Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



AUGUSTE THIÉBAUD

EXTRAITS DU COURS DE DOGMATIQUE D'AUGUSTE THIÉBAUD

LES RAISONS DE CROIRE DU CHRÉTIEN

 

Quelles raisons le chrétien a-t-il d'affirmer l'existence de Dieu ? Ces raisons, nous les trouvons, d'une part, dans les aspirations fondamentales de l'âme humaine ; d'autre part, dans la manière dont Dieu y a répondu par la révélation et, tout particulièrement, par la manière dont il y a répondu en Jésus-Christ.

1. Les aspirations fondamentales de l'âme humaine.
Il a été presque de règle, depuis Kant, de renoncer aux preuves classiques de l'existence de Dieu et de postuler celle-ci comme sauvegarde des valeurs en l'absence desquelles il est impossible à la vie spirituelle de se maintenir.

Si Dieu n'existe pas, il ne nous est pas possible de donner un sens a la vie, et, sans même aller jusqu'au « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons », nous ne pouvons voir dans la vie humaine qu'une bien misérable affaire si elle se réduit aux étroites limites de notre existence terrestre et si tout ce que nous faisons pour nous-mêmes ou pour les autres ne porte pas d'autre empreinte que celle d'un monde où tout passe et où tout doit périr. Si Dieu n'existe pas, ce qu'on appelle la vérité se ramène à la constatation de faits particuliers, de la succession ininterrompue des causes et des effets. De vérité plus générale et plus haute, nous renseignant sur ce que nous sommes et nous disant d'où nous venons et où nous allons, il n'en faut pas demander. Si Dieu n'existe pas, la distinction rigide entre le bien et le mal perd toute raison d'être ; ce ne sont plus que des notions toutes relatives et se réduisant, le premier, à ce qui nous est utile, à ce qui nous procure ou procure à notre entourage un certain nombre de satisfactions, le second, a ce qui nous contrarie, à ce qui nous empêche ou empêche notre entourage de jouir pleinement de l'existence. La vie n'a de sens, la vérité et le bien ne sont des réalités que s'il y a un Dieu « pour qui et par qui sont toutes choses » (Hébr. II, 10).

On arrive au même résultat si, au lieu de partir de ces notions peut-être un peu vagues et générales du sens de la vie, de la vérité ou du bien moral, en se fonde sur les aspirations essentielles de l'âme humaine, besoin de connaître, besoin d'être heureux, besoin de vivre. Ces aspirations qu'il n'est pas en notre pouvoir d'étouffer, auxquelles nous ne pouvons chercher à échapper qu'en nous avilissant à nos propres yeux, sont condamnées à demeurer inassouvies s'il n'existe que l'univers visible ; elles ne trouvent leur satisfaction pleine et entière qu'en Dieu ; donc il faut que Dieu soit ; donc Dieu est.

Ces considérations ont certainement une grande valeur ; elles établissent que la religion a sa place dans notre constitution psychologique. Sous des aspects infiniment variés les besoins et les aspirations que nous venons de rappeler sont les avenues qui conduisent à la foi, et il serait facile de montrer par de nombreux exemples que c'est en refusant de s'en séparer et de les renier que l'on triomphe des crises par lesquelles il faut quelquefois passer. Frédéric Robertson,(1) qui avait lui-même passé par l'une de ces crises douloureuses, avait remporté la victoire en s'attachant de toute son âme à la réalité du bien. « Dans l'heure la plus sombre qu'une âme d'homme puisse traverser, écrivait-il plus tard, quoi que ce soit qui puisse être mis en doute, une chose du moins est certaine : Même si Dieu n'existe pas et s'il n'y a pas de vie future, mieux vaut encore être généreux qu'égoïste, mieux vaut être chaste que de céder à ses convoitises, mieux vaut la vérité que le mensonge, mieux vaut le courage que la lâcheté. Heureux au delà de tout bonheur terrestre l'homme qui, à l'heure de la tempête et des ténèbres, a persisté à regarder à ces fanaux. Trois fois heureux celui qui, à l'heure où tout était sombre et désolé au dedans de lui et autour de lui, où ses amis se retiraient de lui, s'est cramponne au roc de la réalité du bien et de la réalité du mal. Trois fois heureux parce que sa nuit passera et que, bientôt, luira sur lui la pure et claire lumière du jour ». Mais, si l'on va au fond des choses, on est bien oblige de reconnaître que ni l'ardeur de nos aspirations ni l'urgence de nos besoins ne prouvent qu'il y sera satisfait. Pour que ces aspirations se transforment en possession, pour que cette foi devienne une certitude, il ne suffit pas que nous tendions les mains vers Dieu ; il faut que Dieu lui-même vienne à notre rencontre, qu'il exauce notre prière et nous donne l'assurance qu'il veut nous accorder son aide ; or, cette assurance nous est donnée quand nous rencontrons Dieu en Jésus-Christ.

