AUGUSTE
THIÉBAUD
SERMONS ET MÉDITATIONS
L'APPEL DU CHRIST
(1)
Comme Jésus
passait le long de la mer de Galilée, il vit
Simon et André, frère de Simon, qui
jetaient un filet dans la mer; car ils
étaient pêcheurs ; et il leur dit :
Suivez-moi et je vous ferai pêcheurs
d'hommes.
Marc 1, 16, 17.
Telle est, mon cher frère, la
parole qui s'est imposée à moi
dès l'instant où j'ai su que je
serais appelé à présider ce
service. Plus d'une fois, au cours de mes
méditations, j'ai essayé de me
soustraire à son emprise et de trouver un
texte qui définit avec plus d'ampleur et de
richesse la vocation dans laquelle vous entrez
aujourd'hui. Mais elle a continué à
se présenter avec tant d'insistance que j'ai
fini par m'y soumettre et par l'accepter avec
reconnaissance comme le message que le Seigneur me
donnait pour vous en vue de l'acte que nous allons
accomplir. Et après tout, y aurait-il, dans
le Nouveau Testament tout entier, un mot qui
rappelât plus clairement qui vous servirez
désormais et quel sera le trait fondamental
du ministère qui va vous être
conféré?
Ce texte nous met en présence
d'un appel : Suivez-moi! Les jeunes gens qui
l'entendirent les premiers connaissaient-ils celui
qui le leur adressait? À s'en tenir au
récit des trois premiers
Évangiles, on pourrait croire que non et que
ce fut pour suivre un inconnu que Simon et
André abandonnèrent barque et filet.
Mais le quatrième Évangile nous
apprend qu'ils avaient déjà
rencontré Jésus ; Jean-Baptiste, sur
les rives du Jourdain, l'avait déjà
signalé à leur attention ; ils
avaient passé auprès de lui des
heures inoubliables et avaient reconnu en lui
« celui que Moïse et les prophètes
ont annoncé » ; ils étaient
revenus avec lui de Judée en Galilée
et avaient été, à Cana,
témoins de son premier miracle ; et si,
depuis, ils étaient retournés pour un
temps a leurs occupations habituelles, leur cœur
était tout rempli des radieuses
espérances que Jésus y avait fait
surgir ; ils l'attendaient, et il lui suffit d'un
mot pour entraîner ceux qui
déjà croyaient en lui et ne
demandaient qu'à lui appartenir tout
entiers.
Mon cher frère, j'ose
affirmer que, vous aussi, vous connaissez celui qui
vous appelle. Votre présence ici m'en est un
gage certain Ah! sans doute, vous ne le connaissez
pas encore pleinement. Vous êtes loin, comme
nous tous du reste, de « connaître
quelle est la largeur, la longueur, la profondeur
et la hauteur de l'amour de Christ, qui surpasse
toute connaissance » ; vous avez
également, comme nous tous, à
progresser dans l'intelligence de son œuvre
rédemptrice et, si vous vous y appliquez,
vous ferez dans ce domaine des découvertes
qui vous rempliront de gratitude et d'adoration.
Mais, dès à présent, vous
l'avez rencontré et vous le connaissez. Si,
librement, spontanément, vous avez
demandé la consécration qui fera de
vous un ministre de l'Évangile, ce n'est pas
uniquement pour répondre au pieux
désir de vos parents et
encore moins parce que d'autres carrières se
sont fermées devant vous, mais bien, j'en ai
la certitude, parce que vous avez reçu du
Seigneur quelque chose qui est votre bien le plus
précieux et en quoi vous voyez la seule
chose nécessaire pour vous-même et
pour toute âme d'homme ici-bas ; parce
qu'ayant bénéficié de sa
grâce, vous avez compris qu'il vous appelle
à la proclamer et à continuer avec
lui et en son nom, auprès de ceux qui
souffrent, de ceux qui cherchent, de ceux qui
s'égarent, la mission salutaire que le
Père lui a confiée.
