Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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AUGUSTE THIÉBAUD

EXTRAITS DU COURS DE DOGMATIQUE D'AUGUSTE THIÉBAUD

DE LA DISCONTINUITÉ DU DÉVELOPPEMENT RELIGIEUX DE L'HUMANITÉ

 

Sous ce titre d'allure quelque peu énigmatique, nous désirons indiquer les raisons qui nous engagent à voir dans le christianisme non pas le point d'aboutissement de l'évolution des religions sémitiques, évolution quelque peu modifiée a son dernier stade par des influences provenant d'autres milieux, mais bien, comme on l'a toujours cru et comme le disait par exemple Schleiermacher, un commencement nouveau, l'effet d'une véritable intervention divine et pas seulement d'une poussée particulièrement énergique du sentiment religieux. Contrairement à la thèse posée par Sabatier qu'entre le christianisme et les autres religions il y a différence de degré mais pas de nature, nous voudrions montrer qu'il y a dans le christianisme un élément spécifique, original, nouveau, dont il est inutile de demander l'explication aux stades antérieurs de l'évolution. Et voici les remarques que nous avons à présenter à ce sujet.

1.
Nous jugeons contradictoires les deux affirmations que nous avons rencontrées sous la plume de MM. Bousset et Sabatier, (1) à savoir, d'une part, que l'histoire de l'humanité est un perpétuel devenir, l'imperfection aspirant à la perfection, une lente mais persévérante ascension vers des cimes toujours entrevues et jamais atteintes ; et d'autre part, que l'Évangile marque non seulement le degré le plus élevé qu'ait atteint jusqu'ici l'évolution religieuse, mais la plus haute et dernière cime, qu'il est non seulement la religion la plus évoluée, la plus perfectionnée, mais la religion parfaite, dont on pourra bien encore développer l'action, multiplier les applications, mais dont le principe, tel que Jésus l'a vécu et proclamé, ne saurait être porté à un degré supérieur de perfection. La seconde thèse nous paraît proclamer l'existence dans le christianisme d'un élément absolu, dont il est impossible de rendre compte par l'évolution. Comment se ferait-il donc qu'inachevée et pratiquement destinée à se poursuivre à jamais dans tous les autres domaines ou l'esprit humain exerce son activité, l'évolution ait soudain touché son terme précisément dans le domaine où sa marche a été tout d'abord la plus lente et la plus ardue? Il y a là une contradiction pratique dont nous ne voyons pas comment l'on parviendrait à se débarrasser.

2.
Il nous est difficile d'accepter comme l'expression de faits authentiques l'assertion de Bousset que « nulle part l'histoire ne nous met en présence du dilemme : vraie ou fausse religion », ou celle de Sabatier « qu'entre le christianisme et les autres religions il y a bien une différence de degré, mais pas une différence de nature ».

Cela peut être vrai si l'on veut dire par là que la piété est toujours la piété et qu'elle implique en tout lieu les mêmes dispositions ; encore y aurait-il lieu de remarquer que, dans les religions inférieures tout au moins, l'unique sentiment qui pousse le païen à témoigner du respect à son dieu, c'est la crainte des châtiments dont ce dieu ne manquerait pas de frapper ceux qui le négligeraient. Mais ce n'est en tout cas pas vrai dans le sens que le païen pieux trouverait dans sa piété le même réconfort, le même secours, en un mot, rencontrerait le même Dieu que le chrétien. Nous comprenons sans peine que l'entente soit facile entre deux formes de polythéisme et que, comme le faisaient les Romains, on rapproche Jupiter de Zeus, Venus d'Aphrodite et d'Astarté et qu'on leur cherche des ancêtres dans l'antique panthéon de l'Inde. Mais, à notre avis, il est parfaitement impossible de considérer ces faux dieux, ainsi qu'on les a toujours appelés, comme les équivalents du vrai Dieu que nous rencontrons dans la religion d'Israël et dans l'Évangile. Ce dernier est une réalité ; il existe véritablement, tandis que les premiers n'étaient que des créations, parfois attrayantes, mais plus souvent encore repoussantes, de la fantaisie humaine. Varouna, Indra, Osiris, Zeus, Apollon, Vénus, Minerve, ces êtres purement fictifs ne peuvent être considérés comme les précurseurs ou les frères aînés du Dieu des chrétiens, créateur et maître souverain des cieux et de la terre.