2. La révélation de Dieu en Jésus-Christ.
Un philosophe religieux peut se contenter de nous dire que, s'il croit en Dieu, c'est afin de découvrir un sens à la vie et afin de conserver sa foi à la valeur et à l'autorité du bien. Un chrétien, qu'il soit ou non philosophe, fera nécessairement un pas de plus et nous dira que, s'il croit en Dieu, c'est que Dieu l'a cherché et s'est approché de lui en Jésus-Christ. Cette conviction n'est pas chez lui l'aboutissement d'une démonstration logique qui, si solide et serrée qu'elle paraisse ou qu'elle soit, ne forcerait jamais que l'adhésion de l'esprit ; ce n'est pas non plus une sorte de saut dans le vide, une forme de l'élan vital chez un homme qui veut conserver ses raisons de vivre ; c'est le fruit d'une expérience personnelle, intéressant son être tout entier et qu'il a faite au contact de l'Évangile.

Nous n'avons pas à exposer ici les conditions historiques extrêmement diverses et souvent très complexes dans lesquelles s'opère ce contact. On trouverait sans doute avec peine deux hommes qui ont été amenés à l'Évangile exactement par les mêmes chemins. Dans l'immense majorité des cas, un intermédiaire ou même plusieurs intermédiaires, parents, amis chrétiens, livres, appels divers, ont joué un rôle important ; mais aussitôt que l'on veut aller plus loin ou creuser plus profond, on constate que c'étaient précisément des intermédiaires et que ce qu'il y avait derrière chacun d'eux, c'était l'influence de Jésus-Christ. Laissons donc les intermédiaires de côté et voyons rapidement pourquoi nous, chrétiens, nous disons que, si nous croyons en Dieu, c'est à cause de Jésus-Christ.

1. Qu'il soit entendu dès l'abord que, quand nous disons que c'est Jésus qui nous a révélé Dieu, nous ne voulons pas dire que c'est Jésus qui nous a enseigné son existence et que, si nous croyons que Dieu est, c'est parce que Jésus nous l'a dit. Cette foi d'autorité ne nous ferait pas sortir de la croyance intellectuelle, et surtout elle ne nous garantirait pas encore que Dieu est véritablement entré en relation avec nous. Ce n'est point non plus, comme l'enseignait jadis l'apologétique, en raison de certains faits qui ont, soit précédé, soit accompagné l'apparition de Jésus et qui ne nous paraîtraient trouver leur explication que dans une intervention miraculeuse de Dieu ; même la sainteté de Jésus envisagée comme fait historique n'est pas à proprement parler le fondement de notre foi religieuse, comme l'a soutenu G. Godet dans un fort beau travail intitulé : Sur quoi repose notre foi? Tout cela ne nous apporterait qu'une certitude logique et, il faut l'avouer, une certitude assez précaire, puisque les bases sur lesquelles elle reposerait sont de celles qu'il faut toujours réviser et consolider.

2. Si nous croyons en Dieu, c'est, tout d'abord, que nous avons rencontré dans l'Évangile, autrement dit chez Jésus-Christ, et chez les hommes du présent comme du passé qui se sont mis volontairement à son école et l'ont pris pour Maître et Sauveur, une vie dont la nature toute spéciale a éveillé notre attention et notre sympathie.