En son nom. Voilà le mot
qu'avant de passer à d'autres
réflexions, je voudrais encore souligner
fortement. Quoi que vous disiez et fassiez, vous ne
serez plus désormais que son
représentant. C'est en son nom que vous
monterez en chaire, dimanche après dimanche,
pour nourrir vos auditeurs, non de votre
pensée et de votre sagesse, mais de la
pensée et de la sagesse du Maître,
pour lui rendre témoignage, pour faire
entendre ses avertissements et ses appels ; et vous
n'accomplirez votre tâche que dans la mesure
où ceux qui vous entendront
reconnaîtront dans votre voix la voix du bon
berger à la recherche de la brebis perdue.
C'est en son nom que vous présiderez ces
services de cène qui sont incontestablement
ce qu'il y a à la fois de plus sacré
et de plus réconfortant dans notre
ministère ; et, même si vous n'aviez
pas encore trouvé et ne deviez jamais
trouver les mots qui traduisent à votre
pleine satisfaction ce qui s'est passé au
Calvaire, c'est pourtant en son nom que vous
romprez le pain et direz : Ceci est mon corps,
rompu pour vous ; en son nom que
vous tendrez la coupe et direz : Cette coupe est la
Nouvelle Alliance en mon sang, répandu pour
les péchés de plusieurs. C'est en son
nom que vous instruirez les enfants et que vous
vous efforcerez de les guider vers la porte
étroite et le chemin resserré qui
conduisent à la vie. C'est en son nom que
vous visiterez les malades, les pauvres, les
isolés, que vous consolerez ceux qui
pleurent, que vous soutiendrez les mourants et
qu'au bord de la tombe, vous parlerez du jugement
à venir et proclamerez la certitude de la
vie éternelle.
Voilà, trop brièvement
et trop imparfaitement résumée, la
signification de l'appel qui vous a
été adressé et auquel vous
avez déjà répondu. Mais
quelles seront pour vous les conséquences de
cet appel et quel caractère donnera-t-il
à votre ministère? Il y a, sur ce
point, trois choses que je désire vous
rappeler en peu de mots.
D'abord, cet appel est une
promotion. Pensez à la distance qui devait
séparer la nouvelle carrière des fils
de Jona de l'humble profession qu'ils avaient
exercée jusque là ! Il en est
toujours ainsi des appels de Jésus. On peut
toujours les rendre par ce mot : Mon ami, monte
plus haut! Il était bon de vous le redire,
non pour vous remplir d'orgueil, mais pour vous
délivrer de la crainte qu'en
répondant à l'appel de Jésus,
vous n'entriez dans la voie de l'appauvrissement et
de la diminution. Loin de moi la pensée de
dénigrer ce qu'on appelle les professions
laïques. je reconnais pleinement que soit
comme médecin, maître d'école,
négociant, ou même comme simple
artisan, vous auriez pu glorifier Dieu, rendre
aux autres de précieux
services et éprouver de réelles
satisfactions. Qui sait? Il y aura peut-être,
il y aura sûrement dans votre vie des heures
de fatigue et de dépression où vous
jetterez un regard d'envie sur la carrière
plus brillante et, en apparence, plus facile de tel
de vos camarades. Mais ressaisissez-vous! En
faisant de vous un pêcheur d'hommes, le
Seigneur, qui saura vous maintenir dans
l'humilité en vous révélant
à chaque heure votre insuffisance et votre
indignité, ne vous en a pas moins
appelé à la plus belle, à la
plus sainte, à la plus glorieuse des
tâches, une tâche qui, si vous savez
vous en acquitter fidèlement, vous
procurera, avec beaucoup de souffrances,
quelques-unes des joies les plus douces et les plus
pures que l'homme puisse goûter.