Dira-t-on que l'hommage du païen ne va que pour la forme à ses divinités imaginaires et que, par-delà ses conceptions idolâtres, sa prière et son adoration s'élèvent jusqu'au vrai Dieu, qui les accueille en raison de leur sincérité et qui y répond en dépit de ce qu'il y a de faux, de superstitieux, de blasphématoire même parfois dans les croyances et les rites qui servent de manifestation extérieure à cette piété? Nous n'en disconvenons pas ; mais nous maintenons que le païen n'en sait rien, qu'il ignore cette condescendance du vrai Dieu, que son ignorance donne trop souvent à sa piété un caractère inférieur et que cette piété est toujours imparfaite. Et nous maintenons aussi que, sur un seul point du monde, à savoir en Israël, toutes ces conceptions erronées qui, à cause de leurs erreurs mêmes, se recommandent au coeur de l'homme naturel, ont été balayées pour faire place au vrai Dieu, au Dieu unique, au Dieu saint, au Dieu juste, au Dieu d'amour, qui a suscité les prophètes et qui, finalement, s'est révélé en Jésus-Christ. Si nous n'avons pas ici l'opposition entre le vrai et le faux, l'existant et l'inexistant, si la différence n'est qu'affaire de degré et non pas de nature, c'est que, décidément, MM. Bousset et Sabatier voient les choses avec d'autres yeux que nous.

3.
Les théologiens qui posent en principe l'unité de la révélation et qui contestent au christianisme le droit de se donner pour une révélation spéciale sont, dans la règle, des partisans de l'évolution au sens que Darwin a donné à ce mot. Ils ne tiennent pas l'état présent de l'humanité pour son état normal, en ce sens que, si tout n'y a pas atteint son développement définitif, les imperfections du présent sont inévitables ; ce que nous appelons mal n'est au fond qu'une évolution inachevée, un développement incomplet, dont un avenir plus ou moins lointain comblera les lacunes ; et, au fond, si le christianisme est la religion la plus haute, c'est pour la raison bien simple que cette religion est la dernière en date et qu'elle a bénéficié de toute l'évolution antérieure. C'est un point de vue, évidemment. Mais on peut en adopter un tout différent ; et si l'on tient que l'état actuel de l'humanité est un état de désordre causé par le péché, on considérera aussi, comme on l'a toujours fait, le Christianisme ou l'Évangile comme le remède que Dieu a voulu apporter à ce désordre ; l'on n'aura alors aucune peine à admettre la possibilité de deux révélations, ou, si l'on préfère, puisqu'il s'agit de la révélation du même Dieu, d'une révélation en deux phases, dont la première, en relation avec la création, a été altérée par le péché, et dont la seconde a un caractère réparateur et rédempteur. C'est bien ainsi que le christianisme se présente en fait. Jésus-Christ ne nous est pas dépeint dans le Nouveau Testament comme un initiateur religieux de premier ordre, dont la vie et les expériences nous aideraient à combler les lacunes des expériences de ses devanciers ; il est le Sauveur, chargé de ramener les hommes à Dieu, de les réconcilier avec lui en les mettant en face de sa grâce miséricordieuse et de sa volonté sainte et en créant en eux des dispositions toutes nouvelles à l'égard de Celui qui veut bien les adopter pour ses enfants. Il y a là une conception parfaitement claire, qui assigne à l'Évangile une tâche et un rang uniques, qui justifie la distinction entre révélation naturelle et révélation surnaturelle, entre révélation universelle et révélation particulière, et qui la rend parfaitement acceptable pour l'esprit.

4. Enfin et surtout, ce qui nous engage à voir dans le christianisme autre chose que le couronnement de l'évolution antérieure, un commencement nouveau, dans le plein sens du terme, c'est la personne de son fondateur. Nous ne pouvons pas ouvrir ici une longue parenthèse destinée à l'examen anticipé du problème christologique ; mais nous tenons à rappeler que nous croyons avoir de très sérieuses raisons d'assigner à Jésus un rang absolument unique parmi les fondateurs de religion. Si considérable que soit la distance qui sépare ces derniers du commun des mortels, la distance qui les sépare de Jésus est plus considérable encore. Le Nouveau Testament, qui nous le présente comme le Rédempteur, nous le présente aussi comme l'être saint, comme le nouvel Adam, destiné à être le chef d'une humanité régénérée par son moyen. Il est manifeste que, s'il y a cette différence entre Jésus et nous, son apparition parmi les hommes ne s'explique que par une intervention divine, comme il en faut une pour expliquer qu'en Israël seul l'homme ait trouvé le vrai Dieu.