Décrite dans ses manifestations extérieures, cette vie est d'une part une vie d'abstention à l'égard de tout ce qui est mal ; là où elle est pleinement réalisée, c'est-à-dire chez Jésus, on n'y découvre nulle trace d'égoïsme ou de sensualité ; on n'y trouve ni orgueil, ni dureté, ni méchanceté, ni avarice, ni mensonge, ni hypocrisie, ni asservissement à la chair d'aucune sorte que ce soit ; d'autre part c'est une vie où toutes les vertus actives sont harmonieusement réunies et pratiquées, vie de travail, de courage, de patience, de justice, de bonté, de dévouement, de charité ; en un mot, c'est une vie à laquelle notre conscience donne sa pleine approbation, une vie qui correspond à l'idéal moral que nous nous sommes formé ; c'est une vie dans laquelle tout ce qui est humain, dans le sens supérieur de ce terme, a sa place, toute la place à laquelle il a droit, mais pas davantage que sa place légitime.

C'est une vie pleine, complète, achevée, qui, dans aucune de ses parties, ne nous laisse cette impression d'insuffisance, d'imperfection, parfois même de faillite, qui s'impose à nous quand nous regardons d'un autre côté. À juste titre, on a trouvé quelque chose de prophétique dans le mot de Pilate présentant Jésus à la multitude ameutée des Juifs : Ecce homo, Voici l'homme.

Considérée dans ses réactions intérieures ou subjectives, c'est une vie qui ne déçoit pas celui qui l'a acceptée, qui ne lui cause aucune désillusion, qui ne lui laisse aucun regret, ou, s'il s'agit d'un autre que Jésus, qui ne lui laisse pas d'autre regret que celui d'y être entré trop tardivement, de n'y avoir consacré qu'une partie de son existence. Ce n'est pas nécessairement une vie exempte de souffrances, de renoncements et de privations ; c'est même souvent une vie particulièrement difficile, austère, douloureuse ; et pourtant c'est une vie de paix, de sérénité, de contentement intérieur, de possession de soi-même, d'espérance et de joie ; c'est une vie qui, même dans la faiblesse et le dépouillement, est une vie de force et de richesse, au sentiment de ceux qui la vivent et de ceux qui la contemplent. C'est cette impression de plénitude intérieure que traduisent ces profondes déclarations johanniques où il est question de soif apaisée : « Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif » (Jean IV, 13-14). «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive découleront de lui » (ibid. VII, 37-38). Voir également Jean VI, 68 : « Seigneur, à qui irions-nous? Tu as des paroles de vie éternelle », et le cantique d'Ad. Monod :
«Que ne puis-je, ô mon Dieu... »

Considérée enfin dans ses racines profondes, c'est une vie qui n'a pas sa source première dans l'homme lui-même, dans son tempérament, dans les efforts qu'il a faits pour s'élever au-dessus de lui-même ; c'est une vie qui, au témoignage du chrétien, lui est donnée avant qu'il puisse dire que c'est la sienne. C'est une vie qui a Dieu pour auteur comme elle a Dieu pour but ; c'est de Dieu qu'elle procède comme elle tend en toute chose à l'accomplissement de ses desseins ; la prière en est l'âme comme la volonté de Dieu en est la norme.

Nul ne peut entrer en contact avec une telle vie sans avoir l'intuition qu'elle est la vraie vie, ce que l'Écriture appelle d'un mot profond : la vie éternelle ; nul ne peut la rencontrer sur sa route sans avoir l'intuition que c'est la vie pour laquelle il a été créé, et sans se sentir sollicité a l'accepter à son tour, quelles que soient d'ailleurs les résistances qu'il puisse opposer à cette sollicitation ; nul encore ne peut la rencontrer sans avoir la vision des réalités supérieures dont il pressentait confusément l'existence et sans éprouver la certitude grave et lumineuse a la fois que Dieu s'est approché de lui et lui offre le salut ; nul enfin ne peut la repousser sans avoir la certitude douloureuse qu'il se plonge dans la nuit et qu'il compromet sa destinée éternelle (Marc X, 22).

3. Si nous croyons en Dieu, c'est encore et surtout parce que, quand, nous en rapportant au témoignage de Jésus lui-même et au témoignage de ses disciples, nous avons accepté l'Évangile et que nous avons pris devant Dieu une attitude humble, soumise et pourtant aussi réceptive et confiante, nous avons pu constater que nous n'en étions pas réduits à contempler et à admirer de loin une cime inaccessible, que cette vie devenait notre vie, que nous devenions, nous aussi, des enfants de Dieu, qui nous accordait son pardon, qui nous prenait à son service, qui nous donnait jour après jour ce dont nous avions besoin pour accomplir notre tâche. Et cette certitude de Dieu est allée en augmentant à mesure que nous avons fait l'expérience de l'exaucement de la prière, à mesure que nous avons appris à discerner la main de Dieu jusque dans le cours de notre vie individuelle, à mesure qu'une expérience plus complète de la vie, de ses tâches, de ses dangers et de ses épreuves nous permettait de nous convaincre toujours plus complètement que nous avions choisi la bonne part.