En second lieu, cet appel vous trace
votre ligne de conduite : pêcheur d'hommes,
voila ce que vous serez avant tout et par-dessus
tout. Soyez, si vous le pouvez, un penseur profond
; utilisez les belles facultés dont Dieu
vous a doué pour scruter les graves
problèmes de notre destinée ; soyez,
si c'est la votre don particulier, un
entraîneur débordant de zèle et
d'entrain et capable de transformer une
église assoupie en ruche laborieuse et
bourdonnante ; dépensez-vous pour assurer
à vos semblables un peu plus de
bien-être et de confort, une existence plus
riche, une vie plus colorée ; mais
souvenez-vous que le Seigneur a voulu, avant toute
autre chose, faire de vous un pêcheur
d'hommes, c'est-à-dire quelqu'un ayant au
cœur le souci des âmes, quelqu'un que
dévore le besoin d'amener ses frères
au salut, à la rencontre
avec Dieu qui fera d'eux de
nouvelles créatures, les affranchira du
péché et les préparera
à la vie éternelle.
Et enfin, cet appel vous place dans
la dépendance immédiate de
Jésus-Christ, qui ne vous exhorte pas
seulement à devenir pêcheur d'hommes,
mais s'engage à vous en fournir le moyen.
Remarquez bien ce mot, qui est probablement le plus
important du texte : « Je vous ferai
pêcheurs d'hommes». Nous ne pouvons pas
y arriver par nous-mêmes. Il y a des
tâches qui dépassent nos forces
entièrement, absolument, aussi longtemps que
nous n'avons à communiquer que ce que nous
possédons par nous-mêmes ou ce que
nous avons acquis par nos recherches et par nos
efforts ; et lorsqu'il ne s'agit pas des choses de
la terre, mais des choses de Dieu, lorsqu'il s'agit
de réconforter un
désespéré, de rassurer un
pécheur qui tremble à la
pensée du jugement, de guider un mourant au
travers de la sombre vallée, nous ne pouvons
que nous écrier : Qui serait suffisant pour
ces choses? Mais celui qui nous appelle est
tout-puissant. Voyez ce qu'il a fait de Simon et
d'André, de Jacques et de Jean, de Saul de
Tarse et de tant d'autres ouvriers plus obscurs
dont les noms mêmes sont oubliés
aujourd'hui, mais qui n'en furent pas moins des
pêcheurs d'hommes et dont
l'éternité révélera
l'œuvre bénie.
Et voilà aussi ce que le
Seigneur veut faire de vous, mon cher frère.
À une condition, cependant, celle-là
même qu'indique le premier mot de notre texte
: Suivez-moi! Vous savez ce que cet ordre
impliquait pour les premiers disciples ; vous savez
ce qu'il implique pour vous. Suivre
Christ, c'est marcher sur ses
traces ; c'est s'inspirer de son exemple ; c'est se
pénétrer de son esprit ; c'est
s'attendre à lui pour toutes choses ; c'est
se mettre tout entier et sans réserve
à son service, comme il s'est donné
lui-même tout entier à l'œuvre que son
Père avait placée devant lui. Eh
bien! suivez-le, obéissez-lui, laissez-vous
diriger par lui en toutes choses et, malgré
votre faiblesse, il fera de vous, dès
aujourd'hui, un pêcheur d'hommes.
Et nous, mes chers frères,
qui entourons de notre sympathie et de nos
prières celui qui va se consacrer et que
nous allons consacrer au service du Maître,
n'avons-nous pas, nous aussi, quelque chose
à retirer de la parole que nous venons de
méditer? Pasteurs ou laïcs,
n'avons-nous pas tous charge d'âmes? Ne
sommes-nous pas tous appelés à
devenir pêcheurs d'hommes? Ah! puisse
l'occasion qui nous réunit nous remettre en
présence de nos responsabilités et de
nos privilèges, nous rappeler que, dans un
monde qui, livré à lui-même,
marche infailliblement à la ruine, le
Seigneur nous invite à devenir ses
collaborateurs et, en quelque mesure, les
continuateurs de son œuvre! Puisse-t-elle nous
rappeler surtout que cette oeuvre est la sienne et
que c'est lui, et lui seul, qui peut faire de nous
tous des pêcheurs d'hommes! Amen.
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