Pour ces trois raisons, donc :
1) l'Évangile nous fait connaître le vrai Dieu, que les religions humaines ont cherché, mais sans le rencontrer,
2) l'Évangile nous apporte la pleine réconciliation avec Dieu, que les autres religions étaient impuissantes à réaliser,
3) l'Évangile a pour centre la personnalité sainte de Jésus-Christ, nous voyons en lui une révélation surnaturelle, distincte de la révélation naturelle qui est à la base des religions non-chrétiennes.


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BUT ET MÉTHODE DE LA RÉVÉLATION HISTORIQUE

Le but et la méthode de la révélation historique sont en étroite corrélation et peuvent être définis l'un par l'autre. Son but, nous l'avons déjà dit, est de sauver l'homme pécheur et de renouer entre Dieu et lui des relations normales. Or ce but ne peut être atteint que par la reconstitution de la personnalité humaine, désagrégée, désorganisée par le péché. Être sauvé, c'est s'être retrouvé, c'est avoir reconquis sa liberté intérieure, c'est être enfin devenu ce qu'on n'a jamais été, un homme dans le plein sens du terme. D'où il suit que la méthode révélatrice de Dieu consistera essentiellement sinon exclusivement dans la création de personnalités chez lesquelles la vie religieuse combat et finalement détruit les effets du péché. Quand Dieu a voulu sauver notre race, il lui a donné des hommes, des hommes transformés, régénérés chez lesquels son Esprit avait fait naître une vie nouvelle et qui, comprenant ses desseins, acceptaient de lui servir d'instruments pour les réaliser ; de Moïse à David, de David à Esaïe et à Jérémie, de Jérémie au grand prophète de l'exil, et de ce dernier à Jésus-Christ, c'est par des hommes qu'il a parle à son peuple et à notre race ; et, aujourd'hui encore, quand Dieu veut nous atteindre, il place sur notre route un homme qui nous parle en son nom ; quand il veut faire réaliser un progrès à son Église, faire surgir une nouvelle oeuvre de miséricorde, une entreprise nouvelle de mission ou d'évangélisation, il adresse vocation à tel jeune homme, à telle jeune fille, pour s'occuper, l'un de quelques enfants dans un hameau obscur, l'autre pour monter à une tribune élevée et adresser son message à tout un peuple et parfois à toute l'humanité.

Nous touchons ici du doigt une nouvelle différence entre les deux formes ou les deux modes de la révélation. La révélation naturelle a quelque chose d'impersonnel et de général ; Dieu s'y manifeste non point directement et ouvertement, mais par l'intermédiaire des choses ou des faits. Les choses ou les faits nous parlent de lui, nous font penser à lui, nous dévoilent quelque chose de son être et de sa volonté ; mais lui-même n'apparaît point encore. Pour établir l'existence de Dieu, Voltaire a fait usage d'une comparaison qui a eu son heure de grande vogue, celle de l'horloge qui nous oblige à postuler l'horloger, qui nous contraint d'affirmer non seulement son existence, mais son intelligence et sa dextérité. Cette comparaison nous fait sentir assez bien la nature et les limites de la révélation naturelle. Comme l'horloger dont parle Voltaire n'est connu que dans et par son oeuvre ainsi Dieu ne se révèle à nous dans la nature que d'une façon médiate et indirecte. Il n'est point absent, certes, puisque la nature nous atteste son existence, sa puissance, sa sagesse, sa bonté ; mais il se tient en quelque sorte à distance ; il en est de ses dons comme de ceux d'un protecteur anonyme qui ne serait jamais entré en relations directes avec nous et que nous ne connaîtrions que par le soin qu'il a pris de nous faciliter l'existence, de nous préparer une demeure confortable, de mettre à notre disposition les ressources nécessaires à la satisfaction de nos besoins. Le monde, en un sens, nous révèle Dieu ; mais dans un autre sens, il nous le cache. Dieu, si l'on peut dire, est derrière lui, non pas absent, mais voilé.