Telles sont les raisons de croire du chrétien ; elles se fondent, nous le répétons, non sur l'autorité incontrôlable d'un tiers, ni sur une démonstration rationnelle, ni sur une expérience unique, qui pourrait avoir le caractère d'une autosuggestion, mais sur une expérience qui se renouvelle chaque jour et qui a dans l'Évangile sa source intarissable. S'il arrive, par l'effet de l'épreuve ou d'une défaillance de la volonté, que cette certitude se voile, il est toujours possible de la retrouver, de la raviver, en revenant et en rentrant dans la voie d'où l'on n'aurait pas dû sortir.

Si ce qui précède est juste (et nous ne voyons pas ce que l'on pourrait y objecter), il en résulte que, pour qui veut connaître Dieu, la méthode ne consiste pas avant tout à s'efforcer de bien raisonner, mais à s'efforcer d'avoir la volonté de bien vivre. Ce qui nous cache Dieu, ce ne sont pas tant les énigmes de l'univers que les ruses et les résistances de notre coeur mauvais, comme ce qui cache Dieu au monde, c'est bien moins l'insuffisance de notre apologétique que les inconséquences des chrétiens.

Raisons subsidiaires.
Dirons-nous que les raisons que nous venons d'indiquer sont pleinement suffisantes et que le chrétien, une fois qu'il les possède, ne se préoccupe pas davantage d'en trouver d'autres qu'on ne se met en quête d'une lampe lorsque le soleil brille de tout son éclat? C'est l'idée de Ritschl. (2) Parce que nous ne connaissons Dieu pleinement et utilement qu'en Christ, il dénie toute valeur à la religion naturelle, dont les faibles lumières s'effacent devant une clarté plus grande. Telle n'est pourtant pas notre opinion. Le chrétien qui a mis Dieu à la base de sa vie personnelle ne pourra s'empêcher de le placer aussi à l'origine de toutes choses ; il ne pourra considérer sa vie religieuse comme un phénomène isolé, sans rapport avec l'ensemble des choses et avec le grand courant de la vie. Et c'est précisément à ce point de vue que les preuves ordinaires de l'existence de Dieu, insuffisantes à déterminer à elles seules une véritable conviction, trouvent leur utilité et acquièrent une valeur nouvelle en nous aidant à reconnaître que le même Dieu qui agit en nous est à l'oeuvre dans l'univers entier.

L'argument tiré du consensus universel apparaît comme rajeuni et renouvelé quand nous le considérons à la lumière de l'expérience chrétienne. Il n'est pas possible au disciple de Christ de considérer l'aspiration de l'humanité comme une déviation causée par l'ignorance ; elle est au contraire la marque de son origine divine, l'empreinte même que lui a laissée la main de celui qui l'a formée ; l'humanité cherche Dieu parce qu'elle est fille de Dieu et que, privée de lui, elle est comme l'orphelin dans lequel subsiste un vague souvenir de l'amour paternel.

L'argument cosmologique ne peut plus être rejeté comme une intrusion indiscrète de la philosophie dans un domaine qui lui serait interdit. L'homme qui a réalisé comme un fait d'expérience intime sa complète dépendance ontologique et morale à l'égard de Dieu ne peut plus concevoir le monde comme un tout indépendant, existant pour lui-même et se donnant a lui-même les lois qui le régissent. Ce monde où tout est muable et passager, dont tous les éléments portent la marque de la contingence, ne peut être qu'un effet et non la cause première que notre esprit réclame à l'origine de l'univers. Bien des choses nous portent à croire que l'univers aura une fin ; cela nous oblige à penser qu'il a eu un commencement, et ce commencement, il nous est bien difficile d'en douter, est venu de la volonté de Dieu.

