donner.
- C'est que je voudrais pouvoir le bâtir sur vôtre terrain.
- Sur mon terrain, et pourquoi ?
- Parce qu'une fois là on n'osera pas le démolir.
- L'idée est ingénieuse, mais je ne peux y consentir.
- Et quel est-ce terrain?
- Le bord de la Frênière.
- L'endroit est bien choisi, ta grange sera cachée.
- Complètement, monseigneur.
- Eh bien, fais ce que tu voudras.

Et comme Jarousseau le remerciait :
- Ne me remercie pas, je n'ai rien permis, rien, absolument rien; et si tu dis le contraire, je te ferai pendre comme faux témoin.


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