Il en est ainsi des événements de l'histoire et même des événements de notre propre histoire, dans lesquels nous sommes conduits, par les aspects qu'ils revêtent, à discerner une intervention divine. Nous n'y voyons pas Dieu directement, mais nous relevons certains traits qui nous permettent d'affirmer que Dieu n'y est pas étranger. De plus, ce n'est pas, en général, pendant que les événements sont en cours que nous nous croyons autorisés à les apprécier de cette façon ; c'est rétrospectivement et quand nous avons le recul nécessaire pour les envisager dans leur ensemble et leur suite organique, que nous discernons les traces d'une volonté supérieure, plus puissante, plus sage et meilleure que la nôtre.

Il en est même ainsi de ce qui, en nous, a toujours été tenu pour la manifestation la plus haute et la plus directe de Dieu dans l'ordre de la nature, à savoir la conscience. La conscience a paru à bien des hommes quelque chose de si divin et de si sacré qu'ils n'ont pas hésité à l'identifier avec la voix même de Dieu et que la conscience a été appelée par Vinet l'ambassadeur de Dieu et son ministre résident au-dedans de nous. Désobéir à sa conscience est, aux yeux de bien des gens, désobéir à Dieu lui-même ; et, en dernière analyse, cela est juste car c'est bien de Dieu que la conscience tire son origine l'ordre de choses qu'elle nous révèle, le bien qu'elle nous présente et auquel elle nous fait un devoir de nous conformer, se confond avec la volonté de Dieu dont il est l'expression ; mais ceci ne saurait nous voiler le fait que la conscience ne s'élève pas en nous comme une voix étrangère, nous ne l'invoquons pas comme une autorité distincte de nous que nous appellerions la conscience, mais comme un jugement personnel que chacun appelle sa conscience ; elle nous apparaît comme une loi inhérente à notre volonté ; et même, lorsqu'il y a conflit, le conflit n'est pas entre nous et un autre, mais dans l'intérieur de nous-mêmes, entre notre volonté inférieure et notre meilleur moi ; et lorsque notre conscience nous condamne, c'est encore nous-mêmes qui nous condamnons, en notre nom et de notre propre autorité.

Cela suffit, pensons-nous, pour légitimer notre affirmation du caractère général, médiat, impersonnel de la révélation naturelle et de sa méthode. S'il fallait encore une preuve à l'appui, nous la trouverions dans le fait que la religion que le déisme a cru pouvoir tirer de la révélation naturelle, est bien plus une philosophie qu'une religion ; elle accentue le principe de la transcendance divine ; elle attribue au monde une existence autonome et indépendante ; elle ne conserve la prière que comme une élévation de l'âme et un acte d'adoration. « Pour m'élever d'avance autant qu'il se peut à cet état de bonheur, de force et de liberté, dit le Vicaire savoyard, je m'exerce aux sublimes contemplations. je médite sur l'ordre de l'univers, non pour l'expliquer par de vains systèmes, mais pour l'admirer sans cesse, pour adorer le sage auteur qui s'y fait sentir. Je converse avec lui, je pénètre toutes mes facultés de sa divine essence ; je m'attendris à ses bienfaits, je le bénis de ses dons, mais je ne le prie pas. Que lui demanderais-je? Qu'il changeât pour moi le cours des choses, qu'il fit des miracles en ma faveur? Moi qui dois aimer par-dessus tout l'ordre établi par sa sagesse et maintenu par sa providence, voudrais-je que cet ordre fût troublé pour moi? Non, ce voeu téméraire mériterait d'être plutôt puni qu'exaucé ».

Autre est le mode de la révélation spéciale dont Israël fut le premier à bénéficier et qui eut pour aboutissement Jésus et l'Évangile. Elle consiste, nous l'avons déjà dit, dans la formation de personnalités qui, non seulement discernent Dieu dans les merveilles de la nature et les grands événements de l'histoire, mais encore et surtout le découvrent agissant en elles-mêmes, entrant en rapport avec elles, les prenant à son service et les élevant jusqu'à l'intelligence de sa volonté et de ses desseins. Et la mission de ces individualités reconstituées, réorganisées, est précisément de faire part de leurs expériences à ceux qui les entourent de manière à éveiller en eux les dispositions morales qui leur permettront de prendre place à leur tour dans la lignée de ceux qui sont revenus à Dieu de tout leur coeur et l'ont enfin rencontré face à face. C'est dire que si, dans l'examen du premier problème soulevé par la révélation historique, qui est celui de son existence même, nous nous sommes prononcé, contre Bousset et Sabatier, en faveur de la distinction traditionnelle entre révélation naturelle et révélation surnaturelle, nous nous séparons ici de l'orthodoxie mitigée de Rothe, (2) de F. Godet, en ce sens qu'au lieu de voir la révélation proprement dite dans les événements de l'histoire et de ne considérer les prophètes que comme ses interprètes, c'est dans les prophètes eux-mêmes, dans leur piété, que nous voyons la révélation, et nous considérons les événements historiques comme des moyens dont Dieu s'est servi pour faire naître, développer et fortifier leur piété et celle de leur peuple.