L'argument téléologique, dont tant de bons esprits reconnaissent la valeur, ne peut que gagner en autorité aux yeux de qui le considère à la lumière de l'expérience chrétienne. Le spectacle du monde, de sa beauté, de sa richesse, de l'ordre admirable qui règne dans toutes ses parties provoque dans l'âme du chrétien un irrésistible mouvement d'adoration et de reconnaissance. Et si l'existence de la souffrance et du mal moral fait naître un problème à l'étude duquel nous ne pouvons nous dérober, elle ne suffit point à ébranler notre certitude que le monde est l'oeuvre de Dieu et que sa volonté s'y manifeste et s'y accomplit.

À peine est-il besoin de relever que l'argument moral, lui aussi, acquiert une force toute nouvelle pour celui qui a ouvert son coeur au Dieu de l'Évangile. Ce n'est pas à lui qu'il faut parler du bien comme de quelque chose de relatif et du sentiment d'obligation comme d'une superstition. Sa conscience a contribué trop directement à lui faire percevoir la vérité de l'Évangile pour que ses ordres ne lui apparaissent pas comme une voix divine retentissant au fond de son être. L'homme qui a reçu l'Évangile ne mettra jamais en doute ni la réalité ni la souveraineté de l'ordre moral.

Il n'est pas jusqu'à l'argument ontologique lui-même qui ne cesse d'être un tour de passe-passe philosophique pour se charger de sens et de réalité. D'où viendrait, en effet, notre pensée, et quelle en serait la valeur, s'il n'y avait pas, au delà de l'univers, une autre pensée qui l'ait conçue et dont la nôtre soit comme le reflet? L'affirmation de Dieu nous est nécessaire, Descartes l'avait compris, pour expliquer l'origine de la pensée, pour nous inspirer confiance en elle, pour nous assurer que ce que nous ressentons et nous représentons, n'est pas une vaine fantasmagorie, un mirage flottant devant notre cerveau, mais une prise de contact avec la réalité.

Ces raisons, ou ces considérations, auxquelles il conviendrait d'ajouter l'impossibilité de substituer à la foi chrétienne aucune philosophie qui répondit mieux aux besoins de notre nature, viennent à l'appui de l'expérience chrétienne et lui fournissent une confirmation qui n'est point à dédaigner. Nous concluons donc que Dieu existe, et nous écartons, au nom de la foi chrétienne, l'athéisme et le polythéisme, sous ses formes anciennes et sous ses formes plus récentes (le pluralisme de James (3)), sous ses formes compliquées aussi bien que sous la forme simplifiée que lui a donnée le dualisme.


.

LA FOI AU DIEU PERSONNEL

La première tâche qui nous incombe consiste à définir exactement ce que nous entendons par cet adjectif : le Dieu personnel.

a) Définition de la personnalité.
Disons d'abord ce qu'elle n'est pas.
La personnalité ne doit pas être confondue avec l'individualité, ainsi que semblent le faire les théologiens que nous venons de mentionner. L'individualité peut être - et elle est en effet dans la totalité des cas que nous connaissons - un des éléments de la personnalité ; mais elle ne suffit pas à elle seule à la constituer.

Nous appelons individu un être identique à lui-même dans sa durée et doué de spontanéité. Les choses ne sont pas des individus ; seuls les êtres animés, plantes, animaux, hommes, rentrent dans la catégorie des individus ; mais les êtres des deux premières classes ne sont pas des personnes ; ce nom est réservé aux seuls individus humains. Il résulte de cette observation que ni la conscience de soi, ni l'intelligence, ni la volonté, qui sont aussi des éléments de la personnalité, ne peuvent servir à la définir exactement, puisqu'il n'est pas douteux qu'on les trouve chez l'animal.

Mais ce qui n'existe pas chez l'animal et qui existe chez l'homme, c'est la liberté. Nous entendons par là non la faculté de choisir entre des motifs d'ordre différent, car il est possible d'amener l'animal, par une éducation appropriée, à refréner ses instincts naturels par crainte d'un châtiment ; mais la faculté de se déterminer pour des motifs d'ordre moral, de faire choix d'une ligne de conduite non parce qu'elle nous attire en nous assurant certaines satisfactions de nature égoïste ou sympathique (altruiste), mais parce que notre conscience l'approuve et nous en fait un devoir. La personnalité n'existe pleinement que chez l'homme qui possède la parfaite autonomie, qui est complètement maître de lui-même, qui n'agit plus ni sous la poussée de ses instincts ni sous la pression d'une volonté étrangère, mais qui, en pleine connaissance de cause, se conforme à la loi que lui impose sa conscience.

Ainsi comprise, la personnalité, chez l'homme, est moins une réalité formée qu'une virtualité, une possibilité de développement ; elle a, sans doute, dans la nature humaine une base plus ou moins difficile à déterminer et à décrire ; mais enfin cette base existe et n'existe que chez l'homme ; car s'il est possible de parler de caractère à propos de l'animal, il ne viendra à l'esprit de personne de lui attribuer la personnalité soit en fait soit en puissance. Et cette personnalité, dont la formation n'est possible que chez l'individu humain, a pour sphère d'épanouissement ou de pleine réalisation le domaine moral.

De là vient que la vie personnelle est pour nous la forme d'existence la plus haute que nous puissions non seulement atteindre mais concevoir. C'est ce que Kant a bien mis en lumière quand il a défini la personne comme une « fin en soi », comme un être qui, soumis à l'impératif du devoir, a également des droits imprescriptibles. L'individu, en tant qu'individu, est moyen, c'est-à-dire qu'il est subordonné à l'espèce ; cela est évident pour le végétal et l'animal ; l'individu est une réalisation particulière de l'espèce et il a rempli sa mission quand il a été un spécimen normal de celle-ci et a contribué à la perpétuer. L'individu humain, tout en restant lié à l'espèce, ne peut être confondu avec elle ; l'éducation qu'il reçoit à pour but d'éveiller en lui et de développer cet élément de la personnalité qui lui donnera toute sa valeur ; aussi longtemps que cet élément est en formation, l'individu reste mineur et, dans nos conditions d'existence, il demeure tel bien au delà du moment fixé par la loi pour son émancipation juridique. Il faut même dire que, chez aucun homme, Jésus excepté, la personnalité n'arrive à sa pleine maturité ; elle est un idéal qui, même inaccessible, doit être le but vers lequel tendent tous nos efforts, et nous serons des hommes d'autant plus complets et d'autant plus dignes de ce nom que nous nous serons rapprochés de ce but.

b) Le Dieu personnel.
Du moment que la personnalité est pour nous la forme d'existence la plus haute, nous ne nous étonnerons pas qu'elle soit aussi le caractère de l'Être qui est au point de départ de toutes choses et que nous regardons comme la cause universelle. Nous ne nous étonnerons pas non plus que le progrès religieux, tel qu'il se dégage de l'histoire des religions, coïncide avec le progrès de la conception de Dieu comme être personnel au sens que nous avons donné à ce terme ; le christianisme occupe à nos yeux le sommet de l'échelle des religions parce que le Dieu qu'il nous révèle est le Dieu personnel par excellence, le Dieu qui se possède pleinement, qui est le but et la fin dernière de tous les êtres comme il en est la cause première. Notre expérience religieuse, en tant qu'elle est chrétienne, nous met en rapport avec une personne et non avec une force impersonnelle, et elle nous a montre que le seul moyen de réaliser véritablement notre personnalité, c'est de nous placer dans l'entière dépendance de cette personnalité souveraine.

Il n'est pas nécessaire, ajouterons-nous, que, pour croire à la personnalité de Dieu, nous nous représentions cette personnalité comme conditionnée de même façon que les nôtres. Notre personnalité a pour substrat un organisme physique dont il ne saurait être question à propos de Dieu ; de même, notre conscience psychologique ne perçoit aucun phénomène sans le situer dans le temps et dans l'espace ; mais nous ne nous croyons pas obligé pour cela, comme certains criticistes français, MM. Renouvier, H. Bois (4), de statuer que l'espace et le temps sont également les conditions nécessaires de la pensée divine, encore qu'il nous soit impossible de concevoir ce que pourrait bien être une connaissance hors du temps et hors de l'espace. Nous savons que notre personnalité est limitée, ce qui ne signifie pas circonscrite matériellement, mais limitée en droit par les autres personnalités que nous sommes tenus de respecter ; limitée aussi en fait parce qu'elle ne se réalise que graduellement et n'atteint jamais l'autonomie complète. Mais la personnalité est-elle en elle même une limite? Et ne peut-on pas parler de Dieu comme de la personnalité infinie dans ce sens que toutes les autres personnalités se rapportent à la sienne? Et du reste, pourquoi tant insister sur ce terme comme s'il ne nous suffisait pas que cette personnalité fût la personnalité parfaite, pleinement réalisée, parfaitement autonome, la personnalité souveraine? Et dans la mesure où les autres personnalités libres constituent des limites pour la personnalité de Dieu, ne pouvons-nous pas dire que, du moment qu'il se les est librement imposées et qu'il demeure la fin vers laquelle elles doivent tendre librement, la souveraineté divine est entièrement sauvegardée?