À peine songe-t-on encore, quand la révélation est ainsi conçue comme une action personnelle de Dieu sur d'autres personnes, à se demander si elle a ou non un caractère doctrinal. Évidemment la révélation est autre chose qu'une doctrine, et une doctrine ne peut pas davantage en tenir lieu qu'une théorie de la lumière ne peut remplacer le soleil ; et c'est le tort de l'orthodoxie aussi bien que du rationalisme de se figurer que la révélation peut se réduire à un certain nombre de formules qu'il suffit de s'approprier pour la posséder. La révélation, c'est tout d'abord un fait, le fait que Dieu est venu à nous en la personne de Jésus-Christ, et ce fait doit devenir pour nous non pas seulement objet de connaissance historique, mais objet d'expérience personnelle ; ainsi se légitime l'affirmation de Ritschl et de ses disciples que la révélation est une expérience. Mais le fait dont nous parlons est un fait intelligible et l'expérience qu'il engendre se réalise dans la pleine lumière du moi conscient ; fait et expérience sont donc susceptibles d'être compris et exprimés ; il est possible de les décrire et de les raconter, possible de déterminer les conditions dans lesquelles ils se produisent ; possible d'en rechercher les causes et d'en établir les conséquences. Et ceci, c'est précisément la doctrine inséparable de la révélation qui s'exprime et se transmet par son moyen. La chose nous parait si simple et si claire que nous jugeons superflu d'insister.


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CERTITUDE DE LA RÉVÉLATION

Comment la révélation se prouve-t-elle? telle est la question qu'il nous reste à examiner ; nous y joignons celle du mode de transmission de cette certitude, de la façon dont elle se communique d'un individu à un autre individu.

Il résulte nécessairement de tout ce qui précède que la certitude chrétienne est une certitude de nature expérimentale, comme la certitude des faits dont nous avons été les témoins ou qui se sont passés en nous. Nous sommes certains de la révélation, autrement dit, nous sommes certains d'avoir rencontré Dieu, comme nous sommes certains de notre propre existence ou de l'affection d'un ami ; ce n'est pas affaire de raisonnement, mais de connaissance directe ; c'est une certitude qui peut exister et qui existe en effet chez bien des gens qui ne sont pas toujours capables de suivre les incrédules sur le terrain logique et qui doivent se contenter de la position prise par l'aveugle-né : Je sais une chose, c'est que j'étais aveugle et que maintenant je vois (Jean IX, 25).

Ce fait entraîne pour conséquence que la certitude religieuse ne se communique pas par voie de démonstration logique. Il ne suffit pas, pour faire d'un homme un chrétien, de lui prouver par des arguments que Dieu existe ou d'établir par des textes le bien-fondé de telle ou telle affirmation ; la certitude véritable n'existe que chez l'homme qui s'est mis en présence de Jésus-Christ et a reconnu en lui son Sauveur et son Maître ; elle dépend d'une attitude morale que nul ne peut prendre à notre place et que nous ne pouvons prendre à la place de personne.

Mais si nous ne pouvons prendre cette attitude à la place de notre prochain, cela ne signifie pas que nous ne puissions rien faire pour l'amener à la prendre et lui faciliter l'accès de l'Évangile. Parmi les causes qui tiennent les hommes éloignés du Christ, il y a bien des malentendus que nous pouvons dissiper par des explications, des difficultés que nous pouvons aplanir, des objections que nous pouvons réfuter. Mais la forme normale de la propagande chrétienne ou de l'évangélisation, ce n'est pas le raisonnement dialectique, c'est le témoignage, le témoignage de ce que l'on a appris et reçu au contact du Christ.