Si ces considérations n'étaient pas jugées suffisantes, il n'y aurait qu'à mettre en présence de l'affirmation théiste l'alternative panthéiste. Certes, l'idée que Dieu se confond avec l'univers a de quoi séduire l'imagination et l'on citerait dans toutes les littératures de fort beaux poèmes d'inspiration panthéiste. Mais, dès que l'on y regarde de près, on s'aperçoit que, tant au point de vue religieux qu'au point de vue philosophique, le panthéisme est loin de défier la critique. Contentons-nous de relever un ou deux points plus spécialement en rapport avec le problème que nous avons examiné dans ce chapitre. Nous remarquons :

1. Qu'en dépit de toutes les effusions sentimentales qui abondent dans la littérature panthéiste, le panthéisme porte atteinte aux aspirations les plus élevées de l'âme. Le panthéisme n'est au fond qu'un athéisme poétisé et déguisé sous des fleurs de rhétorique. Un Dieu impersonnel et qui se confond avec la nature, s'il n'est pas inexistant, est en tout cas sourd et aveugle et aucune prière véritable ne montera jamais de nos coeurs vers lui. Le seul culte qui puisse lui être raisonnablement offert est une froide résignation qui se courbe sous la nécessité universelle, à moins que ce ne soit l'ivresse d'êtres qui se hâtent de jouir avant de retomber dans la nuit de l'inconscience.

2. Qu'avec la personnalité de Dieu, c'est aussi la personnalité humaine qui disparaît ; l'être individuel n'est à aucun degré «une fin en soi», mais seulement un moyen employé en vue de la manifestation de la vie universelle, une bulle qui arrive à la surface de l'océan, qui s'irise un instant et disparaît. Pour nous en tenir à l'individu humain, il est entièrement subordonné à la race qui seule possède une signification et une valeur permanentes.

On lie assez généralement à la question de la personnalité de Dieu celle de la transcendance ou de l'immanence divine, et nous croyons bien faire d'en dire quelques mots ici. Observons tout d'abord que ces termes empruntés au domaine spatial sont assez éloignés de l'objet auquel on les applique et doivent être entendus de façon tout à fait symbolique, comme lorsqu'on parle d'un esprit creux, obtus ou pénétrant. Le Dieu transcendant n'est pas un Dieu qui émerge du monde ou le domine de hauteurs inaccessibles ; le Dieu immanent n'est pas un Dieu qui flotte en quelque sorte dans la substance universelle. Le Dieu immanent, c'est celui dont l'activité se confond avec celle du monde, dont la volonté n'a pas d'autre expression que les lois de la nature.

Le Dieu transcendant, c'est celui qui domine la nature et peut la modifier. Au fond, c'est la question du miracle qui est ici en cause, et nous devrons nécessairement y venir. Nous nous bornons à observer ici qu'un Dieu personnel se distingue par définition de la nature et lui est supérieur. Se prononcer pour la personnalité de Dieu, c'est donc aussi affirmer sa transcendance.


Table des matières

.
(1) Frédéric-William Robertson (1816-1853). célèbre prédicateur anglais.
.
(2) Albert Ritschl (1822-1889), professeur à Bonn, puis à Goettingue, auteur de La doctrine chrétienne de la justification et de la réconciliation.
.
(3) William James (1 842 -1910), psychologue et philosophe américain, estime que la multiplicité et la diversité des êtres que saisit notre expérience ne nous permettent pas d'affirmer l'unité de l'être.
.
(4) Charles Renouvier (1818-1903). philosophe français, créateur du néocriticisme, et Henri Bois (1862-1924). professeur de théologie systématique à la Faculté de Montauban.

 

- haut de page -