Tout chrétien est un témoin du Christ ; il l'est par sa parole, quand il fait part à son prochain de ses expériences, quand il lui raconte ce que Dieu a fait pour lui ; il l'est encore et surtout par sa vie, attestation irréfutable de la puissance du Christ pour régénérer et sauver. Aucune propagande chrétienne qui ne serait pas un témoignage n'a de chance de succès. Tout le monde n'est pas en état de raisonner ou de discuter ; mais il n'est pas d'homme, si humble soit sa condition et si rudimentaire son instruction, qui ne puisse et ne doive devenir, par sa parole et par son exemple, un témoin de Jésus-Christ. Jusqu'à la fin des temps les chrétiens n'auront pas d'autre mot d'ordre que celui que Jésus donnait à ses apôtres à la veille de son départ : Vous serez mes témoins a Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre (Actes 1, 8).


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L'INSPIRATION DES ÉCRIVAINS BIBLIQUES

L'affirmation que la Bible émane de Dieu dans toutes ses parties, pour le fond comme pour la forme, de la première à la dernière de ses pages, est insoutenable ; si insoutenable même qu'on ne peut éviter de se demander comment il se fait que tant d'hommes de haute intelligence s'y soient cramponnés et s'y cramponnent encore avec une persévérance voisine de l'acharnement. La raison de cette persistance est facile à découvrir, et c'est une raison profondément respectable, une raison qui nous oblige à avoir pour eux des égards et des ménagements que trop souvent ils nous refusent ; car c'est une raison religieuse : ils ont rencontre Dieu dans la Bible, et tous leurs efforts ont pour but de garantir à leurs propres yeux la validité de leur expérience. Ont-ils tort ? Loin de là. Nous aussi, nous trouvons Dieu dans la Bible ; seulement, tandis qu'ils se figurent, à tort très certainement, que Dieu leur parle directement dans ces pages, nous savons qu'il nous y parle par l'organe de personnalités qu'il a formées, auxquelles il s'est révélé et par le moyen desquelles il veut nous atteindre à notre tour ; ce n'est pas pour nous affaire de préférence ; c'est un fait que nous nous bornons à constater ; nous devons prendre ce que Dieu nous a donné ; et non seulement nous avons à nous en contenter, mais nous pouvons et devons l'accepter avec joie et reconnaissance.

Il saute aux yeux, en effet, après quelques instants de réflexion, que, bien loin de considérer notre position comme un pis aller dont il faut bien que nous prenions notre parti, tout en menant deuil sur les précieux privilèges qui nous ont été enlevés, nous n'avons rien à envier à nos devanciers et même nous pouvons déclarer hardiment que les privilèges sont de notre côté.

N'est-ce pas, pour commencer, un précieux avantage que d'être en état d'envisager avec une entière sérénité d'esprit quantité de faits qui n'ont rien de déconcertant quand on peut les attribuer à des hommes soumis aux mêmes conditions d'existence que nous, mais qui sont excessivement troublants pour le lecteur qui est obligé de se prouver à lui-même que sa Bible a toujours raison, que deux chiffres ou deux indications géographiques contradictoires sont également justes, qu'un sentiment barbare n'est pas indigne du Père céleste que nous a révélé l'Évangile, qu'une citation arbitraire, comme le sont souvent celles du premier évangéliste, est pourtant conforme au sens historique du texte de l'Ancien Testament, etc., etc.? Tous ces problèmes, et ils sont nombreux, qui sont le tourment des partisans de l'inspiration plénière et qui risquent de les jeter dans l'incrédulité à moins qu'ils ne se décident à ne plus les voir, ont cessé de nous agiter et de nous arrêter dans notre lecture de la Bible.

Et surtout, n'est-ce pas pour nous un privilège inestimable que de pouvoir nous mettre à l'école des grands hommes de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance, héros de la foi, connus ou inconnus, les Moïse, les David, les Esaïe, les Jérémie, les saint Paul, les saint Jean, sans oublier le plus grand d'entre eux, le Seigneur lui-même qui, s'il n'a rien écrit, nous a pourtant été dépeint et dont la parole nous a été transmise de telle façon qu'il nous est possible de nous asseoir à ses pieds et de passer une heure à l'écouter tout comme si nous étions les hôtes de la famille de Béthanie? Allons-nous faire la moue parce que, comme on le dit quelquefois d'une façon vraiment stupide, ce ne sont que des hommes, et prétendre que, pour cette raison, nous ne pouvons leur accorder notre confiance? Ne nous est-il pas arrivé maintes fois de souhaiter d'avoir été leurs contemporains, de regretter de n'avoir pas eu l'occasion de les voir et de les entendre? Eh bien! nous nous trompions ; car, grâce à leurs écrits, dans lesquels ils se sont donnés tout entiers, ces hommes continuent à rendre leur témoignage et à exercer leur action ; ils sont plus voisins de nous que l'immense majorité de nos contemporains ; nous pouvons avoir avec eux le commerce le plus intime et le plus suivi. Qu'il serait insensé de négliger de tels guides pour leur préférer des compagnons plus modernes! Et si nous les négligeons, quel droit avons-nous de réclamer de Dieu des clartés plus fortes ou des affirmations plus certaines? Que la Bible nous devient précieuse quand elle cesse d'être dans nos mains comme un bloc inerte et que toutes ses pages s'animent sous nos yeux de la vie des plus grands serviteurs de Dieu!

À peine, quand on comprend les choses de cette façon, songe-t-on encore à définir avec plus de précision le lien qui unissait ces hommes à Dieu. Là, du moins, nous sentons-nous en présence d'un vrai mystère, puisque c'est le mystère de la vie, et non d'un mystère de notre propre fabrication comme celui de la Bible infaillible ; et c'est un mystère devant lequel nous nous inclinons sans contradiction intérieure, parce que le fait même que ces hommes ont été en relation avec Dieu ne fait pour nous l'objet d'aucun doute. En tout cas, nous nous passons sans aucune peine d'une théorie rigide qui rendrait compte de manière uniforme du lien qui unissait à Dieu les auteurs de Job, des Proverbes, de Daniel, du Deutéronome, et de celui qui plaçait sous sa dépendance un Ésaïe, parmi les prophètes, un saint Paul et un saint Jean, parmi les apôtres. Tout en admettant que le même Dieu a agi en chacun d'eux, nous sommes prêts à admettre aussi qu'il a trouvé chez eux des doses diverses de réceptivité, qu'il les a conduits chacun par le lien qui convenait le mieux à sa nature et les a revêtus chacun de la dotation que réclamait la tâche spéciale qu'il leur avait confiée.

Nous avons la certitude que Dieu a agi sur eux et en eux par son Esprit ; c'est pour nous l'essentiel. Après cela, la seule chose qu'il nous importe de savoir, c'est que, quelle que soit la manière en laquelle Dieu s'est révélé à eux, quel que soit le degré d'intimité dans lequel il a vécu avec eux, son action purificatrice, sanctifiante, illuminatrice, n'a pas porté atteinte à leur personnalité ; elle n'y a pas jeté la désorganisation ; et, si elle en a mis en oeuvre les ressources latentes, elle en a également respecté la constitution et les limites. En d'autres termes, la vie religieuse n'est point entrée en eux comme un facteur étranger ; comme un facteur supérieur, oui ; mais, nous le répétons, pas comme un facteur étranger ; c'était la vie de Dieu et pourtant c'était aussi leur vie. En d'autres termes encore, ils ont saisi la vie religieuse comme des hommes et non comme de simples appareils enregistreurs ; ils l'ont saisie chacun selon son tempérament et ses facultés ; ils l'ont saisie aussi comme des hommes de leur culture, de leur milieu, de leur peuple. Même dans les cas, que nous jugeons du reste assez rares, mais que nous ne voulons pas exclure, où c'est en état d'extase qu'ils ont pris connaissance de leur relation avec Dieu, leur personnalité n'a point été purement passive et c'est leur expérience antérieure qui leur a fourni les cadres et les éléments concrets de leurs visions. Nous nous séparons donc ici de Rothe, de Godet, qui admettent chez l'inspiré une suspension temporaire de son activité psychologique personnelle, comme nous nous séparons de Schleiermacher pour admettre chez l'inspiré une action divine immédiate et pas seulement une influence du milieu religieux ambiant.


Table des matières

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(1) Wilhelm Bousset (1865-1920), professeur à Goettingue, et Auguste Sabatier (1839-1901). théologiens célèbres et chefs d'école, dont A. Thiébaud venait d'exposer les points de vue.
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(2) Richard Rothe (1799-1867) professeur à Bonn et à Heidelberg, auteur d'une Ethik fameuse.

 

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